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Date : 20080130

Dossier : IMM-2290-07

Référence : 2008 CF 90

ENTRE :

TAHEREH FARGOODARZI

 

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agente d’immigration désignée, Mme Athena Chan (l’agente), a refusé la demande de résidence permanente de la demanderesse à titre de membre de la catégorie « immigration économique », celle-ci ne l’ayant pas convaincue qu’elle n’était pas interdite de territoire.

 

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[2]               De nationalité iranienne, la demanderesse a présenté en 1999 une demande de résidence permanente au Canada au consulat du Canada à Hong Kong. Sa demande concernait également son mari et ses enfants.

 

[3]               La réception de la demande a été confirmée par une lettre, expédiée le 11 février 2000, laquelle mentionnait qu’une appréciation initiale allait être faite dans les six mois.

 

[4]               Une lettre a été adressée le 11 mai 2004, mentionnant que l’appréciation initiale avait été faite et que la demande allait probablement aboutir dans les six mois, sans qu’une entrevue soit nécessaire. On a également demandé à la demanderesse de présenter des documents, notamment des certificats du FBI pour son mari et pour elle-même.

 

[5]               Le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) indique,

semble-t-il, que quelques documents du FBI ont été reçus en août 2004. D’autres documents devaient toutefois encore être envoyés. Quand l’examen de sécurité relatif à l’admissibilité a été terminé le 15 septembre 2006, le certificat du FBI de l’époux de la demanderesse avait expiré et une demande d’actualisation de ce certificat a été envoyée le 4 octobre 2006.

 

[6]               De nouveaux documents ont été reçus le 13 décembre 2006, dont un certificat de la police de Californie. Une lettre a été adressée à la demanderesse le 26 février 2007, lui mentionnant qu’un tel certificat ne pouvait être accepté, que le certificat du FBI pour son mari n’avait pas encore été reçu et qu’on lui accordait 30 jours pour présenter ce document.

 

[7]               Selon l’affidavit de la demanderesse, cette lettre a été reçue à la mi-mars 2007. Étant donné qu’elle n’avait pas assez de temps pour obtenir le certificat du FBI dans le délai prévu, elle a demandé à sa sœur au Canada de communiquer avec son député. Elle affirme que l’adjointe du député, Mme Mélanie Houle, a envoyé un courriel à Hong Kong, lequel mentionnait que les certificats du FBI seraient transmis dès leur réception. Il n’y a toutefois aucune trace de ce courriel dans les notes du STIDI, même si celles-ci indiquent des communications entre Mme Houle et l’agente, notamment un courriel adressé à Mme Houle le 23 février 2007 qui mentionnait que le certificat du FBI pour le mari n’avait toujours pas été reçu.

 

[8]               Aucune autre communication n’ayant été reçue de la demanderesse, l’agente a décidé de refuser la demande le 28 mars 2007.

 

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[9]               La décision de l’agente est brève. Après avoir relevé que la demanderesse avait été priée par lettre du 4 octobre 2006 de présenter à propos de son mari un certificat du FBI actualisé et qu’on le lui avait rappelé le 26 février 2007, l’agente des visas a décidé que la demanderesse ne l’avait pas convaincue [traduction] « que vous n’êtes pas interdite de territoire et que votre situation est conforme à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés », et a ainsi conclu : [traduction] « je refuse donc votre demande aux termes du paragraphe 11(1) de la Loi ».

 

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[10]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), s’appliquent :

  11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

  16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

  11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

  16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

 

 

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[11]           La demanderesse allègue que les motifs de l’agente ne permettent pas de décider pourquoi les certificats du FBI qu’elle avait déjà envoyés ne convenait pas pour établir qu’elle n’était pas interdite de territoire ou pourquoi ses efforts pour obtenir les documents exigés équivalaient à se désister de la demande.

 

[12]           Les décideurs administratifs ont certes un devoir d’agir équitablement envers les personnes directement visées par leurs décisions, mais le contenu de ce devoir varie selon le contexte de la décision (Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653). Si la Cour juge qu’il y a eu manquement à ce devoir, la décision doit être annulée et la question renvoyée à un nouveau décideur (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1109, [2006] A.C.F. no 1409 (C.F.) (QL)). En l’espèce, il s’agit de la décision d’une agente des visas à propos d’une demande de résidence permanente; le devoir d’agir équitablement a été jugé comme étant relativement peu rigoureux dans ce contexte, en l’absence d’un droit à la résidence permanente reconnu par la loi, du fait qu’il revient à la demanderesse d’établir son admissibilité et du fait des conséquences moins graves sur celle-ci que n’a en général la décision, en comparaison de la suppression d’un avantage et de la nécessité pour l’État de maîtriser les coûts de l’administration (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 2 C.F. 413 (C.A.)).

 

[13]           À mon avis, la présente affaire ressemble beaucoup à Vellanki c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 247, [2007] A.C.F. no  315 (C.F.) (QL); après un délai de cinq ans dans le traitement d’une demande à titre de travailleur qualifié et par suite du défaut de présenter les documents exigés, la demande a été refusée dans les mêmes termes que la décision en l’espèce. Il n’y avait plus à vérifier dans cette affaire que l’admissibilité de M. Vellanki pour des raisons de sécurité ou des motifs médicaux :

[9]     […] Le paragraphe 11(1) de la LIPR précise que l’étranger doit convaincre l’agent des visas qu’il n’est pas interdit de territoire. Cette disposition doit être rapprochée de l’article 16 de la LIPR, qui oblige l’auteur d’une demande de visa à présenter les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis, y compris des photographies. En l’espèce, la décision par laquelle la demande de visa a été refusée tournait précisément autour du défaut de M. Vellanki de produire les renseignements requis par l’agente des visas; ce raisonnement est d’ailleurs clairement exprimé dans la lettre de décision. À mon sens, dans sa première lettre « de rappel final », l’agente des visas a simplement repris en d’autres mots le même message et faisait clairement comprendre à M. Vellanki que tout défaut de répondre entraînerait un refus. En termes simples, l’agente des visas n’était « pas convaincue » que M. Vellanki n’était pas interdit de territoire parce qu’il n’avait pas fourni les renseignements dont elle avait besoin pour être convaincue et pour terminer son évaluation.

 

 

[14]           L’analyse ci-dessus me semble convenir en l’espèce. La demanderesse soutient que son affaire est différente car M. Vellanki disposait de six mois pour accomplir une petite tâche, alors qu’elle [traduction] « n’avait que quelques jours pour faire ce qui demandait 16 à 18 semaines! ». Il ne m’apparaît pas que cette différence soit pertinente quant au bien-fondé des motifs de l’agent, qui sont à mon avis suffisamment clairs.

 

[15]           La demanderesse soutient en outre que le délai d’obtention du certificat du FBI n’était pas raisonnable en s’appuyant sur la décision Li, précitée, dans laquelle il a été jugé que l’agente des visas avait enfreint les règles de justice naturelle car elle n’avait pas donné au demandeur la possibilité d’obtenir le document exigé avant de rendre sa décision. Selon la demanderesse, l’agente aurait au moins dû prendre en compte le courriel envoyé en mars 2007 par Mme Houle, dans lequel celle-ci précisait que les documents exigés seraient transmis dès leur réception.

 

[16]           Le défendeur répond, en s’appuyant sur Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 F.T.R. 262, que les agents des visas ne sont pas tenus de se renseigner quant à l’insuffisance des documents et qu’étant donné que la demanderesse avait déjà eu la possibilité de présenter les renseignements exigés et qu’elle ne l’avait pas fait, l’agente était en droit de lui accorder un délai de réponse plus court. Le défendeur souligne par ailleurs qu’il n’y a aucun affidavit de Mme Houle, ni d’élément de preuve selon lequel le consulat de Hong Kong aurait reçu le courriel. En outre, celui-ci semble avoir été envoyé le 28 mars 2007, c’est-à-dire après que la décision avait été rendue si l’on prend en compte le décalage horaire entre le Canada et Hong Kong.

 

 

[17]           La pièce D de son affidavit prouve, selon la demanderesse, que le courriel avait déjà été envoyé le 20 mars 2007. Si l’on examine cette pièce D, le courriel semble toutefois être daté du 28 mars 2007. Qui plus est, il ne s’agit pas du courriel adressé au consulat, mais d’un courriel de Mme Houle à la sœur de la demanderesse, indiquant qu’un courriel avait déjà été adressé au consulat.

 

[18]           Quelle que soit la date à laquelle le courriel a été envoyé à Hong Kong, il n’y a cependant aucun élément de preuve selon lequel il aurait été reçu par le consulat. Cela ne figure pas au dossier du tribunal et il n’en est pas fait mention dans les notes du STIDI.

 

[19]           J’estime que la demanderesse n’a pas démontré que l’agente avait enfreint les règles de justice naturelle quand elle lui a accordé 30 jours pour présenter les documents exigés. J’aurais pu conclure différemment si la demanderesse avait elle-même communiqué avec le consulat pour demander un délai ou avait au moins fait le suivi du courriel adressé par Mme Houle afin de s’assurer qu’il avait été reçu. Cette affaire est différente de la décision Li, précitée, car avant de décider, l’agente a donné à la demanderesse la possibilité de présenter les documents. En l’espèce, celle-ci a eu un délai ultime de 30 jours pour présenter les documents et l’agente n’a pas été notifié que la demanderesse avait besoin de plus de temps. L’agente n’ayant pas eu de nouvelles de la demanderesse dans le délai imparti, elle était en droit de rendre sa décision en fonction des éléments de preuve qui avaient été alors remis par la demanderesse. Je souligne que contrairement à ce que celle-ci affirme, l’agente n’a pas décidé que la demanderesse s’était désistée de sa demande, mais elle n’a pas été convaincue que la demanderesse n’était pas interdite de territoire.

 

[20]           La demanderesse soutient par ailleurs que rien n’indique que l’agente a étudié les éléments de preuve présentés avant de rendre sa décision.

 

[21]           Il est établi que la norme de contrôle pour les questions relevant du pouvoir discrétionnaire des agents des visas est celle de la décision manifestement déraisonnable (Shi c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1224, [2005] A.C.F. no 1490 (C.F.) (QL)). C’est aux demandeurs de démontrer à l’agent des visas que leur situation est conforme à  la Loi et qu’ils ne sont pas interdits de territoire (Farzam c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1659, [2005] A.C.F. no 2035 (C.F.) (QL)). La Cour peut certes intervenir s’il peut être démontré que lors de sa décision, l’agent des visas a écarté des éléments de preuve, mais celui-ci est présumé avoir examiné la totalité des éléments, à moins de preuve du contraire, et le défaut de mentionner des éléments de preuve n’entache pas, en soi, la décision de nullité (voir Woolaston c. Min. de la M. & I., [1973] R.C.S. 102, et Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL)).

 

[22]           À mon avis, la demanderesse n’a pas établi que dans sa décision, l’agente n’avait pas pris en compte les éléments de preuve. Les motifs de l’agente établissent qu’elle a examiné les pièces au dossier. Celles-ci ne comportaient pas les renseignements actualisés touchant l’admissibilité de la demanderesse en matière criminelle, ce qui corrobore la conclusion de l’agente. La décision de l’agente ne me paraît pas manifestement déraisonnable.

 

[23]           Enfin, la demanderesse soutient qu’ayant été informée que sa demande serait traitée sans qu’une entrevue soit nécessaire et qu’étant depuis huit ans dans les formalités, elle pouvait légitimement s’attendre à ce qu’on lui accorde un délai raisonnable pour présenter les documents exigés. Au vu de ma conclusion que le délai n’était pas déraisonnable, j’estime que même si la doctrine de l’attente légitime s’applique, elle n’est en l’espèce d’aucun secours à la demanderesse.

 

[24]           Qui plus est, même si le délai était déraisonnable, la demanderesse n’a pas établi comment cette doctrine s’applique en l’espèce. Elle s’applique en vue de renforcer les droits procéduraux dans des situations où une personne a été amenée à croire qu’une certaine méthode serait suivie ou qu’un certain résultat serait obtenu (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). La demanderesse semble toutefois fonder ses observations à cet égard sur ses propres actes ainsi que sur la lettre de mai 2004, laquelle précisait que sa demande serait traitée dans les six mois. Ses propres actes ne peuvent créer d’attente légitime quant à la procédure que le décideur adoptera et je ne vois pas comment une déclaration que sa demande serait traitée dans un certain délai établit une attente légitime que la demanderesse se verrait accorder un certain délai pour présenter les documents exigés.

 

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[25]           Pour tous ces motifs, l’intervention de la Cour ne se justifie pas et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 30 janvier 2008

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-2290-07

 

INTITULÉ :                                                               TAHEREH FARGOODARZI

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 8 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 30 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mitchell Goldberg                                                         POUR LA DEMANDERESSE           

 

Martine Valois                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mitchell Goldberg                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous procureur général du Canada

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