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Date : 20080130

Dossier : IMM-2567-07

Référence : 2008 CF 93

ENTRE :

HETTIARACHCHIGE TISSERA

NAHARANPITAGE S TISSERA

HASAGANI CHATHURANGI TISSERA

HIROMI CHALANAYANI TISSERA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de « réfugiés au sens de la Convention » ni celle de « personnes à protéger » au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Les demandeurs sont un mari, son épouse et leurs deux filles, originaires du Sri Lanka. Leur demande est fondée sur la crainte qu’aurait Hettiarachchige Tissera (le demandeur principal) d’être persécuté du fait de ses opinions politiques.

 

* * * * * * * *

 

[3]               Après avoir résumé les faits et établi que l’identité des demandeurs n’était pas en litige, la Commission a procédé à l’analyse de la demande du demandeur principal. « Même si le tribunal reconnaît que le demandeur d’asile principal est une personnalité connue au Sri Lanka, le demandeur d’asile ayant présenté de nombreux documents à cet effet […], le tribunal conclut que les allégations selon lesquelles le demandeur a été enlevé et battu ne sont pas crédibles. »

 

[4]               Notamment, la Commission a relevé des contradictions entre l’entrevue du demandeur principal et celle de son épouse avec une agente d’immigration, et entre l’entrevue du demandeur principal et son récit dans son Formulaire de renseignements personnels. Le demandeur principal a tenté d’expliquer ces contradictions en affirmant qu’il n’avait pas révélé les détails des incidents qui auraient eu lieu à son épouse, et qu’il avait eu de la difficulté à comprendre l’interprète lors de son entrevue. La Commission a jugé que ces explications étaient insatisfaisantes. La Commission a jugé peu vraisemblable que le demandeur principal n’ait pas avisé son épouse du danger pour l’empêcher de revenir au Sri Lanka lorsqu’elle se trouvait aux États-Unis, ou pour lui expliquer pourquoi ils devaient quitter le Sri Lanka si rapidement, ou tout au moins pour la préparer en vue de leur demande d’asile au Canada. De plus, la Commission a souligné que le demandeur principal avait beaucoup voyagé, qu’il était capable de parler anglais et qu’il avait affirmé avoir été en mesure de comprendre l’interprète.

 

[5]               En outre, la Commission a souligné que les demandeurs avaient obtenu des visas canadiens en mars 2005, et qu’elle croyait, compte tenu de l’explication donnée par le demandeur principal selon laquelle il avait voulu être prêt à fuir le pays, que « les demandeurs d’asile avaient l’intention de quitter leur pays bien avant juillet 2005, moment où auraient eu lieu les incidents qui seraient, selon les dires du demandeur d’asile principal, le motif de leur départ ».

 

[6]               La Commission a reconnu que le demandeur principal avait effectivement ouvertement critiqué les activités du gouvernement et que la preuve documentaire établissait que le gouvernement ne tolérait pas la critique :

[…] il est possible qu’il n’ait pas du tout apprécié qu’un homme d’affaires connu se mette à critiquer sa mauvaise gestion des biens envoyés par d’autres pays et comprenne les répercussions que cela pourrait avoir sur sa réputation dans les pays donateurs. Il est possible que le gouvernement et les organisations auxquelles le demandeur d’asile appartenait et au nom desquelles il parlait (ses remarques ayant des répercussions sur eux) aient pu le voir comme un gêneur et lui aient rendu la vie difficile.

 

     Cependant, le tribunal ne croit pas qu’il s’agit de persécution, selon la définition figurant dans la Convention.

 

 

 

[7]               Enfin, la Commission a examiné deux rapports médicaux déposés par les demandeurs, mais a jugé qu’ils « ne p[ouvaient] être considérés comme des évaluations psychologiques de bonne


foi », puisqu’ils n’avaient pas été préparés par un psychologue, et que le médecin de famille des demandeurs avait seulement dirigé le demandeur principal vers un travailleur social.

 

* * * * * * * *

 

1)      La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion relative à la crédibilité?

 

[8]               Les demandeurs allèguent que la Commission a omis de reconnaître que les déclarations sous serment sont présumées vraies lorsqu’elle a rejeté les allégations d’enlèvement et d’agression du demandeur principal, et qu’elle a donc rejeté ses explications de manière déraisonnable. Toutefois, selon le défendeur, la conclusion de la Commission était parfaitement justifiée.

 

[9]               Les conclusions relatives à la crédibilité relèvent entièrement de la compétence de la Commission et la Cour ne devrait pas les modifier en l’absence d’une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont la Commission disposait (voir, par exemple, les décisions R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] A.C.F. no 162 (1re inst.) (QL); et Azad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 136 (1re inst.) (QL)). Une déclaration sous serment est présumée vraie, mais uniquement en l’absence de preuve contraire, notamment des omissions, des contradictions et des invraisemblances (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.); Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315; Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL); Kairouz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 158, [2004] A.C.F. no 206 (1re inst.) (QL)). Bien qu’elle doivent tenir compte des explications fournies par le demandeur quant à ces omissions, contradictions ou invraisemblances, il revient à la Commission de juger si ces explications sont convaincantes (Hosseini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 402, [2002] A.C.F. no 509 (1re inst.) (QL); Kasdali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 204, [2002] A.C.F. no 269 (1re inst.) (QL); Muthuthevar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 207 (1re inst.) (QL)). Cependant, en ce faisant, la Commission doit être prudente et reconnaître que les demandeurs proviennent de cultures diverses (R.K.L., précité; Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. no 1131 (1re inst.) (QL)).

 

[10]           En l’espèce, la Commission a souligné des contradictions entre la demande du demandeur principal et celle de son épouse, ainsi que le fait que les demandeurs avaient obtenu des visas canadiens bien avant les incidents qui les auraient fait fuir leur pays. La Commission n’a pas accepté les explications des demandeurs sur ces points. Les demandeurs soutiennent que la Commission doit être prudente lorsqu’elle évalue la vraisemblance des demandes présentées par des demandeurs de diverses cultures, mais ils n’indiquent pas comment la Commission a omis d’en tenir compte. Je ne crois pas que la conclusion relative à la crédibilité tirée par la Commission était manifestement déraisonnable. Les demandeurs demandent essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve examinée par la Commission, ce qui ne constitue pas le rôle de la Cour dans une demande de contrôle judiciaire.

 

[11]           Les demandeurs allèguent également que la Commission a commis une erreur dans le traitement des rapports médicaux présentés par le demandeur principal, puisqu’il ne lui était pas loisible, selon eux, de rejeter le diagnostic d’un médecin étant donné qu’elle n’est pas un expert médical. Le défendeur soutient qu’il était loisible à la Commission de traiter les rapports médicaux comme elle l’a fait.

 

[12]           Les demandeurs se fondent sur la décision Zapata et al. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration et al.) (1994), 82 F.T.R. 34, [1994] A.C.F. no 1303 (1re inst.) (QL), dans laquelle la Cour a jugé que la Commission avait traité un rapport médical de façon « cavalière », puisqu’elle n’avait pas reconnu que le diagnostic était non seulement fondé sur les faits exposés par le demandeur, mais aussi sur les observations psychologiques du médecin. À mon avis, la présente affaire se distingue de cette affaire. En l’espèce, les deux rapports médicaux, l’un d’un médecin de famille et l’autre d’un travailleur social, reposent essentiellement sur les faits exposés par le demandeur principal. La Commission a le droit de décider quel poids accorder aux rapports, et sa décision n’était pas manifestement déraisonnable lorsqu’elle a conclu que les rapports « bien qu’instructifs, ne peuvent être considérés comme des évaluations psychologiques de bonne foi ».

 

2)   La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal ne risquait pas d’être persécuté?

 

[13]           Malgré la conclusion défavorable relative à la crédibilité tirée par la Commission à l’égard de l’allégation du demandeur principal selon laquelle il avait été battu et menacé, la Commission a reconnu que le demandeur principal avait ouvertement critiqué les actions du gouvernement sri‑lankais à deux occasions, et que le gouvernement « ne tol[érait] pas la critique ». Cependant, la Commission a conclu que cela n’équivalait pas à de la persécution.

 

[14]           Les demandeurs soutiennent que cette conclusion est arbitraire et ne tient pas compte de la preuve documentaire pertinente. Le défendeur soutient qu’il incombe aux demandeurs d’établir une corrélation entre la preuve documentaire et les faits particuliers de leur dossier, ce qu’ils n’ont pas fait en l’espèce.

 

[15]           Rien ne justifie que la décision de la Commission soit modifiée, même si ses motifs sont brefs. La preuve documentaire citée par les demandeurs met l’accent sur le traitement des journalistes et des médias d’information par le gouvernement sri-lankais, mais n’établie pas de lien entre les violations des droits de la personne et la situation du demandeur principal. Le demandeur principal aurait critiqué le gouvernement sri-lankais, mais il n’était pas un journaliste. J’ai examiné la preuve documentaire dont disposait la Commission et, bien qu’il soit évident qu’il existe des problèmes graves en matière de droits de la personne au Sri Lanka, aucune preuve n’indique que le Janatha Vimukthy Peramuna (un parti politique au Sri Lanka) ou le gouvernement sri-lankais prend pour cibles les activistes de la société civile ou les personnes critiquant le gouvernement d’une façon qui équivaut à de la persécution.

 

[16]           L’indice le plus clair que la société civile pourrait être prise pour cible figure dans une lettre du Human Rights Watch au pape Benoît XVI (page 270 du dossier du tribunal), dans laquelle on affirme :

[traduction] Le gouvernement a dangereusement augmenté sa critique de la société civile, particulièrement dans les médias. En février 2007, le ministre de l’Environnement et des Ressources naturelles, Champika Ranawaka, du Jathika Hela Urumaya (le JHU), parti des moines bouddhistes du gouvernement de coalition, a préconisé des méthodes extrajudiciaires pour intervenir à l’égard des groupes de défense des droits de la personne, des journalistes et des autres personnes qui critiquent les objectifs militaristes de l’État […]

 

Human Rights Watch craint que ces agressions verbales mènent à des agressions physiques […]

 

 

[17]           Cependant, des éléments de preuve documentaire plus récents indiquent que [traduction] « les personnes peuvent en général critiquer le gouvernement sans craindre des représailles » (Département d’États des États-Unis, « Sri Lanka », Country Reports on Human Rights Practices for 2006 (le 6 mars 2007), sous la rubrique « Freedom of Speech and Press »). À mon avis, les demandeurs n’ont pas établi que la Commission avait tiré une conclusion déraisonnable, et encore moins manifestement déraisonnable, quant à la question de persécution.

 

[18]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 30 janvier 2008

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2567-07

 

INTITULÉ :                                                   HETTIARACHCHIGE TISSERA,

NAHARANPITAGE S TISSERA, HASAGANI

CHATHURANGI TISSERA, HIROMI CHALANAYANI TISSERA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 30 JANVIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Viken Artinian                                                  POUR LES DEMANDEURS

 

Andréa Shahin                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Viken Artinian                                      POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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