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Date : 20080211

Dossier : IMM-2994-07

Référence : 2008 CF 176

Ottawa (Ontario), le 11 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

MUZZAFAR IQBAL SHEIKH

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Bien que de nombreuses questions aient été soulevées, le présent contrôle judiciaire concerne l’interprétation, par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), de trois documents.

 

[2]               M. Sheikh sollicite le statut de réfugié aux motifs qu’il craint avec raison d’être persécuté au Pakistan du fait de ses opinions politiques et de ses croyances religieuses. Il affirme avoir été membre du Parti du peuple pakistanais (PPP) et que, en raison de cela, il aurait reçu des menaces des mollahs et subi des attaques de membres de la Ligue musulmane. Il a quitté le Pakistan après avoir appris qu’un mandat d’arrestation avait été lancé contre lui.

 

[3]               Le tribunal de la CISR a affirmé qu’il y avait de nombreux problèmes de crédibilité et des contradictions importantes dans divers documents. Cependant, il a porté son attention sur un procès‑verbal introductif déposé contre M. Sheikh un mois avant son départ du Pakistan, un mandat d’arrestation et une lettre d’explication rédigée par la suite par le commissariat de police intéressé.

 

[4]               Étant donné que les autres doutes relatifs à la crédibilité quant aux documents n’ont pas été mentionnés et qu’aucun motif n’a été donné sur ces sujets, ils ne peuvent servir de fondement à la conclusion selon laquelle M. Sheilh n’était pas crédible.

 

[5]               Le procès‑verbal introductif (le FIR) atteste qu’on a porté plainte à un commissariat de police. Il porte le numéro 241/03. Le mandat d’arrestation, qui aurait apparemment été lancé par un juge, porte le même numéro FIR 241/03. La CISR a demandé au haut‑commissariat du Canada à Islamabad d’enquêter. La réponse fournie en retour se lit comme suit :

[traduction] Selon les renseignements obtenus lors d’une conversation téléphonique avec M. Asghar Ahmad, moharar adjoint (registraire adjoint), le FIR241/2003 n’existe pas étant donné qu’il n’y avait eu que 161 procès‑verbaux introductifs enregistrés en 2003.

 

[6]               Le tribunal a judicieusement mis en doute l’authenticité du procès‑verbal et du mandat, et il a donné l’occasion à M. Sheikh de répondre. Il a fourni une lettre avec l’en‑tête du commissariat de police en question qui atteste qu’en 2003 un FIR41, et non 241, avait été préparé contre le demandeur. L’ajout du chiffre « 2 » était une erreur d’écriture qui avait été depuis corrigée, tout comme l’avait été le mandat d’arrestation. La lettre mentionnait en outre ce qui suit :

[traduction] Les demandes effectuées par téléphone par le bureau du haut‑commissariat du Canada à Islamabad avaient mentionné le numéro de référence seulement. Par conséquent, la réponse donnée par notre bureau était négative. Plus tard, lorsque le nom de l’accusé a été comparé avec les numéros de série des procès‑verbaux, on a relevé la présence de l’erreur d’écriture susmentionnée.

 

La lettre semble être signée par le même Asghar Ahmad.

 

[7]               Le tribunal n’a pas accepté la lettre d’explication. Il était d’avis que si les numéros d’identification du procès‑verbal introductif et du mandat d’arrestation avaient été erronés, l’avocat pakistanais du demandeur l’aurait remarqué dès le départ. Le manque de crédibilité était tellement omniprésent en l’espèce que le tribunal n’a pas cru un traître mot de M. Sheikh.

 

[8]               La conclusion tirée était manifestement déraisonnable. Si l’avocat avait effectué les recherches par nom, comment aurait-il pu savoir qu’on avait inscrit le mauvais numéro sur le formulaire? La déclaration qui figure dans la lettre, selon laquelle le haut‑commissariat avait donné pour les recherches seulement le numéro de procès‑verbal introductif et non le nom, n’a pas été contestée. En effet, une telle demande de recherche est plus conforme aux normes de protection de la vie privée en vigueur au Canada.

 

[9]               Bien qu’aucune mention n’en ait été faite dans les motifs de la décision, la transcription révèle que le tribunal s’attendait à ce qu’un procès‑verbal introductif et un mandat d’arrestation corrigés soient déposés en plus de la lettre. Bien que le fardeau général de démontrer le bien‑fondé de sa demande repose sur le demandeur, on ne peut prévoir à quel point le tribunal sera exigeant. La lettre semble être parfaitement satisfaisante à première vue, et un document qui semble provenir d’une autorité étrangère est valide à priori (Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 10, 77 A.C.W.S. (3d) 156, Osipenkov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 57, [2003] A.C.F. no 59).

 

[10]           Le tribunal aurait facilement pu faire faire une autre demande auprès du commissariat de police en question. La justice naturelle exige que les parties soient informées des doutes précis qui ont été conçus à leur endroit, et elles doivent avoir l’occasion de les dissiper. (Adegbayi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1348, [2004] A.C.F. no 1615; Khwaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 522, [2006] A.C.F. no 703; Guo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 626, [2006] A.C.F. no 795, et Skripnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 528, 61 Imm. L.R. (3d) 62). Soit il existe un procès‑verbal introductif et un mandat d’arrestation, soit il n’en existe pas et, s’ils existent, alors la décision de rejeter la demande de M. Sheikh sans en tenir compte était manifestement déraisonnable.

 

[11]           On ne devrait pas tenir pour acquis qu’une situation ou qu’un document existe ou n’existe pas, lorsque l’on peut facilement en prouver l’existence ou l’inexistence (Myle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1073, [2007] A.C.F. no 1389).


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que, pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’il statue à nouveau sur elle. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée aux fins de certification.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2994-07                                                

 

 

INTITULÉ :                                                   MUZZAFAR IZBAL SHEIKH c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 7 FÉVRIER 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan M. Bohbot

 

POUR LE DEMANDEUR

Édith Savard

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan M. Bohbot

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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