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Date : 20080122

Dossier : IMM-4682-07

Référence : 2008 CF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 22 janvier 2008

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

AHMED ABDUL MUHAMMAD LAKHANI

KARIMA AHMED LAKHANI

AMIN AHMED LAKHANI

KAWISH AHMED LAKHANI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

APERÇU

  • [1] Une requête en vue d’obtenir le sursis de l’exécution de la mesure de renvoi des demandeurs a été présentée le 21 janvier 2008 :

a)  La demande initiale d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs, présentée en février 2006, a été débattue du point de vue de leur établissement au Canada et rejetée en avril 2006, faute d’allégations de risque, car aucune n’a été présentée, en raison de leur situation particulière, comme cela est indiqué ci-dessous;

b)   Les demandeurs ont devant la Cour une demande d’autorisation relative au refus de leur demande actuelle d’ERAR;

c)  Les demandeurs sont des chiites ismaéliens, une minorité au sein d’un groupe minoritaire au Pakistan. Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve pour prouver qu’ils sont de foi ismaélienne : des lettres d’identification du Conseil Shia Imami Ismaili de Son Altesse le Prince Aga Khan pour tous les membres de la famille, avec des photos des demandeurs principaux, respectivement le demandeur et la demanderesse, sur des certificats distincts, en plus d’une copie certifiée conforme du certificat de mérite décerné à Mme Lakhani par l’Association Shia Imami Ismaili de Son Altesse le Prince Aga Khan relativement à un programme pédagogique et, également, une copie certifiée conforme d’un certificat du Conseil de l’Aga Khan décerné à Mme Lakhani par l’Institute of Computer Studies;

d)  L’agente d’ERAR les a jugés crédibles quant à leur dénomination religieuse : « Je suis satisfaite des demandeurs de cette communauté religieuse »;

e)  Les Ismaéliens sont qualifiés d’« infidèles »; en effet ils ne suivent pas les mêmes coutumes que les sunnites ou les autres chiites, qui ne sont pas des Ismaéliens : ainsi, les hommes et les femmes prient ensemble à la mosquée (dossier de requête, page 133);

f)  [traduction] «... le 25 novembre, des inconnus ont incendié un lieu de culte ismaélien dans le district de Chitral. Le HRCP a rapporté qu’aucune arrestation n’avait été effectuée. » (Pakistan – Country Reports on Human Rights Practices [Rapports nationaux sur les pratiques en matière de droits de la personne] – 2006, publié par le Bureau de la démocratie, des droits de la personne et du travail le 6 mars 2007; dossier de requête, page 177);

g)  Les demandeurs ont personnellement été exposés à des risques dans des événements faisant état de violations qui ont été considérées comme crédibles par l’agente d’ERAR.

 

RÉSUMÉ DES FAITS

  • [2] Les demandeurs s’appellent Ahmed Abdul Muhammad Lakhani, Karima Ahmed Lakhani, Amin Ahmed Lakhani et Kawish Ahmed Lakhani.

 

  • [3] En août 2001, M. et Mme Lakhani ont, avec leurs deux fils, Kawish et Amin, obtenu le droit d’établissement au Canada à titre d’entrepreneurs dans la catégorie des gens d’affaires immigrants.

 

  • [4] Ils sont au Canada depuis ce temps; ils ne sont pas retournés au Pakistan, leur pays de citoyenneté, et n’ont pas voyagé ailleurs.

 

  • [5] M. Lakhani est âgé de 43 ans; Mme Lakhani a 36 ans et leurs fils mineurs sont respectivement âgés de 15 et de 12 ans.

 

  • [6] Comme les demandeurs n’avaient pas rempli les conditions relatives au droit d’établissement des entrepreneurs dans le délai de deux ans prescrit par l’ancien Règlement sur l’immigration (le Règlement actuel accorde un délai de trois ans pour satisfaire aux conditions prévues), des mesures d’interdiction de séjour ont été prises contre eux par la Section de l’immigration le 3 février 2004.

 

  • [7] Les demandeurs ont interjeté appel à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), et une audience a été tenue le 20 juin 2005.

 

 

  • [8] La SAI a examiné l’investissement de 100 000 $ que le demandeur avait fait dans la Bensus International, une compagnie dont M. Lakhani avait d’abord été un employé peu de temps après son arrivée au Canada. La SAI a estimé qu’il n’avait pas [traduction] « contribué de manière significative à la vie économique canadienne ». La SAI a par ailleurs considéré que ni l’emploi de Mme Lakhani comme enseignante adjointe ni l’intérêt supérieur des enfants ne justifiaient de prendre une mesure spéciale, et a rejeté leur appel le 22 septembre 2005.

 

  • [9] La demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI a été rejetée le 13 janvier 2006 et en avril 2006, les demandeurs ont déposé une demande de résidence permanente depuis le Canada en invoquant des raisons d’ordre humanitaire (pièce B).

 

  • [10] De plus, le 26 avril 2006, leur demande initiale d’ERAR a été rejetée.

 

  • [11] Un an plus tard, le 25 avril 2007, M. et Mme Lakhani se sont présentés à une entrevue relativement à leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Cette demande a été refusée quelques jours plus tard, le 30 avril 2007.

 

  • [12] Étant donné que la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire avait été préparée par M. Moosa, un consultant, ce dernier n’a pas représenté les demandeurs lors de la soumission d’une demande d’autorisation.

 

  • [13] Une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire du refus de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a été déposée le 21 septembre 2007.

 

  • [14] Le dossier des demandeurs a été déposé le 19 octobre 2007.

 

  • [15] Le 31 octobre 2007, les demandeurs ont déposé et signifié une requête en sursis à l’exécution de leur renvoi au Pakistan dans le dossier IMM-3872-07 (la demande de contrôle judiciaire du refus de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire). L’autorisation a été refusée par la Cour le 10 janvier 2008.

 

  • [16] Le 2 novembre 2007, une autre décision défavorable relative à l’ERAR a été communiquée en personne au demandeur principal, avec les motifs de la décision du 30 octobre 2007.

 

  • [17] Au même moment, l’agente a reporté au 25 janvier 2008 l’exécution de la mesure d’interdiction de séjour prise contre les demandeurs.

 

  • [18] Le 12 novembre 2007, les demandeurs ont déposé une demande visant à obtenir l’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire du refus de la demande d’ERAR du 30 octobre 2007, et le dossier des demandeurs a été déposé le 12 décembre 2007.

 

L’agente a-t-elle commis une erreur en outrepassant sa compétence ou en mettant trop l’accent sur un facteur?

 

  • [19] Dans l’évaluation de l’ERAR, l’agente a trop insisté sur un facteur en lui accordant un poids qui dépassait sa compétence particulière en ce qui concerne le fait que les demandeurs ne remplissaient pas les conditions du programme d’entrepreneur, au lieu de procéder à une évaluation de l’ensemble des éléments de preuve présentés par les demandeurs.

 

  • [20] En effet, dans les motifs de décision (page 20 et suivantes du dossier), l’agente fait plusieurs références à ce facteur : [traduction]

Je constate que le requérant et sa conjointe ont toujours subvenus aux besoins de leur famille par leur travail depuis leur arrivée en 2001. Cependant ils sont venus comme immigrants dans la catégorie des entrepreneurs et ils n’ont pas respecté leurs conditions. La présente demande n’est pas un palier de révision de la perte de résidence...

 

Je constate qu’il a fait cet investissement [100 000 $] quelques jours seulement avant son enquête pour non-respect des conditions...

 

J’accorde par contre un poids significatif dans ma décision au fait que le requérant n’ait pas respecté les conditions du programme des entrepreneurs.

 

(Dossier de requête, décision de l’agente, page 24.)

 

 

  • [21] La LIPR prévoit une procédure spécifique pour établir si les conditions ont été remplies ou non. Cette procédure commence par une demande d’annulation des conditions d’établissement et se termine par un appel à un commissaire d’une SAI en vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR.

 

QUESTION SÉRIEUSE

L’agente a-t-elle commis des erreurs déraisonnables en évaluant si les demandeurs seraient persécutés ou exposés à des risques pour leur vie ou leur sécurité en raison de leur religion s’ils étaient renvoyés au Pakistan?

 

 

  • [22] Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve pour prouver qu’ils sont de foi ismaélienne :

    • des lettres d’identification du Conseil Shia Imami Ismaili de Son Altesse le Prince Aga Khan;

    • une copie certifiée conforme du certificat de mérite décerné à Mme Lakhani par l’Association Shia Imami Ismaili de Son Altesse le Prince Aga Khan;

    • une copie certifiée conforme du certificat de mérite décerné à Mme Lakhani relativement à un programme pédagogique;

    • une copie certifiée conforme d’un certificat du Conseil de l’Aga Khan décerné à Mme Lakhani par l’Institute of Computer Studies.

  • [23] L’agente d’ERAR les a jugés crédibles quant à leur dénomination religieuse : [traduction] « Je suis satisfaite des demandeurs de cette communauté religieuse. » (Dossier de requête, page 32, décision de l’agente, 4e paragraphe.)

 

  • [24] L’agente a accepté leur explication quant à la raison pour laquelle leur consultant (qui n’était pas avocat) n’avait présenté aucune allégation de risque dans leur première demande de protection en 2006 et a examiné tous les éléments de preuve présentés par les demandeurs, indépendamment de la date de soumission de ces éléments de preuve (avant ou après le refus de la première demande d’ERAR) : [traduction]

Conformément à l’article 113(a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) :

 

Le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet.

 

Les demandeurs expliquent qu’ils ont été mal conseillés par leur premier représentant. Ils n’auraient donc pas présenté d’allégations de risque. J’accepte ces explications. Tous les documents présentés par les demandeurs seront donc considérés comme éléments de preuve au titre de l’alinéa 113 a) de la LIPR.

 

(Dossier de requête, décision de l’agente, page 30.)

 

  • [25] Les demandeurs ont indiqué dans leur demande actuelle d’ERAR qu’en raison de leur statut de minorité religieuse, ils seraient victimes de persécution et encourraient des risques pour leur vie et leur sécurité; et, depuis qu’ils ont quitté le Pakistan en août 2001, les conditions du pays (documentation) à leur égard se sont détériorées de manière significative.

 

  • [26] En effet, depuis leur arrivée au Canada, il y a six ans et demi, les demandeurs ne sont pas retournés au Pakistan.

 

  • [27] Ils ont indiqué dans l’ERAR que, même avant de venir au Canada, ils avaient vécu les événements suivants qui les avaient mis en danger, tous ces incidents ayant été jugés crédibles par l’agente d’ERAR : [traduction]

    • Ils étaient qualifiés de « kaafir » par les sunnites. Il s’agit d’un terme désobligeant qui signifie « mécréants » ou « infidèles »; en effet, les Ismaéliens ne suivent pas les mêmes coutumes que les sunnites ou les membres des autres confessions musulmanes; ainsi, les hommes et les femmes prient ensemble à la mosquée (dossier de requête, observations de la demanderesse, page 133);

    • « Ils (les musulmans chiites) m’ont toujours traité comme si je leur étais inférieur parce que je considère l’Aga Khan comme notre chef spirituel; ils disent par exemple que les Ismaéliens commettent […] le péché le plus abominable, et que le Coran s’adresse aux vrais musulmans et non à nous. La situation […] était telle que si je me disputais/nous nous disputions pour défendre notre religion, ils pouvaient déclencher une bagarre. Il fallait donc garder le silence. Je ne veux pas que mes enfants subissent le même sort »; (Dossier de requête, observations du demandeur, page 137);

    • On a tenté d’extorquer de l’argent au demandeur principal à son commerce et on a menacé de kidnapper ses fils (dossier de requête, page 138);

    • La demanderesse a dû courir pour échapper à quelqu’un qui la suivait dans la rue dans un quartier de Karachi où vivent beaucoup d’Ismaéliens en raison de la proximité de leur mosquée. Elle était alors enceinte de huit mois de son premier fils, de sorte qu’il ne lui a plus été possible par la suite de sortir seule dans la rue, où elle se faisait injurier par des personnes appartenant à la majorité sunnite (dossier de requête, page 133).

  • [28] Selon les documents sur la situation au pays, les tribunaux ne pouvaient pas protéger les minorités du pays; la situation dans son ensemble, décrite dans le rapport de 2006 des États‑Unis portant sur les pratiques en matière de droits de la personne au Pakistan et le rapport sur la liberté de religion dans le monde de 2007, a été communiquée à l’agente comme preuve objective.

 

  • [29] En effet, le 23 avril 2007, quatre hommes armés ont fait irruption dans la maison de la mère de M. Lakhani. Elle décrit cet événement dans son affidavit, qui était devant l’agente d’ERAR : [traduction]

3.  Dans la matinée du 23 avril 2007, à environ 4 heures du matin, quatre voleurs/dacoïts équipés d’armes à feu sont illégalement entrés par la fenêtre de ma maison susmentionnée et ils nous ont ligoté les mains, nous ont bâillonnés et séquestrés, moi, ainsi que mon mari, mon fils Abdul Aziz et ma belle-fille, Mst. Saleema, dans une pièce.

 

4.  Par la suite, ils ont proféré des menaces et nous ont avertis que s’ils ne récupéraient pas des choses de valeur et des objets précieux dans ma maison, mon petit-fils et ma petite-fille seraient kidnappés.

 

5.  Après nous avoir bâillonnés et enfermés dans une pièce, ces quatre dacoïts ont ouvert les serrures de toutes nos armoires qui se trouvaient dans diverses pièces et ont emporté des ornements en or, des bagues en diamant, des bijoux, des obligations et 1 200 000 Rs (un million deux cent mille tout juste) en espèces.

 

6.  Après avoir pris possession de tous les articles/biens/objets de valeur et de toutes les économies que j’avais accumulées tout au long de ma vie, ils nous ont menacés avec une arme à feu, au moment de quitter notre maison, qu’en cas de procès-verbal introductif (FIR) ou de plainte déposée contre eux, moi et toute ma famille serions finis.

 

(Dossier de requête, pages 143 et 144).

 

  • [30] L’agente d’ERAR a évalué la preuve de la manière suivante : [traduction]

Je constate que cet affidavit ne fait pas le lien entre cet événement et le fait que la famille appartient à une minorité religieuse. Il s’agit d’un événement isolé. D’ailleurs, la représentante des demandeurs précise « personne n’était encore entré par effraction au domicile du demandeur auparavant ». Cet événement ne démontre pas à ma satisfaction que les demandeurs sont ciblés comme membres d’une minorité religieuse.

 

Les demandeurs ne soumettent aucun document quant aux menaces et à la fermeture de leur mosquée, le fait que trois autres familles Ismaili ont été ciblées et ont été victimes de vol ainsi que la police soit corrompue. Conséquemment, la preuve quant à l’établissement de ces faits ne me satisfait pas.

 

D’autre part, le guide du HCR distingue la discrimination qui résulte en un simple traitement de faveur de celle qui équivaut à une persécution. La persécution, par effet cumulatif ou à elle seule, restreint gravement la jouissance par le demandeur de ses droits fondamentaux : sérieuses restrictions au droit d’exercer un métier ou au droit d’avoir accès aux établissements d’enseignement et/ou de santé normalement ouvert à tous ou des mesures économiques imposées qui détruiraient les moyens d’existence d’un groupe religieux donné.

 

(Dossier de requête, décision de l’agente, page 33.)

 

  • [31] Dans l’arrêt Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, [2007] A.C.F. no 1632 (QL), la Cour d’appel fédérale a confirmé les conclusions du juge Richard Mosley quant à la norme de contrôle applicable aux décisions des agents d’ERAR.

 

  • [32] Le juge Mosley a conclu que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est la décision correcte, que celle applicable aux questions de fait est la décision manifestement déraisonnable et que celle applicable aux questions mixtes de droit et de fait est la décision raisonnable.

 

  • [33] L’analyse de la question de savoir si les événements relatés par les demandeurs correspondent à la définition du terme « persécution » au sens de la définition de réfugié au sens de la Convention comporte des questions mixtes de droit et de fait et, par conséquent, la norme de la décision correcte est celle du caractère raisonnable.

 

  • [34] Le juge J. François Lemieux, dans l’arrêt Ranjha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1re inst. 637, [2003] A.C.F. no 901 (QL), a analysé de façon très détaillée la notion de persécution et si les événements passés suffisent à la qualifier de persécution.

 

  • [35] En l’espèce, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) avait trouvé digne de foi les sévices que M. Ranjha, un demandeur d’asile du Pakistan, avait subis (il avait été battu et brûlé par des criminels de la Ligue musulmane du Pakistan et avait été arrêté par la police pour sa participation à une manifestation contre le gouvernement, la police ayant également utilisé du gaz lacrymogène et des matraques).

 

  • [36] Dans l’affaire dont nous sommes saisis, l’agente d’ERAR a conclu que les demandeurs étaient crédibles en ce qui concerne l’introduction par effraction au domicile familial, le 23 avril 2007, et au sujet des violations qu’ils avaient subies avant leur arrivée au Canada.

 

  • [37] La demande de M. Ranja pour le statut de réfugié a été rejetée parce que, selon le tribunal, « ces prétendus incidents ne se sont pas produits de façon répétée, constante et systémique et que, par conséquent, ils n’équivalent pas cumulativement à des persécutions » et parce que « ces événements se sont produits à la suite de sa participation à des manifestations et à de grands rassemblements où la police a utilisé des matraques et, à une occasion, du gaz lacrymogène pour disperser les participants; il y a eu arrestation à une seule occasion ». (Arrêt Ranjha, précité, paragraphes 7 et 31.)

 

  • [38] Dans l’affaire dont nous sommes saisis, l’agente d’ERAR a également conclu que [traduction] « Il s’agit d’un événement isolé... Cet événement ne démontre pas à ma satisfaction que les demandeurs sont ciblés comme membres d’une minorité religieuse... je ne suis pas satisfaite que la discrimination alléguée atteigne le niveau de gravité qu’on attribue à la persécution ». (Dossier de requête, décision de l’agente, page 33.)

 

  • [39] Le juge Mosley a renvoyé l’affaire pour réexamen et a conclu ce qui suit :

[42]  Selon moi, dans son analyse de la persécution le tribunal a commis l’erreur de ne pas avoir déterminé l’aspect qualitatif des incidents, savoir s’ils constituaient une violation fondamentale de la dignité humaine, comme c’est le cas pour la mutilation corporelle dont il est fait état dans l’arrêt Chan, précité, savoir la torture, les raclées, les sévices physiques violents ou la dispersion de grands rassemblements pacifiques. Il me semble que le tribunal a commis cette erreur en exagérant la nécessité de l’existence d’incidents constants et répétés.

 

[43]  La preuve démontre que le demandeur a été gravement brûlé par les hommes de main de la Ligue musulmane en 1993, arrêté et torturé en 1996, et que la police lui a fracturé un bras en dispersant une manifestation en 1999.

 

[44]  Je n’ai aucune hésitation à déclarer que ces incidents étaient assez sérieux pour constituer une violation profonde de la dignité humaine du demandeur, comme l’ont d’ailleurs déjà reconnu les juges de notre Cour. Il suffit que je cite Kang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1119 et la décision du juge Nadon en Section de première instance, Saad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2000] A.C.F. no 1140, où il a conclu qu’un seul incident de torture constituait de la persécution. (Non en gras dans l’original.)

 

  • [40] Pour des motifs semblables à ceux de l’arrêt Ranjha, l’agente d’ERAR semble avoir insisté de façon exagérée sur la nécessité de l’existence d’incidents constants et répétés lorsqu’elle a déclaré que « Il s’agit d’un événement isolé... Cet événement ne démontre pas à ma satisfaction que les demandeurs sont ciblés comme membres d’une minorité religieuse...  ». L’agente cite même les observations de la soussignée dans la demande d’ERAR selon lesquelles personne n’avait jamais pris d’assaut le domicile des demandeurs auparavant, pour appuyer sa conclusion que l’événement du 23 avril 2007 était un incident isolé, alors que ce fait lui a été présenté pour démontrer la détérioration de la situation des minorités au Pakistan depuis le départ des demandeurs.

  • [41] De plus, l’agente n’a pas déterminé la gravité de cet événement, auquel pourrait fort bien être attribué le même motif que celui mentionné par le juge Mosley dans l’arrêt Ranjha, précité, et elle a trop insisté sur la nécessité de l’existence d’incidents répétés.

 

  • [42] En effet, en examinant la façon dont l’agente analyse cet incident grave dans son analyse de la preuve, à la page 33, au paragraphe 6 du dossier de requête, l’agente s’y réfère comme s’il s’agissait seulement d’un vol :

En ce sens, je ne suis pas satisfaite que la discrimination alléguée (la possibilité d’être volé ainsi que les paroles et les gestes inappropriés d’autres membres de communautés religieuses à leur égard) atteigne le niveau de gravité qu’on attribue à la « persécution ». (Non en gras dans l’original.)

 

  • [43] Ayant accepté la survenue de l’événement lié à la mère principale du demandeur dans son affidavit, il est nécessaire de tenir compte de toutes les circonstances dans leur contexte et pas uniquement du fait que la famille des demandeurs a été privée de ses objets de valeur et de son argent :

    • Il y avait quatre voleurs et ils étaient armés de fusils;

    • Ils ont attaché les mains de leurs otages et ont bâillonné une femme de 63 ans (la mère du demandeur), son mari, son fils et sa belle-fille et les ont séquestrés de force;

    • Ils ont menacé de kidnapper les petits-enfants s’ils ne prenaient pas possession de tous leurs objets de valeur à l’intérieur de la maison;

    • Après avoir pris les objets de valeur et l’argent, les voleurs ont menacé la famille avec une arme à feu pour qu’ils ne se plaignent pas et ne déposent pas de FIR, ou bien ils seraient « finis ».

 

  • [44] Le guide d’ERAR produit comme pièce C, oriente les agents dans la même direction que la jurisprudence sur la question de la persécution : [traduction] « Il faudra évaluer si le harcèlement ou les sanctions que le demandeur craint sont suffisamment graves pour constituer de la persécution. Les menaces de mort et les atteintes à la liberté d’une personne pour l’une des raisons énoncées dans la définition constituent des actes de persécution... » (Dossier de requête, page 218.)

 

  • [45] Pourtant, les exemples de violations subies personnellement par les demandeurs ainsi que les preuves objectives fournies quant à la situation des minorités au Pakistan parlent d’eux-mêmes.

 

  • [46] La question, que se posait l’agente d’ERAR, semble être de savoir si l’incident du 23 avril 2007 était suffisant, en soi, pour être qualifié de persécution : [traduction] « Il s’agit d’un événement isolé… Cet événement ne démontre pas à ma satisfaction… »

 

  • [47] Ce n’est qu’au moment de sa conclusion sur la question de la persécution qu’elle considère que les violations alléguées ne constituent pas une persécution.

 

  • [48] La question est de savoir si tous les incidents de violations mentionnés par les demandeurs dans leurs éléments de preuve et dans les documents sur la situation au pays, pris globalement et ajoutés aux éléments de preuve concernant le traitement réservé à cette minorité au Pakistan constituent, de façon cumulative, une persécution. (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, arrêt Ranjha, précité; paragraphe 6.4 « Persécution » du guide d’ERAR, à la page 218 du dossier de requête.)

  • [49] Un seul incident de violation ou de mauvais traitement peut ou non constituer de la persécution, selon les circonstances, sa gravité et la possibilité pour qu’il se répète; cependant, ce n’était pas la question dont l’agente d’ERAR était saisie.

 

  • [50] Outre l’événement du 23 avril 2007 et les violations précisées, les demandeurs ont décrit l’extorsion d’argent au commerce du demandeur principal avant leur arrivée au Canada, en plus du fait qu’on avait menacé les demandeurs de kidnapper leurs fils.

 

  • [51] Ce facteur n’a fait l’objet d’aucune analyse, autre que celle mentionnée par l’agente dans sa décision, qui doit être examinée au regard des faits et du droit.

 

  • [52] Ils ont également déclaré que la demanderesse avait été suivie dans une rue de son quartier Ismaili pendant sa grossesse.

 

  • [53] Ce facteur n’a pas été pris en compte dans l’analyse faite par l’agente de la persécution fondée sur l’appartenance à une minorité religieuse et, par conséquent, n’apparaît pas dans la conclusion de l’agente.

 

  • [54] Enfin, les demandeurs ont déposé une preuve qui décrit la situation des minorités au Pakistan dans le contexte actuel. Cette preuve est produite aux pages 148 et suivantes du dossier de requête et comprend le rapport de 2006 des États‑Unis portant sur les pratiques en matière de droits de la personne, le rapport de 2007 sur la liberté de religion dans le monde portant sur le Pakistan, et le Rapport 2007 d’Amnistie Internationale sur le Pakistan.

  • [55] Les demandeurs et leur avocate ont attiré l’attention de l’agente sur les passages soulignés de cette preuve et ont renvoyé l’agente au chapitre sur la fréquence des viols de femmes au Pakistan, en citant spécifiquement les passages suivants :

Le 25 novembre, des inconnus ont incendié un lieu de culte ismaélien dans le district de Chitral. Le HRCP a rapporté qu’aucune arrestation n’avait été effectuée. (Dossier de requête, page 140).

 

... La documentation évoque beaucoup plus que la simple discrimination et la corruption, elle parle d’actes de torture et de viol de citoyens perpétrés par la police, de l’incapacité des tribunaux à protéger les droits des minorités, du meurtre d’un dirigeant chiite le 14 février 2007, de l’assassinat d’un homme d’affaires, Anwar Abbas, devant son magasin le 9 mars 2007, etc.

 

... les forces de sécurité ont torturé et maltraité des personnes. (Dossier de requête, page 114.)

 

 

  • [56] Cette preuve importante nécessite une analyse en ce qui concerne la prétendue persécution et elle démontre la nécessité d’examiner la totalité de la preuve en l’espèce.

 

  • [57] N’ayant pas examiné les éléments de preuve objectifs fournis quant aux violations des droits de la personne perpétrées contre des minorités, l’agente a tiré une conclusion de fait et de droit lorsqu’elle a déclaré : [traduction] « Les demandeurs ne soumettent aucun document quant aux menaces et à la fermeture de leur mosquée, le fait que trois autres familles Ismaili ont été ciblées et ont été victimes de vol que la police soit corrompue. » (Dossier de requête, page 33.)

 

  • [58] [traduction] « La nature du critère de la crainte fondée de persécution est décrite en termes de “chance raisonnable” : Y a-t-il une possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté s’il devait retourner dans son pays d’origine? Un demandeur n’a pas besoin d’établir qu’il existe une probabilité de persécution, mais doit seulement démontrer “une possibilité raisonnable” ou “une possibilité sérieuse” ».

  • [59] À la lumière des faits acceptés par l’agente d’ERAR, et à la lumière de la documentation sur les conditions du pays, ces allégations sont-elles raisonnables?

 

  • [60] Les documents sur la situation au pays stipulent ce qui suit : [traduction] « La corruption était répandue au sein du gouvernement et des forces de police, et le gouvernement a fait peu d’efforts pour lutter contre ce problème. » (Dossier de requête, page 161, Rapport de 2006 sur les pratiques en matière de droits de la personne dans le monde.)

 

  • [61] L’obligation de l’agente d’ERAR, d’évaluer la gravité de toutes les circonstances de cet incident, nécessite une analyse en raison de la possibilité pour qu’elle ait insisté de façon exagérée sur la nécessité de la répétition de cet incident, et son examen de l’incident comme « discrimination » nécessite un examen plus approfondi.

 

  • [62] Enfin, bien que l’agente ne mette pas en doute la survenance de l’événement d’avril 2007, tel qu’il est décrit dans l’affidavit, elle mentionne ce qui suit : [traduction] « Je constate que cet affidavit ne fait pas de lien entre cet événement et le fait que la famille appartient à une minorité religieuse. »

 

  • [63] La mère du demandeur principal, qui a présenté l’affidavit, a clairement indiqué dès le début qu’elle était musulmane chiite ismaélienne. (Dossier de requête, page 143.)

 

  • [64] Le lien entre l’événement et les croyances religieuses devient évident en rappelant que la maison des beaux-parents est située dans un quartier ismaélien, qu’il n’est pas possible de pratiquer sa religion et de fréquenter une mosquée ismaélienne sans que cela soit de notoriété publique.

  • [65] L’agente prend note de la question de la persécution lorsqu’elle examine le document intitulé Réponse à la demande d’information (RDI) daté du 1er avril 2004. (Dossier de requête, page 194.)

 

  • [66] Ce document fait mention d’une coexistence généralement pacifique entre les deux groupes à l’exception de quelques cas de violence; il a été présenté à l’agente pour démontrer la situation des minorités, avant et jusqu’à l’année 2004, mais ne tient pas compte de la situation actuelle qui aurait dû être soigneusement examinée, en particulier sur la période allant de 2004 à 2007, comme cela a été présenté dans les documents sur les conditions au pays en l’espèce pour le second ERAR.

 

  • [67] L’agente estime que ce document établit le même scénario que celui qui a été examiné précédemment et s’abstient de faire une distinction claire dans sa conclusion quant à la détérioration de la situation des minorités religieuses au cours des trois dernières années.

 

  • [68] Elle soutient simplement que « P-6 (Rapport de 2007 sur la liberté de religion) et P-8 (Rapport de 2006 sur les pratiques en matière de droits de la personne dans le monde) vont dans le même sens que le rapport précédent (la RDI, datée du 1er avril 2007) à l’effet que les relations entre les différentes communautés religieuses sont tendues », sans autre analyse substantielle. (Dossier de requête, page 32.)

 

  • [69] L’agente semble avoir accepté le fait que la demanderesse risquait d’être violée :

La demanderesse allègue qu’étant une jeune femme elle risquerait le viol à son retour au Pakistan…

 

... Les viols et les autres formes de violences sont également fréquents, spécialement pour celles qui sont détenues par les autorités policières (P-7 et P-8).

 

... Il est vrai que la preuve documentaire générale indique que le Pakistan est aux prises avec de nombreux problèmes notamment avec le traitement des minorités et des femmes par les forces policières. Toutefois, l’arrêt Ward, indique que, sauf dans le cas de l’effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’un État est capable de protéger ses citoyens...Or, la demanderesse ne soumet aucune preuve démontrant qu’elle a demandé la protection des autorités de son pays ou qu’elle n’a pu le faire ou qu’elle ne pourrait recourir à cette protection dans le futur. Je conclus donc que cette protection est effectivement disponible.

 

(Dossier de requête, décision de l’agente, pages 31 et 32.)

 

 

  • [70] Tout d’abord, un agent, lorsqu’il a reconnu qu’un demandeur est en danger, a l’obligation d’étudier la question de la protection de l’État (dossier de requête, page 221; guide d’ERAR), puisque l’agent d’ERAR doit posséder une expertise dans l’analyse des questions de la protection de l’État.

 

  • [71] Ensuite, la demanderesse et son avocate ont expliqué que ces demandeurs ne peuvent pas obtenir la protection du pays étant donné que le bilan de ce dernier en matière de droits de la personne est tel qu’une telle protection ne peut pas être assurée. (Dossier de requête, pages 113-114 et 134.)

 

  • [72] Afin de soutenir ces arguments, les passages pertinents des documents sur les conditions au pays ont été soulignés pour l’agente. En voici quelques-uns : [traduction]

... La législation discriminatoire et l’incapacité du gouvernement à prendre des mesures contre les forces de la société hostiles à ceux qui pratiquent une religion différente ont favorisé l’intolérance religieuse, les actes de violence et l’intimidation à l’encontre des minorités religieuses.

 

... Les pressions de l’opinion publique empêchaient régulièrement les tribunaux de protéger les droits des minorités.

 

... La police a souvent refusé de prévenir la violence et le harcèlement ou a refusé d’inculper les personnes qui commettent de telles infractions.

 

... La police était parfois impliquée dans des cas de viol.

 

(Dossier de requête, pages 148, 152, 157 et 182.)

  • [73] Tout ce qui précède soulève donc une question grave en vertu de l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 587 (QL).

 

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

  • [74] Les antécédents religieux des demandeurs ont été acceptés comme avérés.

 

  • [75] En effet :

    • Les demandeurs ont été informés que leur foi est acceptée comme étant un facteur pertinent dans la demande actuelle d’ERAR;

    • Les violations des droits de la personne de la minorité ont augmenté de manière significative au cours des trois dernières années;

    • Le 23 avril 2007, la maison des demandeurs à Karachi a été cambriolée par des hommes armés qui les ont bâillonnés, leur ont ordonné de leur donner tous leurs objets de valeur et les ont menacés de les tuer s’ils cherchaient à obtenir la protection de la police.

 

  • [76] Leur demande initiale d’ERAR, présentée en février 2006, a été débattue du point de vue de leur établissement au Canada et rejetée en avril 2006, faute d’allégations de risque, car aucune n’a été présentée, comme cela est indiqué précédemment, en raison de leur situation particulière.

 

  • [77] Il est trop tard pour que les demandeurs demandent la protection en tant que réfugiés, car des mesures d’interdiction de séjour ont été prises contre eux, ce qui les empêche de demander une telle protection.

 

  • [78] De plus, bien que les demandeurs aient été autorisés à attendre que leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit traitée, après le rejet de l’ERAR initial, la situation des demandeurs s’est considérablement détériorée, comme le montrent l’événement du 23 avril 2007 et les documents objectifs sur le pays.

 

  • [79] Ces documents sont reproduits aux pages 109 et suivantes du dossier et comprennent un rapport de 2007 sur les libertés religieuses dans le monde du Bureau américain de la démocratie, des droits de la personne et du travail, publié le 14 septembre 2007, un rapport américain sur les pratiques en matière de droits de la personne en 2006, publié le 6 mars 2007, et un rapport d’Amnistie Internationale sur le Pakistan.

 

  • [80] À des fins de comparaison, une réponse à une demande d’information datée du 1er avril 2004 a également été fournie dans la demande d’ERAR.

 

  • [81] Ce document indique que 96 % de la population du Pakistan est musulmane, la majorité étant des musulmans sunnites, alors que la minorité chiite se situe entre 10 et 20 % et que la minorité ismaélienne est encore plus faible.

 

  • [82] La minorité se compose de Bohras, Dawoodies, Ismaéliens et Khojas. (Dossier de requête, page 194.)

 

  • [83] [traduction] « Le gouvernement a pris quelques mesures pour améliorer le traitement des minorités religieuses au cours de la période couverte par ce rapport, mais de sérieux problèmes subsistent. Les membres des forces de l’ordre ont maltraité des minorités religieuses en détention. Les forces de sécurité et d’autres organismes gouvernementaux n’ont pas suffisamment prévenu ou combattu les mauvais traitements infligés par la société aux minorités. La législation discriminatoire et l’incapacité du gouvernement à prendre des mesures contre les forces de la société hostiles à ceux qui pratiquent une religion différente ont favorisé l’intolérance religieuse, les actes de violence et l’intimidation à l’encontre des minorités religieuses ». (Dossier de requête, rapport de 2007 sur les libertés religieuses, page 148.)

 

  • [84] [traduction] « Les relations entre les communautés religieuses étaient tendues. La discrimination sociétale à l’encontre des minorités religieuses était répandue, et des violences sociétales contre de tels groupes se sont produites. Des acteurs de la société, y compris des groupes terroristes et extrémistes et des individus, ont ciblé les congrégations religieuses » (Dossier de requête, susmentionné.)

 

  • [85] [traduction] «... Les conséquences d’une contravention aux lois du pays sur le blasphème sont la mort pour avoir souillé l’Islam ou ses prophètes; l’emprisonnement à vie pour avoir souillé, profané le Coran ou y avoir porté atteinte; et 10 ans d’emprisonnement pour avoir insulté les sentiments religieux d’autrui. Ces lois sont souvent utilisées pour régler des comptes personnels ainsi que pour intimider les musulmans réformateurs, les opposants sectaires et les minorités religieuses » (Dossier de requête, susmentionné, page 149.)

 

  • [86] [traduction] « Les pressions de l’opinion publique empêchaient régulièrement les tribunaux de protéger les droits des minorités. Ces mêmes pressions ont forcé les juges à prendre des mesures énergiques contre toute offense perçue à l’orthodoxie sunnite. Les cas de discrimination à l’encontre des minorités religieuses étaient rarement portés devant les tribunaux. Les tribunaux ne devraient pas agir objectivement dans de tels cas ». (Dossier de requête, susmentionné, page 152.)

 

  • [87] [traduction] « Il y a eu plusieurs incidents d’abus contre des groupes religieux perpétrés par des individus ou des organisations qualifiées d’organisations terroristes par le Département d’État américain en vertu de l’article 219 de la Immigration and Nationality Act (loi sur l’immigration et la nationalité) et par des groupes extrémistes sectaires ayant des liens étroits avec de telles organisations » (Dossier de requête, susmentionné, page 156.)

 

  • [88] [traduction] «... le 25 novembre, des inconnus ont incendié un lieu de culte ismaélien dans le district de Chitral. Le HRCP a rapporté qu’aucune arrestation n’avait été effectuée. » (Dossier de requête, susmentionné, page 177.)

 

  • [89] [traduction] « La police était parfois impliquée dans des cas de viol. Selon l’ONG Women Against Rape (WAR), 369 cas de viol ont été signalés dans les médias, ce qui, d’après WAR, représente moins de 5 % des incidents réels. Selon le HRCP, statistiquement, une femme est violée toutes les deux heures ou est victime de viol collectif toutes les huit heures ». (Dossier de requête, susmentionné, page 182.)

 

  • [90] En tant que jeune femme appartenant à une minorité ismaélienne, vivant dans un quartier ismaélien, Mme Lakhani fait face, non seulement aux mêmes risques pour sa vie et sa sécurité que le reste des demandeurs, mais aussi aux conséquences particulières de son appartenance à une minorité au sein d’une minorité.

 

  • [91] Bien que l’histoire de la discrimination à l’encontre des minorités religieuses au Pakistan ne soit pas un phénomène nouveau, et que la famille Lakhani ait déjà subi des violations, comme l’extorsion d’argent au commerce de M. Lakhani avant son arrivée au Canada, personne n’était encore entré par effraction au domicile des demandeurs auparavant en menaçant la famille d’enlever leurs enfants.

 

  • [92] La Réponse à la demande d’information, couvrant la période de 2001 à 2004, évoque la « coexistence pacifique » générale entre les Chiites et les Sunnites, avec des flambées de violence occasionnelles entre les groupes extrémistes chiites et sunnites et des attaques contre les médecins.

 

  • [93] Un aperçu de la situation actuelle des Ismaéliens et d’autres minorités dans le pays met clairement en évidence que la situation s’est considérablement détériorée.

 

  • [94] Comme le précisent les observations, les récents attentats contre les partisans réformateurs de Benazir Bhutto démontrent que les extrémistes sunnites qui soutiennent Al-Qaïda et les Talibans constituent une menace réelle et imminente pour ceux qu’ils considèrent comme opposés à eux, y compris les minorités au sein de minorités, tels que les demandeurs.

 

PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

  • [95] La prépondérance des inconvénients est en faveur de l’octroi d’un sursis pour les motifs suivants :

    • Ils ont une demande de contrôle judiciaire en instance qui soulève des questions sérieuses;

    • Ils ne représentent ni une menace ni un fardeau pour la société canadienne;

    • Ils ont eux-mêmes renouvelé tous leurs passeports.

 

CONCLUSION

  • [96] Pour tous les motifs qui précèdent, le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est accueilli en attendant qu’une décision définitive soit rendue relativement à la demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire de l’ERAR.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit accueilli en attendant qu’une décision définitive soit rendue relativement à la demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire de l’ERAR.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  IMM-4682-07

 

INTITULÉ :  AHMED ABDUL MUHAMMAD LAKHANI

KARIMA AHMED LAKHANI

AMIN AHMED LAKHANI

KAWISH AHMED LAKHANI c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   Le 21 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :  Le juge SHORE

 

DATE DES MOTIFS :  Le 22 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nataliya Dzera

 

POUR LES DEMANDEURS

Evan Liosis

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CABINET WAICE FERDOUSSI

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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