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Date : 20080128

Dossier : T-1119-07

Référence : 2008 CF 106

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2008

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

Entre :

BASHIR AHMED ABDEL GAYOUM ALI

demandeur

 

et

 

 

citoyenneté et immigration Canada

défendeur

 

 

motifs de l’ordonnance et ordonnance

 

[1]               Le demandeur interjette appel de la décision du juge de la citoyenneté George Springate (le juge de la citoyenneté), datée du 7 mars 2007 et communiquée au demandeur par lettre datée du 20 avril 2007 (la décision), dans laquelle le juge de la citoyenneté concluait que le demandeur ne respectait pas le critère de résidence énoncé à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), critère auquel il faut répondre pour obtenir la citoyenneté canadienne.

 

[2]               L’exigence de résidence est énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, qui est rédigé comme suit :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

a) en fait la demande;

 

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

[3]               Le demandeur, un citoyen du Soudan, a obtenu son statut de résident permanent lorsqu'il est entré au Canada avec sa famille le 7 juin 2000. Le demandeur travaille pour Alternatives, une organisation non gouvernementale de développement international. Depuis qu'il est devenu résident permanent du Canada, il a eu des affectations à l'étranger, au Soudan, aux Pays-Bas, en Égypte et au Royaume-Uni. Alternatives est un organisme de bienfaisance sans but lucratif enregistré auprès de Revenu Canada et est partiellement financé par l'Agence canadienne de développement international, Affaires étrangères et Commerce international Canada et Industrie Canada. Le siège social d'Alternatives est situé à Montréal, au Québec.

 

[4]               N’étant pas convaincu que le demandeur avait respecté le critère de résidence prévu par la  Loi, le juge de la citoyenneté a rendu sa décision le 7 mars 2007. Le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur a passé 305 jours de moins au Canada que le minimum de 1 095 jours de résidence au cours des quatre années précédant immédiatement la date de sa demande. Le demandeur a été informé de cette décision par lettre datée du 20 avril 2007. Cette lettre résume la décision en partie comme suit :

[traduction]

Dans ces circonstances, pour répondre aux conditions de résidence, vous deviez me convaincre que vos absences du Canada pouvaient être considérées comme une période de résidence au Canada.

 

La jurisprudence de la Cour fédérale exige que, pour établir la résidence, une personne doit prouver, par ses intentions et ses actes, qu'elle a centralisé son mode de vie au Canada. Si une telle résidence est établie, les absences du Canada n'affectent pas sa résidence, tant qu'il est prouvé que la personne n'a quitté que dans un but temporaire et qu'elle a conservé au Canada une forme réelle et manifeste de résidence.

 

J'ai soigneusement examiné votre cas pour déterminer si vous avez établi votre résidence au Canada avant vos absences, de sorte que les absences en question pourraient être considérées comme une période de résidence et, si durant vos absences, vous avez maintenu suffisamment de liens avec le Canada. L'examen des faits m'amène à conclure que vous n'avez ni établi ni maintenu votre résidence au Canada et que, par conséquent, vous ne répondez pas aux conditions de résidence.

 

 

[5]               La question en litige en l’espèce est de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que le demandeur avait omis de remplir les conditions d’accession à la citoyenneté canadienne énoncées à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. La question de savoir si une personne a respecté les conditions de résidence prévues par la Loi est une question mixte de droit et de fait. Il convient de faire preuve d’une certaine retenue à l’égard des décisions des juges de la citoyenneté en raison de leurs connaissances et de leur expérience spéciales. 

 

[6]               Après avoir appliqué la méthode pragmatique et fonctionnelle à l’examen des décisions des juges de la citoyenneté portant sur le critère de résidence prévu par la Loi, la Cour a conclu que la norme adéquate était celle de la décision raisonnable simpliciter : Gunnarson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1913 (QL), 2004 CF 1592; Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2051 (QL), 2004 CF 1688; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2069 (QL), 2004 CF 1693 (la décision Chen); Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 2134 (QL), 2004 CF 1752. Je reconnais qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable.

 

[7]               Dans le même ordre d’idées, j’adopte le raisonnement du juge Mosley dans la décision Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1078 (QL), 2005 CF 861, où il conclut au paragraphe 13 que, « pour les questions purement factuelles, il convient de faire preuve de plus de retenue face aux conclusions du juge de la citoyenneté, ce qui mène à la norme de la décision manifestement déraisonnable. » En conséquence, je conclus que la norme de contrôle appropriée applicable à la principale question en litige en l’espèce est la décision raisonnable simpliciter et que les conclusions purement factuelles du juge de la citoyenneté sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[8]               Le mot « résidence » n’est pas défini par la loi mais plutôt par la jurisprudence. La jurisprudence de la Cour fédérale a donné lieu à trois approches distinctes à l’égard de la résidence. Un juge de la citoyenneté peut adopter et appliquer l’approche de son choix, pourvu que celle‑ci est appliquée de façon appropriée : Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (QL), 164 F.T.R. 177 (la décision Lam). Ces trois approches différentes ont été résumées comme suit dans la décision Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1923 (QL), 2006 CF 1536, aux paragraphes 50 et 51 :

Selon le premier critère, une personne ne peut résider en un lieu où elle n’est pas physiquement présente. Il est donc nécessaire qu’un éventuel citoyen fasse la preuve qu’il a été physiquement présent au Canada pendant la période exigée. Cette condition résulte de la décision rendue dans Re Pourghasemi (1993), 60 F.T.R. 122, 19 Imm. L.R. (2d) 259, au paragraphe 3 (C.F. 1re inst.), où le juge Muldoon souligne à quel point il est important qu’un éventuel nouveau citoyen s’intègre dans la société canadienne. Deux autres critères opposés représentent une approche plus souple à l’égard de la résidence. Premièrement, dans la décision Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, 88 D.L.R. (3d) 243 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow a conclu que la notion de résidence implique plus qu’un simple calcul de jours. Il a conclu que la résidence dépend de la mesure dans laquelle une personne, en pensée ou en fait, s’établit ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances. La question consiste donc à savoir si les liens qu’a le demandeur dénotent que le Canada est son chez-soi, indépendamment de ses absences du pays.

 

Le juge Reed a décrit la troisième approche qui, en fait, n’est qu’une extension du critère formulé par le juge Thurlow. Dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 59 F.T.R. 27 (C.F. 1re inst.), le juge Reed conclut que la question dont la Cour est saisie consiste à savoir si le Canada est le pays dans lequel un requérant a centralisé son mode d’existence. Il faut à cette fin  prendre plusieurs facteurs en considération :

 

1.      Le requérant était-il physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2.      Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3.      La forme de présence physique du requérant au Canada dénote-t-elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu’il n’est qu’en visite?

4.      Quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence présumée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5.      L’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

6.      Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

Le principe général est que la qualité de la résidence au Canada doit être plus importante qu’ailleurs. Voir aussi Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 21 Imm. L.R. (3d) 104, 2002 CFPI 346.

 

[9]               En l’espèce, dans sa décision datée du 7 mars 2007, le juge de la citoyenneté a appliqué le critère énoncé dans la décision Koo (Re), précitée, pour décider si le Canada était l’endroit où le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » selon son évaluation des six facteurs cernés par le juge Reed ci-dessus. 

 

Facteur 1 - Le requérant était-il physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

[10]           Le demandeur est arrivé au Canada le 7 juin 2000. Le juge de la citoyenneté a conclu qu'il est demeuré au Canada pendant environ trois mois et demi avant de retourner au Soudan pour le compte d'Alternatives. Le demandeur a été à l'extérieur du Canada pendant 83 jours pour ce qu'il a appelé une [traduction] « visite de développement ». Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a déclaré que le demandeur a effectué par la suite sept autres absences du Canada, dont six étaient des voyages au Soudan. Toutes les absences concernaient Alternatives et leur durée a varié de 22 jours à 74 jours. Le demandeur s'est rendu au Soudan pendant 21 jours en mai 2003 et 20 jours en juin et juillet de la même année. Il a présenté sa demande de citoyenneté canadienne le 8 septembre 2003. Quelques jours plus tard, sa famille et lui ont quitté le Canada pour l'Égypte, car il avait conclu avec Alternatives un contrat de travail de quatre ans dans ce pays.

 


Facteur 2 - Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

[11]           Selon la décision du juge de la citoyenneté, l'épouse du demandeur et leurs deux enfants d'âge scolaire étaient au Canada pendant la période en cause. Ils ont tous quittés le Canada quelques jours après que le demandeur eut présenté sa demande de citoyenneté canadienne. Au moment où le juge de la citoyenneté examinait le dossier du demandeur (environ 42 mois plus tard), aucun membre de la famille n'était revenu résider au Canada. Le demandeur a un frère et une sœur qui résident au Soudan.

 

Facteur 3 - La forme de présence physique du requérant au Canada dénote-t-elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu’il n’est qu’en visite?

[12]           En ce qui a trait au troisième facteur, le juge de la citoyenneté a déclaré dans sa décision que l’épouse et les deux enfants du demandeur étaient au Canada avec lui et que les deux enfants fréquentaient l’école ici. Toutefois, un dossier distinct de demande de citoyenneté a permis de montrer que l'épouse du demandeur était à l'extérieur du Canada pendant 505 jours au cours de la période pertinente qui la concernait. De plus, le demandeur a informé le juge de la citoyenneté que ses enfants fréquentaient l'école en Égypte depuis que la famille avait quitté le Canada en septembre 2003. Le juge de la citoyenneté a indiqué que, [traduction] « depuis l'entrée du demandeur au Canada le 7 juin 2000 jusqu'à aujourd'hui, le demandeur a été physiquement présent au Canada pendant quelque 800 jours, durant une période de 2 460 jours ». Le juge de la citoyenneté a également tenu compte des antécédents d'emploi du demandeur auprès d'Alternatives.

 

4. Quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence présumée que lorsque les absences en question sont considérables)?

[13]           Le quatrième facteur relevé dans la décision Koo (Re), précitée, reconnaît qu’il est plus facile de considérer qu'une personne est une résidente si, en raison de ses absences, il ne lui manque que quelques jours pour atteindre le total de 1 095 jours. Néanmoins, en l'espèce, le juge de la citoyenneté a souligné que le demandeur avait été absent pendant 398 jours et physiquement présent au Canada pendant seulement 790 jours. Devant un manque de 305 jours, le juge de la citoyenneté a conclu ce qui suit dans sa décision : [traduction] « De toute évidence, il ne manque pas 'que quelques jours' au demandeur pour atteindre le total de 1 095 jours. »

 

5. L’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

[14]            En ce qui a trait au cinquième facteur, la décision du juge de la citoyenneté se lit comme suit :

[traduction]

Il n’y avait rien de temporaire dans ce que faisait le demandeur. Il a décidé de son propre gré de travailler pour Alternatives – à l’extérieur du Canada. Immédiatement après la période pertinente le concernant, il a conclu avec Alternatives un contrat de travail de quatre ans en Égypte. Il faut souligner que toute sa famille est partie avec lui à ce moment-là.

 

 

6. Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[15]           Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a répété que le nombre de jours qui manquait au demandeur, en l’occurrence 305 jours, était important. Il a souligné que le demandeur avait voyagé à l'extérieur du Canada à huit reprises pendant la période pertinente et que sept de ces absences étaient des voyages au Soudan. Il a de plus souligné que, quelques jours après avoir présenté sa demande de citoyenneté, le demandeur et sa famille ont quitté le Canada en vertu d'un contrat de quatre ans pour travailler en Égypte. Ses enfants sont inscrits à l'école en Égypte et ils [traduction] « ne sont pas revenus vivre au Canada depuis leur départ 42 mois auparavant ». Le juge de la citoyenneté a reconnu que le demandeur avait acheté une résidence productrice de revenu au Canada deux semaines avant la présentation de sa demande. Bien que le demandeur ait écrit dans son questionnaire sur la résidence qu'il ne détenait aucun bien à l'extérieur du Canada, le demandeur a informé le juge de la citoyenneté à l'audience qu'il est propriétaire de biens au Soudan. En effet, le demandeur a avoué qu'il était propriétaire de ces biens avant la période pertinente, pendant et après celle-ci.

 

[16]           Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a tenu les propos suivants :

[traduction]

J'ai réfléchi à cette affaire à plusieurs reprises. Et je reviens toujours à ce que le demandeur m'a déclaré à la fin de l'audience. Il m'a dit qu'il avait besoin d'un passeport canadien. Il a dit que cela rendrait ses déplacements entre les pays beaucoup plus faciles plutôt qu'avec un passeport du Soudan.

 

Sa déclaration concorde avec ce que Me Richard Sheitoyan, de Adjucorp International of Canada et conseiller du demandeur en l’espèce, a écrit dans une lettre datée du 12 décembre 2006 à l’intention de Citoyenneté et Immigration Canada. Voici un extrait de ce qu’a écrit l’avocat :

 

[traduction]

Nous attirons votre attention sur la nécessité pour M. Ali de voyager d'un pays à un autre pour réaliser des « missions gouvernementales ». Il passe en moyenne deux à trois semaines dans chaque pays et, chaque fois qu'il se déplace, il doit obtenir un visa d'entrée pour chacun de ces pays. Cela lui cause un retard supplémentaire et entrave son travail. Afin d'alléger ces difficultés, un passeport canadien faciliterait grandement son travail.

 

[17]           Compte tenu de cette preuve, le juge de la citoyenneté a indiqué que la citoyenneté canadienne n’était pas une question primordiale. Il a conclu qu’un passeport canadien comme « pavillon de complaisance » constituait le besoin urgent. Il a également répété que, si le demandeur avait travaillé pour le gouvernement canadien, les jours où il travaillait à l’extérieur du Canada auraient été considérés comme des [traduction] « jours de présence physique ».  Toutefois, en l’espèce, il a conclu : [traduction] « Peu importe que son travail ait été charitable et réconfortant, les jours qu’il a passés à l’extérieur du Canada ne comptent pas, ils sont considérés comme des absences. » De plus, le juge de la citoyenneté a conclu que sa façon de travailler avec Alternatives montrait clairement que le travail à l’extérieur du Canada était permanent et non temporaire. 

 

[18]           Après avoir examiné les six facteurs relevés dans la décision Koo (Re), précitée, le juge de la citoyenneté a déclaré que les attaches du demandeur avec le Soudan étaient beaucoup plus importants que celles qu’il avait avec le Canada. Le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n'avait pas répondu aux conditions de résidence prévues par la Loi.

 

[19]           Le juge de la citoyenneté a également examiné la question de savoir s’il devait recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu des paragraphes 5(3) et (4) de la Loi, comme il était tenu de le faire conformément au paragraphe 15(1). Ces dispositions exceptionnelles permettent une recommandation favorable dans le cas d’une situation particulière et inhabituelle de détresse ou lorsqu’un requérant a fourni des services d'une valeur exceptionnelle au Canada. Dans le présent appel, le demandeur n'a pas contesté la décision du juge de la citoyenneté de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’une manière favorable à son égard.

 

[20]           Dans son exposé des faits et du droit, le demandeur conteste la décision du juge de la citoyenneté, soutenant que ce dernier a omis de préciser le critère sur lequel il s’est appuyé pour décider si le demandeur avait respecté le critère de résidence. De plus, le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté a omis de fournir des motifs adéquats, mais l'avocat n'a pas insisté sur ce dernier argument à l'audience. Toutefois, à l'audience devant la Cour, l'avocat du demandeur a allégué qu'il y a eu manquement à l'équité de la procédure parce que le juge de la citoyenneté a omis de demander au demandeur de présenter les documents pertinents. Puisqu'il s'agit d'un tout nouvel argument, non soulevé dans l'exposé des faits et du droit, je ne l'examinerai pas à cette date tardive.

 

[21]           Le demandeur allègue également que la décision du juge de la citoyenneté était déraisonnable et qu'il a omis de tenir compte des faits particuliers de l'affaire. Le demandeur renvoie la Cour à plusieurs facteurs qui, selon lui, indiquent qu'il a établi une résidence au Canada. Voici un résumé de ces facteurs. À compter de son arrivée en 2000 jusqu'à la présentation de sa demande de citoyenneté en 2003, le demandeur et sa famille ont résidé au Canada et n'appelaient aucun autre pays leur foyer. Il a acheté une maison au Canada, avait une carte d'assurance sociale, une carte d'assurance-maladie, des comptes bancaires, et ses enfants fréquentaient l'école au Canada. Même si le demandeur avait des affectations à l'étranger pour le compte d’Alternatives, il recevait un salaire en dollars canadiens, il produisait des déclarations d'impôt sur le revenu au Canada et revenait toujours à la maison à sa famille au Canada entre ses missions. Le demandeur soutient que ses attaches avec le Canada sont plus importantes que celles qu’il a avec le Soudan ou l'Égypte. Plutôt que de qualifier les périodes de séjour au Canada comme des visites, le demandeur allègue que, pendant ces périodes, il [traduction] « revenait à la maison » après des situations temporaires d'affaires ou d'emploi qui exigeaient qu'il voyage à l'étranger.

 

[22]           Le demandeur prétend de plus que le juge de la citoyenneté a fondé sa décision sur des considérations non pertinentes comme l'endroit où a résidé le demandeur après la présentation de sa demande. À cet égard, il est allégué que le libellé de l'alinéa 5(1)c) est « rétrospectif ». Par conséquent, l'endroit où réside un demandeur après la présentation de sa demande ne constitue pas un facteur pertinent. En effet, l'avocat du demandeur a soutenu que, dans l'analyse étayant sa décision, le juge de la citoyenneté a indiqué que, quelques jours après la présentation de la demande de citoyenneté par le demandeur, ce dernier et sa famille ont quitté le Canada pour l'Égypte, car il avait conclu avec Alternatives un contrat de quatre ans pour travailler dans ce pays. Le juge de la citoyenneté a souligné que les enfants du demandeur avaient fréquenté l'école en Égypte depuis que la famille avait quitté le Canada en septembre 2003. Il a également déclaré qu'au moment où il a examiné le dossier du demandeur (environ 42 mois après la date de présentation de la demande du demandeur), aucun membre de la famille n'était revenu résider au Canada.  

 

[23]           Tous les arguments présentés par le demandeur doivent être rejetés.

 

[24]           Premièrement, le juge de la citoyenneté n’a pas mal compris la nature du critère établi dans la décision Koo (Re). Comme je l’ai déjà mentionné ci-dessus, la plus grande partie de la décision porte sur l’application, par le juge de la citoyenneté, des six questions énoncées par le juge Reed aux circonstances particulières de la demande du demandeur.  

 

[25]           Deuxièmement, en ce qui a trait au caractère adéquat des motifs du juge de la citoyenneté, dans la décision Lam, précitée, le juge Lufty a défini, au paragraphe 33, cette question précise dans le contexte des demandes de citoyenneté comme une obligation de donner « des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence ». Cette obligation est nettement remplie en l’espèce. 

 

[26]           Troisièmement, compte tenu des éléments de preuve dont il était saisi et qui ont été reproduits dans le dossier certifié de la Commission, il était loisible au juge de la citoyenneté de tirer les conclusions de fait qu’il a tirées et le demandeur n’est pas parvenu à me convaincre que ces conclusions étaient abusives ou arbitraires. Le demandeur a en sa possession des documents qui ne font pas partie du dossier certifié de la Commission et que l’avocat a demandé à la Cour de prendre en compte. Comme il ne s’agit pas d’un appel de novo, je ne peux pas examiner ces documents supplémentaires et je ne l’ai pas fait. 

 

[27]           Quatrièmement, après avoir lu la décision dans sa totalité, la conclusion du juge de la citoyenneté selon laquelle le demandeur n’a pas établi de résidence au Canada avant ses absences, pour que ces absences puissent être considérées temporaires et considérées comme une période de résidence, est nettement appuyée par les éléments de preuve au dossier.

 

[28]           Cinquièmement, le juge de la citoyenneté n’a pas pris en compte des facteurs non pertinents en appliquant les six facteurs du critère établi dans la décision Koo (Re). Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, « dans la mesure où ont été démontrées une connaissance de la jurisprudence et une appréciation des faits et de la manière dont ils s'appliquent en regard du critère de la loi, il convient de faire preuve de retenue » (la décision Chen, précitée, au paragraphe 5). Dans l’ensemble, je conclus que la conclusion du juge de la citoyenneté est raisonnable dans les circonstances.

 

[29]           Un juge de la citoyenneté ne s’acquitte pas d’une fonction mécanique ou routinière, mais prend plutôt une décision très importante, l’octroi de la citoyenneté canadienne, qui a des répercussions profondes. Comme première étape, le demandeur était tenu de montrer l’établissement d’une résidence au Canada. Cette première étape, soit l'établissement d'une résidence au Canada, est essentielle, puisque, si le demandeur ne la franchit pas, on ne peut pas tenir compte de ses périodes d'absence du Canada : Jreige c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1469 (QL), au paragraphe 25. La question de savoir si le demandeur a centralisé ou non son mode de vie au Canada peut être soulevée. La question de savoir si le demandeur a établi et maintenu une résidence au Canada est essentiellement une question factuelle suppose l’appréciation du point jusqu’auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question (la décision Re Papadogiorgakis, précitée, au paragraphe 14; Seiffert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1326 (QL), 2005 CF 1072, au paragraphe 7; Huang (Re), [1997] A.C.F. no 112 (QL), au paragraphe 2).

 

[30]           À mon avis, les faits retenus par le juge de la citoyenneté dans son analyse sont tous pertinents puisqu’ils montrent une appréciation de la qualité d’ensemble des attaches avec le Canada et du degré d’établissement du demandeur. Il incombait au demandeur de montrer qu’il avait centralisé son mode de vie au Canada et qu’il avait respecté la condition de 1 095 jours. L’important manque de 305 jours était un fait objectif indiquant que le demandeur n’avait pas satisfait au critère de résidence pendant la période pertinente. Il n’a tout simplement pas réussi à convaincre le juge de la citoyenneté que ses nombreuses absences du Canada devaient être prises en compte aux fins de sa période de résidence.

 

[31]           En conséquence, le présent appel doit être rejeté. Toutefois, cela n’empêche pas le demandeur de présenter une demande de citoyenneté à une date ultérieure lorsque le critère de résidence aura été respecté.

 

 


ordonnance

La cour ordonne que le présent appel soit rejeté.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

dossier :                                                    T-1119-07

 

Intitulé :                                                   BASHIR AHMED ABDEL GAYOUM ALI

            c.

            citoyenneté et immigration Canada

 

lieu de l’audience :                             Montréal (Québec)

 

DATE de l’audience :                           le 23 janvier 2008

 

Motifs de l’ordonnance

Et ordonnance :                                   le juge MARTINEAU

 

Date des motifs :                                  le 28 janvier 2008

 

 

Comparutions :

 

Deborah Mankovitz

 

Pour le demandeur

Sylviane Roy

 

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Grey, Casgrain

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

Montréal (Québec)

 

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