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Date : 20080124

Dossier : IMM-840-07

Référence : 2008 CF 94

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

SHANICE NYAWIRA

 

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Shanice Nyawira est une citoyenne du Kenya âgée de sept ans. Elle demande l’asile du fait de son appartenance au groupe social de jeunes filles qui risquent sérieusement de subir la mutilation génitale féminine (la MGF) au Kenya.

 

[2]        La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile de Mlle Nyawira sur le fondement de deux conclusions principales. Premièrement, la Commission a conclu que Mlle Nyawira n’avait jamais été exposée au risque d’une MGF. Deuxièmement, la Commission a conclu que Mlle Nyawira n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[3]        La présente demande de contrôle judiciaire de cette décision est rejetée pour les motifs suivants : (i) la première conclusion de la Commission, soit une conclusion de fait, n’était pas manifestement déraisonnable; et (ii) la conclusion de la Commission quant à la protection de l’État résiste à un examen approfondi selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[4]        Pour ce qui est de la première conclusion de la Commission, il est bien établi en droit que les conclusions de fait tirées par la Commission relativement à la crédibilité et au manque de vraisemblance sont assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable. La Commission, dans ses motifs, a souligné que la mère et représentante désignée de Mlle Nyawira, Mme Waweru, avait décidé, en toute connaissance de cause, de laisser sa fille au Kenya afin de se rendre au Canada présenter une demande d’asile. La Commission a jugé qu’en tant que demanderesse d’asile déboutée, dont elle avait rejeté la preuve, Mme Waweru n’était pas du tout obligée de quitter le Kenya. La Commission a également jugé que si Mme Waweru croyait réellement que sa fille risquait de subir une MGF, elle ne l’aurait pas laissée au Kenya afin de se rendre au Canada.

 

[5]        Une conclusion de fait est manifestement déraisonnable si elle est « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison ». Voir l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52. À mon avis, il n’est pas possible de conclure que la conclusion de la Commission sur ce point était clairement irrationnelle. Elle n’était donc pas manifestement déraisonnable.

 

[6]        Pour ce qui est de la conclusion de la Commission selon laquelle il existait une protection adéquate de l’État, il s’agit d’une conclusion de fait et de droit habituellement susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 282 D.L.R. (4th) 413 (C.A.F.), au paragraphe 38. Cette norme exige que la Cour détermine si, après un examen assez poussé, les motifs de la décision, pris dans leur ensemble, étayent la décision. Voir l’arrêt Ryan, précité, au paragraphe 47. La Cour doit faire preuve du niveau de déférence requis et peut être obligée d’accepter qu’une décision est raisonnable même s’il est peu probable qu’elle aurait tiré la même conclusion que le tribunal. Voir l’arrêt Ryan, précité, au paragraphe 46.

 

[7]        Voici la conclusion de la Commission quant à la protection de l’État :

Le conseil a attiré mon attention sur le rapport du Département d’État américain concernant les mutilations génitales au Kenya et a mentionné que la pratique perdure. Cette preuve établit essentiellement que la mutilation génitale est de moins en moins fréquente et qu’un grand nombre de mesures de toutes sortes sont prises pour éradiquer cette pratique. Selon ce rapport publié en 2001 [traduction] « aucune loi n’interdit la mutilation génitale des femmes au Kenya ». En fait, une preuve plus récente (février 2005) révèle que le Kenya a interdit la mutilation génitale des filles de moins de 18 ans. La loi, connue sous le nom de Children’s Act (loi sur les enfants), précise que toute personne reconnue coupable sera passible d’une peine d’emprisonnement de 12 mois ou d’une amende de 50 000 shillings (environ 670 $US) ou des deux. Le ministre de la Santé a émis une directive en matière de politique interdisant la mutilation génitale dans tous les établissements de santé. Les renseignements obtenus en 2004 révèlent que les structures nécessaires à l’application efficace des dispositions de la loi ne sont pas toutes en place et, selon certaines sources, la loi n’est pas appliquée. Le gouvernement du Kenya a également mis en œuvre un plan d’action national pour l’élimination des mutilations génitales au Kenya, qui a pour objet d’accroître le nombre de collectivités qui appuient l’éradication de cette pratique. J’estime que l’État prend des moyens sérieux pour protéger les personnes telles que la demandeure d’asile. La loi n’est pas parfaite, mais le législateur semble vouloir corriger le problème et, grâce à un effort de sa part, et avec l’aide d’autres personnes, la demandeure d’asile peut se prévaloir de la protection offerte. La demandeure d’asile, par l’entremise de sa représentante désignée, n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État. [Notes de bas de page omises; souligné dans l’original.] 1

 

 

 

[8]        En droit, il existe une présomption générale selon laquelle l’État est en mesure d’offrir une protection à ses citoyens. Il doit y avoir une preuve claire de l’incapacité de l’État d’assurer la protection de ses citoyens. Par conséquent, on s’attend généralement à ce que le demandeur d’asile sollicite la protection de l’État lorsque les agents de persécution n’agissent pas au nom de l’État. L’omission de solliciter la protection est seulement justifiée lorsque la preuve étaye la conclusion selon laquelle la protection ne serait pas raisonnablement assurée. Voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

 

[9]        En l’espèce, aucune preuve n’a été présentée établissant que la mère de Mlle Nyawira avait déjà sollicité la protection de l’État pour sa fille. Par conséquent, la Commission devait apprécier le risque auquel pourrait être exposé Mlle Nyawira compte tenu de la volonté et de la capacité du Kenya d’assurer une protection.

 

[10]      Ailleurs dans ses motifs, la Commission a conclu que Mlle Nyawira n’avait jamais été exposée au risque d’une MGF au Kenya. La Commission n’a commis aucune erreur dans l’analyse de la preuve dont elle disposait, notamment les éléments de preuve selon lesquels le Kenya avait déclaré illégale la MGF, avait interdit la pratique de la MGF dans tous les établissements de santé, et avait mis en œuvre un plan pour l’élimination de la MGF. À mon avis, après un examen assez poussé, les motifs de la Commission, pris dans leur ensemble, étayent sa décision. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[11]      Les avocats n’ont proposé aucune question à certifier et je suis d’accord que le présent dossier n’en soulève aucune.

 

1.  J’ai remarqué le commentaire plutôt maladroit de la Commission portant que Mlle Nyawira aurait dû faire « un effort » pour se prévaloir de la protection de l’État. À mon avis, il est absurde de parler d’un enfant de six ou sept ans comme devant faire un effort quelconque pour solliciter la protection de l’État. Cependant, je suis convaincue que l’essentiel de la conclusion de la Commission était qu’avec l’aide de sa mère, la demanderesse pouvait obtenir la protection de l’État. À cet égard, la mère a témoigné qu’elle s’était opposée à la mutilation de sa fille et qu’avant de quitter le Kenya, elle demeurait et travaillait à Nairobi. Nairobi constitue un grand centre urbain où Mlle Nyawira serait plus à l’écart des comportements ruraux et des femmes plus âgées de sa famille qui pourraient vouloir qu’elle subisse une MGF.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-840-07

 

INTITULÉ :                                                               SHANICE NYAWIRA

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 15 JANVIER 2008

                                                           

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 24 JANVIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sina Ogunleye                                                              POUR LA DEMANDERESSE

 

David Joseph                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sina Ogunleye                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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