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Date : 20080207

Dossier : T‑2274‑06

Référence : 2008 CF 158

Ottawa (Ontario), le 7 février 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

HUI YANG

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le 12 avril 2006, la demanderesse, Mme Hui Yang, s’est rendue à l’Aéroport international de Vancouver pour prendre un vol à destination de Beijing, sa destination finale étant Shanghai (Chine). Des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (Douanes) qui l’interrogeaient ont découvert que Mme Yang avait omis de déclarer qu’elle transportait des espèces d’une valeur de plus de 20 000 $ CAN, en contravention du paragraphe 12(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi). Un des agents (l’agent Coopman), concluant qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que ces espèces étaient des produits de la criminalité, les a saisies et confisquées au profit de Sa Majesté du chef du


Canada. Mme Yang a par la suite demandé la révision de cette décision au ministre de la Sécurité publique (le ministre). M. D. Proceviat, gestionnaire, Division de l’arbitrage (le représentant du ministre), a procédé à la révision et a confirmé la confiscation des espèces saisies. Mme Yang demande le contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[2]               Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

 

1.      En traitant uniquement la question de savoir s’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces étaient des produits de la criminalité, sans prendre en considération les facteurs personnels et autres, le représentant du ministre a‑t‑il agi en conformité avec ses obligations énoncées à l’article 29 de la Loi ?

 

2.      Le représentant du ministre a‑t‑il imposé à Mme Yang un fardeau de preuve dont elle ne pouvait pas s’acquitter ?

 

3.      Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale envers Mme Yang :

 

a)                  du fait de la non‑divulgation de certaines observations de l’agent Coopman;

 

b)                  du fait qu’un autre fonctionnaire, et non le représentant du ministre, a en réalité rendu la décision de confirmer la confiscation des espèces ?

 

L’HISTORIQUE

 

[3]               Le régime législatif qui est à l’origine de la présente instance est établi par la Loi, dont la Partie 2 portant sur la « Déclaration des espèces et effets », renferme des dispositions particulièrement pertinentes à cet égard. Ces dispositions ont fait l’objet de nombreuses interprétations et analyses dans la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale et il n’y a pas lieu de les rappeler ici (voir Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CAF 186 confirmé par 2006 CF 50, Dokaj c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 1437; Thérancé c. Canada (Ministre de la Sécurité publique), 2007 CF 136; Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 208; Dag c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 427; Yusufov c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 453; Ondre c. Canada (Procureur général du Canada représentant le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 454; Hamam c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 691; Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 746; Majeed c. Canada (Ministre de la Sécurité publique), 2007 CF 1082; Lyew c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 1117). Les articles pertinents de la Loi sont reproduits à l’Annexe A des présents motifs.

 

[4]               En résumé, les faits de la présente demande de contrôle judiciaire font intervenir la Loi de la manière suivante :

 

·                    Mme Yang a omis de déclarer qu’elle avait plus de 10 000 $ CAN en sa possession au moment de quitter le pays, et ce, en contravention du paragraphe 12(1) de la Loi;

 

·                    l’agent Coopman a saisi les espèces à titre de confiscation parce qu’il avait conclu qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que ces espèces étaient des produits de la criminalité (paragraphe 18(2)), puis il a remis un avis de saisie à Mme Yang (alinéa 18(3)a));

 

·                    Mme Yang a demandé au ministre de réviser la décision de l’agent Coopman (article 25);

 

·                    après présentation des observations, un arbitre, Mme Archipow (l’arbitre), a rédigé un résumé de l’affaire qui a été transmis au représentant du ministre pour étude. Ce dernier a par la suite confirmé la confiscation des espèces saisies (article 29).

 

L’ANALYSE

 

[5]               Dans un premier temps, je souligne que certains faits en l’espèce ne sont pas contestés. En premier lieu, Mme Yang reconnaît avoir agi en contravention du paragraphe 12(1) de la Loi, c’est‑à‑dire qu’elle reconnaît avoir omis de déclarer à un agent des douanes les espèces ayant fait l’objet de la saisie. En second lieu, il n’est pas contesté que le représentant du ministre jouit des pouvoirs délégués par le inistre de rendre une décision en vertu de l’article 29.

 

La norme de contrôle

 

[6]               Je vais maintenant traiter de la norme de contrôle applicable aux questions en litige en l’espèce. Les questions des obligations du représentant du ministre en vertu de l’article 29 et du fardeau de la preuve sont des questions de droit auxquelles j’appliquai la norme de la décision correcte. De la même manière, pour ce qui est des questions d’équité procédurale soulevées par la demanderesse, aucune retenue n’est nécessaire; le représentant du ministre a satisfait à l’obligation d’équité procédurale en l’espèce ou bien il ne l’a pas satisfaite.

 

Première question :     Le représentant du ministre a‑t‑il agi en conformité avec ses obligations,    énoncées à l’article 29 de la Loi?

 

[7]               L’essentiel des observations orales de Mme Yang est que l’article 29 de la Loi impose au représentant du ministre l’obligation d’effectuer une analyse approfondie et non pas de simplement trancher la question de savoir s’il existait des motifs suffisants pour que l’agent Coopman procède à une saisie. Mme Yang fait référence au libellé de l’article 29, qui offre trois choix au représentant du ministre. Plus précisément, une fois qu’il a conclu qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) (ce qui est le cas en l’espèce), le représentant du ministre peut :

 

·                    restituer les espèces saisies avec ou sans pénalité;

 

·                    restituer tout ou partie de la pénalité versée;

 

·                    confirmer la confiscation des espèces au profit de Sa Majesté du chef du Canada.

 

[8]               De l’avis de Mme Yang, le représentant du ministre doit étudier tous les facteurs pertinents afin de prendre une décision éclairée et équilibrée quant à savoir laquelle des possibilités offertes à l’article 29 il choisira. En l’espèce, Mme Yang fait valoir que le représentant du ministre était tenu d’étudier, en vertu de l’alinéa 29a), la question de savoir si les espèces saisies devaient lui être restituées pour des motifs d’ordre humanitaire. En d’autres termes, Mme Yang prétend que le représentant du ministre doit tenir compte non seulement de la question de savoir s’il existe des motifs de soupçonner que les espèces sont des produits de la criminalité, mais également de toutes les autres considérations qu’elle avance.

 

[9]               Je ne suis pas de cet avis. Je souligne pour commencer que l’article 29 n’impose pas au représentant du ministre l’obligation d’entreprendre un exercice de pondération. L’article 29 ne comprend aucune liste de facteurs à prendre en compte; au contraire, il énonce les trois choix offerts au ministre selon la situation qu’il doit trancher. D’après l’interprétation de Mme Yang, l’article 29 renfermerait des obligations qui ne s’y trouvent pas.

 

[10]           En outre, des décisions récentes de la Cour décrivent le rôle du représentant du ministre en vertu de l’article 29. Les observations suivantes formulées par la juge Simpson dans l’arrêt Sellathurai, au paragraphe 58, sont des plus pertinentes :

Le défendeur affirme que, dans son application de la Partie 2 de la Loi, le représentant du ministre est appelé à soupeser les intérêts du demandeur et ceux du public canadien. Toutefois, je ne partage pas cette opinion. À mon avis, l’équilibre entre les intérêts privés et les intérêts publics a été établi par le législateur lorsqu’il a mis en place le régime législatif. Le représentant du ministre a un rôle beaucoup plus limité en vertu de l’article 29. Il détermine simplement si, compte tenu des faits d’une affaire donnée, il y a lieu de confirmer une confiscation. En conséquence, puisque, à mon avis, ce facteur n’est pas polycentrique, il n’indique pas que la retenue s’impose.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[11]           Je souscris aux observations de la juge Simpson. Le représentant du ministre ne commet pas d’erreur en mettant l’accent sur la question de savoir si le demandeur a présenté des éléments de preuve suffisants pour dissiper le soupçon de l’agent qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les espèces saisies sont des produits de la criminalité. Le représentant du ministre s’acquitte de ses obligations en vertu de l’article 29 de la Loi lorsqu’il se demande si les motifs raisonnables sur lesquels s’est fondé l’agent existent toujours une fois tous les éléments de preuve analysés. Dans le contexte de la présente demande, les difficultés personnelles de Mme Yang ne règlent pas la question de l’origine des espèces saisies. Le représentant du ministre n’a pas commis d’erreur en n’accordant pas de poids à ces observations.

 

[12]           Mme Yang affirme également que la saisie de ses espèces ne favorise en rien l’atteinte des objectifs de la Loi. Essentiellement, Mme Yang soutient que, en vertu de l’article 29, le représentant du ministre doit tenir compte de la question de savoir si la confiscation en l’espèce a ou n’a pas permis d’atteindre les objectifs de la Loi. Je ne suis pas d’accord avec elle.

 

[13]           Comme l’énonce la Loi, le législateur impose à quiconque importe ou exporte des espèces ou des effets monétaires d’une valeur supérieure à un certain montant l’obligation de les déclarer à l’agent des douanes. Le législateur a estimé à propos d’inclure des peines  sévères ‑‑ c’est‑à‑dire la confiscation dans certains cas ‑‑ pour assurer le respect de cette obligation. La simple lecture de la Loi montre qu’il n’est pas nécessaire d’établir quoi que ce soit d’autre. Il n’est pas nécessaire que le représentant du ministre décide si les objectifs de la Loi ont été atteints ou non par la confiscation des fonds car le régime législatif sous‑jacent fait en sorte qu’ils le sont déjà. En l’espèce, le représentant du ministre, tenant compte des éléments de preuve qui lui ont été soumis et concluant qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces saisies étaient des produits de la criminalité, a choisi de confirmer la confiscation. Je suis convaincue que, ce faisant, il a correctement interprété et rempli son mandat en vertu de l’article 29,

 

Deuxième question :   Le représentant du ministre a‑t‑il imposé à Mme Yang un fardeau de preuve             dont elle ne pouvait pas s’acquitter?

 

[14]           Mme Yang prétend que le représentant du ministre lui a imposé un fardeau de preuve dont elle ne pouvait pas s’acquitter. Selon elle, l’examen de la décision montre qu’aucun élément de preuve n’aurait pu le convaincre.

 

[15]           À cette étape, il convient de résumer les éléments de preuve dont disposait l’agent Coopman lorsqu’il a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de nourrir un soupçon.

 

[16]           Confrontée par l’agent Coopman et informée de l’obligation de faire une déclaration en vertu de la Loi, Mme Yang a répondu qu’elle n’avait pas besoin de produire une déclaration visant des espèces. Le comportement de Mme Yang lui paraissant suspect, l’agent Coopman lui a demandé de présenter toutes les espèces en sa possession. Celle‑ci a refusé, déclarant qu’elle détenait 5 000 $ (plus tard, 9 000 $) dans ses bagages. La fouille de ses bagages a ultimement permis de découvrir l’équivalent de 21 843,35 $ CAN en devises du Canada, des États‑Unis, de Hong Kong et de Chine. L’agent Coopman a énuméré 15 raisons ou motifs pour conclure qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que ces espèces étaient des produits de la criminalité, dont :

 

1.                  le fait que les espèces étaient cachées ici et là dans les bagages de Mme Yang;

 

2.                  le fait que les espèces n’étaient ni enveloppées ni emballées selon la pratique bancaire;

 

3.                  le manque de collaboration de Mme Yang lorsqu’il lui a demandé de présenter les espèces pour contrôle;

 

4.                  la nervosité et l’agitation extrêmes de Mme Yang;

 

5.                  l’incapacité de Mme Yang d’expliquer clairement l’origine des espèces et le fait qu’elle a fait plusieurs déclarations vagues et contradictoires quant à leur origine et quant à leur propriétaire;

 

6.                  l’incapacité de Mme Yang d’expliquer clairement la raison pour laquelle elle exportait ces espèces.

 

[17]           Il importe de signaler que Mme Yang s’est elle‑même mise dans la situation où ses espèces ont été saisies. L’obligation de faire une déclaration lui a été expliquée mais elle n’en a pas tenu compte. Confrontée à la découverte des espèces cachées, c’est elle qui a produit des explications contradictoires et suspectes quant à leur origine.

 

[18]           Après la saisie, de son propre chef et par le truchement d’un avocat, Mme Yang a présenté de nombreuses observations au représentant du ministre. Elle s’est quelque peu opposée à certains éléments de preuve présentés par l’agent Coopman, mais la plupart de ses objections ou désaccords étaient mineurs. En fait, son principal argument avait trait à sa situation personnelle et aux difficultés qui seraient les siennes si la saisie était confirmée. Mme Yang n’a guère fait plus, relativement à la question cruciale de l’origine des espèces saisies, que présenter une déclaration émanant de son père selon laquelle il lui avait remis une somme importante.

 

[19]           Est‑ce que cela constitue un fardeau de preuve dont Mme Yang ne pouvait s’acquitter? Vu les éléments de preuve dont disposait l’agent Coopman, je reconnais que le fardeau de la preuve de Mme Yang était lourd, cependant, cela ne veut pas nécessairement dire qu’il lui était impossible de s’en acquitter. Puisque je ne suis pas dans la situation du représentant du ministre, il ne serait pas indiqué que je présume des éléments de preuve susceptibles de le convaincre. Toutefois, ainsi que je l’ai déjà signalé, Mme Yang n’a fourni aucun autre élément de preuve hormis la déclaration de son père selon laquelle il lui avait fait cadeau de l’argent. Outre que cette déclaration ne correspond en rien aux déclarations faites par Mme Yang à l’agent Coopman, aucun renseignement financier n’étayait la déclaration de son père quant à l’origine des fonds. De plus, son témoignage selon lequel sa mère malade en Chine avait besoin des espèces saisies ne comprend aucun élément de preuve quant à l’origine des fonds.

 

[20]           Il est de jurisprudence constante de la Cour que c’est au demandeur que le fardeau de présenter la preuve incombe en pareil cas (voir  Dupre c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 1177; Ondre, précitée; Hamam, précitée; Yusufov, précitée; Qasem c. Canada (Ministre du revenu national), 2008 CF 31). Dans l’arrêt Dupre, la juge Layden‑Stevenson décrit en ces termes, aux paragraphes 37 et 38, le processus et le fardeau du demandeur :

L’existence de motifs raisonnables de soupçonner est une norme moins exigeante que celle fondée sur l’existence de motifs raisonnables et probables de croire, mais elle est incluse dans celle‑ci : R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652. À mon avis, dans les circonstances, il y avait amplement lieu de soupçonner que les espèces que Mme Dupre avait en sa possession étaient un produit de la criminalité. Mme Dupre a créé ce soupçon par la conduite qu’elle a eue au moment de la saisie.

Il a ensuite incombé à Mme Dupre de dissiper les soupçons. Pour y parvenir, il lui fallait convaincre la représentante du ministre de la source légitime des fonds. Cette exigence est logique, car Mme Dupre est la mieux placée pour expliquer l’origine des espèces qu’elle avait en sa possession. Elle ne s’est tout simplement pas acquittée de ce fardeau. 

 

[21]           À mon avis, l’affaire résume très bien le fardeau de Mme Yang. Vu les faits portés à ma connaissance, il est tout à fait clair que Mme Yang n’a pas réussi à dissiper le soupçon qu’elle a elle‑même suscité. Bref, elle n’a pas réussi à fournir de preuve suffisamment convaincante pour dissiper tout doute raisonnable sur l’origine des fonds.

 

[22]           Lors des observations orales, la récente décision Qasem, précitée, rendue par le juge O'Reilly qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que le représentant du ministre a commis une erreur de droit en imposant à M. Quasem un fardeau trop lourd et une norme de preuve trop exigeante, a été discutée. Dans le dossier dont disposait le juge O’Reilly, un passage clé de l’analyse mentionnait ce qui suit : « le demandeur n’a pas fourni suffisamment de précisions et n’a pas rapporté une preuve suffisamment crédible, fiable et indépendante pour établir qu’il n’y a aucune autre explication raisonnable possible ». [Souligné dans l’original.]

 

[23]           En l’espèce, la seule mention du fardeau de Mme Yang faite par le représentant du ministre se lit ainsi :

[traduction]

Vous avez expliqué que les espèces proviennent en partie de vos économies et en partie de cadeaux en espèces de la part de votre père. Vous avez produit une déclaration à cet effet émanant de votre père. Toutefois, vous ne vous êtes pas acquittée du fardeau de la preuve car la déclaration ne confirme pas la source légitime des espèces.

 

[…] vous n’avez pas produit de preuve documentaire légitime ou de renseignement montrant que les fonds ont été obtenus par des moyens légitimes. Le soupçon subsiste et par conséquent, la confiscation des fonds est confirmée.

 

[24]           La seule mention du fardeau de la preuve dans le résumé de l’affaire rédigé par l’arbitre est la suivante :

[traduction]

La demanderesse explique que les fonds proviennent en partie de ses économies et en partie de cadeaux en espèces de la part de son père. La demanderesse a produit une déclaration de son père à cet effet. Toutefois, la demanderesse ne s’acquitte pas de son fardeau car la déclaration ne confirme pas la source légitime des espèces. Il importe de signaler que c’est à la demanderesse qu’il incombe de s’acquitter du fardeau de la preuve de la source légitime des fonds [...]

 

[…] Compte tenu des renseignements au dossier, je suis d’avis que l’agent disposait de motifs raisonnables d’avoir des soupçons.

 

[25]           Une première lecture du passage portant sur la déclaration du père de Mme Yang ([traduction] « la demanderesse ne s’acquitte pas de son fardeau car la déclaration ne confirme pas la source légitime des espèces ») laisse entendre que celle‑ci était tenue d’établir sans l’ombre d’un doute l’origine des fonds. Une lecture plus attentive, cependant, montre que le représentant du ministre se reportait à ce seul élément de preuve en l’espèce. En fait, le représentant du ministre a affirmé ce qui suit : [Traduction] « cet élément de preuve n’est pas suffisant pour dissiper les motifs raisonnables de soupçon vu que vous avez auparavant mentionné le nom de “Tong” pour expliquer l’origine des espèces et que vous n’avez pas produit de documents financiers. » Quant au reste des observations de l’arbitre et du représentant du ministre, je constate que leur libellé reprend celui de la Loi – il n’est pas question de la norme de preuve en droit criminel sur laquelle s’est penché le juge O’Reilly.

 

[26]           Bref, à la lecture de la décision et du résumé de l’affaire rédigé par l’arbitre, je suis convaincue que le représentant du ministre n’a pas imposé de fardeau trop élevé ou erroné à Mme Yang. De l’avis du représentant du ministre, elle n’a tout simplement pas dissipé les motifs raisonnables de soupçon quant à l’origine des espèces saisies.

 

Troisième question a) :           Le représentant du ministre a‑t‑il commis une erreur en ne communiquant pas certains documents émanant de l’agent Coopman à Mme Yang?

 

[27]           Mme Yang fait valoir que le représentant du ministre n’a pas divulgué deux notes rédigées par l’agent Coopman et transmises à l’arbitre à l’époque où elle rédigeait le résumé de l’affaire. Mme Yang prétend que le représentant du ministre était tenu de divulguer ces pièces pour lui donner la possibilité de répondre à tout élément préjudiciable à sa position et d’apporter des éléments de preuve au soutien de celle‑ci (Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 40; May c. Établissement Ferndale, [2005] 3 R.C.S. 809, au paragraphe 92).

 

[28]           Il ne fait aucun doute que Mme Yang doit bénéficier de l’équité procédurale. Toutefois, l’obligation d’équité ne comporte pas nécessairement l’obligation de fournir chaque document à une partie. L’obligation a été décrite par le juge Dawson dans l’arrêt Hersi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 2136, au paragraphe 20 (1ère inst.) (QL) :

Pour pouvoir participer utilement à un processus décisionnel, il faut être clairement informé de la situation, avoir l'occasion de présenter des éléments de preuve et des observations se rapportant à la décision à prendre et que le dossier soit examiné de façon approfondie par un décideur impartial.

 

[29]           Pour décider s’il y a eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce, je fais remarquer tout d’abord que Mme Yang a eu la possibilité de déposer tous les éléments de preuve et de présenter tous les arguments qu’elle souhaitait au soutien de sa position (Dag, précitée, au paragraphe 52; Kishavarz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1309, au paragraphe 22 (1ère inst.) (QL)). En fait, comme le signale à juste titre le défendeur, Mme Yang n’a présenté aucune observation quant à savoir en quoi la divulgation des renseignements manquants lui aurait été utile. Ensuite, l’examen des deux notes révèle que les seuls renseignements qui n’ont pas été divulgués à Mme Yang sont les conclusions de l’agent Coopman; aucun nouvel élément de preuve n’a été mentionné. Ces conclusions étaient tirées de dossiers factuels connus de Mme Yang (Dag, précitée, au paragraphe 52). Par conséquent, je ne crois pas que les renseignements lui auraient été de quelque utilité et leur non‑divulgation, en l’espèce, n’a pas entraîné de manquement à l’équité procédurale.

 

[30]           Il convient toutefois de signaler que le défendeur s’aventure sur un terrain dangereux lorsque des processus prévoyant la présentation d’observations sans divulgation sont mis en œuvre. Je recommande qu’à l’avenir, le défendeur adopte une méthode qui, soit prive l’agent des douanes de la capacité de faire d’autres observations, soit prévoie la divulgation de ces observations au demandeur.

 

Troisième question b) :           Un autre fonctionnaire, et non le représentant du ministre, a‑t‑il en                                     réalité pris la décision?

 

[31]           Mme Yang prétend que le représentant du ministre n’a pas effectué de révision indépendante des éléments de preuve ni de ses observations comme il était tenu de le faire (Canada (Procureur général) c. Canada (Tribunal anti‑dumping), [1972] A.C.F. no 90 (1ère inst.) (QL), infirmée par [1973] C.F. 745 (C.A.), confirmée par [1976] 2 R.C. S. 739). De l’avis de Mme Yang, le représentant du ministre s’est contenté d’approuver automatiquement le résumé de l’affaire que l’arbitre avait rédigé à son intention.

 

[32]           Je ne suis pas de cet avis. Il est bien établi qu’un décideur est fondé à consulter d’autres fonctionnaires avant de rendre une décision en autant qu’il la rend lui‑même (CAE Metal Abrasive Division of Canadian Bronze Company Limited c. Canada, [1985] 1 C.F. 481 (C.A.); Sovereign Life Insurance Co. c. Canada (Ministre des Finances), [1998] 1 C.F. 299, aux paragraphes 52 à 56; Burke c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1994] A.C.F. no 890, aux paragraphes 12 à 18 (1ère inst.) (QL)).

 

[33]           En l’espèce, le représentant du ministre était fondé à se reporter sur le résumé de l’affaire rédigé à son intention par l’arbitre dans la mesure où il conservait ses pleines prérogatives décisionnelles et ne s’estimait pas tenu de suivre sa recommandation. J’en viens aux faits portés à la connaissance de la Cour et je constate que :

 

1.                  le représentant du ministre a déclaré dans sa décision qu’il avait étudié tous les éléments de preuve dont il disposait et non pas uniquement le résumé de l’affaire;

 

2.                  l’indépendance de la révision effectuée par le représentant du ministre est confirmée par les importantes différences entre les motifs mentionnés dans sa décision et le résumé de l’affaire rédigé par l’arbitre; plus particulièrement, le représentant du ministre s’est appuyé sur certains faits et sur un raisonnement que l’on ne retrouve pas dans le résumé de l’affaire;

 

3.                  le résumé de l’affaire ne renfermait aucune analyse relativement à l’application de l’article 27, contrairement à la décision du représentant du ministre.

 

[34]           En résumé, je suis convaincue que le représentant du ministre n’a pas automatiquement reproduit le résumé de l’affaire. Il a exercé ses pouvoirs discrétionnaires et décisionnels. Il a en fin de compte souscrit à la recommandation de l’arbitre, mais ce fait seul ne signifie pas qu’il a cédé ses pouvoirs décisionnels.

 

 

CONCLUSION

 

[35]           Selon Mme Yang, les questions en l’espèce sont des questions de droit ou d’équité procédurale, mais lors des observations orales, elle a formulé des observations qui équivalaient à une contestation du bien‑fondé de la décision. En d’autres termes, Mme Yang affirme que le représentant du ministre a ignoré ou n’a pas correctement évalué la preuve dont il disposait. Je ne suis pas d’accord.

 

[36]           Dans la mesure où les arguments de Mme Yang mettent en doute le bien‑fondé de la décision (plutôt que sa légalité ou l’équité procédurale), la décision du représentant du ministre est susceptible d’un contrôle auquel s’applique une norme beaucoup plus stricte. Que la norme soit celle de la décision raisonnable (voir : Sellathurai, précitée; Dag, précitée) ou celle de la décision manifestement déraisonnable (voir : Thérancé, précitée; Yusufov, précitée; Ondre, précitée), je suis convaincue que la décision, prise dans son ensemble, satisfait à la norme de contrôle.

 

[37]           L’agent Coopman disposait d’éléments de preuve qui l’ont amené à conclure qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces saisies étaient des produits de la criminalité. Il a énuméré quinze préoccupations portant tout autant sur le comportement de Mme Yang que sur les contradictions figurant dans ses explications et sur les modifications qu’elle y a apportées. Sur la foi de ses constatations, l’agent Coopman a saisi les espèces.

 

[38]           Dans sa réponse et dans ses explications, Mme Yang a fourni beaucoup de renseignements sur sa situation personnelle et financière. Elle a cependant à peine répondu à la question directe de l’origine des espèces saisies. L’examen du dossier dont disposait le représentant du ministre révèle que les seuls éléments de preuve qui avaient directement trait à la question de l’origine des espèces étaient, essentiellement, la simple affirmation que les espèces saisies lui avaient été données par son père. Cette explication est non seulement contraire à la conclusion de l’agent Coopman, mais elle contredit nettement l’explication que Mme Yang lui a fournie selon laquelle ces espèces lui avaient été données par un dénommé Tong. En outre, comme l’a signalé le représentant du ministre, l’affidavit du père n’était pas corroboré. En l’espèce, il n’était pas déraisonnable que le représentant du ministre préfère les éléments de preuve de l’agent Coopman et conclue qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces saisies étaient des produits de la criminalité.

 

[39]           Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincue que la décision du représentant du ministre doive être renversée. Bref, je suis convaincue que :

 

1.                  le représentant du ministre a correctement exercé les pouvoirs discrétionnaires qui sont les siens en vertu de l’article 29 de la Loi;

 

2.                  le représentant du ministre n’a pas imposé de fardeau de preuve indu ou inacceptablement lourd à Mme Yang;

 

3.                  la non‑divulgation à Mme Yang des observations de l’agent Coopman ne constitue pas, au vu des faits de l’espèce, un manquement à l’équité procédurale;

 

4.                  la décision du représentant du ministre est raisonnable, car elle résiste à un examen assez poussé.

 

[40]           Mme Yang prétend, pour ce qui est de la question des dépens, qu’elle ne devrait pas être condamnée à en payer. Je ne vois aucune raison de ne pas en adjuger au défendeur, qui a eu gain de cause, et je le ferai.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et que les dépens soient adjugés au défendeur.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


Annexe A

 

Proceeds of Crime (Money Laundering) and Terrorist Financing Act, S.C. 2000, c. 17

 

 

Currency and monetary instruments

 

12. (1) Every person or entity referred to in subsection (3) shall report to an officer, in accordance with the regulations, the importation or exportation of currency or monetary instruments of a value equal to or greater than the prescribed amount.

 

Seizure and forfeiture

 

18. (1) If an officer believes on reasonable grounds that subsection 12(1) has been contravened, the officer may seize as forfeit the currency or monetary instruments.

 

Return of seized currency or monetary instruments

 

(2) The officer shall, on payment of a penalty in the prescribed amount, return the seized currency or monetary instruments to the individual from whom they were seized or to the lawful owner unless the officer has reasonable grounds to suspect that the currency or monetary instruments are proceeds of crime within the meaning of subsection 462.3(1) of the Criminal Code or funds for use in the financing of terrorist activities.

 

Notice of seizure

 

(3) An officer who seizes currency or monetary instruments under subsection (1) shall

 

(a) if they were not imported or exported as mail, give the person from whom they were seized written notice of the seizure and of the right to review and appeal set out in sections 25 and 30; 

 

Request for Minister's decision

 

25. A person from whom currency or monetary instruments were seized under section 18, or the lawful owner of the currency or monetary instruments, may within 90 days after the date of the seizure request a decision of the Minister as to whether subsection 12(1) was contravened, by giving notice in writing to the officer who seized the currency or monetary instruments or to an officer at the customs office closest to the place where the seizure took place.

 

If there is a contravention

 

29. (1) If the Minister decides that subsection 12(1) was contravened, the Minister may, subject to the terms and conditions that the Minister may determine,

 

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the Minister of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

 

(b) decide that any penalty or portion of any penalty that was paid under subsection 18(2) be remitted; or

 

(c) subject to any order made under section 33 or 34, confirm that the currency or monetary instruments are forfeited to Her Majesty in right of Canada.

 

The Minister of Public Works and Government Services shall give effect to a decision of the Minister under paragraph (a) or (b) on being informed of it.

Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.R. 2000, ch. 17

 

Déclaration

 

12. (1) Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l'agent, conformément aux règlements, l'importation ou l'exportation des espèces ou effets d'une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

 

Saisie et confiscation

 

18. (1) S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), l’agent peut saisir à titre de confiscation les espèces ou effets.

 

 Mainlevée

 

 

 (2) Sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, l'agent restitue au saisi ou au propriétaire légitime les espèces ou effets saisis sauf s'il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu'il s'agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou de fonds destinés au financement des activités terroristes.

 

 

 

Avis de la saisie

 

(3) L’agent qui procède à la saisie‑confiscation prévue au paragraphe (1) :

 

a) donne au saisi, dans le cas où les espèces ou effets sont importés ou exportés autrement que par courrier, un avis écrit de la saisie et du droit de révision et d’appel établi aux articles 25 et 30;

 

[…]

 

Demande de révision

 

25. La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l'article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la saisie, demander au Ministre de décider s'il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l'agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

 

 

 

 

Cas de contravention

 

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le Ministre peut, aux conditions qu’il fixe :

 

 

a) soit restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux‑ci à la date où le Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

 

 

b) soit restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

 

c) soit confirmer la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34.

 

Le Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en est informé, prend les mesures nécessaires à l’application des alinéas a) ou b).

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                   T‑2274‑06

 

INTITULÉ :                                                HUI YANG

                                                                     c.

                                                                     LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

LIEU DE L’AUDITION :                          VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDITION :                         LE 17 JANVIER 2008

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                       LA JUGE SNIDER

 

DATE :                                                        LE 7 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Glen W. Bell

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jan Brongers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocats Bell

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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