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Date : 20080206

Dossier : IMM‑1165‑07

Référence : 2008 CF 155

Ottawa (Ontario), le 6 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ORVILLE FRENETTE

 

 

ENTRE :

THURAI NARANY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), relativement à une décision datée du 17 janvier 2007 par laquelle l’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a conclu que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être soumis à la torture, ou à une menace à sa vie ou à une peine cruelle et inusitée s’il était renvoyé au Sri Lanka.

 

[2]               M. Narany, âgé de 75 ans, est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule de souche. Ses trois enfants ont tous quitté ce pays, et deux d’entre eux vivent au Canada. Son épouse vit toujours au Sri Lanka mais, à cause de la guerre, il ignore où elle se trouve. Il dit avoir été forcé par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) à travailler pour eux au début des années 90, époque où la ville dans laquelle il vivait, Jaffna, était sous leur emprise.

 

[3]               Il est arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur en décembre 2002, et il a demandé le statut de réfugié trois mois plus tard. Après deux jours d’audience devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR) – la décision datée du 17 mai 2005 – il a été conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. La SPR a conclu qu’il n’était pas digne de foi et, par ailleurs, que s’il était admissible à une protection en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR, il serait exclu par l’application de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, dont le texte est annexé à la LIPR, pour avoir participé à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité en prêtant assistance aux TLET. L’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire a été refusée.

 

[4]               M. Narany a présenté une première demande d’ERAR en janvier 2006; cette demande a été rejetée au mois de juillet de la même année. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du premier ERAR a été déposée mais non poursuivie, car il avait présenté des observations en rapport avec un second ERAR. Il a prétendu, tant à l’audience devant la SPR qu’à l’occasion du premier ERAR, qu’il s’exposait à des risques provenant des TLET et d’autres groupes tamouls pour avoir pris la fuite, à un risque de conscription malgré son âge, ainsi qu’à un risque d’enlèvement ou d’extorsion en tant que parent d’enfants vivant à l’extérieur du Sri Lanka. Il a présenté une nouvelle demande d’ERAR, qui s’est soldée par une décision défavorable datée du 17 janvier 2007.

 

I. La décision

 

[5]               L’agent d’ERAR n’a pris en considération que les nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été soumis à la SPR ou à l’agente qui avait tranché la première demande d’ERAR de M. Narany. Il a ensuite évalué les risques que courait M. Narany pour chacun des motifs invoqués, et les a rejetés. Ce faisant, il a conclu que le demandeur n’avait pas produit d’éléments de preuve réfutant la conclusion du premier ERAR, à savoir que le demandeur n’avait pas un profil qui l’exposait particulièrement au risque d’être victime des TLET.

 

II. Les questions en litige

 

A.                 L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en ne prenant pas en considération la totalité des éléments de preuve, y compris ceux qui ont été présentés à la première audience d’ERAR?

B.                 L’agent d’ERAR a‑t‑il fait abstraction des éléments de preuve ou rendu une décision abusive et arbitraire?

 

III. La norme de contrôle

 

[6]               Dans la décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, le juge Luc J. Martineau fait remarquer que la norme de contrôle qui s’applique à une décision d’un agent d’ERAR, considérée globalement, est la décision raisonnable, tandis que les conclusions de fait particulières doivent être maintenues à moins d’être manifestement déraisonnables.

 

IV. Analyse

 

A.         L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en ne prenant pas en considération la totalité des éléments de preuve, y compris ceux qui ont été présentés à la première audience d’ERAR?

 

[7]               Il est bien établi que l’ERAR n’est pas un appel ou un réexamen de la décision de la SPR. Vu l’alinéa 113a) de la LIPR, la décision concernant les conclusions tirées en rapport avec les articles 96 et 97 est définitive, sauf si des éléments de preuve montrent l’existence de risques nouveaux, différents ou supplémentaires que le demandeur n’aurait pas pu prévoir au moment de l’audience de la SPR : Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379. Dans le même ordre d’idées, un second ERAR n’est pas un contrôle du premier, et le second agent d’ERAR n’a pas à réviser les éléments de preuve qui ont été soumis la première fois, sauf s’il y a une allégation de risques nouveaux. Par conséquent, l’argument du demandeur selon lequel il convient de procéder ici à cette révision ne peut être retenu à cause de l’intention claire qui est exprimée à l’alinéa 113a) de la LIPR

 

B.         L’agent d’ERAR a‑t‑il fait abstraction des éléments de preuve ou rendu une décision abusive et arbitraire?

 

[8]               Le premier ERAR a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour étayer la prétention du demandeur selon laquelle il s’exposait personnellement à un risque de torture, de conscription ou d’extorsion, ou qu’il appartenait à un groupe qui risquait davantage une telle persécution. La décision qui fait l’objet d’un contrôle en l’espèce fait plusieurs fois référence au « profil » d’une personne risquant d’être persécutée par les TLET et conclut que le demandeur ne correspond pas à ce profil. Ces commentaires montrent que l’agente d’ERAR était consciente du fait que l’on considère que l’appartenance à un groupe vulnérable à de la persécution est assimilable au fait d’être personnellement exposé à un risque.

 

[9]               Les profils des personnes qui courent le risque d’être victimes des TLET sont les jeunes professionnels tamouls, les hommes d’affaires tamouls, les personnalités politiques tamoules et les activistes qui manifestent leur opposition envers les Tamouls.

 

[10]           Ces profils comportent aussi un autre aspect, en ce sens que le demandeur soutient que les personnes qui ont vécu ou qui résident à l’étranger et qui reviennent au Sri Lanka sont souvent considérées comme « bien nanties  » et courent le risque d’être enlevées en vue d’une rançon, d’être contraintes de verser une somme d’argent ou d’avoir à verser des pots‑de‑vin à la police, en tant que forme d’extorsion : voir Kularatnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1122, aux paragraphes 10 à 13; Sinnasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67, aux paragraphes 25 et 27. Le fait de ne pas prendre en considération cette éventualité est une erreur susceptible de contrôle.

 

1)         La mise en garde aux voyageurs

[11]           Le demandeur soutient de plus que l’agent d’ERAR a refusé de prendre en compte un élément de preuve pertinent, c’est‑à‑dire la mise en garde faite aux voyageurs par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI) du Canada, selon qui il était préférable de limiter les voyages non essentiels à destination du Sri Lanka.

 

[12]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR n’a pas pris en considération la gravité de cette mise en garde et il signale que cette dernière visait principalement les citoyens et les résidents permanents du Canada.

 

[13]           Le défendeur rétorque que l’agent d’ERAR a bel et bien tenu compte de cette mise en garde, notant que celle‑ci était principalement destinée aux citoyens canadiens et ne faisait rien de plus qu’illustrer la situation générale qui régnait au Sri Lanka.

 

[14]           Il n’y a aucun doute que ce document s’adressait principalement aux citoyens et aux résidents permanents du Canada, mais il n’y a aucune raison valable pour laquelle il ne faudrait pas en tenir compte quand il est question d’étrangers. Le juge Yves de Montigny a écrit ce qui suit sur le sujet, dans la décision Sinnasamy, précitée, au paragraphe 34 :

Enfin, l’appelant soutient que l’agente d’ERAR a interprété d’une façon erronée les Conseils du MAECI qui recommandent aux Canadiens d’éviter tout voyage non essentiel au Sri Lanka. Il ne serait pas, selon moi, honnête de soutenir que ces conseils s’adressent simplement aux Canadiens et qu’ils ne s’appliquent pas aux citoyens du Sri Lanka; en effet, le pays est aussi dangereux pour eux qu’il l’est pour les Canadiens et les résidents permanents du Canada. Toutefois, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cet avertissement pourrait être interprété comme visant à décourager les gens de voyager dans le Nord et l’Est seulement.

 

 

[15]           Cependant, je crois qu’en l’espèce, l’agent d’ERAR a suffisamment examiné les conséquences de cette mise en garde.

 

2)         La décision de la SPR

[16]           L’agent d’ERAR pouvait se servir à juste titre de la décision de la SPR comme point de départ pour son analyse mais il lui fallait procéder à sa propre analyse pour conclure que le demandeur ne courait pas à un risque particulier d’extorsion.

 

V. Conclusion

 

[17]           Les erreurs susceptibles de contrôle qu’a commises l’agent d’ERAR en évaluant le dossier du demandeur méritent une nouvelle évaluation et justifient la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[18]           Aucune question de portée générale n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de l’agent d’ERAR est annulée et l’affaire renvoyée pour réexamen à un autre agent d’ERAR. Aucune question n’a été certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑1165‑07

 

INTITULÉ :                                                               THURAI NARANY

                                                                                    C.

                                                                                    MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 17 JANVIER 2008

 

MOTIFS DUJ UGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 6 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kumar Sriskanda

 

POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kumar Sriskanda

Avocat

3852, avenue Finch Est

Scarborough (Ontario)  M1T 3T9

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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