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Date : 20080123

Dossier : IMM-5202-06

Référence : 2008 CF 88

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

IGOR MOISEEV

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE  

 

[1]               Le demandeur est un citoyen russe qui a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des entrepreneurs. Il souhaite établir des entreprises au Canada dans les domaines de l'assurance-risque, de la restauration de monuments architecturaux et de l'administration immobilière.

 

[2]               Le 16 octobre 2006, l'agent des visas à l'ambassade du Canada à Moscou a rejeté la demande du demandeur et a conclu qu'il était interdit de territoire conformément au paragraphe 34(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). L'agent des visas a conclu que même si M. Moiseev satisfaisait aux critères permettant l'obtention d'un visa permanent dans la catégorie des entrepreneurs, il était interdit de territoire pour raison de sécurité parce qu'il avait été membre du service secret soviétique, le KGB. J'expose ci‑dessous les motifs de ma décision rejetant la demande de contrôle judiciaire de M. Moiseev.

 

Le contexte

[3]               Le demandeur est né en Russie en 1963. Son diplôme précise qu'il a terminé en 1985 ses études au Collège de commandement de la frontière de Moscou, dans la promotion de l'Ordre de la bannière rouge de la Révolution d'octobre. Il a fait partie d’un corps de cadets et, après avoir obtenu son diplôme d'officier de l'armée, il s'est joint aux gardes-frontière. Il a été affecté à l'île Sakhalin du 15 septembre 1985 au 14 mai 1989, où il a travaillé comme professeur d'entraînement pour les jeunes recrues et comme garde-frontière surveillant les navires qui arrivaient. Il patrouillait aussi le rivage avec des chiens de garde et il avait le pouvoir de confisquer les biens introduits en fraude. Le demandeur a quitté l'armée en 1989, lorsqu'il y a eu réduction des postes comme le sien.

 

[4]               Il semble que M. Moiseev a présenté deux demandes de visas de visiteur au Canada en 2005. Ses deux demandes ont été rejetées en raison de son présumé emploi au KGB, mais aucun détail précis ne lui a été donné. Il a alors présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des entrepreneurs à la fin de la même année.

 

[5]               À l'une de ses entrevues avec un agent des visas, le demandeur a expliqué que les forces de sécurité frontalières étaient l'une des nombreuses unités du KGB. Cependant, il a ensuite nié avoir travaillé pour le KGB. Il a présenté un livret militaire à l'appui de son allégation selon laquelle il était en fait membre des gardes-frontière et non du KGB.

 

[6]               Quant au nom du collège militaire où il a étudié, dans lequel on peut lire l'inscription « KGB », il a expliqué que le KGB ne faisait que contrôler le processus d'entrée au collège. Il a ensuite précisé qu'il n'avait pas le choix d'étudier à l'école en question parce qu'il devait suivre les traces de son père.

 

[7]               Le relevé d'emploi soviétique du demandeur, qui porte le nom de carnet de travail, témoigne aussi du fait qu'il a été membre du KGB de 1981 à 1989. Le demandeur a soutenu qu'il s'agissait d'une erreur de la part de la personne qui avait inscrit les renseignements dans le carnet de travail, puisque celle-ci aurait dû ajouter les lettres « PV », qui signifient garde-frontière, devant l'inscription « KGB ».

 

[8]               À ce moment durant l'entrevue, l'agent des visas a averti le demandeur qu'il quitterait la pièce pendant quelques minutes pour poser des questions à son collègue au sujet du carnet de travail et du livret militaire. Selon les notes du STIDI, les spécialistes à l'ambassade ont expliqué à l'agent des visas que les gardes-frontière faisaient sans aucun doute partie du KGB et qu'il était fort peu probable que la personne qui a inscrit les renseignements dans le carnet de travail se soit trompée, d’autant plus que les inscriptions étaient fondées sur des documents militaires.

 

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[9]               Malgré le fait que le demandeur satisfasse peut-être à la définition d'entrepreneur, l'agent des visas a conclu qu'il était interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité. L'extrait pertinent de la lettre de décision qui a été envoyée au demandeur le 17 juillet 2006 est le suivant :

[traduction]

En particulier, vous êtes interdit de territoire conformément à l'alinéa 34(1)f), parce que vous avez été membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c). J'en suis arrivé à cette conclusion parce que vous avez clairement été un agent du KGB, une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle a été l'auteur d'actes d'espionnage ou qu'elle s'est livrée à la subversion contre une institution démocratique, au sens où cette expression s'entend au Canada.

 

 

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

[10]           Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Désignation des agents

 

6. (1) Le ministre désigne, individuellement ou par catégorie, les personnes qu’il charge, à titre d’agent, de l’application de tout ou partie des dispositions de la présente loi et précise les attributions attachées à leurs fonctions.

 

Délégation

 

(2) Le ministre peut déléguer, par écrit, les attributions qui lui sont conférées par la présente loi et il n’est pas nécessaire de prouver l’authenticité de la délégation.

Restriction

 

 

(3) Ne peuvent toutefois être déléguées les attributions conférées par le paragraphe 77(1) et la prise de décision au titre des dispositions suivantes : 34(2), 35(2) et 37(2)a).

 

Interprétation

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

 

 

Sécurité

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

 

Exception

 

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Designation of officers

 

6. (1) The Minister may designate any persons or class of persons as officers to carry out any purpose of any provision of this Act, and shall specify the powers and duties of the officers so designated.

 

 

Delegation of powers

 

(2) Anything that may be done by the Minister under this Act may be done by a person that the Minister authorizes in writing, without proof of the authenticity of the authorization.

Exception

 

(3) Notwithstanding subsection (2), the Minister may not delegate the power conferred by subsection 77(1) or the ability to make determinations under subsection 34(2) or 35(2) or paragraph 37(2)(a).

 

Rules of interpretation

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

Security

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

Exception

 

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]           Le demandeur reconnaît que le KGB était une organisation qui a été l'auteur d'actes d'espionnage contre une institution démocratique. Cependant, il soutient qu'il n'appartenait pas directement à cette organisation, parce qu'il faisait partie de l'unité subalterne des gardes-frontière. Par conséquent, il a soutenu qu'il n'avait pas été satisfait au critère de l'interdiction de territoire pour des raisons de sécurité.

 

[12]           Le demandeur a aussi fait valoir que l'agent des visas avait fondé sa décision sur une preuve extrinsèque au sujet des gardes-frontière, par suite des renseignements qu'il avait obtenu de ses collègues lorsqu'il avait quitté la salle d'entrevue. Le demandeur soutient qu'il aurait dû avoir le droit de répondre à l'allégation voulant que les gardes-frontière faisaient sans aucun doute partie du KGB.

 

[13]           Finalement, le demandeur est d'avis que l'agent des visas n'a pas tenu compte du paragraphe 34(2) de la LIPR, malgré la demande écrite que l'avocat du demandeur lui a fait parvenir en date du 1er décembre 2005.

 

ANALYSE

[14]           Avant de me pencher sur les questions précises soulevées par le demandeur, je dois déterminer quelle est la norme de contrôle appropriée. Chacune des trois questions soulevées par le demandeur porte sur des points différents; il faut donc les examiner séparément.

 

[15]           La première question est clairement une question portant uniquement sur les faits. Le demandeur a essentiellement contesté la conclusion de l'agent des visas selon laquelle les gardes‑frontière faisaient partie du KGB. Il s'agit du genre de question au sujet desquelles les agents des visas ont beaucoup plus d'expertise que la Cour; en effet, l'agent des visas qui a traité la demande de M. Moiseev a lui-même consulté des collègues qui sont spécialistes des questions militaires au sein de l'ambassade. Il est bien reconnu en droit que les décisions des agents des visas fondées sur une évaluation des faits doivent faire l'objet d'une retenue considérable, à moins qu'il ne soit prouvé que la décision était fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire : voir, par exemple, Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 459, conf. par 2006 CAF 68; Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 85 (Poshteh); Lennikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 43 (Lennikov).

 

[16]           Le norme de contrôle ne doit pas être confondue avec la norme de preuve requise pour déterminer qu'il y a interdiction de territoire au sens de l'article 34 de la LIPR. Pour conclure que le demandeur était interdit de territoire pour raison de sécurité au sens de cet article, l'agent des visas devait tenir compte de l'article 33 de la LIPR, qui prévoit que les faits emportant une interdiction de territoire « sont [...] appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ». La norme de preuve à satisfaire pour établir l'existence de « motifs raisonnables » exige « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » : voir Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.F.) ; Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 243 (C.F) (Au); Gariev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 531 (Gariev). La Cour suprême du Canada a conclu que cette norme exige plus qu'un simple soupçon, mais qu'elle est moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40.

 

[17]           Cela étant dit, la tâche de la Cour fédérale n’est pas de décider si, en fonction de la preuve dont l’agent des visas était saisi, il existait des « motifs raisonnables de croire », mais seulement s’il était évidemment déraisonnable que l’agent des visas conclue que c’était le cas.

 

[18]           La deuxième question soulevée par le demandeur porte sur l’équité procédurale. Ces questions n’entraînent pas une analyse de la norme de contrôle applicable, puisqu’il revient à la Cour de déterminer si la procédure qui a été suivie violait l’un des principes de l’équité procédurale, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404.

 

[19]           Finalement, la dernière question est une question mixte de faits et de droit, qui requiert l’application d’une norme de droit à un ensemble donné de faits et, plus précisément, à la lettre que l’avocat du demandeur a envoyé pour son client. Il s’agit d’une question qui relève de la norme de la décision raisonable simpliciter.

 

[20]           Comme je l’ai déjà mentionné, les deux parties ont convenu que les membres du KGB sont interdits de territoire en vertu du paragraphe 34(1) de la LIPR. Cependant, le demandeur nie avoir été membre de cette organisation et il soutient que les gardes‑frontière, malgré le fait qu’ils étaient officiellement sous l’égide du KGB, constituaient une unité distincte. Il a ajouté que le KGB contrôlait de nombreux secteurs de l’Union soviétique à l’époque et qu’il serait illogique de supposer que chaque organisme subalterne participait aux activités d’espionnage et de subversion du KGB.

 

[21]           Il se peut fort bien que ce soit vrai. Après tout, il n’est pas inimaginable qu’une dictature comme celle qui a régné sur ce qui était, à l’époque, l’Union soviétique ait supervisé tous les secteurs de la vie publique et qu’elle ait été, au moins en théorie, responsable des activités critiques de l’État comme le secteur des télécommunications, les infrastructures de transport, l’éducation post-secondaire et, d’abord et avant tout, la sécurité nationale et l’intégrité de l’État. Dans un tel contexte, il n’est pas impossible de soutenir que le KGB n’était pas une organisation monolithique et que toutes les personnes liées à une organisation qui était officiellement sous l’égide du KGB ne se livraient pas nécessairement à des activités emportant interdiction de territoire au Canada au sens de l’article 34.

 

[22]           Cela dit, je dois noter que le demandeur n’a présenté aucune preuve documentaire à l’agent des visas qui expliquait les activités exactes des gardes-frontière. Au contraire, l’agent des visas avait suffisamment de preuves pour conclure raisonnablement que le demandeur était membre du KGB. Premièrement, le demandeur a déclaré lui-même que son unité militaire faisait partie du KGB. Son diplôme démontre aussi qu’il a terminé ses études à un collège du KGB. Son carnet de travail mentionne qu’il a fait son service militaire au sein du KGB. Finalement, le demandeur a mentionné que le supérieur des gardes-frontière rendait compte à Iouri Andropov, alors qu’il était le chef du KGB.

 

[23]           Le demandeur a aussi présenté un article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia au sujet des troupes frontalières de l’URSS, qui, à mon avis, n’appuie pas tellement ses allégations :

[traduction]

Après la formation du KGB, les troupes frontalières soviétiques ont été subordonnées à cette organisation et ce, jusqu’à la fin du règne soviétique. Les troupes avaient principalement les tâches de combattre les infiltrations d’espions et d’empêcher les citoyens soviétiques de passer à l’Ouest. Cette dernière tâche a été la source d’un certain nombre d’anecdotes au sujet d’émigrants illégaux juifs‑soviétiques qui tentaient de traverser la frontière en trompant les patrouilles de troupes frontalières.

 

[…]

 

Les troupes frontalières étaient composées de conscrits, recrutés de la même façon que les conscrits de l’armée soviétique, et d’un petit nombre de gradés et d’hommes de troupe professionnels. Les officiers étaient formés dans des académies spécialisées (en particulier dans la ville de Khmelnystkyi en RSS d’Ukraine). Tant les conscrits que les candidats aux postes d’officiers pour les troupes frontalières étaient choisis avec attention et examinés par le KGB. Cela faisait du service au sein des troupes frontalières un service privilégié.

 

 

[24]           Bien que je soit conscient de l’inégalité de la fiabilité de cette encyclopédie, il est néanmoins révélateur que ce soit la seule preuve documentaire que le demandeur a présenté à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Je suis donc d’avis que la conclusion de l’agent des visas au sujet de l’interdiction de territoire du demandeur était amplement étayée par la preuve. Dans une affaire qui a plusieurs points communs avec celle en l’espèce, ma collègue la juge Mactavish a écrit :

Il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, de réévaluer la preuve présentée à la Commission. En l'espèce, la preuve présentée à la Commission lui permettait raisonnablement de conclure comme elle l’a fait quant à la nature du KGB comme organisation et je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

 

Décision Lennikov, précités, au paragraphe 56.

 

 

[25]           Ce point de vue trouve appui selon moi dans l’interprétation libérale qui a été donnée au mot « membre » par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Poshteh, précité. Le juge Rothstein (aujourd’hui juge de la Cour suprême du Canada), rédigeant l’arrêt de la Cour d’appel, a déclaré :

[27] La Loi ne définit pas le mot « membre » . Les tribunaux n'ont pas établi une définition précise et complète de ce terme. Lorsqu'elle a interprété le mot « membre » employé dans l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, la Section de première instance (sa désignation à l'époque) a dit que ce mot devait recevoir une interprétation large et libérale. La raison d'être d'une telle approche est exposée dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 52 [[1998] A.C.F. no 1147 (QL)]:

 

[52] Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d'immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n'existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration peut, si cela n'est pas préjudiciable à l'intérêt national, exclure un individu de l'application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu'il est évident que le législateur voulait que le mot « membre » soit interprété d'une façon libérale, sans restriction aucune.

 

[28] Les mêmes considérations valent pour l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Comme c'était le cas dans la Loi sur l'immigration, l'appartenance à une organisation terroriste n'emporte pas interdiction de territoire, selon le paragraphe 34(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, si l'intéressé convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national. Voici le texte du paragraphe 34(2) :

 

34(2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

34(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

 

 

Ainsi, selon le paragraphe 34(2), le ministre a le pouvoir de soustraire l'étranger à l'application de l'alinéa 34(1)f).

 

[29] Eu égard au raisonnement suivi dans la décision Singh et, plus particulièrement, à l'existence, dans les cas qui le justifient, d'une dispense d'application de l'alinéa 34(1)f), je suis d'avis que le mot « membre », employé dans la Loi, devrait continuer d'être interprété d'une manière libérale.

 

 

[26]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis que la conclusion de l’agent des visas était entièrement raisonnable et ne peut être annulée en contrôle judiciaire.

 

[27]           En ce qui a trait à l’allégation de manquement à l’équité procédurale qui aurait été causée par le fait que l’agent des visas a quitté la salle pour consulter ses collègues, je conviens avec le défendeur que le demandeur n’a pas été pris par surprise et qu’il n’a pas été privé de la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent. On ne peut pas sérieusement soutenir que le demandeur n’était pas au courant du point de vue de l’agent selon lequel l’unité du demandeur faisait évidemment partie du KGB. En fait, le dossier est presque entièrement composé des tentatives du demandeur de réfuter ce point de vue.

 

[28]           L’agent a peut-être commis une erreur en quittant la pièce et en consultant ses collègues, comme l’avocat du défendeur l’a reconnu. Cependant, ce n’était pas injuste au point de justifier l’annulation de la décision pour ce seul motif. La jurisprudence est claire : il n’y a pas manquement à l’obligation d’équité si le demandeur a eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas : voir, par exemple, Au, précité; Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1397 (C.F.) (QL).

 

[29]           Le demandeur a présenté son livret militaire et les notes du STIDI précisent que le livret a été produit afin de réfuter le point de vue d’autres agents qui étaient d’avis que l’organisation était liée au KGB. Le demandeur a alors expliqué à l’agent des visas, juste avant que celui-ci quitte la pièce pour consulter ses collègues, que la personne qui avait écrit « KGB » plutôt que garde‑frontière dans le livret de travail avait commis une erreur. Il était donc au courant des préoccupations de l’agent et a eu toutes les chances d’y répondre pendant l’entrevue.

 

[30]           Finalement, le demandeur soutient que l’agent des visas avait l’obligation d’examiner si le demandeur était visé par l’exception prévue au paragraphe 34(2) de la LIPR. Il est vrai qu’une conclusion d’interdiction de territoire peut être réfutée s’il est prouvé que la présence de la personne au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Cependant, le paragraphe 6(3) de la LIPR interdit expressément à l’agent des visas de rendre une telle décision, pouvoir qui revient exclusivement au ministre et qui ne peut pas être délégué. Par conséquent, je ne peux pas accepter la suggestion du demandeur selon laquelle l’agent des visas pouvait tenir compte de l’exception.

 

[31]           Quant au ministre, il n’a l’obligation de tenir compte de l’exception que si le demandeur présente une demande précise en ce sens et qu’il produit des preuves à l’appui de son argument selon lequel sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Gureghian, 2003 CFPI 675 (C.F.); Hussenu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 283; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Adams, [2001] 2 C.F. 337 (C.A.F.).

 

[32]           Dans une lettre en date du 1er décembre 2005, l’avocat du demandeur a présenté [traduction] « une demande de réexamen de la question de l’interdiction de territoire au Canada de M. Moiseev et une demande de permission pour qu’il puisse venir au Canada dans le but d’effectuer de la recherche pour créer des entreprises […] ». Non seulement la lettre ne mentionne nullement le paragraphe 34(2), mais elle semble être liée à une décision rendue plus tôt, laquelle rejetait la demande de visa de visiteur du demandeur. Par conséquent, je ne peux pas conclure que le ministre était tenu d’examiner la demande du demandeur en fonction du paragraphe 34(2) de la LIPR.

 

[33]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[34]           Le demandeur a présenté la question suivante pour la certification :

[traduction]

Dans le contexte particulier de l’alinéa 34(1)f), afin d’éviter que la disposition ait une portée excessive ou une application trop large, la définition de « membre » devrait-elle être appliquée en tenant compte de critères pertinents tels que :

 

(1) si ladite organisation existe toujours et constitue une menace actuelle;

 

(2) s’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur a participé aux actes d’espionnage ou de subversion contre une institution démocratique;

 

(3) si le demandeur était un membre « direct » de ladite organisation, comme madame la juge Dawson l’a mentionné dans l’affaire Gariev;

 

(4) si le demandeur n’était pas un membre « direct » de ladite organisation, l’organisation dont il était un membre « direct » devrait-elle alors faire l’objet de l’examen.

 

[35]           Dans la mesure où ces questions sont importantes au regard de la décision en l’espèce, je suis d’accord avec l’avocat du défendeur qu’elles ont été examinées de nombreuses fois par la Cour et par la Cour d’appel fédérale, comme la jurisprudence citée dans les présents motifs le prouve. De plus, je ne relève rien dans la décision Gariev qui me porte à croire que ma collègue la juge Dawson avait l’intention de changer le critère de l’appartenance à une organisation proscrite. Je tiens à ajouter que ma décision se limite aux faits précis en l’espèce et ne cherche aucunement à déterminer si le critère de l’appartenance peut être restreint afin de tenir compte, dans les circonstances appropriées, du lien fragile entre l’organisation inoffensive dont un demandeur faisait partie et l’organisation-mère qui entraîne l’interdiction de territoire. Pour ces motifs, je refuse de certifier la question du demandeur.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5202-06

 

INTITULÉ :                                       Igor Moiseev

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 décembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Inna Kogan

 

POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Inna Kogan

120 Avenue Eglinton Est, Pièce 901

Toronto (Ontario)  M4P 1E2

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                   

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