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Date : 20080123

 

Dossier : T-610-07

 

Référence : 2008 CF 85

 

Calgary (Alberta), le 23 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

WEST REGION CHILD AND

FAMILY SERVICES INC.

 

demanderesse

et

 

JOHN NORTH

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Un arbitre qui a affirmé être partial peut-il néanmoins être obligé à présider une affaire? Comme je l’ai mentionné à la clôture de l’audition de la plaidoirie de la demanderesse hier, la réponse est manifestement non.

 

[2]               La West Region Child and Family Services Inc. (l’employeur) a congédié John North. Il a déposé une plainte en vertu de la partie III du Code canadien du travail, laquelle a été rejetée par l’arbitre.

 

[3]               M. North a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. Dans la décision North c. West Region Child and Family Services Inc., 2005 CF 1366, [2005] A.C.F. no 1686, la juge Snider a accueilli la demande et renvoyé l’affaire au même arbitre pour qu’il la réexamine. Sa décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2007 CAF 96, [2007] A.C.F. no 400.

 

[4]               Cependant, l’arbitre a refusé de réexaminer l’affaire. Il affirme qu’il s’est déjà fait une opinion et que, en toute justice, un autre arbitre devrait trancher l’affaire. L’employeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

LE CONTEXTE

[5]               M. North a été embauché en 1997 et congédié en 2001. Il travaillait en qualité de conseiller auprès de communautés autochtones dans la Section des services de ressources en matière de prévention de l’employeur. Sa principale tâche consistait à agir auprès des jeunes comme agent de liaison communautaire et préposé aux activités et ainsi les éloigner des activités criminelles et des comportements antisociaux. Les raisons alléguées pour le congédiement de M. North ne sont pas pertinentes en l’espèce.

 

[6]               Après onze jours de témoignage et deux jours de plaidoirie, l’arbitre a rejeté la plainte de M. North.

 

[7]               Cependant, la demande de contrôle judiciaire de M. North a été accueillie. La juge Snider a conclu que l’arbitre avait omis d’établir les motifs qui avaient mené au congédiement de M. North, ce qui avait eu pour effet de rendre sa décision manifestement déraisonnable. Bien qu’il eût conclu que l’employeur avait adéquatement suivi la procédure et la politique, l’arbitre avait omis de traiter convenablement de l’interprétation du guide de la politique et de la preuve contradictoire quant à cette interprétation. L’arbitre s’est également fondé sur la doctrine de l’incident culminant sans déterminer l’incident culminant.

 

[8]               La juge Snider a rejeté la demande de réintégration de M. North. Elle a déclaré :

[50]      M. North demande que la décision soit infirmée et que je rende une ordonnance le réintégrant dans son poste avec rétroactivité de salaire et lui octroyant les dépens. Dans les circonstances, compte tenu du nombre des questions qui doivent être abordées, questions qui relèvent manifestement de l’expertise et du mandat d’un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, je refuse d’accorder cette réparation.

 

[51]       La réparation subsidiaire proposée par M. North est que l’affaire soit renvoyée à l’arbitre pour nouvel examen. Bien que la réparation la plus habituelle soit de renvoyer l’affaire à un décideur différent, je crois que les erreurs relevées dans les motifs de l’arbitre proviennent de son omission de fournir une évaluation appropriée du dossier et de son incapacité de traiter de certaines questions primordiales dont il était saisi. Dans ce cas, l’arbitre Paterson est dans la meilleure position pour réexaminer la décision. Je laisse le soin à l’arbitre d’établir la procédure qui servira le mieux les intérêts des parties et permettra de mettre fin rapidement à cette procédure déjà trop longue. L’arbitre devrait faire savoir s’il a besoin d’entendre d’autres observations ou d’autres éléments de preuve des parties ou s’il peut s’acquitter de ses obligations en s’appuyant sur le dossier dont il est déjà saisi. Au cas où l’arbitre Paterson ne serait pas en mesure de réexaminer sa décision, l’affaire devrait être transmise à un autre arbitre pour nouvel examen.

 

 

[9]               L’appel interjeté par l’employeur a été rejeté séance tenante le 1er mars 2007. Au nom de la Cour d’appel, le juge Pelletier a souligné que l’article 242 du Code canadien du travail exige que des motifs soient donnés lorsque l’on rend une décision. Les motifs étaient manifestement insuffisants, car ils ne consistaient qu’en un long résumé de la preuve suivi d’une série de conclusions non motivées. Par conséquent, la décision était inéquitable d’un point de vue procédural.

 

[10]           Par la suite, l’affaire a été renvoyée à l’arbitre Paterson. Après avoir cité le paragraphe 3 de l’ordonnance rendue par la juge Snider, reproduit ci-après, lequel fait suite au paragraphe 51 de ses motifs, l’arbitre Paterson a conclu qu’il était d’avis qu’il avait rendu la bonne décision et qu’il ne pouvait pas, en toute équité, réexaminer l’affaire :

Au cas où l’arbitre Paterson ne serait pas en mesure de réexaminer sa décision, l’affaire doit être transmise à un autre arbitre pour nouvel examen.

 

Il a affirmé :

[traduction] […] mon opinion est arrêtée compte tenu de la preuve dont je disposais et je crois qu’il serait dès lors juste et approprié qu’un autre arbitre apprécie la preuve que l’on trouve dans les transcriptions, entende des plaidoiries et en vienne à une conclusion totalement indépendante.

 

 

[11]           Essentiellement, l’employeur soutient que l’ordonnance de la juge Snider et les motifs qui y sont donnés enjoignaient simplement à l’arbitre de fournir des motifs plus clairs à l’appui de ses conclusions. Il devait respecter l’ordonnance de la juge Snider, et arriver à la même conclusion que la première fois, mais avec de meilleurs motifs. Les seules raisons pour lesquelles il pourrait être jugé incapable de réexaminer sa décision seraient en cas de décès, de retraite ou d’invalidité.

[12]           Comme je l’ai affirmé lors de l’audience, il est impensable que j’accepte cet argument. En effet, si c’est le seul argument qu’il détenait, pourquoi l’employeur s’est‑il donné la peine d’interjeter appel? L’employeur a répondu qu’il croyait que l’arbitre avait donné des motifs suffisants. Il était loisible à la juge Snider d’accueillir le contrôle judiciaire et de renvoyer l’affaire à l’arbitre pour lui permettre de fournir les motifs qui ont motivé sa décision. Cependant, ce n’est pas ce qu’elle a fait. Elle a mentionné aux paragraphes 50 et 51 de ses motifs qu’un certain nombre de questions devaient être abordées, et que l’arbitre avait négligé de faire une évaluation appropriée du dossier et omis certaines questions. Elle a envisagé la possibilité que l’arbitre puisse décider qu’il avait besoin d’autres observations ou d’éléments de preuve supplémentaires. Il s’agit d’une toute autre situation que celle d’une ordonnance enjoignant à l’arbitre de donner des motifs pour une décision déjà rendue. Une ordonnance de « réexaminer » (« reconsider » est le terme anglais utilisé par la juge Snider) englobe la possibilité d’une conclusion différente. Selon le dictionnaire Oxford, un des sens de « reconsider » est de [traduction] « examiner à nouveau en envisageant un changement ou une modification; annuler, changer ». Si l’arbitre était incapable d’examiner l’affaire avec un esprit ouvert, il n’était donc « pas en mesure de réexaminer sa décision », pour reprendre les termes utilisés par la juge Snider. L’affaire devrait être renvoyée à un autre arbitre.

 

[13]           Comme l’a souligné la juge Snider, bien que la réparation normalement accordée soit de renvoyer l’affaire à un autre arbitre, certaines circonstances font en sorte qu’il est plus judicieux de renvoyer l’affaire au même arbitre. Comme le juge Rothstein l’a affirmé au nom de la Cour d’appel dans l’arrêt Gale c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 13, [2004] A.C.F. no 186, au paragraphe 18 :

Nous sommes d’accord avec l’intimé que, dans les circonstances de l’espèce, l’affaire devrait être renvoyée au même arbitre. Au paragraphe 12:6320 de leur ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition sur feuilles mobiles (Toronto, Canvasback, 2003), Donald J. M. Brown et John M. Evans ont écrit :

 

[traduction] Lorsque le tribunal administratif réexamine une affaire de sa propre initiative ou à la suite d’un contrôle judiciaire, il doit évidemment se conformer à l’obligation d’agir équitablement. [...] Et à moins qu’une cour n’en ordonne autrement, les personnes qui ont tranché l’affaire la première fois peuvent normalement la réentendre, sauf si elles se sont montrées partiales ou si, pour une quelconque raison, il existe une crainte raisonnable que le décideur original ne tranche probablement pas l’affaire de manière objective.

 

Il n’est question ni de partialité ni de crainte raisonnable de partialité en l’espèce. […]

 

[14]           Ici, contrairement à l’affaire Gale, la présomption d’impartialité a été réduite à néant par les propos tenus par l’arbitre lui-même.

 

[15]           Nous ne sommes pas devant un cas de non‑respect d’une ordonnance de la Cour ou de dérobade pour ne pas exécuter ce qu’une personne a été appelée à faire, comme le soutient la demanderesse. Il ne s’agit pas d’un cas de crainte de partialité, mais plutôt de partialité bien réelle. Les affaires dont l’objet est la partialité se présentent le plus souvent lorsqu’un juge refuse de se récuser à la demande d’une des parties. Suivant le raisonnement du juge Rothstein, précité, le juge Simon Noël a affirmé dans le renvoi Charkaoui (Re), 2004 CF 624, [2004] A.C.F. no 757, au paragraphe 8 :

La présomption d’intégrité et d’impartialité judiciaire est telle qu’elle reconnaît au juge la possibilité d’agir et de décider dans des circonstances où celui-ci a déjà acquis une connaissance dans le cadre de procédures et de décisions antérieures impliquant les mêmes parties.

 

[16]           Le juge Noël s’est fondé sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Arthur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 94, et sur les décisions qui y sont citées, plus particulièrement sur la décision du président Jackett, plus tard juge en chef de la Cour fédérale, Nord‑Deutsche Versicherungs Gesellschaft et al. c. The Queen et al., [1968] 1 R.C.É. 443. Le président Jackett s’était à son tour fondé sur l’arrêt du juge Hyde de la Cour d’appel du Québec Barthe c. The Queen (1964), 41 C.R. 47, qui avait affirmé : [traduction] « la capacité de rendre jugement dans une affaire en s'appuyant uniquement sur la preuve admissible présentée est une partie essentielle du processus judiciaire » (voir également la décision Gordon c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2005 CF 223, [2005] A.C.F. no 276).

 

[17]           Il est regrettable que l’arbitre n’ait pas été en mesure de se détacher suffisamment de sa première conclusion pour en arriver à la laisser de côté, mais c’était de beaucoup préférable qu’il se récuse plutôt que de garder le silence, et que M. North fasse les frais d’une audience injuste. Dans les circonstances, la justice naturelle nécessite que l’affaire soit renvoyée devant un autre arbitre.

 

[18]           L’avocat de la demanderesse s’est trompé en se fondant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Commissaire de la concurrence) c. Supérieur propane Inc., 2003 CAF 53, [2003] A.C.F. no 151. Il est bien vrai qu’en ce qui concerne un réexamen le devoir du tribunal est de suivre les directives de la cour qui s’est chargée du contrôle. Cependant, il ne s’agissait pas d’une affaire dans laquelle le tribunal avait jugé qu’il y avait partialité. L’ordonnance et les motifs de la juge Snider ne peuvent être interprétés comme dérogeant aux principes de justice naturelle.

 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  la demande soit rejetée avec dépens;

2.                  l’affaire soit renvoyée à un autre arbitre pour réexamen.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-610-07

 

INTITULÉ :                                                   WEST REGION CHILD AND FAMILY SERVICES INC. c. JOHN NORTH

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 22 JANVIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John B. Harvie

Michael J. Clark

 

POUR LA DEMANDERESSE

Paul D. Edwards

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myers Weinberg LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Duboff Edwards Haight & Schachter

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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