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Date : 20080125

Dossier : T-433-07

Référence : 2008 CF 99

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

PETER BOLDY

demandeur

et

 

LA BANQUE ROYALE DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP), communiquée dans une lettre datée du 9 février 2007 dans laquelle elle rejette la plainte du demandeur en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6. Le demandeur a porté plainte contre son ancien employeur, la Banque royale du Canada (la Banque royale), alléguant avoir fait l’objet de discrimination fondée sur des troubles mentaux, vu que la Banque royale n’a pas pris de mesure d’adaptation raisonnable lui permettant de retourner travailler.

 

 FAITS

 

[2]               Le demandeur est entré au service de la Banque royale en avril 1986 et il y a travaillé jusqu’en octobre 2002. Le dernier poste qu’il a occupé est celui d’analyste de systèmes techniques.

 

[3]               Il est indubitable (quoique l’événement en question ne soit pas un des éléments qui fonde la plainte du demandeur auprès de la CCDP) que vers le mois de février 2002, le demandeur a commencé à faire connaître à ses supérieurs ses préoccupations au sujet, selon la Banque royale, « d’irrégularités financières », et selon le demandeur, « de la surconfiguration des ordinateurs centraux de la Banque royale ». Il est indubitable que celle-ci, après avoir étudié la question (la Banque royale dit qu’elle a mené une enquête interne et il est admis que le demandeur a été interrogé dans le cadre de celle-ci), a conclu que ces plaintes étaient sans fondement. Le 16 octobre 2002, un vice-président exécutif, John D. Joyce, a écrit au demandeur pour l’informer que la Banque royale avait fait enquête à la suite de ses allégations et les réfutait, puis exprimait des préoccupations quant à son [TRADUCTION] « bien-être »; ce dernier était avisé qu’il serait mis en congé avec traitement pour qu’il puisse [TRADUCTION] « obtenir des soins médicaux professionnels et indépendants » et que rendez-vous avait été pris en son nom auprès d’un psychiatre, le Dr Murphy. Celui-ci a posé un diagnostic d’épisode dépressif grave, de présence probable d’un trouble de personnalité paranoïaque et de symptômes physiques. À son avis, la capacité du demandeur à remplir ses fonctions était à ce moment réduite de plus de moitié. Il a recommandé que le demandeur consulte un médecin pour sa dépression. Celui-ci a par la suite été traité par le DR. Rehaluk, psychiatre, et la Dre Nexhipi, psychologue clinicienne.

 

[4]               Après que l’essentiel des conclusions du Dr Murphy ait été communiqué à la Banque royale, le demandeur a été mis en congé de maladie en octobre 2002 et des prestations d’invalidité de longue durée lui ont été versées du 13 février 2003 jusqu’en février 2006.

 

[5]               Le 15 octobre 2004, l’avocat du demandeur a écrit à l’avocat de la Banque royale pour l’informer qu’il venait de recevoir les rapports des professionnels de la santé qui traitaient le demandeur (Drs Rehaluk et Nexhipi). Il les a résumés de la manière suivante : le demandeur était [TRADUCTION] « disposé à retourner travailler chez son employeur et capable de le faire à certaines conditions ». Ces conditions, résumées dans la lettre, sont présentées plus en détail dans les extraits de la lettre du Dr Rehaluk cités ci-dessous. Dans sa réponse du 21 octobre 2004, l’avocate de la Banque royale a avisé son homologue que cette dernière n’avait reçu aucun avis de Manulife (le mandataire chargé de gérer les prestations d’invalidité pour le compte de la Banque royale) que le demandeur était jugé, après évaluation médicale, apte à retourner travailler. Elle a demandé à prendre connaissance des rapports médicaux ainsi que de détails concernant certaines allégations. L’avocat du demandeur a donné suite à la demande en lui transmettant une version expurgée du rapport du Dr Rehaluk. Il semble que Dre Nexhipi était d’avis que le demandeur ne pouvait retourner travailler que si un enquêteur indépendant menait une enquête publique sur ses plaintes originales de février 2002, la Banque royale et le demandeur consentant alors à être liés par les résultats. Voici la  principale partie de la lettre du Dr Rehaluk (les blancs sont les passages expurgés de la version transmise à la Banque royale) :

[TRADUCTION]

Depuis le premier rapport que je vous ai fait parvenir le 28 mars 2003, j’ai continué à recevoir M. Boldy en consultation. J’ai également dirigé Peter vers la Dre Nexhipi pour consultation. Je suis d’accord avec le point de vue de cette dernière concernant ____________________­­­­­­ la dynamique relative au milieu de travail et ce qui est présenté comme la manière la plus équitable et raisonnable de préparer un retour au travail. Je me reporte aux deux rapports de la Dre Nexhipi du 16 février 2004 et du 30 juin 2004. J’ai aussi examiné le rapport du Dr Murphy daté du 14 novembre 2002 et je comprends son point de vue.

 

Avec le temps, mon opinion clinique s’est modifiée, ______________________________________________________________________________________________________________________________. Le processus qui a donné lieu au congé de maladie de Peter a été mis en branle par l’employeur et il semble que Peter n’ait eu d’autre choix, à ce moment, que d’obtempérer.

 

Je suis toujours d’accord avec les Drs Murphy et Nexhipi quant à l’échec du retour au travail de Peter s’il ne se passe à cette occasion quelque chose d’important. Peter se sent, encore aujourd’hui, fortement trahi et méfiant vu ce qu’il a appris sur la manière dont ses préoccupations ont été traitées à ce jour à de nombreux paliers dans son milieu de travail. A l’heure actuelle, le milieu de travail est toujours malsain et il ne peut réintégrer ses fonctions auprès des mêmes collègues ni être muté dans un autre service quel qu’il soit.

 

Peter a montré qu’il comprenait très clairement quelle était sa position au fil du temps et il avance des détails qui justifient qu’on l’écoute et qu’une enquête indépendante soit menée. Il serait bon pour Peter que la question de la « divulgation d’actes fautifs » soit examinée. Peter a fait valoir ses arguments aux paliers successifs de sa hiérarchie et a été diversement accueilli. Il a senti que les portes se fermaient à de nombreux paliers en dépit de ses bonnes intentions, qui visaient vraiment à améliorer des aspects du travail. Il serait possible, au moyen d’une enquête approfondie, de déceler et de cerner toute mesure de rétorsion dont il aurait été l’objet. Il existe de nombreux cas documentés semblables à celui de Peter et je ne laisserais pas le sien simplement se conclure par une offre de mutation de la part de l’employeur. M. Boldy veut réintégrer ses fonctions aussi rapidement que possible, mais il a besoin, avant cela, de sentir qu’il a remporté une victoire morale.

 

Peter ne veut pas que ce qui lui est arrivé au travail arrive à quelqu’un d’autre et, si une partie était reconnue coupable, il faudrait qu’elle soit punie en conséquence. Il affirme qu’on a rédigé une fausse évaluation de son rendement qui a en fin de compte été rejetée par le vice-président qui a lancé l’affaire et conduit Peter à prendre un congé de maladie. Il souhaite que l’enquête soit publique ________________________________________________________________________________________________________________________. Dans l’éventualité où les conclusions de l’enquête donneraient raison à Peter, il souhaite être officiellement réintégré et remercié pour avoir aidé la Banque et avoir mis en lumière les problèmes qui ont servi à le contraindre à quitter ses fonctions. Il souhaite aussi que le projet de bases de données lui soit confié à nouveau car il croit qu’on le lui a retiré en raison de l’évaluation de rendement.

 

___________________________________________. Une enquête indépendante sur toutes les questions qu’il a soulevées le satisferait, quelles qu’en soient les conclusions, dans la mesure où l’employeur est tenu de les respecter, comme preuve de bonne foi envers les deux parties. S’il était possible de diligenter cette enquête, cela réduirait le stress qu’il subit et que subit quiconque passe par un tel processus.

 

 

[6]               Au cours de la période de janvier à avril 2005, le demandeur et son avocat ont cherché à rencontrer des représentants de la Banque royale. Ces rencontres n’ont pas eu lieu car le demandeur refusait de rencontrer certains représentants de la Banque royale et que cette dernière soutenait qu’elle ne disposait pas des derniers renseignements permettant d’établir s’il était mentalement apte à retourner travailler. Selon la Banque, la lettre du Dr Rehaluk, le seul avis médical dont elle disposait à ce moment, n’en fournissait pas la preuve. La Banque ignorait quels passages avaient été expurgés, mais supposait qu’il s’agissait de passages cruciaux du diagnostic médical (ce qui était le cas). Les demandes d’accès au dossier médical adressées au demandeur et à Manulife ont essuyé un refus de la part du demandeur.

 

[7]               Le 12 août 2005,  le demandeur a déposé une plainte auprès de la CCDP à l’encontre de la Banque royale dans laquelle il allègue avoir subi de la discrimination dans l’emploi à cause de ses troubles mentaux, du fait que la Banque royale n’a pris les mesures d’adaptation lui permettant de retourner travailler dans la mesure où cela ne lui imposait aucune contrainte excessive. Après l’échec d’une tentative de médiation, un enquêteur a été nommé et ses constatations sont résumées ci-dessous.

[TRADUCTION]

Il ne semble pas que la demande d’adaptation présentée par le demandeur soit rationnellement liée à sa déficience. Les renseignements médicaux objectifs et pertinents montrent que le demandeur ne pouvait pas retourner travailler pour la défenderesse. Par conséquent, comme la défenderesse ne disposait d’aucun élément de preuve objectif que le demandeur était en mesure de revenir au travail, elle n’avait aucune obligation d’adaptation envers lui, sauf à continuer de lui verser des prestations d’invalidité. Le psychiatre du demandeur a indiqué qu’il serait préférable que le demandeur ait le sentiment d’avoir remporté une victoire morale avant de revenir au travail, mais cela ne veut pas dire que son point de vue est rationnellement lié à la déficience du demandeur. Selon les éléments de preuve, les préoccupations du demandeur ont fait l’objet d’une enquête menée par le Service de sécurité de la défenderesse, qui n’a cependant pas eu recours pour ce faire à la méthode préconisée par le demandeur.

 

Le rapport a été remis à la Banque royale et au demandeur et les deux parties ont pu faire des observations qui ont été déposées, avec le rapport, auprès de la CCDP.

 

[8]               Dans une lettre du 9 février 2007 envoyée au demandeur, la CCDP l’a avisé qu’elle avait décidé de rejeter sa plainte au motif suivant :

[TRADUCTION]

Selon les constatations de l’enquêteur, il semble que la demande d’adaptation présentée par le demandeur ne soit pas rationnellement liée à sa déficience.

 

 

La CCDP fonde sa décision sur l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne  qui prévoit que la Commission rejette une plainte si, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié ».

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

 

[9]               Il semble y avoir deux questions en litige :

1)                      Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la CCDP en l’espèce ?

2)                      L’application de la norme rend-elle la décision invalide ?

 

ANALYSE

Norme de contrôle

 

[10]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable à la décision qu’il n’existe aucun lien rationnel entre les mesures d’adaptation et la déficience est son caractère raisonnable; que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si la Banque royale a une obligation d’adaptation est celle de la décision correcte; et que la norme de contrôle applicable à l’obligation d’équité dans la conduite de l’enquête et dans la décision de la CCDP est également celle de la décision correcte. La Banque royale soutient que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable ou, subsidiairement, celle de la décision raisonnable.

 

[11]           Selon les critères habituels de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, il n’existe évidemment pas, en ce qui concerne de telles décisions, de disposition privative ni de disposition relative à un appel, des faits qui n’ont d’ordinaire pas d’incidence sur l’examen de la norme de contrôle. L’objet de la loi est manifestement d’accorder réparation en cas de violation des droits de la personne au moyen d’une procédure simple administrée par une commission dont le mandat général comprend la promotion des droits de la personne. Une retenue plus élevée serait donc de mise. Quant à la question de l’expertise relative, la CCDP et ses enquêteurs ont une expérience plus directe des différentes réalités pertinentes que ne le sont les tribunaux et cela porte à croire qu’une plus grande retenue devrait être exercée. Un autre facteur à prendre en considération en l’espèce est que la décision de rejeter la plainte sans qu’elle soit instruite par le tribunal est déterminante en ce qui concerne les droits du demandeur, et par conséquent, un moindre degré de retenue devrait s’appliquer, notamment pour ce qui est des questions de droit : voir Sketchley c. Canada, [2006] 3 R.C.F. 392, aux paragraphes 79-80 (C.A.F.); Clark c. Canada, [2007] A.C.F. n20, aux paragraphes 70-71 (C.F.). Pour ce qui est de l’examen de la nature de la question en tant qu’outil d’analyse de la norme de contrôle, il me semble que la décision en l’espèce quant au lien rationnel entre la déficience et l’obligation d’adaptation comprend aussi une décision sur une question de droit quant à la portée de l’obligation d’adaptation, et cela devient par conséquent une question mixte de droit et de fait. Compte tenu de tous ces facteurs en considération, la norme de contrôle applicable à la décision sur cette question mixte de droit et de fait est celle de la décision raisonnable. En ce qui concerne l’existence d’une obligation pour l’employeur de trouver une forme d’adaptation, il me semble qu’il s’agit essentiellement de la question de trouver et de définir une règle de droit, et cela devient une question de décision correcte. Quant aux décisions en matière d’équité, il est généralement reconnu que la norme de la décision correcte s’applique à elles, sans égard à l’analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

La décision était-elle valide?

 

[12]            Il se peut que la plus importante question à trancher relativement à la décision de la CCDP soit celle de savoir si elle a donné une interprétation correcte de la portée de l’obligation d’adaptation de la Banque royale. Il est vrai qu’en général, on considère que l’employeur est le mieux à même de décider comment répondre aux besoins d’un demandeur sans que cela constitue une ingérence excessive dans ses activités. Le demandeur est également tenu de faciliter la recherche d’une mesure d’adaptation : voir Board of School Trustees, School District no. 23 (Central Okanagan) c. Renaud (1992), 95 DLR 4th 577, à la page 593. En droit, l’obligation de l’employeur est par conséquent considérable. Je ne comprends pas que les motifs de la CCDP exposés dans le rapport de l’enquêteur, rapport présumément adopté par la CCDP, ne fassent pas état de cette obligation. Au contraire, l’enquêteur a conclu, comme on l’a lu dans le résumé de son rapport ci-dessus, que la Banque royale n’avait en l’espèce aucune obligation d’adaptation envers le demandeur car elle ne disposait pas d’éléments de preuve clairs que celui-ci était en mesure de retourner travailler. L’information qui lui avait été communiquée, principalement dans le rapport expurgé du DRehaluk, renfermait des phrases telles :

[traduction]

À l’heure actuelle, le milieu de travail est toujours malsain et il ne peut réintégrer ses fonctions auprès des mêmes collègues ni être muté dans un autre service quel qu’il soit.

 

 

Dans la lettre, il est dit que Peter demande qu’une enquête publique soit menée par un enquêteur indépendant sur sa « divulgation d’actes fautifs » en 2002, que, si « une partie était reconnue coupable », elle devrait être punie en conséquence et que, si l’enquêteur concluait que Peter avait raison, celui-ci souhaitait être « officiellement réintégré ». C’est le seul avis médical sur l’état de santé du demandeur dont la Banque royale disposait avant la présente instance.

 

[13]           Il me semble que l’enquêteur de la CCDP a correctement compris la portée de l’obligation légale d’adaptation de la Banque royale dans la mesure où cela ne lui imposait pas de contrainte excessive. Il a noté que la Banque royale avait pris des mesures pour répondre aux besoins du demandeur en lui versant des prestations d’invalidité après qu’elle ait été avisée qu’il ne pouvait pas travailler. Le demandeur soutient que le versement de prestations d’invalidité ne peut tenir lieu de mesure d’adaptation raisonnable en remplacement d’une réintégration au travail et il cite l’arrêt Tozer c. British Columbia (2000), 36 CHRR D/393 (Tribunal des droits de la personne de Colombie-Britannique). Cette affaire est différente de l’espèce, car l’employée avait fourni à l’employeur des avis médicaux indiquant clairement qu’elle pouvait retourner travailler. Le demandeur cite aussi une décision d’arbitrage dans le secteur du transport ferroviaire sans grande pertinence à mon avis. Je crois que l’enquêteur a conclu à bon droit qu’un employeur n’a pas, dans les faits, d’obligation d’adaptation pour aider un employé à retourner travailler s’il n’est pas d’abord convaincu que cet employé peut y retourner.

 

[14]           Compte tenu de ces interprétations juridiques exactes de l’obligation d’adaptation, je crois que l’enquêteur et la CCDP ont tiré une conclusion raisonnable quant au fait que l’employeur n’était pas tenu de faire plus en matière d’adaptation parce que la demande du demandeur n’était par rationnellement liée à sa déficience. Elle était fondée sur l’hypothèse de sa psychologue clinicienne, communiquée à son psychiatre, qui l’a ensuite transmise à la Banque royale dans une lettre qui renfermait des passages expurgés et proposait un scénario hautement conjectural. Il est évident que les médecins n’avaient pas de connaissance directe de la situation au travail outre ce que leur en avait dit le demandeur. L’enquêteur et la CCDP ont raisonnablement conclu que la lettre était loin d’être suffisante pour servir de fondement à des mesures d’adaptation de la part de la Banque royale. Or, il y était clairement précisé que le demandeur n’accepterait aucune autre forme d’adaptation pour des raisons de santé. Il était donc raisonnable que l’enquêteur et la CCDP concluent (pour reprendre le libellé de l’alinéa 44(3)b) de la Loi) que « compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié ».

 

[15]           Le demandeur fait valoir que l’enquêteur a manqué d’équité dans la préparation de son rapport. Il ne s’agit pas d’une question qui ressortit à l’analyse pragmatique et fonctionnelle de la norme de contrôle. Toutefois, la Cour doit décider en droit si la procédure adoptée était équitable en l’espèce : voir, par exemple, S.C.F. P.  c. Ontario, [2003] 1 R.C.S. 539, aux paragraphes 100 et 102-103; Sketchley, précité, aux paragraphes 52-55. On a souvent dit que, dans une enquête menée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne,  l’enquêteur doit faire preuve de neutralité et de rigueur, des éléments fondamentaux de l’équité : voir, par exemple, Slattery c. Canada, [1994] 2 C.F. 574, au paragraphe 49;  Miller c. Commission canadienne des droits de la personne (1996), 112 F.T.R. 195, au paragraphe 13; McNabb c. Société canadienne des postes, [2006] A.C.F. no 1424, au paragraphe 74 (C.F.). Le demandeur se plaint en l’espèce d’un manque de rigueur. Je ne crois pas qu’il en ait fourni la preuve. Il se plaint de ce que l’enquêteur a traité la proposition de mesures d’adaptation comme étant la sienne plutôt que celle de son psychiatre et de son psychologue. Dans le contexte, il n’est guère possible de la considérer autrement que comme une demande présentée pour le compte du demandeur; sa véritable plainte serait plutôt que l’enquêteur n’a pas considéré que les propositions contenues dans la lettre du Dr Rehaluk constituent l’opinion d’un expert sur ce qui est raisonnable. Le demandeur estime aussi que l’enquêteur n’a pas porté attention au contenu des propositions d’adaptation. Selon moi, l’enquêteur a tenu dûment compte des principaux points de la lettre du Dr Rehaluk, mais il a conclu qu’ils ne suffisaient pas à former une proposition d’adaptation viable. Il manque des renseignements essentiels et la lettre insiste lourdement sur le fait qu’aucune autre mesure d’adaptation ne pouvait suffire à permettre au demandeur de retourner travailler. Le demandeur a en outre soutenu, comme je l’ai noté précédemment, que l’enquêteur avait eu tort de considérer les prestations d’invalidité versées par la Banque royale comme une mesure d’adaptation. Je ne suis pas d’accord pour les raisons précitées. Lorsqu’il n’existe aucune possibilité raisonnable qu’un ancien employé réintègre ses fonctions, les prestations d’invalidité peuvent être considérées comme une mesure d’adaptation. Avant de recevoir  la lettre du Dr Rehaluk, la Banque royale n’avait pas été informée d’un possible retour au travail du demandeur et le document – rédigé en termes vagues, renfermant des contradictions, fondé sur une simple hypothèse et comportant d’importants passages expurgés – ne pouvait permettre de conclure qu’il était en mesure de retourner travailler. Au cours de l’argumentation, le demandeur s’est également plaint de ne pas avoir été interrogé par l’enquêteur quoiqu’il ait auparavant indiqué sa disponibilité. Il est reconnu depuis longtemps qu’un enquêteur n’est pas tenu de rencontrer tous les témoins possibles et il suffit normalement, aux fins de l’équité, que les parties aient la possibilité de prendre connaissance du rapport de l’enquêteur et d’y répondre par des observations en vue de l’examen de la CCDP. De cette manière, le demandeur est en mesure d’inclure dans son mémoire tout renseignement que l’enquêteur aurait par ailleurs obtenu de celui-ci mais n’aurait pas couché dans son rapport. Il y a lieu de faire remarquer en outre que, bien que l’enquêteur n’ait pas interrogé le demandeur avant de rédiger son rapport, il était en contact avec l’avocat du demandeur qui lui a présumément transmis tout renseignement que le demandeur souhaitait lui faire connaître.

 

CONCLUSION

 

[16]           Je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire. Comme la défenderesse s’est précisément refusée à demander des dépens, il n’en sera pas adjugé.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne a rejeté la plainte du demandeur le 9 février 2007 est rejetée, sans frais.

 

 

        « Barry L. Strayer » 

                                                                                                                        Juge suppléant             

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-433-07

 

INTITULÉ :                                                   PETER BOLDY

                                                                        c.

                                                                        LA BANQUE ROYALE DU CANADA        

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 19 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE STRAYER

 

DATE DES  MOTIFS :                                 LE 25 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Boldy

DEMANDEUR

 

Richard J. Charney

Sarah C. Crossley

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Boldy

Pour son propre compte

 

DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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