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Date : 20080205

Dossier : IMM-7715-05

Référence : 2008 CF 137

Ottawa (Ontario), le 5 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

KHADIM HUSSAIN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               [35]      La Commission doit évaluer la question de l’existence d’une PRI à la lumière des conclusions qu’elle a tirées au sujet de la crédibilité du témoin. Les conclusions de fait que la Commission a tirées au sujet de l’existence d’une PRI n’étaient ni abusives ni arbitraires.

 

[36]      Le critère à appliquer au sujet de l’existence d’une PRI est un critère à deux volets : la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté à l’endroit proposé comme PRI et que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris la situation personnelle du demandeur, la situation à l’endroit proposé comme PRI est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier (Rasaratnam; Thirunavukkarasu; Mohammed)

 

(Extrait de la décision Aslam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 189, [2006] A.C.F. no 264 (QL).)

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Le 22 décembre 2005, le demandeur, M. Khadim Hussain, a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 28 novembre 2005 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), pour qui le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

FAITS

[3]               Le demandeur est un citoyen pakistanais âgé de 31 ans. Il est né à Malkanwala, district de Mandi Bahaddin, province du Penjab, au Pakistan.

 

[4]               En janvier 2003, il est tombé amoureux d’une jeune fille nommée Sugra. En mai 2003, son père est décédé. En raison de ses traditions, il ne pouvait pas se marier durant l’année qui a suivi le décès de son père. En janvier 2004, l’amie de cœur du demandeur a donné naissance à un fils.

 

[5]               M. Hussain avait prévu de se marier le 12 avril 2004, par autorité d’un tribunal.

 

[6]               Entre-temps, le demandeur s’est heurté à des difficultés de nature religieuse. En tant que musulman chiite, il était recherché par le Sipae Sahaba Pakistan (le SSP). Dans ce contexte, le SSP menaçait de tuer le chef chiite.

 

[7]               Le 2 mars 2004, le demandeur a participé à une manifestation à la suite de laquelle le chef chiite, Syed Ijaz Hussain Naqvi, fut tué, après quoi le demandeur fut battu par des affidés du SSP.

 

[8]               Le 5 mars 2004, le SSP a prié le demandeur de faire de l’espionnage pour lui. Le demandeur a refusé puis s’est caché, craignant de devoir payer son refus de coopérer avec le SSP.

 

[9]               Le demandeur a quitté le Pakistan le 5 mai 2004 et est arrivé à l’aéroport de Toronto le 7 mai 2004. Il a sollicité le statut de réfugié le même jour.

 

[10]           Le 28 novembre 2005, la CISR a rendu une décision défavorable.

 

POINTS LITIGIEUX

[11]           1)   La décision de la CISR selon laquelle le demandeur pouvait se prévaloir d’une

       possibilité de refuge intérieur (PRI) était-elle raisonnable?

2)   Les Directives n° 7 concernant la préparation et la conduite d’une audience devant la SPR ont-elles été correctement appliquées?

 

ANALYSE

            Possibilité de refuge intérieur

[12]           Le demandeur ne conteste pas directement la conclusion selon laquelle il disposait d’une PRI dans la ville de Karachi.

 

[13]           La CISR a conclu que la police et les membres radicaux de la communauté sunnite ne le rechercheraient pas en dehors de son village d’origine. Elle a aussi examiné s’il pouvait raisonnablement se déplacer et vivre en dehors de son village. Finalement, la CISR a établi que le demandeur avait été interrogé et qu’il avait eu la possibilité de s’exprimer quant à l’existence d’une PRI.

 

[14]           Le demandeur ne conteste pas directement la conclusion d’existence d’une PRI, conclusion qui est déterminante en l’espèce. En fait, il ne fait aucun commentaire sur les deuxième et troisième éléments du critère de la PRI; cependant, il conteste le fondement de la conclusion (référence est faite à la décision Aslam, précitée).

 

[15]           Pour prouver que les extrémistes sunnites avaient déposé une plainte contre lui auprès de la police, le demandeur a produit un premier rapport d’information, daté du 12 mai 2004 (pièce P-13), une lettre de son avocat datée du 7 janvier 2005 (pièce P-4) et un mandat d’arrêt daté du 27 mai 2004 (pièce P-5).

 

[16]           Selon la CISR, ces documents étaient des faux et elle ne leur a accordé aucune valeur probante.

 

[17]           La CISR a relevé que l’audition de la demande d’asile devait au départ avoir lieu le 7 février 2005 et qu’elle fut reportée en raison de la maladie de M. Hussain.

 

[18]           Le mandat d’arrêt délivré en mai 2004 et la lettre de l’avocat datée du 7 janvier 2005 ont été reçus par la CISR le vendredi 4 février 2005.

 

[19]           Pour sa part, le premier rapport d’information, délivré en mai 2004, fut déposé auprès du tribunal près d’un an plus tard, c’est-à-dire le 26 avril 2005, alors que, rappelons-le, la première audience devait avoir lieu le 7 février 2005.

 

[20]           Interrogé sur le dépôt tardif de ces documents, M. Hussain a dit qu’il avait prié son frère de les obtenir, mais que son frère avait oublié de le faire.

 

[21]           Cette explication n’a pas été jugée crédible car le frère du demandeur et son avocat au Pakistan se sont rencontrés en mai ou juin 2004 et que les premiers rapports d’information peuvent être facilement obtenus sur demande de l’avocat.

 

[22]           Sur ce point, M. Hussain fait valoir qu’il aurait dû être informé de l’endroit où la CISR avait appris qu’il était facile d’obtenir des premiers rapports d’information.

 

[23]           La réponse de M. Hussain sur cet aspect était que son frère avait oublié d’obtenir ces documents, non qu’une instance gouvernementale les avait refusés.

 

[24]           Par ailleurs, ni la lettre de l’avocat ni le demandeur n’ont fait état d’une difficulté à obtenir le premier rapport d’information. La question en l’espèce n’est pas la délivrance rapide de documents par les autorités pakistanaises, mais plutôt le moment auquel M. Hussain a tenté d’obtenir ces documents. Il n’y a pas eu manquement à la justice naturelle dans la présente affaire.

 

[25]           Par ailleurs, le demandeur a d’abord dit que la rencontre entre son frère et son avocat au Pakistan avait eu lieu le 9 mai 2004. Comme l’a dit la CISR, cela est chronologiquement impossible puisque cette date est antérieure à celle du premier rapport d’information et à celle du mandat d’arrêt décerné contre M. Hussain.

 

[26]           M. Hussain a alors répondu « juin 2004 ». Cette date est chronologiquement possible, mais elle ne permet pas d’expliquer pourquoi les documents, essentiels pour la demande d’asile, n’ont pas été obtenus plus tôt.

 

[27]           M. Hussain n’a pas expliqué ce témoignage contradictoire, si ce n’est peut-être au paragraphe 9 de son affidavit, où il écrit qu’il n’avait pas compris la question. Cela ne rend pas déraisonnable la conclusion factuelle de la CISR sur cet aspect.

 

[28]           Vu le témoignage douteux du demandeur sur cette question, la documentation sur le pays concernant l’accessibilité des premiers rapports d’information et le problème posé par les faux documents (page 121 du dossier du tribunal), la CISR a conclu que les pièces P-4, P-5 et P-13 étaient des faux et qu’elles n’avaient aucune valeur probante.

 

[29]           S’agissant des faux documents provenant du Pakistan, la Cour a relevé que la CISR avait devant elle des preuves s’y rapportant. (Ranjha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1491, [2004] A.C.F. n° 1827 (QL); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 44, [2005] A.C.F. n° 912 (QL).)

 

[30]           S’agissant de la lenteur à produire les documents et de la présence de faux documents provenant du Pakistan, la situation en l’espèce ressemble beaucoup à l’affaire Ranjha, précitée :

[30]      En outre, la Commission a rejeté l’authenticité du premier rapport d’information, du mandat d’arrestation et de la proclamation produits par M. Ranjha. Dans ses motifs, la Commission parle du retard observé pour la production de ces documents (environ huit mois après l’arrivée du demandeur au Canada) et du fait qu’il est bien connu que la falsification de documents est monnaie courante au Pakistan. M. Ranjha a expliqué qu’il a quitté le Pakistan seulement en 2001, soit trois ans après qu’il eut été torturé pour la première fois (une explication qui, en tout état de cause, n’a pas non plus été jugée crédible par la Commission), parce qu’il a appris qu’un premier rapport d’information, un mandat d’arrestation et une proclamation avaient été délivrés à son endroit. La Commission avait à sa disposition une preuve démontrant que la falsification de documents judiciaires officiels, tels que des mandats d’arrestation, était très répandue au Pakistan. Par conséquent, il était loisible à la Commission d’en tenir compte lorsqu’elle a apprécié la crédibilité de la preuve. La Commission a également estimé que l’explication du demandeur pour justifier le temps qu’il a mis pour demander et obtenir des copies des documents en question était déraisonnable et que ce retard mettait en doute l’authenticité des documents. La Cour ne voit dans cette appréciation aucun motif d’intervenir. [Non souligné dans l’original.]

 

 

Directives n° 7 – Directives concernant la préparation et la tenue des audiences

à la Section de la protection des réfugiés

 

[31]           La section 19 des Directives n° 7 expose la procédure régulière à suivre pour l’ordre des interrogatoires menés devant la CISR. Essentiellement, l’agent de protection des réfugiés (APR) ou, en son absence, le commissaire, est le premier à interroger le demandeur d’asile, suivi de l’avocat du demandeur d’asile :

3.2  Interrogatoires
 

19.      Dans toute demande d’asile, c’est généralement l’APR qui commence à interroger le demandeur d’asile. En l’absence d’un APR à l’audience, le commissaire commence l’interrogatoire et est suivi par le conseil du demandeur d’asile. Cette façon de procéder permet ainsi au demandeur d’asile de connaître rapidement les éléments de preuve qu’il doit présenter au commissaire pour établir le bien-fondé de son cas.

3.2  Questioning
 

19.     In a claim for refugee protection, the standard practice will be for the RPO to start questioning the claimant. If there is no RPO participating in the hearing, the member will begin, followed by counsel for the claimant. Beginning the hearing in this way allows the claimant to quickly understand what evidence the member needs from the claimant in order for the claimant to prove his or her case.

 

[32]           Cet ordre des interrogatoires a été contesté par M. Hussain à la faveur d’une objection, qui a été rejetée par le commissaire (dossier du tribunal, pages 311 et 312).

 

[33]           Le 25 mai 2007, la Cour d’appel fédérale a rendu les arrêts Thamotharem et Benitez. Dans l’arrêt Benitez, elle écrivait que les demandeurs d’asile n’avaient aucun droit constitutionnel d’être interrogés d’abord par leur avocat et que, en conséquence, les Directives n° 7 ne contrevenaient pas à l’obligation d’équité :

[16]      Compte tenu essentiellement des motifs exposés par le juge Mosley (aux paragraphes 47 à 67) pour conclure que les demandeurs d’asile n’ont aucun droit constitutionnel d’être interrogés d’abord par leur conseil et des motifs pour lesquels nous avons, dans Thamotharem (aux paragraphes 34 à 51), statué que les Directives no 7 n’établissent pas une procédure contraire à l’obligation d’équité, j’estime que les Directives no 7 ne violent pas le droit des demandeurs d’asile de participer à une audience de la SPR respectant les principes de justice fondamentale.

 

(Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2007] A.C.F. n° 734 (QL); Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 107, [2006] A.C.F. 631 (QL), paragraphes 16 et 38; l’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été refusée dans les deux cas le 13 décembre 2007 : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] CSCR 391, et Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] CSCR 394.)

 

[34]           La Cour d’appel fédérale a jugé aussi que l’indépendance des commissaires de la CISR n’est pas compromise par les Directives n° 7. Elle écrivait, dans l’arrêt Thamotharem :

[88]      En conséquence, à mon avis, la preuve en l’espèce ne démontre pas qu’une personne raisonnable estimerait l’indépendance des commissaires de la SPR indûment limitée par les Directives no 7, particulièrement au regard des facteurs suivants : le libellé des directives; la preuve établissant que des commissaires dérogent à la pratique normalisée; l’importance pour la Commission, le plus grand tribunal administratif du Canada, d’obtenir un niveau acceptable de cohérence dans ses audiences, tenues le plus souvent par un seul commissaire.

 

[89]      L’« indépendance » décisionnelle n’est pas un concept monolithique, mais une question de degrés. Par exemple, l’indépendance des juges, en matière d’inconduite, est soupesée par le Conseil canadien de la magistrature en fonction de leur responsabilité à l’égard du public. L’indépendance des membres d’organismes administratifs doit être soupesée en fonction de l’intérêt qu’a l’organisme, comme institution, à veiller à la qualité et à la cohérence des décisions rendues en son nom par chacun de ses membres, décisions à l’égard desquelles, généralement, la possibilité de contestation judiciaire est limitée.

 

 

[35]           Depuis les arrêts de la Cour d’appel fédérale, il est considéré que la question de la validité des Directives n° 7 a été résolue (Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 309, [2007] A.C.F. n° 1269 (QL), paragraphe 1; Jacobs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 646, [2007] A.C.F. n° 861 (QL), paragraphe 6.)

 

CONCLUSION

[36]           Pour les motifs ci-dessus, la décision de la CISR n’est pas manifestement déraisonnable et, après analyse, elle est même jugée raisonnable; par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-7715-05

 

INTITULÉ :                                                   KHADIM HUSSAIN

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 23 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 5 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan M. Bohbot

 

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan M. Bohbot, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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