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Date : 20070206

Dossier : IMM‑592‑07

Référence : 2008 CF 154

Ottawa (Ontario), le 6 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ORVILLE FRENETTE

 

 

ENTRE :

BADRI NATSVLISHVILI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 8 janvier 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

 

I. Les faits

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Géorgie qui dit craindre d’être persécuté dans ce pays du fait de son orientation sexuelle.

 

[3]               Le demandeur a été marié à une femme pendant sept ans et a deux enfants (âgés de 14 et de 16 ans), qui vivent en Géorgie chez sa sœur. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), il a déclaré qu’il était séparé de son épouse mais, dans son témoignage, il a dit qu’il était divorcé. Il n’a produit ni certificat de mariage ni ordonnance de divorce.

 

[4]               Il prétend que son épouse a demandé le divorce parce qu’elle était insatisfaite sexuellement. Il dit qu’il est homosexuel depuis l’âge de seize ans mais qu’il n’a pas exprimé ouvertement son orientation à cause de l’attitude homophobe de la société géorgienne. Il s’est marié, soutient‑il, pour donner l’impression qu’il était « normal ».

 

[5]               Le demandeur a vécu 23 ans sans exprimer son homosexualité, à l’exception d’une brève relation, à l’âge de 39 ans, avec un collègue de travail nommé Giorgi. Celui‑ci l’a quitté pour six mois, avant de revenir en octobre 2005. À ce moment‑là, il semblait être sous l’influence de la drogue et a demandé de l’argent, menaçant le demandeur de dévoiler son orientation sexuelle. Ce dernier lui a remis la somme de 100 $. Plus tard, Giorgi a demandé de l’argent à la sœur du demandeur, mais celle‑ci a refusé. Le demandeur a décidé de venir au Canada parce qu’il craignait d’être victime de ce chantage, ainsi que de discrimination et de harcèlement en Géorgie.

 

[6]               Selon la documentation produite en preuve ‑ un rapport de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, daté du 16 février 2000 ‑ l’homosexualité était un sujet tabou en Géorgie.

 

[7]               D’après une mise à jour du rapport produite le 24 novembre 2004, la Géorgie a décriminalisé l’homosexualité le 16 novembre 2004. Selon ce document, les homosexuels sont encore victimes de discrimination dans ce pays.

 

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[8]               Dans sa décision du 8 janvier 2007, la commissaire a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Elle a fondé sa décision sur le manque de crédibilité du demandeur et sur l’invraisemblance de sa version des faits. Elle a tenu compte de « [son] degré relativement faible d’instruction et de [sa] simplicité » (une 10e année d’études) et de la « société homophobe dans laquelle il vivait ».

 

III. Les questions en litige

 

A.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité et de l'invraisemblance de la version des faits du demandeur?

B.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation des conséquences de l’orientation sexuelle en Géorgie?

IV. La norme de contrôle

 

[9]               Il est bien clair qu’en droit les conclusions de fait de la Commission, y compris celles qu’elle tire en matière de crédibilité et quant à l’importance à accorder à la preuve, doivent bénéficier d’un degré élevé de retenue et qu’il n’est possible d’écarter ces conclusions que si la Cour conclut qu’elles sont manifestement déraisonnables.

 

[10]           Ces conclusions ne sont révisées ou écartées que si elles sont « clairement irrationnelle[s] » ou « de toute évidence non conforme[s] à la raison » : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL); Harusha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 2004.

 

V. Analyse

 

A.   La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité et de l’invraisemblance de la version des faits du demandeur?

[11]           Au dire du demandeur, la Commission a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle dans l’évaluation de son orientation sexuelle, et elle n’a pas tenu compte de la façon réelle dont les homosexuels sont perçus par la société géorgienne, surtout dans la petite ville de 4 000 habitants où il vivait.

 

[12]           Le demandeur soutient que la Commission a examiné sa preuve à la loupe en vue d’étayer sa conclusion, un exercice critiqué dans l’arrêt Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 444 (C.A.F.) (QL).

 

[13]           Le défendeur a répliqué que la seule conclusion que la Commission ait tirée est la non‑crédibilité du demandeur et l’invraisemblance de sa version des faits. Cela a mené au rejet de sa prétention selon laquelle il avait eu des relations homosexuelles, soit au Canada soit en Géorgie, ou qu’il était homosexuel. La commissaire a donc conclu que le demandeur n’avait pas besoin d’être protégé.

 

[14]           Après une analyse, les conclusions de la Commission à propos de la crédibilité du demandeur repose sur plusieurs aspects du témoignage de ce dernier. La commissaire a évalué en détail la preuve avant de tirer sa conclusion.

 

[15]           Je ne suis pas d’accord pour dire que le fait de procéder à un examen détaillé de la preuve constitue le genre d’examen à la loupe qui est critiqué dans l’arrêt Attakora.

 

[16]           Tout en interprétant la preuve relative au récit du requérant, le commissaire se doit de prendre en considération l’âge du requérant, ses antécédents culturels et ses expériences sociales antérieures : R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 162 (QL). Et, dois‑je ajouter, lorsqu’il est question de certains pays, les valeurs morales et sociales qui règnent dans ces pays.

 

[17]           Cependant, en l’espèce, la conclusion relative à la crédibilité était fondée sur un certain nombre d’éléments ressortant de la preuve du demandeur. D’un point de vue global, il est possible de justifier la conclusion générale en évaluant la preuve de manière rationnelle.

 

[18]           La Commission n’a donc pas commis d’erreur susceptible de contrôle car la conclusion tirée n’est pas manifestement déraisonnable. L’invraisemblance de la version des faits du demandeur repose quant à elle sur la totalité de la preuve. Une telle conclusion constitue en soi une évaluation subjective et il convient de l’aborder avec prudence : Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 305 (QL).

 

[19]           Cependant, je ne puis conclure que, dans la présente affaire, la décision de la Commission est manifestement déraisonnable sur ce point.

 

B.   La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation des conséquences de l’orientation sexuelle en Géorgie?

[20]           Le demandeur soutient que la décision de la Commission comporte suffisamment de conclusions manifestement déraisonnables quant aux faits et quant à la crédibilité pour l’emporter sur la retenue que la Cour lui doit dans les décisions de cette nature. La décision dont il est question en l’espèce comporte selon lui des projections inappropriées et donc erronées de logique et de raisonnement nord‑américains, sans tenir convenablement compte de la vie d’un homosexuel dans la société conservatrice et homophobe qui existe en Géorgie.

 

[21]           Le défendeur conteste cet argument et fait valoir que la Commission a bel et bien tenu compte des conditions de vie en Géorgie.

 

Dans sa décision, la Commission fait clairement savoir qu’elle a admis la preuve du demandeur, y compris la documentation selon laquelle la Géorgie était une société homophobe. Selon le document mentionné, l’homosexualité a été un crime en Géorgie jusqu’au 16 novembre 2004, date à laquelle le gouvernement a adopté une loi décriminalisant cette pratique. Ce document faisait aussi état de la discrimination dont étaient victimes les homosexuels ainsi que des attitudes sociales homophobes dans ce pays. Il ressort de l’analyse de la décision que la Commission a pris en considération la preuve du demandeur au sujet de la question de l’homosexualité en Géorgie et qu’elle l’a comparée à la situation qui a cours au Canada.

 

[22]           Il me faut donc conclure que cette question ne peut pas être invoquée en tant qu’erreur susceptible de contrôle en l’espèce. Dans sa décision, la Commission n’a pas commis d’erreurs manifestement déraisonnables.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑592‑07

 

INTITULÉ :                                                               BADRI NATSVLISHVILI

                                                                                    c.

                                                                                    MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 16 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                                            LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 6 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph Milevich

 

POUR LE DEMANDEUR

Negar Hashemi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joseph Milevich

Avocat

1, avenue Eglinton Est, bureau 508

Toronto (Ontario)  M4P 3A1

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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