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Date : 20080130

Dossier : IMM-1853-07

Référence : 2008 CF 92

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

HASSAN GHARANEJAD-DASHKESEN

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI), qui a fait droit à l’appel interjeté par le défendeur contre la décision d’un agent des visas selon laquelle le défendeur n’avait pas respecté les obligations de résidence imposées aux résidents permanents du Canada.

 

[2]               Le défendeur n’a pas déposé de dossier. Il n’a pas non plus comparu devant moi ni n’était représenté à l’audience qui s’est déroulée devant moi.

* * * * * * * *

 

[3]               Le défendeur est un Iranien qui est arrivé au Canada la première fois avec son épouse, en 1990, à la faveur d’un visa temporaire. En 1992 ou 1993, le défendeur et son épouse ont eu un fils (le dossier du tribunal est extrêmement obscur en ce qui concerne les dates, ce qui semble s’expliquer en partie par la différence entre le calendrier canadien et le calendrier iranien). Quelque temps après la naissance de son fils, le défendeur est retourné en Iran. En 1996, il a été parrainé par son épouse, puis est revenu au Canada en tant que résident permanent. Cependant, le couple s’est séparé peu après. Le défendeur est retourné en Iran, se rendant au Canada plusieurs fois jusqu’en novembre 2005; un agent des visas a alors refusé de lui accorder des titres de voyage pour retourner au Canada, car il n’avait pas passé la période requise au Canada.

 

[4]               Le défendeur a fait appel de la décision de l’agent des visas devant la SAI, mais, au lieu de contester le fond de la décision, il a plutôt invoqué des motifs d’ordre humanitaire. Il a expliqué que, s’il avait passé autant de temps en Iran, c’était pour s’assurer qu’il aurait droit à sa pension. Maintenant qu’il recevait sa pension, le défendeur voulait revenir au Canada pour passer davantage de temps auprès de son fils. Il a aussi expliqué que, lorsqu’il avait séjourné au Canada, son ex‑épouse l’avait autorisé à voir son fils une fois par semaine, mais que, depuis son départ du Canada, il n’avait pas parlé à son fils, car cela serait trop difficile pour son fils, ou pour son ex‑épouse.

 

* * * * * * * *

 

[5]               La SAI, résumant les circonstances du cas du défendeur, a relevé que les facteurs qui devaient être pris en compte dans une décision de ce genre portant sur des motifs d’ordre humanitaire étaient la période qu’il avait passée au Canada, les raisons qu’il avait eues de quitter le Canada, sa situation durant son absence du Canada, enfin les difficultés que lui-même et les membres de sa famille au Canada éprouveraient si l’admission au Canada lui était refusée. La SAI a aussi relevé que la liste de ces facteurs n’est pas exhaustive et que le poids qu’il convient d’accorder à chacun d’eux peut varier.

 

[6]               Selon la SAI, « à part son fils, les liens de l’appelant au Canada sont ténus. Il n’a aucun autre parent et ne possède aucune propriété ». Cependant, la SAI a estimé « qu’il existe des circonstances uniques et spéciales dans ce dossier, qui satisfont aux critères justifiant la prise d’une mesure spéciale », en particulier les difficultés que connaîtraient le défendeur et les membres de sa famille au Canada si son admission au Canada était refusée.

[14]     Dans le présent appel, le tribunal est d’avis que, en tenant compte de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché, il existe suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier que soit prise une mesure spéciale, vu toutes les autres circonstances de l’affaire. Ces motifs peuvent être résumés comme suit :

 

1. l’âge de l’appelant et le fait qu’il soit pensionné, ce qui limitera sa capacité de rendre régulièrement visite à son fils au Canada;

 

2. le fait que l’appelant ne peut pas communiquer avec son fils par téléphone, étant donné le stress que cela cause à ce dernier;

 

3. la capacité de l’appelant de voir son fils une fois par semaine, au moins pour l’instant, même si cela se limite à inviter son fils au restaurant, ce qui a été le cas jusqu’ici, ne peut qu’améliorer la qualité de vie de l’enfant.

 

 

 

[7]               La SAI a donc jugé que le défendeur n’avait pas perdu son statut de résident permanent.

 

[8]               Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sont applicables :

  63. (4) Le résident permanent peut interjeter appel de la décision rendue hors du Canada sur l’obligation de résidence.

 

 

  67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

  63. (4) A permanent resident may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision made outside of Canada on the residency obligation under section 28.

 

  67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

 

* * * * * * *

 

 

[9]               La Cour d’appel fédérale a examiné, dans l’arrêt Khosa c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 24, [2007] A.C.F. n° 139 (QL), la norme de contrôle applicable aux décisions de la SAI portant sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle a jugé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. S’agissant de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire, la spécialisation de la SAI est supérieure à celle de la Cour, mais la décision n’est pas protégée par une clause privative rigoureuse, elle n’est pas polycentrique et elle « concerne des facteurs humains ». L’espèce Khosa se rapportait à la « possibilité de réadaptation », mais je ne vois aucune raison de m’écarter de cette norme dans la présente affaire.

 

[10]           L’alinéa 67(1)c) de la Loi donne à la SAI le pouvoir discrétionnaire de faire droit à un appel lorsqu’il existe des motifs d’ordre humanitaire. C’est au demandeur qu’il appartient de prouver que des motifs d’ordre humanitaire sont présents qui justifient une décision favorable (arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84).

 

[11]           Le demandeur fait valoir que, même si la SAI a bien circonscrit les facteurs qu’elle devait prendre en compte, elle a négligé d’évaluer les facteurs pertinents, par exemple le temps que le défendeur avait passé au Canada ou l’absence de travail pour le défendeur au Canada. Sur ce point, je partage les conclusions du demandeur qui se trouvent aux paragraphes 31 à 38 inclusivement de son exposé des arguments :

[traduction]

31.     Cependant, la SAI n’a pas pris en considération ni apprécié la totalité des facteurs qu’elle a énumérés. Elle n’a fait aucune mise en balance digne de ce nom.

 

32.     Par exemple, les facteurs qui concernent le temps passé au Canada par le défendeur, son niveau d’établissement au Canada et ses liens avec le Canada sont des facteurs importants, surtout en ce qui concerne une personne qui n’a pas rempli ses obligations de résidence, comme c’est le cas du défendeur.

 

33.     L’analyse des facteurs en question faite par la SAI est laconique et insuffisante.

 

34.     La SAI a admis que, mis à part son fils, les liens du défendeur avec le Canada sont ténus, ajoutant qu’il n’a pas d’autres proches, ni de biens, au Canada.

 

35.     Puis la SAI écrivait que, « en dépit de tout cela », elle jugeait qu’il existait des circonstances uniques et spéciales dans ce dossier, en particulier les difficultés pour les membres de la famille au Canada (le fils) et les difficultés pour le défendeur.

 

36.     L’analyse faite par la SAI est viciée et les mots « en dépit de tout cela » n’atteignent pas le niveau d’un raisonnement solide et approfondi. La SAI n’a pas convenablement apprécié ou mis en balance l’ensemble des facteurs pertinents, tant ceux qui avantageaient le défendeur que ceux qui le desservaient. La SAI a laissé de côté, sans donner de motifs suffisants, les facteurs qui desservaient le défendeur, pour ne considérer que les facteurs qui l’avantageaient.

 

37.     Sur ce point, le demandeur ajoute que la SAI ne s’est pas prononcée sur le temps que le défendeur avait effectivement passé au Canada. Ce facteur intéresse directement les moments que le défendeur aurait passés auprès de son fils au Canada. Selon les notes consignées dans le STIDI (dossier du demandeur, pages 44 et suivantes  – pièce A de l’affidavit de V. Grillas), qui parlent d’une entrevue tenue avec le défendeur et d’un examen de son passeport (par exemple timbres de sortie et d’entrée), le défendeur a passé le plus clair de son temps en Iran.

 

38.     Par ailleurs, la SAI ne dit rien non plus de la preuve montrant que le défendeur n’a jamais travaillé alors qu’il se trouvait au Canada [affidavit de Vicky Grillas, paragraphe 9], et elle n’a pas tenu compte de cet élément, qui intéresse le niveau d’établissement.

 

 

 

[12]           Le demandeur soutient aussi que rien ne permettait à la SAI de tirer les conclusions qu’elle a tirées concernant les possibilités restreintes qu’avait le défendeur de visiter son fils ou de communiquer avec lui par téléphone, et concernant l’intérêt du fils du défendeur. Sur ce point, je souscris là aussi aux conclusions du demandeur contenues dans les paragraphes 43 à 54 inclusivement de son exposé des arguments :

[traduction]

43.     S’agissant de la nature de la relation entre le défendeur et son fils, de la situation personnelle du fils ou de la qualité de vie de l’enfant, le défendeur n’a produit aucun document quel qu’il soit, ni aucun témoin, au cours de l’audience [affidavit de Vicky Grillas, paragraphe 6]. La seule preuve produite était le propre témoignage du défendeur.

 

44.     La SAI ne disposait d’aucune preuve portant sur la réelle qualité de vie du garçon et sur ce qui pouvait l’améliorer. Elle a fait des suppositions. Elle a simplement présumé que le fait de voir son père une fois par semaine ne pouvait qu’être bénéfique pour le fils. Cependant, toute conclusion doit être tirée au regard de l’ensemble des circonstances de l’affaire considérée et doit reposer sur une preuve.

 

45.     Il est bien établi en droit qu’un tribunal administratif doit fonder sa décision sur des conclusions raisonnables tirées de la preuve qu’il lui a été présentée. Le juge des faits ne peut arriver à des conclusions théoriques et conjecturales [arrêt Satiacum c. M.E.I. (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.), paragraphes 34 et 35, citant l’arrêt R. c. Fuller (1971), 1 N.R. 112].

 

46.     La SAI a tiré la conclusion susmentionnée tout en passant sous silence les autres éléments intéressant cet aspect, notamment les éléments suivants :

-         le défendeur a passé beaucoup de temps en Iran, loin de son fils, au cours des années passées. Pendant qu’il est en Iran, le défendeur n’a aucune communication par téléphone avec son fils; il est en Iran depuis l’automne 2005;

-         le défendeur n’a pas parlé à la mère de son fils depuis qu’il a quitté le Canada à l’automne 2005;

-         le défendeur n’a pas apporté la preuve qu’il avait communiqué par écrit avec son fils ou avec la mère de son fils (par exemple en leur envoyant des lettres, des cartes, des courriels ou des photos) durant son séjour en Iran.

 

47.     Ainsi, à la date de l’audience tenue par la SAI, quelle est la relation du défendeur avec son fils, et quelle est la situation personnelle du fils? Qu’est-ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant dans la présente affaire? Cette question intéresse le cœur même du raisonnement de la SAI, or l’analyse faite par la SAI est incomplète; la SAI s’est abstenue d’évaluer le contexte tout entier de l’affaire qu’elle avait devant elle et de signaler les lacunes de la preuve produite par le défendeur.

 

48.     Par ailleurs, la SAI a également fondé sa conclusion sur l’affirmation du défendeur selon laquelle, quand il se trouve en Iran, il lui est impossible de communiquer avec son fils par téléphone en raison de la tension que cela cause à son fils.

 

49.     Là encore, le défendeur n’a apporté aucune preuve de ce qu’est la situation personnelle de son fils, au soutien d’une telle affirmation. Le fils, aujourd’hui âgé de 14 ans, est atteint du syndrome de Down, mais le demandeur dit que cela ne suffit pas à expliquer la prétendue tension qu’entraîne pour lui le fait de communiquer par téléphone avec son père.

 

50.     En fait, la SAI disposait d’autres preuves qu’elle s’est abstenue de prendre en considération pour évaluer comme il le fallait l’affirmation du défendeur portant sur ses communications avec son fils.

 

51.     Au cours de l’audience devant la SAI, le défendeur a d’ailleurs dit que son fils est en mesure de parler et qu’il communique avec son père en anglais, qu’il fréquente une école ordinaire et qu’il assiste aux cours ordinaires [affidavit de Vicky Grillas, paragraphe 10.] Ce sont là des aspects du quotidien vécu par le fils du défendeur, et pourtant la SAI n’en dit absolument rien, alors même qu’ils éclairent différemment la situation.

 

52.     Le demandeur affirme donc que la conclusion de la SAI est fondée sur une évaluation sélective des éléments qui sont favorables au défendeur, la SAI laissant de côté, sans raison valable, les autres éléments pertinents. C’est là un aspect capital, et la SAI a commis une erreur en s’abstenant de prendre en compte toutes les preuves produites et d’expliquer, dans son analyse, pourquoi elle a privilégié celles qu’elle a retenues, au détriment d’autres preuves pertinentes qui jetaient une lumière différente sur un aspect important de la vie de l’enfant [Gutierrez c. Canada (M.C.I.) (1998), 157 F.T.R. 35.]

 

53.     En outre, la conclusion de la SAI selon laquelle l’âge du défendeur et son statut de pensionné limiteront sa capacité de visiter son fils régulièrement au Canada est fondée sur des conjectures ou des hypothèses, plutôt que sur la preuve produite durant l’audience.

 

54.     D’abord, le défendeur n’a produit à l’audience aucun document attestant des circonstances spéciales liées à sa capacité de se rendre au Canada. Deuxièmement, les motifs de la SAI ne mentionnent nulle part que le défendeur a le moindrement fait part de ses inquiétudes à ce sujet. Le défendeur approche de 70 ans, mais cela ne permettait pas à la SAI de dire que sa capacité de voyager sera restreinte. Il en va de même pour son statut de pensionné en Iran. La conclusion de la SAI est injustifiée et déraisonnable au vu de la preuve qui lui avait été présentée.

 

 

 

[13]           Je suis donc d’avis que la SAI a commis plusieurs erreurs importantes de fait et de droit quand elle a conclu que le défendeur avait allégué, au vu de l’ensemble des circonstances, des motifs d’ordre humanitaire suffisants liés à l’intérêt supérieur de l’enfant et aux difficultés que connaîtra le défendeur s’il ne peut se rendre au Canada pour voir son fils.

 

* * * * * * * *

 

[14]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accordée, la décision de la SAI datée du 13 avril 2007 est annulée, et l’affaire est renvoyée pour réexamen à une autre formation de la Section d’appel de l’immigration.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 30 janvier 2008

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1853-07

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

c.

HASSAN GHARANEJAD-DASHKESEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 30 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christine Bernard                                              POUR LE DEMANDEUR

 

Aucune comparution                                         LE DÉFENDEUR, EN SON PROPRE NOM

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

Hassan Gharanejad-Dashkesen             LE DÉFENDEUR, EN SON PROPRE NOM

Rue Hezar Jerib, Koy Imman

Jaafar

Bustan Saadi n° 96

Esfahan 81746-58681

Iran

 

 

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