Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20080109

Dossier : IMM-2179-07

Référence : 2008 CF 30

Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

 

ENTRE :

NARINDER KAUR ANTTAL

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse à l’origine de la présente procédure de contrôle judiciaire est Mme Narinder Kaur Anttal, citoyenne canadienne. Le 4 mai 2003, elle a épousé Gurdeep Singh Anttal, un Indien vivant en Inde, et a par la suite demandé deux fois à parrainer M. Anttal pour qu’il puisse immigrer au Canada. La demanderesse cherche à faire annuler la décision rendue le 19 avril 2007 par la Section d'appel de l'immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La SAI a estimé que la deuxième demande de parrainage devait être rejetée en application du principe de la chose jugée.

 

Points litigieux

[2]               Tels que les ont précisés les parties dans leurs conclusions orales, les points soulevés dans cette demande sont les suivants :

1.                  La SAI a-t-elle erré en disant que le principe de la chose jugée s’appliquait en dépit des preuves nouvelles produites par la demanderesse?

2.                  Le refus de la SAI de différer l’audience constituait-il un manquement à l’équité procédurale?

 

Faits

[3]               Selon les dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) (en particulier le paragraphe 12(1)) et celles du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), un citoyen canadien peut parrainer un époux à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. L’époux devient alors admissible au statut de résident permanent au Canada. Cependant, le mariage doit être authentique et ne pas viser principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR (article 4 du Règlement).

 

[4]               La première demande de parrainage présentée par la demanderesse a été refusée par un agent des visas et, en appel, par une formation de la SAI (la première formation de la SAI). Dans sa décision datée du 4 février 2005, la SAI a jugé que la demanderesse n’avait pas prouvé que son mariage était authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR. En bref, la SAI a estimé que la preuve produite à l’audience n’était pas crédible ou digne de foi, en citant de nombreux exemples qui montraient que le témoignage de la demanderesse était parsemé d’affirmations erronées, de divergences et de contradictions. Les pièces produites qui étaient prétendument rattachées au mariage (par exemple les reçus de téléphone, les cartes d’appels, etc.) ne dissipaient pas les sérieux doutes qui pesaient sur la crédibilité de l’appelante. Aucune procédure de contrôle judiciaire n’a été introduite à l’encontre de la décision de la première formation de la SAI.

 

[5]               En août 2005, une deuxième demande de parrainage fut présentée. Par décision datée du 27 mars 2006, un agent des visas a refusé cette deuxième demande au motif qu’aucune preuve nouvelle ou pertinente (accompagnant la demande ou produite au cours d’un entretien avec M. Anttal) ne lui permettait de conclure que le mariage était maintenant authentique. Encore une fois, la crédibilité, ainsi que les circonstances particulières du mariage, étaient les aspects clés sur lesquels était fondée la décision.

 

[6]               La demanderesse a fait appel de la décision à la SAI (la deuxième formation de la SAI). De sa propre initiative, la SAI a prié les parties de présenter des conclusions sur le point de savoir si le second appel constituait un abus de procédure ou s’il devrait être rejeté en vertu du principe de la chose jugée.

 

[7]               En réponse à cette lettre, la demanderesse a produit des preuves nouvelles, notamment des factures de téléphone, des photographies, des preuves de récents voyages en Inde, et une preuve d’ordre médical qui confirmait que la demanderesse était enceinte. Ces preuves n’avaient pas été soumises à l’agent des visas et n’étaient produites qu’au stade de cet appel. La demanderesse et M. Anttal ont offert de produire une preuve génétique, après la naissance de l’enfant, pour montrer que M. Anttal en était bien le père.

 

[8]               Se fondant sur les conclusions écrites, la SAI a dit, dans une décision datée du 19 avril 2007, que le principe de la chose jugée s’appliquait à la présente affaire et qu’il ne lui était pas nécessaire de dire si le second appel constituait un abus de procédure. Les éléments principaux de la décision apparaissent dans l’extrait suivant :

[12]  Les nouveaux éléments de preuve produits avec la seconde demande de parrainage constituent-ils une nouvelle preuve décisive? Le tribunal est d’avis que non. En somme, l’appelante a eu la possibilité de se préparer à pouvoir démontrer que son mariage avec le demandeur était authentique. Des éléments de preuve suffisants et une explication satisfaisante n’ont pas été fournis pour contrecarrer les conclusions auxquelles était arrivé le commissaire de la SAI au moment de l’audition du premier appel. Selon le tribunal, il faut plus que des appels téléphoniques, des photos, des voyages en Inde, et plus qu’une présumée grossesse pour montrer de manière décisive qu’il s’agit d’un mariage authentique qui n’a pas été contracté à des fins d’immigration. Le tribunal est d’avis que la présumée grossesse ne constitue pas une nouvelle preuve décisive en soi selon laquelle le mariage est authentique et n’a pas été contracté à des fins d’immigration et qu’elle ne justifie pas une exception à l’application du principe de la chose jugée.

 

[9]               L’appel a été rejeté en application du principe de la chose jugée, sans que la SAI n’examine la question de l’abus de procédure ni le fond de la demande. C’est cette décision qui est l’objet de la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

Analyse

[10]           Le critère encadrant le principe de la chose jugée a été défini par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, au paragraphe 25, et appliqué à une décision de la SAI dans un jugement de la Cour, Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1321. Le premier volet du critère oblige le décideur à dire si les conditions de la préclusion pour question déjà tranchée sont réunies (décision Rahman, précitée, paragraphe 15). Ces conditions sont les suivantes :

1.      la même question a été tranchée dans une procédure antérieure;

2.      la décision antérieure était une décision judiciaire finale;

3.      les parties à la présente instance sont les mêmes que les parties à laquelle s’appliquait la décision antérieure.

 

[11]           Si une préclusion pour question déjà tranchée est alléguée, le décideur doit alors se demander si des circonstances particulières justifient que l’affaire soit jugée au fond (décision Rahman, précitée, paragraphe 21).

 

[12]           Pour savoir si la SAI a bien appliqué le principe de la chose jugée, il faut déterminer si sa décision s’accorde avec l’analyse en deux étapes exposée dans l’arrêt Danyluk et appliquée dans la décision Rahman, précitée.

 

[13]           Chaque étape de l’analyse requiert l’application d’une norme de contrôle qui lui est propre (voir la décision Rahman, précitée, paragraphes 12 et 13). La norme de contrôle devant s’appliquer à la conclusion de la SAI relative à la première étape est la décision correcte, tandis que la norme de contrôle applicable à la conclusion de la SAI relative à la deuxième étape est la décision manifestement déraisonnable.

 

[14]           S’agissant de la première étape, la SAI a dit que les trois conditions d’application du critère étaient réunies. Je ne vois aucune erreur à ce stade. La demanderesse n’avance d’ailleurs aucun argument à l’encontre de cette partie de l’analyse de la SAI. En résumé :

 

1.      La question soulevée devant la deuxième formation de la SAI était la même que celle qui avait été tranchée par la première formation; plus exactement, le mariage était-il authentique et ne visait-il pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR? La preuve soumise par la demanderesse à la seconde formation de la SAI ne modifiait pas la nature de la question à trancher (décision Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 220, paragraphe 9; décision Rahman, précitée, paragraphe 17).

 

2.      Deuxièmement, il est clair que la décision de la première formation de la SAI était finale. La SAI est la juridiction compétente pour juger les appels en matière de parrainage (LIPR, article 62). Elle a les attributions d’une juridiction supérieure sur  toute question relevant de sa compétence (LIPR, paragraphes 174(1) et (2); décision Rahman, précité, paragraphe 18). En outre, aucune procédure de contrôle judiciaire n’a été introduite à l’encontre de la décision de la première formation.

 

3.      Finalement, les parties étaient les mêmes dans les deux instances.

 

La deuxième formation de la SAI a dit, avec raison, que les trois conditions requises pour l’application du principe de la chose jugée étaient remplies dans la présente affaire.

 

[15]           Ayant conclu que les conditions exposées dans l’arrêt Danyluk étaient applicables, la SAI devait se demander ensuite si des circonstances particulières pouvaient justifier l’audition de l’affaire au fond. Y avait-il une « nouvelle preuve décisive »? La SAI a répondu par la négative.

 

[16]           Comme on peut le lire dans la décision Rahman, précitée, au paragraphe 13, le deuxième volet du critère d’application du principe de la chose jugée est l’existence d’une décision discrétionnaire susceptible de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. À ce stade de l’analyse, la demanderesse fait valoir que la SAI s’est trompée en disant que les preuves nouvelles – dont celle de la grossesse de la demanderesse – ne justifiaient pas l’audition de l’affaire.

 

[17]           La demanderesse accorde une grande importance à la décision Dhaliwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1425. Tout en reconnaissant que ce précédent concernait un abus de procédure plutôt que le principe de la chose jugée, la demanderesse dit qu’il permet d’affirmer que, quelle que soit la notion considérée, l’existence de « nombreux éléments de preuve nouveaux et pertinents » oblige la SAI à juger l’affaire au fond. Par ailleurs, de soutenir la demanderesse, la décision Rahman, précitée, invoquée par le défendeur, n’est pas applicable en l’espèce en raison de l’existence de nombreux éléments de preuve nouveaux et pertinents. En bref, la demanderesse fait valoir que la preuve produite dans la présente affaire est beaucoup plus solide qu’elle ne l’était dans l’espèce Rahman ou dans d’autres espèces où fut confirmée l’application du principe de la chose jugée (voir, par exemple, la décision Hamid, précitée).

 

[18]           Malheureusement pour la demanderesse, il ne s’agit pas dans le présent contrôle judiciaire de comparer la preuve produite dans la présente affaire avec celle qui fut produite dans d’autres affaires. La tâche de la Cour consiste plutôt à établir si la décision de la SAI, au vu des faits et des preuves qui lui ont été présentés, était manifestement déraisonnable. La demanderesse ne prétend pas que la SAI a négligé des preuves. L’unique point à décider est donc de savoir si la conclusion de la SAI est dépourvue de raison au point que la Cour soit contrainte de l’annuler. Je ne pense pas que tel soit le cas.

 

[19]           Le point principal que devait décider la seconde formation de la SAI portait sur l’authenticité du mariage de la demanderesse. La demanderesse a produit des photos, des factures de téléphone et la preuve de récents voyages qu’elle avait faits en Inde, ainsi que la preuve de sa grossesse, mais la seconde formation de la SAI n’a pas trouvé que les preuves produites suffisaient à invalider les conclusions de la première formation. Au vu des doutes sérieux qu’avaient les deux agents des visas et la première formation de la SAI à propos de la crédibilité de la demanderesse, cette conclusion n’est pas déraisonnable. J’observe que : i) selon la jurisprudence, la naissance d’un enfant n’est pas une preuve concluante de l’authenticité d’une relation (décision Rahman, précitée, paragraphe 29; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 565, paragraphe 12; décision Hamid, précitée, paragraphe 13); et ii) les motifs qu’avait la SAI de rejeter le premier appel intéressaient des éléments que n’abordaient pas les preuves nouvelles produites par la demanderesse. En conséquence, il était à tout le moins loisible à la deuxième formation de la SAI de conclure qu’il n’existait aucune preuve nouvelle décisive qui fût susceptible de justifier l’annulation de la décision de la première formation. Je ne pense pas qu’il était manifestement déraisonnable pour la seconde formation de la SAI de dire qu’il n’existait pas de circonstances qui justifiaient l’audition de l’affaire au fond.

 

Point n° 2 : Le refus de la SAI de différer l’audience constituait-il un manquement à l’équité procédurale?

[20]           Selon la demanderesse, la SAI aurait dû différer l’audition jusqu’à ce qu’une preuve génétique ait pu être soumise à son examen. La SAI a résolu de trancher la question de l’application du principe de la chose jugée avant d’obtenir cette preuve et elle a de ce fait manqué à l’équité procédurale. Je ne partage pas cet avis.

 

[21]           Si la demanderesse avait clairement sollicité un report de l’audition, j’aurais sans doute souscrit à son argument. Cependant, le seul endroit du dossier du tribunal où je puisse constater que la demanderesse a fait une demande d’ajournement est la conclusion écrite suivante de l’avocat de la demanderesse après que la SAI l’eut prié de présenter des conclusions sur le principe de la chose jugée :

[traduction]

Eu égard à la date de naissance de l’enfant au milieu de 2007, j’estime qu’il serait sans doute opportun pour la Commission de dire que la présente affaire devrait aller de l’avant, mais que, dans l’intervalle, après la naissance de l’enfant, une analyse de l’ADN devrait être effectuée pour confirmer la filiation de l’enfant et qu’un règlement extrajudiciaire du différend devrait également être possible.

 

[22]           On est très loin ici d’une requête explicite en ajournement. La lettre dit : « j’estime qu’il serait sans doute opportun pour la Commission de dire que la présente affaire devrait aller de l’avant […] » Autrement dit, il faut en conclure que la demanderesse souhaitait que l’audience suive son cours. La SAI a accepté cette lettre telle qu’elle était rédigée, pour ensuite rendre sa décision. J’ai du mal à voir comment elle a pu ainsi manquer à l’équité procédurale.

 

Dispositif

[23]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée.

 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2179-07

 

INTITULÉ :                                                   NARINDER KAUR ANTTAL

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 8 JANVIER 2008

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 9 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Considine

 

POUR LA DEMANDERESSE

Marjan Double

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Considine & Co.

Victoria (C.-B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.