Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20080201

Dossier : IMM-5344-06

Référence : 2008 CF 133

Ottawa (Ontario), le 1er février 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

PHI ANNE THACH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Phi Anne Thach (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 15 septembre 2006 par la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La SAI a rejeté l’appel interjeté par le demandeur contre la décision d’une agente des visas qui avait refusé de délivrer un visa de résidente permanente à l’épouse du demandeur, Mme Chong Zenh Ung. L’agente des visas avait refusé de délivrer le visa parce qu’elle n’était pas persuadée que Mme Chong Zenh Ung était un membre de la catégorie du regroupement familial selon ce que prévoit l’article 12 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et l’article 116 et l’alinéa 117(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[2]               Le demandeur est un citoyen canadien âgé de 47 ans, né au Vietnam. Il vit à Windsor avec un oncle paternel de son épouse. L’oncle a fait connaître sa nièce au demandeur en lui montrant une photo d’elle en mars 2002. Par la suite, le demandeur a conversé avec la nièce par téléphone, pour ensuite se rendre au Vietnam en juillet 2002 et l’épouser le 12 juillet 2002.

 

[3]               Le demandeur a sollicité un visa de résidente permanente pour son épouse le 11 juin 2003. Le 18 mars 2004, l’épouse a été interrogée par une agente des visas au Haut-Commissariat du Canada à Singapour. Par lettre datée du 7 avril 2004, l’agente des visas a informé le demandeur que Mme Zenh n’était pas membre de la catégorie du regroupement familial en vertu du Règlement et elle a refusé la demande de parrainage.

 

[4]               Le demandeur a fait appel de la décision de l’agente des visas devant la SAI. La SAI a entendu les témoignages du demandeur et de son épouse. Finalement, la SAI a rendu une longue décision dans laquelle elle rejetait l’appel. Les principales conclusions tirées par la SAI étaient que le mariage conclu entre le demandeur et son épouse n’était pas authentique selon ce qu’exige l’article 4 du Règlement, parce qu’il visait principalement l’obtention pour l’épouse d’un statut aux termes de la Loi. La SAI s’est exprimée sur la durée des fréquentations du demandeur et de son épouse, sur leur différence d’âge, sur les preuves contradictoires relatives aux circonstances entourant le choix de la date du mariage, et sur la période relativement brève qui s’était écoulée entre la première rencontre du couple et le mariage.

 

[5]               Le demandeur fait valoir que la SAI a tiré des conclusions déraisonnables et erronées concernant la vraisemblance des témoignages. Il dit aussi que la SAI aurait dû tenir compte des facteurs culturels caractérisant les mariages célébrés à l’étranger lorsqu’elle a examiné l’authenticité du mariage.

 

[6]               Le demandeur soutient aussi que la SAI a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur les notes consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (les notes du STIDI) comme transcription de ce qui s’était dit lors de l’interrogatoire de l’épouse du demandeur, en l’absence d’un affidavit de l’agente des visas.

 

[7]               Finalement, le demandeur dit que la SAI aurait dû reconnaître qu’une inversion du fardeau de la preuve s’imposait, de telle sorte qu’il revenait au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) de produire des preuves. En l’absence de telles preuves, la SAI se devait de tirer une conclusion défavorable au défendeur.

 

[8]               Le défendeur a soulevé deux questions. D’abord, il dit que le demandeur n’a pas montré que la décision de la SAI était manifestement déraisonnable. Il dit ensuite que le demandeur n’a pas montré que la SAI a manqué à la justice naturelle.

 

[9]               Le premier point à décider concerne la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer, après analyse pragmatique et fonctionnelle. Quatre facteurs doivent être pris en compte : la présence ou l’absence d’une clause privative, la spécialisation du tribunal, l’objet du texte législatif et la nature de la question.

 

[10]           Il n’y a pas de clause privative dans la Loi. Aucun droit d’appel de plein droit n’est prévu, mais une procédure de contrôle judiciaire peut être engagée si l’autorisation est accordée. Le premier facteur est donc neutre.

 

[11]           La SAI est un tribunal spécialisé dont le mandat, selon la Loi, est de trancher des questions de fait et de droit. Le caractère spécialisé de la SAI milite en faveur d’une retenue à l’endroit de ses décisions.

 

[12]           La Loi a pour objet général d’encadrer l’admission des immigrants au Canada et de garantir la sécurité des Canadiens. Cet objet requiert la prise en compte de nombreux intérêts qui peuvent être des intérêts rivaux. Les décisions rendues dans un contexte polycentrique appellent en général une certaine retenue de la part de la Cour.

 

[13]           Le dernier facteur concerne la nature de la question. Ici, la SAI a conduit une audience de novo se rapportant à la délivrance d’un visa de résidente permanente à l’épouse du demandeur. L’authenticité du mariage du demandeur était en cause, eu égard à la Loi et au Règlement. L’article 12 de la Loi et l’article 4 du Règlement sont applicables ici et, dans la mesure où la SAI doit évaluer l’authenticité d’un mariage au regard des dispositions légales, elle a affaire à une question mixte de droit et de fait. Cependant, la question soulevée en l’espèce est largement tributaire des faits.

 

[14]           Après mise en balance des quatre facteurs que fait intervenir une analyse pragmatique et fonctionnelle, je suis d’avis que la norme de contrôle qu’il faut appliquer en l’espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[15]           Les erreurs de droit et les manquements à l’équité procédurale ne font pas l’objet d’une analyse pragmatique et fonctionnelle et sont examinés selon la norme de la décision correcte.

 

[16]           Dans ses arguments, le demandeur allègue des conclusions déraisonnables sur la vraisemblance des témoignages, ainsi qu’une erreur de droit et un prétendu manquement à l’équité procédurale, la SAI ayant eu recours aux notes du STIDI.

 

[17]           Les conclusions de la SAI touchant la vraisemblance des témoignages produits sont par nature des conclusions de fait. Elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Cette norme requiert l’examen des preuves produites, notamment des preuves portant sur ce qui suit : la présentation du demandeur à son épouse, leur première rencontre, la date de leur mariage, l’historique de leurs communications par téléphone et par courrier, enfin les voyages faits par le demandeur au Vietnam après le mariage.

 

[18]           Selon la SAI, le demandeur n’avait pas prouvé que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition, par son épouse, d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi. Je suis d’avis que cette conclusion n’est pas manifestement déraisonnable et qu’elle montre que la SAI a bien compris et bien appliqué le critère permettant de dire si un mariage est ou non authentique. Je me réfère à la décision Horbas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 359, où la Cour écrivait ce qui suit, à la page 365 :

Il faut d’abord souligner qu’il s’agit d’un critère à deux volets. Ainsi, aux termes du paragraphe 4(3), le conjoint n’est exclu que s’il s’est marié principalement dans le but d’obtenir l’admissibilité au Canada et non avec l’intention de vivre en permanence avec son conjoint.

 

[19]           Le critère à deux volets a été reformulé ainsi dans une décision récente de la Cour, Donkor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 1375 :

1.      l’authenticité de la relation doit être examinée au temps présent, de telle sorte qu’une relation qui a pu ne pas être « authentique » au début a pu le devenir depuis; et

2.      il faut se demander si la relation a été conclue principalement dans le dessein d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

 

[20]           Selon la décision Khera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 886, le premier volet du critère requiert l’analyse des facteurs suivants : la durée de la relation des époux avant le mariage, leurs âges respectifs et leur différence d’âge, leur ancien état matrimonial ou civil, leurs situations financières respectives et leurs antécédents professionnels respectifs, leurs antécédents familiaux, leur connaissance respective du vécu de l’autre, leur langue, leurs intérêts respectifs, leurs liens familiaux au Canada et les efforts faits auparavant par le conjoint parrainé pour entrer au Canada.

 

[21]           Eu égard à la preuve produite durant l’audition de l’appel du demandeur, la SAI pouvait raisonnablement dire que l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi était la raison principale du mariage du demandeur et de son épouse. Aucune preuve indépendante n’a été produite à propos des normes culturelles qui sont observées au Vietnam pour la conclusion de mariages arrangés. La production d’une telle preuve aurait pu influer sur la décision de la SAI, mais l’absence de cette preuve ne saurait être imputée à la SAI.

 

[22]           Je passe maintenant à l’argument du demandeur selon lequel la SAI a commis une erreur de droit en ne disant pas que la charge de la preuve incombait au défendeur après que le demandeur eut produit une preuve à l’appui de l’authenticité du mariage.

 

[23]           Je rejette cet argument. La Loi dit clairement que c’est à celui qui demande un visa qu’il appartient d’apporter une preuve suffisante pour montrer que la délivrance du visa n’est pas contraire à la Loi ou au Règlement. Je me réfère au paragraphe 11(1) de la Loi, ainsi rédigé :

11.(1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11.(1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

[24]           Ici, le demandeur avait la charge de montrer que son épouse faisait partie de la catégorie du regroupement familial au sens de l’article 117 du Règlement. Il devait montrer que le mariage était authentique pour l’application de la Loi et du Règlement. Il n’y a pas eu transfert du fardeau de la preuve au défendeur. Par conséquent, la SAI n’a pas commis d’erreur de droit à cet égard.

 

[25]           Finalement, il reste à trancher la question du prétendu manquement à l’équité procédurale. La SAI a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en se fondant sur les notes du STIDI en l’absence d’un affidavit de l’agente des visas?

 

[26]           Je suis d’avis qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale comme le prétend le demandeur. Les notes du STIDI ne représentaient qu’une partie de la preuve soumise à la SAI. Il est clair que la SAI a tenu compte des témoignages du demandeur et de son épouse, ainsi que des autres preuves qui lui furent soumises, lorsqu’elle a rendu sa décision. Aucune intervention de la Cour n’est justifiée en l’espèce, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 


ORDONNANCE

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5344-06

 

 

INTITULÉ :                                                   PHI ANNE THACH

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 NOVEMBRE 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE HENEGHAN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 1er FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Todd                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ormston, Bellissimo, Rotenberg                        POUR LE DEMANDEUR

Avocats                                                                                   

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.