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Date : 20080204

Dossier : IMM-848-07

Référence : 2008 CF 150

Toronto (Ontario), le 4 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

EMANUEL CORREIA DE VASCONCELOS MELO

et FABIO WILSON DE MELO CARNEIRO

                          

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

 

                                                                                   

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs, tous deux citoyens du Brésil, demandent l’asile sur le fondement de récits détaillés selon lesquels ils ont grandi dans ce pays en tant qu’hommes homosexuels et ont été menacés et victimes de violence et de mauvais traitements en raison de leur homosexualité. Leurs Formulaires de renseignements personnels (les FRP) et la preuve qu’ils ont présentée à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), décrivent de façon détaillée des incidents d’agressions physiques, de harcèlement, de discrimination et de partialité. Un incident important de violence a été causé par le père du demandeur, M. Melo, qui est commissaire de police.

 

[2]               Après être entrés au Canada muni de visas d’étudiants, les demandeurs sont demeurés au pays suivant l’expiration de leurs visas. Ils ont témoigné qu’ils craignaient d’être expulsés, mais qu’ils n’étaient pas au courant du fait qu’ils pouvaient présenter des demandes d’asile. Lorsqu’ils ont appris que des personnes dans la même situation qu’eux avaient demandé l’asile avec succès, ils ont présenté des demandes d’asile.

 

[3]               La décision de la SPR rejetant les demandes des demandeurs (la décision) a été rendue le 31 janvier 2007, à la suite d’une brève audience. La SPR n’a pas tiré de conclusion défavorable relative à la crédibilité des demandeurs et, par conséquent, elle est présumée avoir accepté l’ensemble de la preuve qu’ils ont présentée. Le motif principal qu’a fourni la SPR à l’appui du rejet de leurs demandes est qu’elle a conclu qu’ils pourraient se prévaloir de la protection de l’État au Brésil. De plus, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective en raison du temps qui s’était écoulé avant qu’ils ne présentent leurs demandes. Les demandeurs soutiennent que ces deux conclusions ont été tirées de façon erronée.

 

[4]               La norme de contrôle applicable aux conclusions de la SPR relativement à la question de savoir si le demandeur a réfuté la présomption de la protection de l’État a été établie comme celle de la décision raisonnable simpliciter : la juge Tremblay-Lamer a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232, et sa conclusion a été confirmée dans plusieurs décisions (voir, par exemple, la décision Diaz De Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1307, au paragraphe 21). Les conclusions de fait de la SPR relatives à la crainte subjective sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (De (Da) Li Chen c. M.C.I, 49 Imm. L.R. (2d) 16). 

 

[5]               En ce qui concerne la question de la protection de l’État, la conclusion principale de la SPR est reproduite ci-dessous :

Le tribunal est également conscient du fait que le père de l’un des demandeurs d’asile est agent de police. Toutefois, les demandeurs d’asile sont aujourd’hui âgés de 22 et de 31 ans respectivement. Le tribunal estime que les documents sur les questions d’orientation sexuelle dont il a été fait mention illustrent que, même si le système comporte encore des failles et que des progrès sont encore nécessaires d’un point de vue social ou institutionnel pour s’assurer que les initiatives se concrétisent, le gouvernement déploie des efforts sérieux et concertés pour résoudre ces problèmes, et les demandeurs d’asile sont tenus de s’enquérir des options disponibles avant de solliciter la protection internationale.

 

Compte tenu de ce qui précède, le tribunal n’est pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, comme cela devrait être le cas, que le Brésil ne déploierait pas des efforts sérieux pour protéger les demandeurs d’asile s’ils devaient retourner au Brésil et demander la protection de l’État. Comme il est stipulé dans la décision Ward, le demandeur d’asile doit produire des éléments de preuve clairs et convaincants qui réfutent la présomption selon laquelle l’État était en mesure de le protéger. Le tribunal conclut que, en l’espèce, la présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée.

                       

                        [Non souligné dans l’original.]

                        (Décision de la SPR, aux pages 8 et 9.)

                       

[6]               Je conclus qu’en tirant cette conclusion, la SPR a commis plusieurs erreurs : elle a seulement examiné la situation juridique des homosexuels au Brésil, et ne s’est pas penchée sur leur situation de vie réelle; elle s’est appuyée de façon sélective sur certains éléments de preuve documentaire sans tenir compte des éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions; et, bien qu’elle n’ait tiré aucune conclusion défavorable relative à la crédibilité, la SPR n’a pas tenu compte des expériences de persécution des demandeurs et de leur explication quant à savoir pourquoi il était déraisonnable pour eux de solliciter la protection des autorités. 

 

[7]               Dans la décision, la SPR met l’accent sur la situation juridique des homosexuels et sur les modifications législatives positives qui sont apportées au Brésil afin de lutter contre la violence dont ils font l’objet. Par exemple, la SPR souligne que certains juges ont reconnu des mariages homosexuels, que des personnes ayant agressé des homosexuels ont été déclarées coupables, et que, suivant une décision rendue par un tribunal, le conjoint survivant dans une relation homosexuelle peut obtenir la prestation de retraite de son conjoint décédé. Cependant, la question sur laquelle la SPR ne s’est pas penchée est de savoir si les modifications législatives ont effectivement permis d’assurer une protection adéquate aux homosexuels au Brésil. Il s’agit d’une erreur. Peu importe les progrès législatifs positifs qui sont accomplis, il faut tenir compte de la protection assurée sur le terrain (voir, par exemple, la décision Neto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 664; [2007] A.C.F. no 893 (QL), au paragraphe 9).

 

[8]               Bien qu’elle ait reconnu toutes les mesures législatives prises au Brésil, la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve manifestement contraires établissant que la protection de l’État était insuffisante dans ce pays. La décision, dans laquelle on cite des sources de renseignements dont dispose la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sur la situation au Brésil, indique :

D’après une étude effectuée par le Groupe gay de Bahia (Grupo Gay da Bahia - GGB) à partir d’articles de journaux (Grupo Dignidade 29 nov. 2005), le nombre de meurtres d’homosexuels au Brésil a augmenté de 27 p. 100 en 2004 par rapport à 2003 (GGB 28 nov. 2005; O Globo 19 mai 2005). D’après l’étude du GGB, 158 décès ont été enregistrés en 2004, comparativement à 125 en 2003 (ibid.). Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un représentant du Groupe dignité (Grupo Dignidade) a mentionné [traduction] « [qu’]il n’existe aucune statistique officielle sur les crimes haineux motivés par l’orientation sexuelle de la victime [...] puisque les journaux du pays ne sont pas tous examinés et que seuls les articles qui précisent l’orientation sexuelle de la victime sont inclus » (29 nov. 2005).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision de la SPR, aux pages 5 et 6.)

 

De plus, la SPR n’a pas fait mention des nombreux articles de journaux et des autres rapports présentés par les demandeurs comme preuve que la situation des homosexuels au Brésil est précaire. Bien qu’il existe une présomption selon laquelle la SPR a examiné tous les renseignements dont elle disposait, la SPR commet une erreur lorsqu’elle s’appuie de façon sélective sur certains éléments de preuve sans faire mention des éléments de preuve qui contredisent directement ses conclusions (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 15; Cejudo Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, au paragraphe 24 (Lopez)). 

 

[9]               La SPR a commis une autre erreur en omettant de tenir compte du récit de persécution dans les FRP et du témoignage des demandeurs. Comme la SPR a jugé que le témoignage des demandeurs était véridique, elle devait tenir compte de leurs expériences lorsqu’elle s’est penchée sur la question de la protection de l’État. La preuve présentée par les demandeurs contredisait directement la conclusion de la SPR selon laquelle ils auraient dû solliciter la protection des autorités et que, s’ils l’avaient fait, la protection leur aurait été assurée. Comme il a été confirmé récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. no 584 (QL), au paragraphe 46, le fardeau qui repose sur le demandeur de réfuter la présomption de la protection de l’État est plus lourd dans les situations où le demandeur vient d’un pays démocratique où le gouvernement fonctionne suivant un système de freins et de contrepoids. Par conséquent, dans ces situations, le demandeur doit démontrer qu’il a déployé plus que les efforts habituels afin de se prévaloir des options de protection offertes. Cependant, si le demandeur peut établir à l’aide d’éléments de preuve dignes de foi que, dans son cas, il ne pouvait se prévaloir de la protection de l’État, ou qu’il aurait été déraisonnable de tenter de s’en prévaloir, cela sera suffisant pour réfuter la présomption de la protection de l’État (Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 320, au paragraphe 15).

 

[10]           Les demandeurs allèguent que la SPR a commis une erreur de droit lorsqu’elle a affirmé qu’ils étaient tenus de s’enquérir des options internes disponibles avant de solliciter la protection internationale. Je suis d’accord que la SPR a mal énoncé le droit à cet égard. Il est bien établi dans la jurisprudence qu’un demandeur n’a pas à solliciter la protection dans son État d’origine dans toutes les circonstances. Les circonstances de chaque affaire doivent plutôt être examinées à la lumière du contexte afin de déterminer s’il aurait été raisonnable de solliciter la protection. Si un demandeur peut établir qu’il serait objectivement déraisonnable de solliciter la protection dans les circonstances, le fait de ne pas avoir sollicité la protection n’est pas un facteur déterminant quant à la question de la protection de l’État (Lopez, précité, aux paragraphes 24 à 26; Diaz De Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1307, au paragraphe 33; De Araujo Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, au paragraphe 29).

 

[11]           En l’espèce, les demandeurs n’ont pas sollicité la protection de l’État avant de quitter le Brésil. Cependant, ils ont présenté des éléments de preuve dignes de foi afin d’expliquer pourquoi cette option était raisonnable. Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve documentaire indiquant qu’il y avait corruption de la police au Brésil et qu’elle était reconnue comme prenant pour cibles les homosexuels. Le demandeur M. Melo a aussi expliqué pourquoi M. Carneiro et lui ne s’étaient pas plaints à la police après que son père, un commissaire de police, eut battu M. Carneiro :

[traduction] Au Brésil, les choses fonctionnent comme suit. Si je m’étais plaint aux policiers et que je leur avait dit que mon père m’avait battu en raison de mon homosexualité, ils auraient répondu : « Bien, il n’a rien fait de mal », ou même s’ils avaient rédigé un rapport sur l’incident, je suis certain qu’ils n’auraient rien fait. J’en suis certain […] Je suis au courant d’actes de persécution contre des personnes homosexuelles commis par des policiers.

 

(Dossier du tribunal, aux pages 262 et 263.)                 

 

 

[12]           De plus, les demandeurs ont présenté le rapport de psychologues à l’égard de M. Melo faisant état des problèmes psychologiques dont il souffrait en raison des durs traitements subis au Brésil. La SPR a conclu que ce document n’était pas pertinent quant à la question de la protection de l’État :

Le tribunal comprend les conséquences émotionnelles d’un rejet par sa propre famille. Toutefois, les opinions des psychologues ne sont pas pertinentes en ce qui a trait à la question de la protection de l’État et à la question de savoir si la crainte est fondée objectivement.

 

(Décision de la SPR, à la page 9.)

                       

Je partage l’opinion des demandeurs selon laquelle cette affirmation est inexacte. En procédant à l’évaluation contextuelle de savoir s’il est raisonnable pour un demandeur de solliciter la protection de l’État, la preuve quant à son état psychologique peut être très pertinente. Je conclus que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte des explications fournies par les demandeurs, notamment la preuve de leur état psychologique, en réponse à la question de savoir pourquoi ils n’avaient pas sollicité la protection de l’État.

 

[13]           Comme j’ai jugé que la SPR avait commis plusieurs erreurs dans son analyse de la protection de l’État, je conclus que sa conclusion quant à la protection de l’État est déraisonnable.

 

[14]           Bien que la conclusion quant à la protection de l’État constituait l’élément essentiel de la décision, la SPR a tiré une conclusion secondaire relative à la crainte subjective ayant pour effet d’entraîner le rejet des demandes des demandeurs : 

Le tribunal estime que ce retard dans le dépôt de la demande d’asile et le fait de vivre ici illégalement durant environ 26 mois, risquant de ce fait l’expulsion vers le pays même d’où, censément, ils ont fui, dément une crainte fondée de persécution ou un besoin de protection et révèle l’absence de craintes subjectives.

 

                        (Décision de la SPR, à la page 3.)

 

Je conclus que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective n’est rien de plus qu’une affirmation non corroborée et est, par conséquent, manifestement déraisonnable.

 

[15]           Les demandeurs ont présenté une preuve abondante quant à la question de savoir pourquoi environ deux ans s’étaient écoulés entre le moment de leur arrivée au Canada et le moment où ils avaient présenté leurs demandes d’asile. La SPR a souligné les explications des demandeurs dans ses motifs, notamment qu’ils ne s’étaient pas présentés devant les responsables de l’immigration puisqu’ils ignoraient tout du processus de présentation d’une demande d’asile, qu’ils craignaient d’être expulsés et qu’ils avaient présenté leurs demandes après avoir appris qu’ils en avaient le droit. 

 

[16]           En l’absence d’une conclusion défavorable relative à la crédibilité pouvant réfuter la preuve des demandeurs, la preuve est présumée vraie (Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.)). Si la SPR avait des réserves quant à la crédibilité, alors, en raison de la présomption de véracité, elle était tenue d’indiquer de façon claire et non équivoque les motifs qui appuyaient ses réserves quant au témoignage des demandeurs (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, aux paragraphes 6 à 8).  

 

[17]           La SPR n’a tiré aucune conclusion défavorable relative à la crédibilité. Par conséquent, sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective n’est pas étayée par la preuve.

 

[18]           Comme les conclusions de la SPR relatives à la protection de l’État et à la crainte subjective sont mal fondées, je conclus que sa décision est entachée d’une erreur susceptible de contrôle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

            Par conséquent, j’annule la décision de la SPR et je renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

 

 

 

  « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-848-07

                                                           

 

INTITULÉ :                                                   EMANUEL CORREIA DE VASCONCELOS

                                                                        MELO et FABIO WILSON DE MELO

                                                                        CARNEIRO

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 24 JANVIER 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE CAMPBELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 4 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Blanshay                                               POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Blanshay Law Office                             POUR LES DEMANDEURS

Avocats                                                           

Toronto (Ontario)                                                                    

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                                    

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