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Date : 20080205

Dossier : IMM-1604-07

Référence : 2008 CF 134

Ottawa (Ontario), le 5 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

PERLA SAAVEDRA SANCHEZ

ROBERTO RAFAEL LEON MARTINEZ

FERNANDA YAMILE LEON SAAVEDRA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Perla Saavedra Sanchez (la demanderesse), son mari Roberto Rafael Leon Martinez et leur fille Fernanda Yamile Leon Saavedra (collectivement les demandeurs), d’une décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission).

 


I.                   Contexte

[2]               Les demandeurs sont entrés au Canada en provenance du Mexique le 11 septembre 2005 et ont immédiatement demandé l’asile. Leur demande était fondée sur une allégation de risque de préjudice par des criminels. Ce risque serait survenu après que la demanderesse aurait, selon les allégations, identifié un agent fédéral comme ayant participé à un vol à main armée le 12 mars 2005 à une succursale de la Banque HSBC où elle travaillait. Par la suite, il y a aurait eu des incidents d’intimidation, notamment des appels de menace, des actes de harcèlement criminel et des activités suspectes près de la garderie de leur enfant, visant apparemment à obtenir la rétraction par la demanderesse de ses dénonciations.

 

[3]               La demanderesse a allégué avoir été enlevée, avoir subi des mauvais traitements et avoir été violée le 22 juillet 2005. Le même jour, sa fille aurait été enlevée brièvement de son école. L’agression de la demanderesse aurait été signalée à la police après quelques jours, mais l’allégation aurait essentiellement été rejetée en raison du temps écoulé avant qu’elle ne porte plainte. Il ressort aussi du dossier que ni l’enlèvement de la fille de la demanderesse ni les incidents d’intimidation antérieurs ou ultérieurs n’auraient été signalés à la police.

 

[4]               M. Leon a allégué que le 1er août 2005, on aurait forcé son véhicule à quitter la route alors qu’il conduisait à Mexico. Il a affirmé que le 1er septembre 2005, la même personne l’aurait de nouveau poursuivi alors qu’il conduisait et l’aurait menacé d’une arme. Il aurait fui cette situation en fonçant dans le véhicule de la personne qui le poursuivait. Ces incidents n’ont pas été signalés à la police et rien n’indique que la demanderesse a tenté d’obtenir l’aide de la Banque HSBC pour qu’elle intercède pour elle auprès des autorités.

 

II.        Décision de la Commission

[5]               La Commission a rejeté la demande des demandeurs au motif qu’ils pouvaient se prévaloir de la protection de l’État et qu’ils avaient omis de prendre les mesures raisonnables en vue de solliciter l’aide d’agences de protection existantes au Mexique. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a tiré les conclusions de fait suivantes :

·                    La police a fait des efforts sérieux pour poursuivre les auteurs du vol de banque et a arrêté au moins l’un d’eux malgré ses présumés liens à un service de police fédéral. 

·                    Les autorités n’étaient pas complices du vol.

·                    Les demandeurs n’ont pas signalé les premiers incidents de surveillance suspecte et ont déclaré forfait parce que la ligne téléphonique de la police était occupée.

·                    La demanderesse n’a signalé l’incident d’agression et de viol à la police que deux jours après qu’il ait eu lieu et était alors insatisfaite du manque apparent d’intérêt démontré par la police.

·                    Les demandeurs ont omis de signaler les deux incidents où on aurait forcé le véhicule de M. Leon à quitter la route et où on aurait menacé M. Leon.

·                    Bien qu’ils aient connu certaines institutions étatiques qui auraient peut-être pu les aider, les demandeurs n’ont rien fait pour solliciter cette aide, exception faite de l’unique occasion où ils ont demandé l’aide de la police locale.

·                    Quoique la corruption des représentants de l’État soit un problème au Mexique, des efforts sérieux sont déployés afin d’y remédier.

·                    Quoique l’enlèvement soit un problème au Mexique, l’État fait des efforts sérieux pour lutter contre ce crime.

·                    Aucun élément de preuve convaincant n’établit que les services de police locaux ou fédéraux n’auraient pas aidé les demandeurs s’ils avaient fait des efforts sérieux pour demander de l’aide.

 

[6]               La Commission a terminé sa vaste analyse du dossier de la preuve par la conclusion suivante :

Le tribunal reconnaît que la criminalité, la corruption et l’enlèvement continuent de poser problème au Mexique. Toutefois, compte tenu des éléments de preuve qui ont été fournis, le tribunal n’est pas convaincu qu’aucune mesure n’est prise contre les criminels, y compris les ravisseurs et les fonctionnaires corrompus. En l’espèce, la demandeure d’asile n’a fait aucun effort raisonnable pour demander l’aide d’organismes étatiques autres que la police pour régler sa situation. En se fondant sur la preuve présentée, le tribunal constate que les autorités étatiques font de sérieux efforts pour fournir une protection aux victimes de crimes, y compris les victimes de crimes d’enlèvement et de corruption et les témoins de crimes.

 

Par conséquent, compte tenu de l’ensemble de la preuve déposée, le tribunal conclut qu’une protection de l’État adéquate, sans être nécessairement parfaite, est assurée aux personnes comme la demandeure d’asile, au Mexique. En l’espèce, la demandeure d’asile, qui vit dans une démocratie, n’a tout simplement pas fait des efforts raisonnables pour épuiser les recours à sa disposition pour obtenir la protection de l’État avant de tenter d’obtenir la protection à l’étranger.

 

 

 

III.       Question en litige

[7]               La Commission a-t-elle commis une erreur dans son traitement de la preuve relative à la protection de l’État?

 

IV.       Analyse

[8]               Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de façon appropriée des éléments de preuve qui soulignaient les lacunes des services de protection de l’État offerts aux victimes et aux témoins de crimes au Mexique. Ils soutiennent que la preuve dont disposait la Commission, qui, selon eux, aurait était suffisante pour réfuter la présomption de la protection de l’État au Mexique, n’a ni été évaluée de façon appropriée ni été entièrement prise en compte. Il s’agit de questions de fait et de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413, au paragraphe 38.

 

[9]               Bien qu’il soit sans aucun doute vrai que la capacité et la volonté des services de police du Mexique et d’autres services de protection de l’État d’aider les victimes d’intimidation criminelle ne sont pas comparables à celles démontrées au Canada ou aux États-Unis, la Commission était convaincue, à la lumière du dossier, qu’une telle aide était offerte au Mexique. Il est bien établi en droit que les personnes qui sont exposées à la catégorie de risque décrite par les demandeurs doivent tenter de se prévaloir de tels services avant de solliciter la protection à l’étranger. Il n’est tout simplement pas satisfaisant de déclarer forfait parce que la ligne téléphonique d’urgence est occupée ou en raison d’une seule mauvaise expérience avec les responsables de la police locale. Comme l’a énoncé le juge Michael Phelan, au paragraphe 10 de la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1126, 141 A.C.W.S. (3d) 822, le demandeur d’asile ne réfute pas la présomption de l’existence de la protection de l’État dans un pays où la démocratie fonctionne en affirmant simplement qu’il a une « réticence subjective […] à solliciter la protection de l’État ». La conclusion de la Commission selon laquelle les efforts déployés par les demandeurs pour se prévaloir de la protection de l’État ne satisfaisaient pas au seuil juridique requis était amplement étayée par la preuve dont elle disposait et ne peut être qualifiée de déraisonnable.

 

[10]           Je ne peux non plus accepter que la Commission a commis une erreur en faisant mention d’agences qui n’étaient pas nécessairement directement responsables d’assurer une protection, telles que la Commission des droits de la personne du Mexique. Les agences d’État qui ne font pas partie du système de justice pénale, et même l’employeur d’une personne, peuvent jouer un rôle utile dans des affaires comme celle qui nous occupe où l’intervention initiale de la police locale n’est peut-être pas adéquate. En l’espèce, la Commission a souligné un certain nombre d’autres agences auxquelles les demandeurs auraient pu s’adresser, et il est surprenant qu’ils aient choisi de ne pas le faire eu égard aux incidents qu’ils ont décrits. En fait, l’omission par M. Leon de solliciter immédiatement l’aide de la police après le présumé enlèvement et retour de sa fille est inexplicable. 

 

[11]           Je ne partage pas non plus l’opinion selon laquelle la Commission a omis de tenir compte de la preuve documentaire qui faisait état des lacunes du système de justice pénale mexicain. La Commission a souligné les problèmes de corruption des représentants de l’État et la fréquence des crimes (y compris l’enlèvement) au Mexique, mais a conclu que l’État était motivé et prenait des mesures énergiques pour remédier à ces problèmes. La Commission n’a pas à énumérer chaque élément de preuve qu’elle a examiné : voir l’arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, 36 A.W.C.S. (3d) 635 (C.A.F.). Je suis convaincu que l’examen de la preuve par la Commission était suffisant et que sa conclusion selon laquelle les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État était raisonnable à la lumière du dossier.

 

[12]           Peu importe les lacunes qui peuvent exister dans le système de justice pénale mexicain, le Mexique est une démocratie qui fonctionne, dotée d’un appareil étatique en mesure d’assurer une certaine protection à ses citoyens. Selon l’arrêt Hinzman, précité, le fardeau qu’a une personne d’établir qu’elle ne devrait pas avoir à épuiser tous les recours disponibles dans son pays est lourd et, compte tenu des faits constatés par la Commission, les demandeurs ne se sont visiblement pas acquittés de ce fardeau.

 

[13]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[14]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-1604-07

                                                           

INTITULÉ :                                                               SANCHEZ ET AL.

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 29 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 5 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack C. Martin

416-351-8600

 

        POUR LES DEMANDEURS

Neeta Logsetty

416-973-3182

 

  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jack C. Martin

 

        POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

  POUR LE DÉFENDEUR

 

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