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Date : 20080204

Dossier : T-1162-07

Référence : 2008 CF 146

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 février 2008

En présence de Me Roger R. Lafrenière, protonotaire

 

ENTRE :                   

 

LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH CANADA

demanderesse

 

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 WASYL ODYNSKY

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le défendeur, Wasyl Odynsky (Odynsky), sollicite une ordonnance radiant la présente demande de contrôle judiciaire au motif que la demanderesse, la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada (B’Nai Brith), n’a pas qualité pour agir.

 

Les faits  

[2]               Les faits relatifs à cette requête peuvent se résumer comme suit. Le 24 septembre 1997, la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, (la ministre) a donné avis à Odynsky qu’elle avait l’intention de demander au gouverneur en conseil de révoquer sa citoyenneté. À la demande d’Odynsky, le procureur général du Canada a préparé un avis de renvoi visant à soumettre la question de la révocation de citoyenneté à la Cour fédérale. Le 2 mars 2001, le juge Andrew MacKay a conclu qu’Odynsky avait obtenu la citoyenneté en vertu de la Loi sur la citoyenneté, S.R.C. 1952, c 33 au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels lorsqu’il a été admis au Canada pour y obtenir la résidence permanente en 1949. Dans un rapport préparé par la ministre, elle recommandait au gouverneur en conseil qu’Odynsky cesse d’être un citoyen canadien en date du décret. Le 17 mai 2007, le gouverneur en conseil a pris un décret aux termes duquel Odynsky conservait sa citoyenneté.

 

[3]               Le 22 juin 2007, B’Nai Brith a signifié un avis de demande pour contester la décision du gouverneur en conseil de ne pas révoquer la citoyenneté d’Odynsky, au motif que celui-ci avait commis une erreur en droit et que cette décision contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés. B’nai Brith a déposé une demande similaire pour contester le refus de révoquer la citoyenneté de Vladimir Katriuk (Katriuk) une semaine plus tard dans le dossier no T-1191-07.

 

[4]               Après la signification et le dépôt de la preuve par affidavit de B’Nai Brith, en vertu de l’article 306 des Règles des Cours fédérales, et de la production du dossier certifié du tribunal, Odynsky a déposé la présente requête sollicitant une ordonnance en vue de radier la demande de contrôle judiciaire au motif que la demanderesse n’a pas qualité pour agir. Il soutient qu’il est inutile d’occasionner des frais aux parties pour contester la demande et d’encombrer le système judiciaire dont les ressources sont limitées lorsqu’il est manifeste que la demanderesse n’a pas qualité pour agir. Les représentants de Sa Majesté la Reine et du procureur général du Canada ont soumis des représentations écrites au soutien de la requête en radiation d’Odynsky. Les parties conviennent que la décision rendue à l’égard de cette requête devrait s’appliquer également à la demande déposée dans le dossier T-1191-07.

 

Question en litige

[5]               La requête soulève la question délicate qui consiste à savoir si la Cour devrait entendre la requête d’Odynsky pour rejeter la demande par voie de requête interlocutoire ou si elle devrait plutôt laisser cette question au juge qui sera saisi de la demande.   

 

Analyse

[6]               Une demande de contrôle judiciaire doit, de par sa nature même, être tranchée sommairement. Afin de s’assurer que les demandes de contrôle judiciaire ne s’égarent pas dans les dédales de la procédure et qu’elles sont entendues rapidement, les tribunaux sont généralement peu favorables aux requêtes en radiation.  

 

[7]               Dans l’affaire Sierra Club of Canada c. Canada (Ministre des finances) [1999] 2 C.F. 211 (1re inst.), M. le juge Johns Evans mettait en garde contre les jugements rendus à l’égard des requêtes en radiation portant sur la qualité d’agir , tout particulièrement dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, étant donné que la Cour peut se trouver dans une situation qui ne lui permet pas d’apprécier tous les facteurs pertinents au moyen fondé sur la reconnaissance discrétionnaire de la qualité pour agir et plus particulièrement la solidité de la cause du demandeur. Cela ne s’applique toutefois pas à l’affaire en l’espèce puisqu’il semble que toute la preuve au dossier se trouve devant la Cour. La preuve par affidavit d’Odynsky et le dossier certifié ont été produits et les parties ont eu amplement l’occasion de faire valoir tous leurs arguments sur la question particulière relative à l’absence de qualité. Rien ne s’oppose en tant que tel à l’exercice de la discrétion de la Cour pour trancher cette question dans le cadre d’une requête interlocutoire.   

 

[8]               La Cour peut intervenir avant l’audition de la demande lorsqu’on peut établir qu’un demandeur n’est pas directement touché ou ne possède aucun intérêt légitime dans l’instance. Toutefois, le rejet d’une demande par voie de requête en radiation ne sera accordé que dans des cas exceptionnels où il est démontré que la procédure est manifestement irrégulière au point de navoir aucune chance d’être accueillie » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. (C.A.), [1995] 1 C.F. 588; Bouchard c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1999) 187 D.L.R. (4e) 314, 255 N.R. 183 (C.A.F.) au paragraphe 12; Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé) 2002 CAF 289, 292 N.R. 147, 20 C.P.R. (4e) 29 au paragraphe 5; Scheuneman c. Canada (Procureur général) 2003 CAF 194 au paragraphe 7. Il appartient à la partie qui présente une telle requête de se décharger du lourd fardeau de démontrer de manière claire et convaincante que le demandeur n’a pas qualité pour agir.  

 

B’Nai Brith est-elle directement touchée par la décision?

[9]               Odynsky soumet qu’il tombe sous le sens que B’Nai Brith ne possède pas la qualité pour présenter une telle demande étant donné qu’elle n’est pas « directement touchée », au sens du paragraphe 18.1 (1) de la Loi sur les Cours fédérales, par la décision du gouverneur en conseil de ne pas révoquer la citoyenneté d’Odynsky. B’Nai Brith soutient qu’elle a qualité pour agir pour quatre raisons ce qui la distingue de la population en général. La première porte sur l’opportunité de traduire en justice les criminels de guerre. La deuxième est son intérêt dans la cause d’Odynsky du fait qu’elle a fait de nombreuses représentations auprès du gouvernement à la suite au jugement du juge MacKay qui concluait à la révocabilité de la citoyenneté d’Odynsky. Troisièmement, B’Nai Brith soutient qu’elle représente les parents des victimes qui ont péri dans les camps de travail où Odynsky était cantonné à titre de gardien de périmètre. Selon B’Nai Brith, ces personnes ont un intérêt direct dans cette instance. Quatrièmement, B’Nai Brith soutient qu’elle possède un intérêt relatif à l’équité procédurale.  

 

[10]           Pour conclure qu’un demandeur est « directement touché », la question en litige doit directement toucher ses droits , faire peser sur lui des obligations juridiques ou le toucher directement de façon préjudiciable : Canwest Mediaworks Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 752 au paragraphe 13; Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CF 232 au paragraphe 20; Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. C. Canada (Ministre du Revenu national), [1976] C.F. 500 (C.A.). Bien que le critère servant à déterminer si une partie est « directement touchée » soit souple, chaque cas est un cas d’espèce. On doit tenir compte du lien entre le demandeur et la décision attaquée, du cadre juridique dans lequel la décision a été rendue et du bien-fondé de la demande.  

 

[11]           B’Nai Brith et ses membres ont manifestement un intérêt dans la cause d’Odynsky, toutefois la question relative à la révocation de sa citoyenneté ne les touche pas directement. Leurs obligations ou leurs droits ne sont nullement touchés par la décision, non plus que cette décision ne leur cause de préjudice direct. La satisfaction de redresser une injustice ou de faire triompher un principe ne représente pas un intérêt personnel ou direct dans l’issue du litige : Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2.R.C.S. 607, au paragraphe 21.

 

[12]           Dans les circonstances, je conclus que B’Nai Brith n’est pas touchée directement, au sens du paragraphe 18.1 (1) de la Loi sur les Cours fédérales, par la décision du gouverneur en conseil de ne pas révoquer la citoyenneté d’Odynsky. 

 

B’Nai Brith a-t-elle qualité pour agir dans l’intérêt public?

[13]           J’examinerai maintenant l’argument subsidiaire de B’Nai Brith suivant lequel elle a qualité pour agir dans l’intérêt public pour présenter la demande. Une fois de plus, il appartient à celui qui présente une requête en radiation au motif d’absence de qualité d’en faire la preuve. Toutefois, la partie défenderesse ne peut se réfugier derrière le fardeau juridique dans le cadre d’une requête préliminaire et ignorer le fardeau de présentation de la preuve ou le fardeau de persuasion qui lui incombent pour plaider sa cause. On ne peut s’attendre à ce que la Cour se contente de croire que le demandeur a une cause défendable qui sera exposée ultérieurement. 

 

[14]           Le critère applicable à la qualité pour agir dans l’intérêt public tel qu’énoncé par la Cour suprême du Canada dans Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236 (Conseil canadien) au paragraphe 37, comporte trois aspects. Premièrement, la question en jeu doit être sérieuse. Deuxièmement, le demandeur doit avoir un intérêt direct ou véritable dans la question débattue. Troisièmement il ne doit pas exister d’autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour.     

 

[15]           Le procureur général du Canada a admis aux fins de la présente requête que, vu la position de B’Nai Brith, le troisième aspect était présent. Je suis d’accord. Toutefois, cet aspect à lui seul ne suffit pas à lui reconnaître la qualité pour agir en raison de la nature conjonctive du critère énoncé dans la décision du Conseil canadien.    

 

[16]           En ce qui a trait au premier aspect qui porte sur la question sérieuse, l’avis de demande énonce deux motifs pour remettre en question la décision du gouverneur en conseil de ne pas révoquer la citoyenneté d’Odynsky : la décision n’est pas fondée en droit et elle contrevient à la Charte.  B’Nai Brith a choisi de ne pas élaborer sur sa vague allégation de contravention à la Charte. Il est difficile de concevoir qu’un organisme puisse faire valoir qu’un droit garanti par la Charte a été enfreint par la décision du gouverneur en conseil. Dans ces circonstances, je conclus qu’aucune question sérieuse n’est soulevée en ce qui a trait à la Charte

 

[17]           Pour ce qui est de la question de droit portant sur l’interprétation de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté, B’Nai Brith soutient que la procédure par laquelle on révoque la citoyenneté à des individus soupçonnés d’être des criminels de guerre nazis utilisée par le gouverneur en conseil, et qui, entre autres, tient compte d’un large éventail de facteurs, est illégale. B’Nai Brith soutient qu’aux termes de la loi le gouverneur en conseil doit se limiter à prendre en considération le seul fait de savoir si la citoyenneté a été obtenue par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. En d’autres mots, le gouverneur en conseil n’a aucune discrétion pour décider de la révocation de la citoyenneté. 

 

[18]           Selon moi, aucune question de droit sérieuse n’est soulevée. La Cour d’appel fédérale a déjà décidé que le gouverneur en conseil a l’obligation de tenir compte de facteurs personnels lorsqu’il est appelé à révoquer la citoyenneté d’un individu : Oberland c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 213. Des décisions antérieures de la Cour d’appel fédérale confirment également que le gouverneur en conseil n’est pas obligé de révoquer la citoyenneté lorsque la Cour a rendu une conclusion de fait suivant laquelle il y a eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels : Canada (Secrétaire d’État) c. Luitjens, [1992] A.C.F. No. 319 (CAF); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bogutin, [1998] A.C.F. No. 211 (CF). 

 

[19]           B’Nai Brith soulève également une question d’équité procédurale portant sur la question de savoir si le gouverneur en conseil était tenu de motiver sa décision : On doit garder à l’esprit la nature de l’instance qui a conduit à la décision du gouverneur en conseil. Ce n’est pas M. Odynsky et B’Nai Brith qui étaient des parties à l’instance mais plutôt M. Odynsky et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, qui représentait l’intérêt public. De plus, l’objet des motifs est de permettre aux parties, particulièrement aux personnes touchées, de prendre une décision éclairée quant aux recours qu’elles pourraient exercer à l’encontre de cette décision et afin de permettre aux parties de connaître le fondement des décisions qui les touchent directement de façon positive ou négative : Baker c. M.C.I., [1999] A.C.F. No. 39. Le soulèvement d’une question sérieuse par un organisme qui a qualité pour agir dans l’intérêt public doit, suivant la jurisprudence, revêtir un intérêt public et ne pas constituer une ingérence dans une décision qui touche une personne.

 

Conclusion

[20]           Le demandeur a établi sans équivoque que la demande de contrôle judiciaire de B’Nai Brith ne pourrait être accueillie étant donné qu’elle n’est pas directement touchée par la décision du gouverneur en conseil et qu’il n’y aucune question sérieuse à soumettre au juge qui pourrait en être saisie. Par conséquent, il convient que j’exerce ma discrétion en accueillant la requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire. 

 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR STATUE :

 

1.                  La requête est accueillie.

 

2.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

3.                  Le défendeur Wasyl Odynsky aura droit aux dépens afférents à la requête qui lui seront payés par le demandeur.

 

 

                                                                                                            « Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            T-1162-07

 

INTITULÉ :                                                                          Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c. Sa Majesté la Reine et les autres

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  par téléconférence Vancouver (Colombie-Britannique) et Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 23 novembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                     LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 4 février 2008

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Gates

Ministère de la Justice Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET SA MAJESTÉ LA REINE

Barbara Jackman

Jackman & Associés

 

POUR LE DÉFENDEUR

WASYL ODYNSKY

Orest Rudzik

Avocat et conseil

 

POUR VLADIMIR KATRIUK

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat et conseil

POUR LA DEMANDERESSE

David Gates

Ministère de la Justice Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET SA MAJESTÉ LA REINE

Barbara Jackman

Jackman & Associés

 

POUR LE DÉFENDEUR

WASYL ODYNSKY

 

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