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Date : 20080204

Dossier : IMM-651-07

Référence : 2008 CF 144

Ottawa (Ontario), le 4 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ORVILLE FRENETTE

 

 

ENTRE :

ROMEL ABUTAN ARAGON

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 22 janvier 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité d’un réfugié au sens de la Convention ni celle d’une personne à protéger.

 

I. Les faits

 

[2]               Le demandeur, âgé de 36 ans, est un citoyen des Philippines qui demande l’asile au Canada, disant craindre avec raison d’être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social, c’est-à-dire les victimes d’extorsion.

 

[3]               Le demandeur allègue dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) que la persécution a débuté le jour où il a été impliqué dans un accrochage avec un véhicule automobile, en mai 2005. Il soutient qu’après avoir heurté accidentellement un véhicule garé dans un terrain de stationnement, il a accepté d’indemniser le propriétaire de ce véhicule de tout dommage causé.

 

[4]               Le demandeur prétend que, le 12 juin 2005, le propriétaire du véhicule accidenté est entré en contact avec lui et a exigé une indemnisation additionnelle pour le temps perdu au travail à cause de l’accrochage. Le demandeur a accepté de payer afin de [traduction] « mettre fin à [s]on problème », mais, soutient-il, cela n’a pas empêché l’individu de continuer à exiger de lui de plus en plus d’argent. Il allègue que lorsqu’il a finalement refusé de payer davantage, l’individu a sorti une arme à feu et a menacé de le tuer. Le demandeur a demandé un visa de visiteur canadien et l’a obtenu le 23 juin 2005.

 

[5]               Le 15 août 2005, le demandeur est arrivé au Canada muni de son visa de visiteur dans le but déclaré de rendre visite à son frère, qui est citoyen canadien, d’assister au mariage de son neveu et de voyager. Le visa du demandeur était valide du 23 juin 2005 au 22 décembre 2005. Quand son visa a expiré, le demandeur a tenté, sans succès toutefois, de le faire renouveler dans le but, comme il est indiqué dans son FRP initial, de [traduction] « voir à quel point ce pays était beau ».

 

[6]               Le 11 janvier 2006, le demandeur a présenté une demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[7]               Le 22 janvier 2007, la Commission a statué que le demandeur n’avait pas la qualité d’un réfugié au sens de la Convention ni celle d’une personne à protéger. Cette décision reposait sur le manque de crédibilité du demandeur, ainsi que sur la conclusion qu’il n’y avait aucun fondement subjectif ou objectif à la crainte alléguée de persécution du demandeur.

 

[8]               Dans sa décision, la Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité, dont un grand nombre étaient associées à des contradictions entre l’exposé circonstancié contenu dans le FRP initial que le demandeur avait déposé le 31 janvier 2006 et l’exposé circonstancié qu’il avait par la suite modifié à deux reprises, le 25 juillet et le 14 novembre 2006. Ces contradictions incluaient ce qui suit :

1.         le FPR initial du demandeur ne mentionnait pas que l’individu dont le véhicule avait été heurté était un agent de police;

2.         le FRP initial du demandeur indiquait que l’individu en question était entré en contact avec le demandeur pour obtenir plus d’argent une semaine après l’accident, tandis que le FRP modifié mentionnait une date postérieure d’environ trois semaines à celle de l’accident;

3.         le FRP initial du demandeur ne faisait pas état de l’allégation selon laquelle, en juillet 2005, l’agent de police avait téléphoné de nombreuses fois au demandeur pour exiger davantage d’argent;

4.         le FRP initial du demandeur ne mentionnait pas que ce dernier avait signalé à la police les présumées menaces de mort, tandis que le FRP modifié comportait de nombreux détails au sujet du signalement des menaces.

 

[9]               La Commission a déclaré que les contradictions relevées entre l’exposé circonstancié figurant dans le FRP initial et les versions modifiées étaient attribuables au fait que le demandeur tentait de renforcer sa demande d’asile et, de ce fait, qu’elles minaient la crédibilité de celle‑ci.

 

[10]           La Commission a également conclu que la preuve du demandeur n’était pas claire et convaincante au point de « réfuter la présomption selon laquelle l’État [était] en mesure de le protéger » contre l’agent allégué de la persécution. Par ailleurs, elle a conclu que la crainte subjective du demandeur était minée par son manque de crédibilité, ainsi que par le fait qu’il n’avait pas quitté les Philippines pour le Canada dès la délivrance de son visa de visiteur canadien le 23 juin 2005.

 

III. Les questions en litige

 

[11]           Le demandeur soulève en l’espèce quatre questions, toutes liées à la question primordiale de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas la qualité d’un réfugié au sens de la Convention ni celle d’une personne à protéger. Ces questions sont les suivantes :

1.         la Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant la crédibilité du demandeur?

2.         la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le temps que le demandeur avait pris avant de quitter les Philippines et de demander l’asile à son arrivée au Canada démentait l’existence d’une crainte fondée de persécution et dénotait l’absence d’une crainte subjective de persécution?

3.         la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État?

4.         la Commission a-t-elle manqué aux règles de la justice naturelle en ne fournissant pas une transcription complète de l’audience relative à la demande d’asile?

 

IV. La norme de contrôle

 

[12]           Dans l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a confirmé que les conclusions de fait de la Commission, y compris celles qui ont trait à la crédibilité, ne peuvent être annulées que s’il est conclu qu’elles sont manifestement déraisonnables. Comme le déclare le juge Décary, au paragraphe 4 :

4          Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. […]

 

Par conséquent, la première et la deuxième questions seront examinées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, ce qui signifie que les conclusions de la Commission ne seront écartées que si elles sont « clairement irrationnelle[s] » ou « de toute évidence non conforme[s] à la raison » : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247.

 

[13]           Quant à la troisième question, qui a trait à la protection de l’État, il est évident qu’il convient de faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de fait de la Commission, y compris celle de savoir s’il existe une protection de l’État, et que ces conclusions ne seront écartées que si elles sont manifestement déraisonnables : Quijano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1706, [2005] A.C.F. no 2110 (QL). Cependant, une fois que ces conclusions sont tirées, il faut les apprécier par rapport au critère énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, ce qui est une question mixte de fait et de droit et qui mérite donc moins de retenue de la part de la cour siégeant en révision : Rey Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1661, 51 Imm. L.R. (3d) 291. Une telle décision sera donc contrôlée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter et ne sera écartée que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne peut étayer la conclusion de la Commission : Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, 45 Imm. L.R. (3d) 58.

 

[14]           Enfin, lorsqu’une cour siégeant en révision examine si la Commission a respecté les principes de la justice naturelle ou de l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est la décision correcte. C’est donc dire que si le défaut de la Commission de fournir une transcription complète de l’audience relative à la demande d’asile est assimilable à un manquement à la justice naturelle, cela signifie qu’aucune retenue ne s’impose et que la décision sera annulée : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392.

 

V. Analyse

 

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant la crédibilité du demandeur?

 

[15]           Le demandeur soutient que trois des conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont entachées d’erreurs. Plus précisément, il déclare que la Commission a commis une erreur :

1.         en mettant en doute sa crédibilité parce qu’il avait modifié l’exposé circonstancié de son FRP pour ajouter que le propriétaire du véhicule était un agent de police et qu’il était, de ce fait, victime d’extorsion de la part d’un agent de l’État;

2.         en mettant en doute sa crédibilité parce qu’il avait modifié l’exposé circonstancié de son FRP pour changer le moment de la troisième rencontre avec l’agent de police;

3.         en mettant en doute sa crédibilité parce qu’il avait modifié l’exposé circonstancié de son FRP pour ajouter qu’il avait reçu des appels téléphoniques du propriétaire du véhicule et qu’il avait signalé l’incident à la police.

 

[16]           En ce qui concerne la première conclusion quant à la crédibilité, le demandeur déclare que la modification a été faite dans le seul but de clarifier qui était le propriétaire du véhicule et que cette information était conforme à un élément de preuve figurant déjà dans le dossier soumis à la Commission, à savoir l’annexe 1 du formulaire sur les renseignements généraux que le demandeur avait signé le 10 janvier 2006, juste avant de demander l’asile. Dans ce document, le demandeur disait craindre de retourner aux Philippines à cause de [traduction] « menaces de mort » et il a ensuite indiqué que la personne qu’il craignait était [traduction] « un agent de police » qui [traduction] « extorquait de l’argent et [le] menaçait de mort à cause d’un accrochage avec un véhicule ».

 

[17]           Pour ce qui est de la deuxième conclusion quant à la crédibilité, le demandeur déclare que la Commission semble mettre en doute sa crédibilité en se fondant simplement sur la modification, sans autre raison justifiable. D’après le demandeur, une telle conclusion est une erreur car elle contredit le paragraphe 6(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles de la SPR), qui permet que l’on change n’importe quel renseignement figurant dans le FRP d’un demandeur d’asile.

 

[18]           Enfin, en ce qui a trait à la troisième conclusion quant à la crédibilité, le demandeur déclare avoir fait l’ajout parce qu’il n’était pas sûr des faits qu’il fallait exposer dans le FRP.

 

[19]           Après avoir examiné le dossier et les modifications apportées à l’exposé circonstancié figurant dans le FPR du demandeur, je me dois de conclure qu’il était loisible à la Commission de tirer les conclusions quant à la crédibilité qui sont susmentionnées et que ces conclusions, n’étant pas manifestement déraisonnables, ne seront pas annulées. Premièrement, il est vrai que le paragraphe 6(4) des Règles de la SPR autorise à modifier les renseignements personnels d’une personne, mais je suis d’accord avec le défendeur que le simple fait de pouvoir modifier l’exposé circonstancié d’un FRP ne répond pas aux doutes qu’une telle modification peut susciter quant à la crédibilité. Ce ne sont pas toutes les modifications qui peuvent justifier une appréciation défavorable au sujet de la crédibilité : Akhtar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 560, [2002] A.C.F. no 730 (QL); Ameir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 876, 47 Imm. L.R. (3d) 169.

 

[20]           En l’espèce, le demandeur a fait d’importants ajouts à son exposé circonstancié, des ajouts qui soutenaient manifestement sa demande d’asile. Je ne puis tenir pour véridique l’affirmation du demandeur selon laquelle il ne savait pas quelles informations devaient être incluses dans son exposé circonstancié. Les exigences concernant ce qui doit être inclus dans l’exposé circonstancié sont clairement exposées à la question no 31 du FRP. C’est-à-dire que le demandeur d’asile doit exposer tous les faits importants qui se rapportent à sa demande, dont les suivants :

1.         tous les événements importants et les raisons qui l’ont amené à demander l’asile au Canada;

2.         les détails des mesures prises pour obtenir la protection des autorités de son pays d’origine et les résultats obtenus;

3.         les mesures prises pour trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine.

 

[21]           Le fait que le demandeur n’ait pas révélé dans son FRP initial qu’il avait signalé [traduction] « immédiatement » à la police le fait qu’on l’avait menacé à la pointe d’une arme à feu était une omission importante qui justifiait la conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité. Le même raisonnement s’applique à l’omission initiale du demandeur de relater les appels téléphoniques qu’il avait censément reçus en juillet 2005 du propriétaire du véhicule. Ces deux omissions concernent des aspects importants de la demande d’asile du demandeur et il aurait fallu les inclure dans le FRP initial. Elles n’ont pas trait à de menus détails de la demande que le demandeur clarifiait simplement au moyen d’une modification. Ces omissions concernent directement la demande du demandeur.

 

[22]           Il était donc loisible à la Commission de conclure que ces omissions avaient une incidence défavorable sur la crédibilité du demandeur et la Cour n’annulera pas cette conclusion en tant qu’erreur manifestement déraisonnable : Kutuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1754 (QL).

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le temps que le demandeur avait pris avant de quitter les Philippines et de demander l’asile à son arrivée au Canada démentait l’existence d’une crainte fondée de persécution et dénotait l’absence d’une crainte subjective de persécution?

 

[23]           Au dire du demandeur, s’il a tardé à demander l’asile, c’était parce qu’il ignorait le processus à suivre à cet égard au Canada et qu’il ne l’a appris que lorsque l’ami de son frère l’en a informé.

 

[24]           En conséquence, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi elle rejetait ses éclaircissements à propos du temps qu’il avait pris avant de demander l’asile à son arrivée au Canada. À l’appui de cet argument, le demandeur mentionne la décision Tariq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 404, 44 Imm. L.R. (3d) 256, où la juge Mactavish déclare ce qui suit, au paragraphe 14 :

14        Il est vrai que le temps qu’une personne laisse s'écouler avant de demander l'asile est susceptible de remettre considérablement en question l’authenticité de sa crainte subjective de persécution […] Ceci étant dit, lorsque, comme en l'espèce, les demandeurs offrent une explication au sujet des raisons pour lesquelles ils n'ont pas présenté leur demande plus tôt, il incombe à la Commission d'examiner cette explication et de décider si elle constitue une raison qui justifie raisonnablement le retard ou si elle dénote un manque de crainte subjective.

 

[25]           De plus, le demandeur déclare que le fait d’avoir tardé à quitter le pays et à demander l’asile n’est pas, en soi, un facteur déterminant pour établir qu’il n’éprouve pas une crainte subjective. À l’appui de cette prétention, il cite la décision que la juge Dawson a rendue dans l’affaire Juan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 809, [2006] A.C.F. no 1022 (QL), au paragraphe 11 :

11        Il est de jurisprudence constante que l'on peut tenir compte du fait que l'intéressé a tardé à demandé l'asile lorsqu'on évalue sa crédibilité. Toutefois, le retard à demander l'asile ne saurait à lui seul justifier le refus de reconnaître la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger. Il s'ensuit que la conclusion que la Commission a tirée au sujet du retard ne saurait à elle seule justifier la confirmation de son rejet de la demande.

 

Cependant, dans l’arrêt Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a décrété que, même si le retard à formuler une demande de statut de réfugié n’est pas un facteur déterminant en soi, il s’agit d’« un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d’un revendicateur ».

 

[26]           Il ressort clairement de la décision de la Commission qu’il convient de rejeter l’argument du demandeur à cet égard. Je conviens avec le défendeur que la Commission a clairement pris en compte les éclaircissements du demandeur à la page 6 de la décision, où elle expose en premier les raisons du demandeur qui expliquent son retard et donne ensuite ses propres raisons pour lesquelles elle a jugé que ces éclaircissements n’étaient pas convaincants. Comme l’a déclaré la Commission :

Le demandeur d’asile possédait un visa canadien de visiteur (VCV) depuis le 23 juin 2005, mais il n’a quitté son pays qu’en août 2005, du fait qu’il n’avait pas l’intention de se cacher au Canada et qu’il ignorait la procédure à suivre pour présenter une demande d’asile. Après son arrivée ici, un ami de son frère lui a expliqué comment il pouvait présenter une demande d’asile. De plus, le demandeur d’asile souhaitait tout d’abord voir à quoi ressemblait la vie au Canada et il a admis qu’il avait soupesé les différentes options qui s’offraient à lui avant de présenter sa demande d’asile.

 

Soit la vie du demandeur d’asile était menacée lorsqu’il se trouvait aux Philippines, soit elle ne l’était pas. Si les événements se sont bel et bien déroulés comme l’a indiqué le demandeur d’asile, cela signifie que le danger était le même lorsque ce dernier était dans son pays et lorsqu’il était au Canada. Selon le tribunal, le fait que le demandeur d’asile n’ait pas quitté son pays à la première occasion et qu’il ait tout d’abord souhaité voir à quoi ressemblait la vie au Canada avant de présenter une demande d’asile montre qu’il n’avait pas de crainte fondée de persécution ou qu’il n’avait pas besoin de protection. Cela indique une absence de crainte subjective.

 

[27]           Il ressort clairement de cet énoncé qu’après avoir soupesé les éclaircissements du demandeur quant au temps pris avant de quitter les Philippines et de demander l’asile au Canada, la Commission a conclu en définitive que cela n’était pas suffisant pour la convaincre qu’il éprouvait une crainte subjective de persécution. Comme le laisse entendre le défendeur, les motifs que le demandeur a exposés concordaient davantage avec un souhait d’immigrer, plutôt qu’avec un désir de fuir la persécution.

 

[28]           En outre, en réponse à l’argument selon lequel un retard n’est pas, en soi, suffisant pour justifier le rejet de la demande du demandeur, il ressort clairement de la décision de la Commission que sa conclusion relative au retard du demandeur n’était pas le seul motif de rejet de la demande, mais que cela s’est simplement ajouté aux autres conclusions de la Commission quant à la crédibilité pour miner davantage la crédibilité du demandeur et justifier la décision selon laquelle, en fait, le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté. Combinés ensemble, ces éléments justifient de manière claire et concise la conclusion ultime de la Commission.

 

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État?

 

[29]           Le demandeur soutient que la Commission avait en main une preuve documentaire [traduction] « claire et convaincante » sur la question de la protection de l’État en général, ainsi que sur la raison pour laquelle il était objectivement raisonnable pour lui de ne pas solliciter davantage la protection de l’État. Il soutient en outre que la Commission a omis de prendre en considération cette preuve au moment d’arriver à sa décision et que cette omission équivaut à une erreur susceptible de contrôle.

 

[30]           Le défendeur soutient que les Philippines constituent un État démocratique qui fonctionne, même si elles ont des problèmes à l’instar d’autres pays démocratiques : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232 (C.A.F.); Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.); Quijano, précitée.

 

[31]           Un examen de la décision indique clairement que la Commission a bel et bien pris en considération une preuve documentaire objective au sujet des pratiques de l’État sur le plan des droits de la personne et au sujet de sa capacité de protéger ses citoyens. Cette preuve était le document publié en 2005 par le département d’État des États-Unis sous le titre Country Report on the Philippines’ Human Rights Practices, où l’on peut lire que même s’il existe une forte impression de corruption au sein de la fonction publique, aucune information ne donne à penser que le gouvernement est tout à fait incapable d’assurer une protection adéquate aux personnes telles que le demandeur. En outre, ce rapport indique clairement que, pendant toute l’année 2005, des efforts marqués ont été faits pour réformer la Police nationale des Philippines (PNP) et que, durant cette période, près de deux cents agents de la PNP ont été congédiés pour conduite répréhensible. Cette preuve offre plus qu’un fondement raisonnable à la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur aurait dû poursuivre ses efforts pour bénéficier d’une protection de l’État aux Philippines avant de présenter une demande d’asile au Canada.

 

[32]           Il convient aussi de noter que la conclusion de la Commission à propos d’une protection suffisante de l’État doit également être considérée dans le contexte de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité. Essentiellement, même si le demandeur a déclaré dans l’exposé circonstancié modifié de son FRP qu’il avait signalé [traduction] « immédiatement » à la PNP l’incident mettant en cause une arme à feu, la Commission a conclu que cette preuve n’était pas digne de foi, ce qui donne à penser qu’il n’était même pas nécessaire d’examiner la question de la protection suffisante de l’État pour trancher de manière appropriée la demande d’asile du demandeur. Cela, le demandeur l’a admis dans son mémoire additionnel, où il a indiqué que la [traduction] « question déterminante » de la décision de la Commission était la crédibilité du demandeur. De ce fait, il n’est pas justifié que la Cour intervienne à l’égard de la conclusion de la Commission sur la question.

 

4.         La Commission a-t-elle manqué aux règles de la justice naturelle en ne fournissant pas une transcription complète de l’audience relative à la demande d’asile?

 

[33]           Dans son mémoire additionnel, le demandeur soutient que le dossier certifié du tribunal est incomplet et, de ce fait, que la Commission a manqué aux règles de la justice naturelle, ce qui donne donc droit au demandeur à une nouvelle audience. Le demandeur soutient qu’à cause d’une défaillance de l’enregistrement, une bonne partie de son témoignage direct n’apparaît pas dans la transcription, y compris les aspects suivants : ce qui s’est passé après qu’il s’est adressé à la police, les raisons pour lesquelles il a omis des faits dans l’exposé circonstancié de son FRP, ses éclaircissements au sujet du retard à présenter une demande d’asile au Canada et son témoignage sur l’existence d’une protection de l’État aux Philippines.

 

[34]           Le demandeur soutient que même  si la Commission et les avocats se sont efforcés de compléter le dossier en lisant leurs notes prises à l’audience, cela n’est pas suffisant pour compenser le manquement à la justice naturelle qui est survenu.

 

[35]           Dans la décision Benavides c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 323, 289 F.T.R. 104, aux paragraphes 29 et 30, le juge O’Keefe expose efficacement le droit qui s’applique dans les cas où l’absence d’une transcription viole les règles de la justice naturelle :

29        Dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, la juge L’Heureux Dubé expose, au paragraphe 81, le critère permettant de déterminer si l'absence de transcription viole les règles de justice naturelle :

En l'absence d'un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d'appel ou de révision. Si c'est le cas, l'absence d'une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Cependant, lorsque la loi exige un enregistrement, la justice naturelle peut nécessiter la production d'une transcription. Étant donné que cet enregistrement n'a pas à être parfait pour garantir l'équité des délibérations, il faut, pour obtenir une nouvelle audience, montrer que certains défauts ou certaines omissions dans la transcription font surgir une « possibilité sérieuse » de négation d'un moyen d'appel ou de révision. Ces principes garantissent l'équité du processus administratif de prise de décision et s'accommodent d'une application souple dans le contexte administratif.

30        Dans le jugement Goodman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 185 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.), le juge Lemieux déclare ce qui suit, au paragraphe 75 :

Selon moi, en l'espèce, il faut prendre en compte les facteurs suivants pour déterminer si les omissions dans la transcription de la procédure de la SSR équivalent à une possibilité sérieuse que M. Goodman soit privé d'un moyen de contrôle :

(1) Quels moyens de contrôle ont été invoqués?

(2) Quelle est l'importance des conclusions contestées relativement à la revendication du statut de réfugié de M. Goodman?

(3) Quel est le fondement des conclusions et constatations de la SSR, et j'entends par là : « Est-ce que la SSR a fondé ses conclusions sur des constatations relatives à la crédibilité, ou sur des conclusions de fait ou sur l'interprétation d'une disposition législative? »

(4) Sur quoi portait la partie de l'audience dont la transcription est manquante […] et quelle était l'importance de l'omission dans la transcription relativement aux conclusions contestées, c'est‑à‑dire, la pertinence de l'objet ou de la teneur de la partie manquante de la transcription et la mesure dans laquelle le tribunal s'est appuyé sur elle?

(5) Quel autre moyen le tribunal a-t-il pris pour remédier à l'omission?

(6) De quels autres moyens la Cour disposait-elle pour déterminer ce qui s'est passé à l'audition?

 

Si un élément important de la transcription n’est pas disponible, une nouvelle audience sera ordonnée : Richard c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 967, [2002] A.C.F. no 1262 (QL); Agbon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 356, [2004] A.C.F. no 407 (QL); Benavides, précitée; Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 346, [2005] A.C.F. no 442 (QL).

 

[36]           Dans la présente espèce, le demandeur allègue qu’étant donné que la décision de la Commission était fondée sur ses conclusions défavorables quant à la crédibilité concernant les exposés circonstanciés initiaux et modifiés figurant dans son FRP, il est donc nécessaire que la Cour entende son témoignage direct sur les omissions afin de pouvoir procéder à un contrôle judiciaire valable.

 

[37]           Ceci étant dit avec respect, je ne puis souscrire à l’argument du demandeur. Même s’il cite de nombreuses décisions à l’appui de sa position selon laquelle il ne peut pas y avoir de contrôle judiciaire valable sans une transcription du témoignage direct complet du demandeur, la plupart des décisions citées ont trait à des situations dans lesquelles il n’y avait aucune transcription de l’audience à cause d’une forme quelconque d’erreur technique ou humaine. Cela n’est pas le cas en l’espèce, où la transcription comporte le témoignage direct initial du demandeur et, après la survenue d’une erreur d’enregistrement, un aperçu du reste du témoignage du demandeur, par une lecture des notes écrites du commissaire et de l’avocat du demandeur.

 

[38]           Le dossier indique clairement que cette erreur a été relevée pendant que l’audience se déroulait et que les parties ont entrepris de compléter le dossier existant de façon à satisfaire aux exigences de la justice naturelle. Par ailleurs, jamais durant l’audience l’avocat du demandeur ne s’est-il opposé aux mesures que la Commission a prises pour rectifier l’erreur et, vraisemblablement d’après le dossier, il a souscrit aux mesures prises à ce moment-là. À ce sujet, comme le demandeur s’exprime couramment en anglais et qu’il était représenté en l’espèce par un avocat sans qu’aucune objection n’ait été soulevée, une renonciation tacite est en vigueur : Affaire intéressant la compétence d’un tribunal des droits de la personne pour continuer son enquête et la plainte de la section locale 916 du Syndicat des travailleurs de l’énergie et de la chimie en date du 27 avril 1979 présentée en vertu de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (S.C. 1976-77, chap. 33 et modifications) contre Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.); Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.).

 

[39]           La question dont la Cour est saisie consiste à savoir si les mesures que la Commission a prises pour compléter la transcription étaient suffisantes pour qu’il soit possible de soumettre la décision de la Commission à un contrôle judiciaire valable. Après examen du dossier et des arguments des parties, il ne semble pas y avoir eu de manquement à la justice naturelle au moment de l’audience ni, de ce fait, de manquement à la justice naturelle qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[40]           Par conséquent, il convient de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche

 

                                                      


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-651-07

 

INTITULÉ :                                                               ROMEL ABUTAN ARAGON

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 16 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 4 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vaska Bozinovski                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

Kristina Dragaitis                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vaska Bozinovski                                                         POUR LE DEMANDEUR

Avocat

4665, rue Yonge, bureau 304

Toronto (Ontario) M2N 0B4

 

John H. Sims                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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