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Date :  20080131

Dossier :  IMM-6477-06

Référence :  2008 CF 126

Montréal (Québec), le 31 janvier 2008

En présence de monsieur le juge Lemieux 

 

ENTRE :

BIENVENUE KITSINGA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Quelques heures après son arrivée à l’Aéroport Pierre-Elliott-Trudeau le 27 novembre 2006, le demandeur Bienvenue Kitsinga, citoyen de la République démocratique du Congo (« Congo »), est frappé d’une mesure d’exclusion prononcée le même jour par la déléguée du ministre suite à un rapport rédigé par l’agente d’immigration Josée Cuerrier, aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 LIPR »), qui était d’avis que celui-ci était interdit de territoire selon l’article 41 de la LIPR pour manquement à la loi commis en contravention de l’alinéa 20(1)b) de cette même loi, étant un étranger qui cherche à entrer au Canada pour devenir un résident temporaire sans détenir un passeport valide.

 

[2]               Le demandeur recherche l’annulation de cette mesure d’exclusion et une ordonnance obligeant Citoyenneté et Immigration Canada de référer son dossier à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

FAITS

[3]               Le cœur du problème auquel fait face le demandeur est l’article 99(3) de la LIPR qui dispose qu’une demande d’asile peut être faite au Canada sauf par une personne visée par une mesure de renvoi (je souligne.)

 

[4]               Le débat devant moi s’est déroulé sur le point à savoir si la mesure d’exclusion a été prononcée avant que le demandeur fasse sa demande d’asile. Le demandeur prétend que non; le défendeur avance la position contraire.

 

[5]               La preuve sur les évènements pertinents à l’Aéroport Pierre-Elliott-Trudeau le 27 novembre 2006 consiste en :

(1)               l’affidavit du demandeur;

(2)               l’affidavit de Josée Cuerrier auquel elle joint ses notes d’entrevue et celle de l’inspecteur des douanes;

(3)               l’affidavit de Claude Beaudoin, agent d’immigration, qui vers 17 h 30 accompagne le demandeur lors de son transport par ambulance au Centre hospitalier de LaSalle où le demandeur est demeuré trois jours;

(4)               l’affidavit de l’agent d’exécution Adriano Giannini faisant référence aux entrées informatisées  du délégué du ministre (le système FOSS);

(5)               le dossier certifié du tribunal.

 

[6]               Aucun affiant n’a été contre-interrogé. La preuve non contestée par les parties établit les faits suivants :

(1)               Le demandeur est arrivé à Montréal le 27 novembre 2006 sur un vol Paris-Montréal d’Air Transat;

(2)               Vers 14 h 34, il se présente à l’inspecteur des douanes Martine Coderre. Il était en possession d’un faux passeport émis à un certain Dadi Boduka. Après l’entrevue, Martine Coderre a référé le demandeur à l’immigration parce qu’elle avait des doutes sérieux sur la véracité de sa déclaration concernant son pays de résidence, la Belgique, et aussi sur la raison véritable de sa visite;

(3)               Vers 14 h 50, l’agente d’immigration Cuerrier commence son entrevue avec le demandeur. Elle a aussi fait l’examen du bagage du demandeur pour y trouver de nombreux documents, dont un curriculum vitae, tous au nom de Bienvenue Kitsinga. Le demandeur nie que c’est lui et qu’il s’agissait de son frère. Elle l’a confronté, l’avisant qu’elle ne croyait pas son histoire; il a continué à dire que son histoire était vraie;

(4)               L’agente Cuerrier est allée consulter la déléguée du ministre et lui a recommandé d’exclure le demandeur parce qu’elle croyait qu’il avait voyagé avec un document qui n’était pas le sien et qu’il n’avait aucun autre document d’identité en sa possession;

(5)               Le demandeur a été reçu en entrevue par la déléguée du ministre vers 16 h 00 le 27 novembre 2006; l’agente Cuerrier y était aussi présente. La déléguée du ministre a prononcé oralement une mesure d’exclusion contre le demandeur après qu’il eut affirmé, encore une fois, avoir voyagé avec son propre passeport.

 

ANALYSE

            (1)  La validité de l’exclusion

 

[7]               Le demandeur plaide l’invalidité de la mesure d’exclusion prise contre lui le 27 novembre 2006. À l’audience, il a cependant abandonné ses arguments à l’effet que l’article 99(3) allait à l’encontre de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il n’avait pas donné aux procureurs généraux l’avis requis par l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7.

 

[8]               Dans son mémoire, le demandeur a plaidé que la déléguée du ministre a mal interprété les articles 41 et 21 de la LIPR et à l’audience n’a soumis qu’une jurisprudence sur le droit à une audience. Je dois rejeter toutes ses prétentions légales dont la norme de contrôle est celle d’une décision correcte.

[9]               Il n’y a aucun doute que la mesure d’exclusion prise par la déléguée du ministre était valide. Quant à l’interprétation de la LIPR proposée par le demandeur, celle-ci fut écartée par le juge Pinard dans l’arrêt Malongi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1090, une cause remarquablement semblable à celle devant moi, par le juge Blanchard dans Elemuwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1026, et par le juge Simon Noël dans l’arrêt Li v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2007 FC 941.

 

[10]           Plus particulièrement, mes deux collègues, dans Malongi et Li, précités, rejettent les prétentions du demandeur sur l’invalidité d’une mesure de renvoi prononcée oralement (voir Malongi au paragraphe 11, et Li aux paragraphes 40 à 52).

 

[11]           La jurisprudence reconnaît que le contenu de l’équité procédurale est éminemment variable (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 837).

 

[12]           Dans les faits, le demandeur a été rencontré par la déléguée du ministre et a eu l’opportunité de dévoiler toute son histoire. À mon avis, les exigences de l’équité procédurale ont été rencontrées en l’espèce.

 

[13]           Je conclus à la validité de la mesure d’exclusion prise contre le demandeur. À mon avis, cette exclusion, en soi, justifie le rejet de cette demande de contrôle judiciaire, mais comme je l’ai indiqué, la plaidoirie devant moi a consisté surtout à savoir est-ce que le demandeur a demandé la protection du Canada avant que soit prononcée la mesure d’exclusion.

 

(2)    Est-ce que la mesure de renvoi précède la demande d’asile?

 

[14]           Tel qu’indiqué, le demandeur prétend avoir demandé l’asile avant que la déléguée du ministre ait prononcé la mesure d’exclusion. Le défendeur plaide que la prépondérance de la preuve prouve le contraire. Devant moi il existe une preuve contradictoire.

 

[15]           Afin de trancher cette question, je dois examiner attentivement la preuve devant moi.

 

[16]           C’est le demandeur qui a le fardeau d’établir, d’après la prépondérance de la preuve, les faits qu’il allègue (Elemuwa, précité, au paragraphe 16).

 

[17]           Pour les motifs qui suivent, j’estime que le demandeur n’a pas avancé une preuve claire et crédible qu’il a revendiqué l’asile avant que soit prononcée la mesure d’exclusion contre lui.

 

[18]           Voici comment il s’exprime sur ce point dans son affidavit :

13.    Quand je suis arrivé ici, je possédais un passeport congolais au nom de Boduka Dadi, (sic) J’ai utilisé ce passeport pour voyager, mais il ne m’appartenait pas. C’est un ami de mon beau-frère commerçant qui m’a passé le passeport;

 

14.    Après avoir passé deux frontières, je suis arrivé devant une agente d’immigration dont j’ignore le nom. Quand j’ai présenté mon document de voyage, elle m’a demandé d’aller m’asseoir pendant qu’elle faisait des vérifications sur mon passeport;

 

15.    Après un certain temps, j’ai appelé un agent d’immigration pour dire que j’étais venu au Canada pour demander la protection. C’était une heure ou une heure et demi après mon arrivée au Canada;

 

16.    L’agent d’immigration est allé chercher la première femme qui m’a amené dans son bureau. Elle m’a demandé des questions comme suit : « Pourquoi ne l’avez-vous pas dit avant? Quel est votre problème » J’ai expliqué les problèmes que j’ai en R.D.C.;

 

17.    Elle m’a posé des questions sur mes problèmes au Congo. Elle m’a demandé si j’étais marié et j’ai dit oui, et père de trois enfants.

 

18.    J’ai dit que je me sentais mal, que j’avais besoin de l’aide. On m’a demandé si j’avais besoin d’un infirmier et j’ai dit oui;

 

19.    Après que j’ai vu les infirmiers, ils ont vu que j’étais vraiment mal et on a appelé une ambulance pour m’amener à l’hôpital. J’ai passé trois jours à l’hôpital à Lasalle (sic); C’est là ou (sic) j’ai appris que j’étais maintenant diabétique;

 

20.    On ne m’a jamais dit à l’aéroport que j’avais une mesure d’exclusion contre moi. On m’a remis des documents avant que je parte, mais je ne les ai pas lu (sic). J’ai cru qu’on me donnait de la protection parce qu’on m’a amené à l’hôpital;

 

21.    Je suis toujours très malade. Mes yeux me font très mal. J’ai vu le médecin ce matin à cause de mes problèmes;

 

22.    J’estime qu’on ne m’a pas permis de faire une revendication à l’aéroport, tout s’est passé tellement vite. La dame qui a fait l’ordre de renvoi ne m’a jamais demandé si j’étais en danger dans mon pays. Je crains pour ma vie à cause de mes opinions politiques contraires au régime actuel, je crains également le nettoyage ethnique dans l’est de mon pays;

 

23.    On m’a informé hier le 7 décembre qu’on allait me renvoyer vers Paris, et je crois qu’on veut me renvoyer au Congo après. Je ne comprends pas pourquoi on ne veut pas m’écouter.

 

24.    C’est pour ces motifs que je sollicite la protection du Canada parce que le Canada est un pays qui respecte les droits humains et c’est un pays démocratique où je peux faire valoir mes idées. Le Congo est encore en enfer, et je crains pour le pire si je rentre au pays.

 

 

[19]           À mon avis, l’affidavit du demandeur est vague et ambigu sur la question de savoir quand il a réclamé la protection du Canada.

 

[20]           D’autre part, la preuve apportée par le défendeur est claire et précise sur cette question. En particulier, les notes FOSS de la déléguée du ministre indique précisément que c’est seulement après le prononcé de la mesure d’exclusion que le demandeur a changé son histoire.

 

[21]           Plus précisément, l’affidavit de l’agente Cuerrier est plus direct. C’est elle qui, après l’entrevue de la déléguée du ministre avec le demandeur, à laquelle l’agente a participé, s’est rendue à la salle d’attente où était le demandeur afin de constater pourquoi il se sentait malade. C’est à ce moment, pour la première fois, que le demandeur a demandé la protection du Canada.

 

[22]           À sa face même, puisqu’il n’y a pas eu de contre-interrogatoire, je préfère la preuve avancée par le défendeur : sa qualité est supérieure à celle du demandeur; elle est aussi corroborée par d’autres témoignages et elle est désintéressée; celle du demandeur est imprécise.

 

[23]           Le demandeur a plaidé que lors de l’entrevue il était fatigué et très malade, ayant tout récemment réussi à s’évader d’une prison au Congo avant d’entreprendre son long périple pour le Canada.

 

[24]           Le demandeur n’a apporté aucune preuve sur l’état de sa santé sauf le fait qu’après l’entrevue il a été transporté à l’hôpital. La preuve semble établir qu’il souffre de diabète mais je n’ai aucune preuve comment cette condition aurait pu influencer son comportement durant l’entrevue. Qui plus est, un certain doute plane sur précisément quand le demandeur s’est-il évadé de la prison du Congo.

 

[25]           Pour tous ces motifs, je conclus que la demande de renvoi a été prononcée avant sa demande d’asile.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été suggérée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6477-06

 

INTITULÉ :                                       BIENVENUE KITSINGA c. M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Gretchen Timmins

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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