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Date : 20080121

Dossier : T-1585-06

Référence : 2008 CF 73

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EN CHEF

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

MARK McKINDSEY

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Le défendeur, Mark McKindsey, travaille comme graisseur à bord du Quest, un vaisseau auxiliaire des Forces canadiennes.

 

[2]        Selon l’alinéa 1d) de l’annexe B ‑ Régime de travail traditionnel (alinéa 1d)) de la convention collective applicable (la convention collective), « l’horaire de travail journalier [du défendeur] se situe entre 6 h et 18 h et il faut donner aux employé-e-s un préavis de quarante-huit (48) heures de tout changement à l’horaire prévu » (page 259 du dossier du demandeur).

 

[3]        Le 16 juillet 2003, pendant que le Quest était en cale sèche à Halifax, on a ordonné au défendeur de travailler de 16 h à 24 h pour les deux prochains jours, c’est‑à‑dire les 17 et 18 juillet.

 

[4]        Le défendeur a obéi à cet ordre voulant qu’il travaille en dehors de « l'horaire de travail journalier » même si le préavis de 48 heures exigé ne lui avait pas été donné par l’employeur.

 

[5]        Bien que la question ait fait l’objet d’un débat devant l’arbitre, les parties conviennent maintenant que l’employeur était tenu de donner au défendeur le préavis de 48 heures du changement à l'horaire prévu (l’obligation de donner un préavis) et il ne l’a pas fait.

 

[6]        En plus de sa principale conclusion selon laquelle l’employeur n’a pas respecté l’obligation de donner un préavis, l’arbitre a affirmé que le défendeur « […] est en droit d'être rémunéré au taux normal majoré de moitié (1½) pour toutes les heures travaillées après 18 h les 17 et 18 juillet 2003 » (la réparation pécuniaire).

 

[7]        Le demandeur conteste la réparation pécuniaire ordonnée par l’arbitre. Le principal motif invoqué par le demandeur est que l’arbitre, dans les circonstances de l’espèce, n’avait pas expressément le pouvoir d’accorder une indemnité en conséquence de la violation de la convention collective par l’employeur. Il ne pouvait que déclarer qu’il y avait eu violation. Selon le demandeur, la déclaration faite en l’espèce constitue une réparation.

 

[8]        Les parties reconnaissent que la question de la réparation pécuniaire, un montant de 160 $ en l’espèce, n’a pas été pleinement débattue devant l’arbitre. La question de l’équité procédurale n’a pas été soulevée dans la présente instance visant à contester la décision de l’arbitre.

 

Les dispositions pertinentes de la convention collective

[9]        Une compréhension adéquate de la décision de l’arbitre exige un examen des dispositions pertinentes de la convention collective.

 

[10]      L’exigence de donner un préavis est mentionnée à l’alinéa 1d) :

Les heures de travail des employé-e-s qui travaillent habituellement cinq (5) jours consécutifs par semaine sur un navire sans quart sont consécutives, à l’exclusion des pauses‑repas,

 

et

 

l’horaire de travail journalier se situe entre 6 h et 18 h.

 

et

 

il faut donner aux employé-e-s un préavis de quarante-huit (48) heures de tout changement à l’horaire prévu.

 

 

[11]      L’alinéa 1d) ne prévoit aucune réparation pécuniaire lorsqu’il y a manquement à l’obligation de donner un préavis de 48 heures.

 

[12]      En concluant que le défendeur devrait recevoir une réparation équivalant à temps et demi pour le manquement de l’employeur à l’obligation de donner un préavis, l’arbitre a renvoyé à l’alinéa 2.03c) de l’appendice G ‑ Équipage de navires – Dispositions particulières et taux de rémunération (page 248 du dossier du demandeur) : « […] l'employé-e est rémunéré au taux normal majoré de moitié () pour les heures supplémentaires qu'il ou elle exécute ».

 

[13]      D’autres dispositions de la convention collective, non identiques mais similaires aux dispositions de l’alinéa 1d), prévoient une réparation lorsque l’employeur a modifié l’horaire de travail sans donner un préavis de sept jours. On trouve un exemple de cela à l’alinéa 2.04a) de l’appendice B ‑ Manœuvres et hommes de métier (page 168 du dossier du demandeur) : « L’employé-e dont l’horaire de travail est modifié et qui n’a pas reçu de préavis de sept (7) jours : a) est rémunéré à tarif et demi (1½) […] ». 

 

[14]      Deux autres dispositions similaires à l’alinéa 2.04a) de l’appendice B figurent aux pages 221 et 236 du dossier du demandeur.

 

[15]      En contestant l’octroi d'une indemnité par l’arbitre, le demandeur se fonde principalement sur le paragraphe 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 : 

(2) En jugeant un grief, l’arbitre ne peut rendre une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

(2) No adjudicator shall, in respect of any grievance, render any decision thereon the effect of which would be to require the amendment of a collective agreement or an arbitral award.

 

 

Les parties conviennent que cette disposition, maintenant abrogée, était en vigueur pendant toute la période pertinente à la présente instance.

 

La décision de l’arbitre

[16]      L’arbitre savait que l’alinéa 1d) de la convention collective, à la différence d'autres conventions collectives qu'il a déjà examinées, ne prévoyait explicitement aucune pénalité sous forme d’obligation de payer des heures supplémentaires : 

¶50 L'employeur et l'agent négociateur n'ont pas, dans la convention collective, prévu une conséquence dans les cas où l'employeur ne donne pas le préavis de 48 heures requis en vertu de l'alinéa 1d). Il ne s'agit pas, par exemple, d'une situation où la convention collective impose explicitement une pénalité sous forme d'obligation de payer des heures supplémentaires, comme c'est le cas en vertu de certaines conventions collectives lorsque l'employeur ne donne pas le préavis requis à l'égard d'une modification d'un horaire de travail par poste. […]

 

 

 

[17]      L’arbitre a également reconnu que les heures de travail prévues à l’horaire du défendeur ne répondaient pas à la définition d’« heures supplémentaires » qui figure à l’alinéa 2.01q) de la convention collective (voir le paragraphe 52 de sa décision et la page 114 du dossier du demandeur) :

¶58 […] Je conclus toutefois que les arguments [du défendeur] ne sont pas suffisants pour l'emporter sur une simple lecture du libellé de la convention collective. La définition d'« heures supplémentaires » dans la convention collective indique clairement qu'il doit s'agir d'heures de travail de l'employé qui sont « en sus de » son horaire normal. […]

 

¶59 Dans le contexte de l'alinéa 1a) de l'annexe « B », qui établit comme exigence huit heures de travail par jour, il découle de l'analyse qui précède que les heures de travail prévues à l'horaire [du défendeur] doivent avoir dépassé huit heures pour entrer dans le cadre de la définition des heures supplémentaires. Les faits indiquent que tel n'a pas été le cas. Sans cette condition préalable, il n'y a pas de droit à un salaire majoré selon la clause 2.03 de l'appendice « G ».

[Non souligné dans l’original].

 

 

[18]      Toutefois, l’arbitre a conclu qu'une « mesure corrective » s'appliquant dans le cas où l'employeur viole la convention collective était nécessaire pour empêcher l’employeur de « […] en toute liberté ne pas tenir compte de la disposition sur le préavis, à volonté, […] » : 

¶61 […] Une mesure corrective est-elle disponible au-delà d'une simple déclaration selon laquelle la convention collective a été enfreinte? Si la réponse est négative, l'employeur pourrait en fait en toute liberté ne pas tenir compte de la disposition sur le préavis, à volonté, de sorte que cet aspect de l'alinéa 1d) serait dépourvu de toute signification pratique. Je suppose que les parties ont inclus l'exigence en matière de préavis à l'alinéa 1d) pour une bonne raison. Je considère donc que je suis tenu de déterminer si je peux y attribuer une signification importante au-delà du simple fait de déclarer qu'il y a eu une violation de la convention collective.

 

Le fait que l’arbitre ait estimé qu’il était tenu d’attribuer à l’alinéa 1d) « […] une signification importante au-delà du simple fait de déclarer qu'il y a eu une violation » donne à penser qu’il essayait de trouver une réparation pécuniaire qui n’avait peut‑être pas été envisagée par les parties à la convention collective.

 

[19]      L’arbitre comprenait que l’alinéa 1d) ne prévoyait aucune réparation pour le manquement à l’obligation de donner un préavis. Il a cependant conçu une réparation pécuniaire fondée sur son opinion que les heures travaillées en sus de l’horaire normale étaient analogues à des heures supplémentaires :

 

¶64 […] La conséquence normale selon la convention collective lorsque du travail ne s'inscrit pas dans le cadre d'heures prévues à l'horaire est le versement d'une prime, principalement sous forme de paye supplémentaire. Je crois donc qu'il est raisonnable dans les circonstances de l'espèce et en l'absence d'indication explicite de la convention collective quant aux conséquences de l'omission de l'employeur de respecter l'exigence d'un préavis de 48 heures, de considérer les heures travaillées par le fonctionnaire McKindsey après 18 h comme équivalant à des heures de travail « en sus de son horaire normal (scheduled) » au sens de la définition d'« heures supplémentaires » à l'alinéa 2.01d). Ces heures devraient ainsi être rémunérées au taux normal majoré de moitié (1½) conformément à l'alinéa 2.03c) de l'appendice « G » […]

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[20]      La réparation pécuniaire accordée par l’arbitre visait, pour reprendre ses propres mots, à rémunérer « […] des heures qui ne sont pas adéquatement prévues à l'horaire de travail ». Il a également expliqué qu’il ne modifiait pas la convention collective :

 

¶65 En arrivant à cette conclusion, je ne crois pas que je modifie ou compromets le cadre existant de la convention collective. […] la mesure corrective est en harmonie avec le système global de la convention collective mis en place par les parties.

 

 

 

La norme de contrôle

[21]      La principale question en litige relevée par les parties est celle qui consiste à savoir si l’arbitre a commis une erreur en accordant au défendeur une indemnité d’heures supplémentaires en conséquence du manquement de l’employeur à l’obligation de donner un préavis. Autrement dit, l’arbitre pouvait‑il ordonner une mesure corrective en l’absence d’une disposition expresse à cet effet dans la convention collective, compte tenu du paragraphe 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique?

 

[22]      L’avocat du défendeur a notamment rappelé à la Cour que la décision rendue par un arbitre qui agit dans le cadre de la convention collective doit faire l’objet d’un degré de retenue judiciaire très élevé : voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Séguin, [1995] A.C.F. no 1178 (QL)(1ère inst.); Barry c. Canada (Conseil du Trésor), [1997] A.C.F. no 1404 (QL)(C.A.); Currie c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2006 CAF 194, aux paragraphes 20 à 22. L’avocat a également souligné que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada adopte de plus en plus une approche plus libérale envers les pouvoirs de réparation d’un arbitre : voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Nav Canada, [2002] O.J. no 1435 (QL)(C.A.), aux paragraphes 27 à 42.

 

[23]      Le demandeur a qualifié la question en litige de question d’ordre juridictionnel ou de question d’interprétation des lois. Dans un cas comme dans l’autre, selon moi, comme l’a reconnu le demandeur à l’audience, l’expertise de l’arbitre dans les circonstances de la présente instance appelle une norme de contrôle autre que celle de la décision correcte : voir Dynamex Canada Inc. c. Mamona, 2003 CAF 248, au paragraphe 26. Le demandeur demande que l’on applique la norme de la décision raisonnable pour examiner la décision rendue quant à la présente affaire.

 

[24]      Au cours de l’audience, le défendeur a modifié ses observations écrites portant sur la norme de contrôle. Il a exposé la question comme comportant deux volets. Le défendeur a reconnu que la question de savoir si l’arbitre peut accorder une indemnité en l’absence d’une disposition expresse à cet effet dans la convention collective devrait être soumise au critère du caractère raisonnable. Selon le défendeur, la deuxième question en litige, qui consiste à savoir si l’arbitre aurait dû accorder une indemnité en l’espèce, appelle la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[25]      Dans la présente instance, il faut se demander si, en vertu de la convention collective, l’arbitre, même en tenant compte de son vaste pouvoir de réparation, pouvait accorder la réparation. Si ce n’est pas le cas, on peut affirmer que l’arbitre a accordé une réparation qui n’est pas visée par la convention collective.

 

[26]      Jusqu’en 1992, l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique comprenait une clause privative qui fut abrogée par le législateur à l’article 73 de la Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54. Par la suite, les lois ne comportaient aucune mention quant à la norme de contrôle. Les parties reconnaissent que la convention collective ne comporte aucune clause privative qui s’applique à la présente espèce. La clause privative qui figure aux pages 32 et 33 du dossier du demandeur concerne un processus d’arbitrage différent.

 

[27]      L’arbitrage vise à favoriser le règlement rapide des conflits entre l’employeur et le syndicat. L’expertise relative des arbitres à cet égard n’est pas contestée. 

 

[28]      La question de savoir si l’octroi de la réparation pécuniaire relève du rôle de l’arbitre tel qu’il est prévu dans la convention collective est une question mixte de fait et de droit. De plus, la décision rendue par une commission des relations de travail constituée par la loi, comme la Commission des relations de travail dans la fonction publique, peut faire l’objet d’un degré de retenue judiciaire plus élevé que celui qui est dû à un arbitre : voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2005 CAF 366, au paragraphe 21. La question de savoir si le nom de l’arbitre est mentionné dans la convention collective, s'il est choisi par les parties ou s’il est nommé par la Commission en conformité avec l’article 95 de la Loi ne devrait avoir aucune incidence sur le degré de retenue judiciaire. En l’espèce, on n’a pas dit à la Cour qui avait nommé l’arbitre.

 

[29]      Après avoir soupesé ces facteurs, je suis convaincu que la norme applicable à la question de savoir si l’arbitre pouvait octroyer la réparation pécuniaire est la norme de la décision raisonnable.

 

[30]      La question de savoir si l’arbitre aurait dû accorder la réparation pécuniaire doit être examinée en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, sa décision doit être étayée par la preuve qui lui a été présentée : voir Reibin c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] A.C.F. no 794(QL) (1ère inst.), au paragraphe 15; Canada (Procureur général) c. Wiseman, [1995] A.C.F. no 692 (QL) (1ère inst.), au paragraphe 17.

 

L’analyse

[31]      La position du demandeur est simple. Le mandat de l’arbitre consistait à déterminer si l’employeur avait manqué à l’obligation de donner un préavis. La réparation accordée au défendeur a été la déclaration de l’arbitre selon laquelle il y avait eu manquement. En tirant cette conclusion, l’arbitre a remis les parties dans leur situation antérieure en l’absence de preuve que le manquement avait occasionné une perte financière. L’indemnité pécuniaire en l’espèce n’a pas été envisagée par les parties à la convention collective. La mesure corrective accordée par l’arbitre est une réparation de nature punitive. L’octroi de cette réparation allait à l’encontre de la convention collective et des dispositions du paragraphe 96(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.   

 

[32]      La position du défendeur est toute aussi concise. Le principe fondamental de la procédure de règlement des griefs consiste, en l’absence d’une disposition réparatrice contraire, à remettre l’employé dans sa situation antérieure. La jurisprudence accorde aux arbitres un large pouvoir de réparation leur permettant de concevoir une réparation adaptée aux circonstances de l’espèce. En l’absence de « directives explicites » quant à une réparation pécuniaire dans la convention collective, il était loisible à l’arbitre d’appliquer les dispositions régissant les heures supplémentaires.  La réparation accordée par l’arbitre était compatible avec la convention collective et le large pouvoir de réparation accordé aux arbitres en ressources humaines.

 

[33]      L’appui à la position du demandeur selon laquelle l’octroi de la réparation pécuniaire débordait du cadre de la convention collective figure dans les commentaires suivants de l’arbitre :

           

·        « L'employeur et l'agent négociateur n'ont pas, dans la convention collective, prévu une conséquence dans les cas où l'employeur ne donne pas le préavis de 48 heures requis en vertu de l'alinéa 1d). » (paragraphe 50)

·        « Le simple libellé de la définition d'« heures supplémentaires » dans la convention collective n'étaye pas la demande de rémunération d'heures supplémentaires des fonctionnaires s'estimant lésés. » (paragraphe 56)

·        « les arguments [du défendeur] ne sont pas suffisants pour l'emporter sur une simple lecture du libellé de la convention collective. La définition d'« heures supplémentaires » dans la convention collective indique clairement qu'il doit s'agir d'heures de travail de l'employé qui sont « en sus de » son horaire normal. » [Non souligné dans l’original.] (paragraphe 58)

·        « […] il découle de l'analyse qui précède que les heures de travail prévues à l'horaire du [défendeur] doivent avoir dépassé huit heures pour entrer dans le cadre de la définition des heures supplémentaires. Les faits indiquent que tel n'a pas été le cas. Sans cette condition préalable, il n'y a pas de droit à un salaire majoré selon la clause 2.03 de l'appendice « G ». [Non souligné dans l’original.] (paragraphe 59)

·        « La question de savoir s'il est juste ou approprié que l'employeur puisse changer l'horaire sans devoir payer des heures supplémentaires ou indemniser autrement [le défendeur] - au-delà de [sa] rémunération normale - est une question qu'il convient de laisser aux bons soins de l'employeur et de l'agent négociateur. »

[Non souligné dans l’original.] (paragraphe 60)

 

Ces déclarations révèlent également que l’arbitre était préoccupé par le fait qu’une réparation pécuniaire quant au manquement à l’obligation de donner un préavis n’a pas été prévue par les parties à la convention collective.

 

[34]      La décision de l’arbitre comprend d’autres passages qui indiquent qu’il sait qu’il a peut‑être débordé du cadre de la convention collective, peut‑être pour punir l’employeur pour avoir manquer à son obligation de donner un préavis ou pour, à tout le moins, le dissuader de recommencer :

           

·        « Par conséquent, est-ce que je me retrouve dans l'impossibilité d'accorder au fonctionnaire McKindsey une mesure de redressement autre qu'une déclaration indiquant que la convention collective a été enfreinte? » (paragraphe 50)

·        « Si la réponse est négative, l'employeur pourrait en fait en toute liberté ne pas tenir compte de la disposition sur le préavis, à volonté, de sorte que cet aspect de l'alinéa 1d) serait dépourvu de toute signification pratique. » (paragraphe 61)

·        « Je crois donc qu'il est raisonnable dans les circonstances de l'espèce et en l'absence d'indication explicite de la convention collective quant aux conséquences de l'omission de l'employeur de respecter l'exigence d'un préavis de 48 heures, de considérer les heures travaillées par le fonctionnaire McKindsey après 18 h comme équivalant à des heures de travail « en sus de son horaire normal (scheduled) » au sens de la définition d'« heures supplémentaires » à l'alinéa 2.01d) » (paragraphe 64)

·        « En arrivant à cette conclusion, je ne crois pas que je modifie ou compromets le cadre existant de la convention collective ». ( paragraphe 65)

 

[35]      En l’espèce, le défendeur reconnaît que l’employeur a agi de bonne foi. Le manquement à l’obligation de donner un préavis s’est produit parce que l’employeur a mal interprété, sans malhonnêteté de sa part, la convention collective. Dans ces circonstances, la nécessité d’apporter une « mesure corrective » ou une mesure dissuasive n’est pas expliquée de façon adéquate par l’arbitre.

 

[36]      De plus, l’arbitre a comparé la convention collective en l’espèce avec d’autres conventions qui prévoyaient explicitement une réparation pécuniaire (paragraphe 50) :

 

 

 

Il ne s'agit pas, par exemple, d'une situation où la convention collective impose explicitement une pénalité sous forme d'obligation de payer des heures supplémentaires, comme c'est le cas en vertu de certaines conventions collectives lorsque l'employeur ne donne pas le préavis requis à l'égard d'une modification d'un horaire de travail par poste. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[37]      En faisant cette distinction avec d’autres conventions collectives, l’arbitre ne fait aucunement mention de trois autres clauses de la convention collective qu’il interprétait qui faisaient mention d'une indemnité d’heures supplémentaires à tarif et demi lorsque les heures de travail étaient modifiées sans que le préavis de sept jours ne soit donné (aux pages 168, 221 et 236 du dossier du demandeur). S’il avait examiné ces clauses, son interprétation de la convention collective et sa capacité d’accorder une réparation pécuniaire en vertu l’alinéa 1d) auraient pu être différentes. La convention collective doit être interprétée dans son ensemble et non pas de façon abstraite : voir Richmond c. Canada (Procureur général), [1996] 2 C.F. 305 (1ère inst.), au paragraphe 5.

 

[38]      Le défendeur prétend que l’omission par les parties de prévoir l’octroi d’une rémunération supplémentaire à l’alinéa 1d) a permis à l’arbitre d’accorder une réparation pécuniaire au montant qu’il estimait convenable. Selon moi, cette affirmation ne constitue pas une interprétation raisonnable du marché conclu par l’employeur et le syndicat dans la convention collective. 

 

[39]      En résumé, la conclusion de l’arbitre selon laquelle il pouvait accorder une réparation pécuniaire ne peut pas résister à « un examen assez poussé » en tant qu’interprétation raisonnable de la convention collective. La réparation pécuniaire accordée par l’arbitre n’était pas prévue par la convention collective. L’arbitre a lui‑même admis que le « simple libellé » de la convention collective ne précisait pas que le nouvel horaire de travail du défendeur constituait des « heures supplémentaires ». Les parties conviennent que l'employeur était de bonne foi lorsqu'il a manqué à l'obligation de donner un préavis. Néanmoins, l'arbitre a conclu que, sans « mesures correctives » l'employeur pourrait « […] en toute liberté ne pas tenir compte de la disposition sur le préavis, à volonté ». Cette opinion n'est que pure conjecture. En l'absence d'un libellé prévoyant l'octroi d'une réparation additionnelle en conséquence de la violation de l'alinéa 1d), l'arbitre a commis une erreur en créant sa propre réparation pécuniaire : voir Canada (Procureur général) c. Hester, [1997] 2 C.F. 706 (1ère inst.), au paragraphe 18; Canada (Procureur général) c. Lussier, [1993] A.C.F. no 64 (C.A.), le juge Létourneau.

 

[40]      Selon moi, l'arbitre n'a pas tenu compte de l'ensemble des dispositions pertinentes de la convention collective. S'il l'avait fait, il aurait dû conclure que la convention collective ne prévoyait aucune réparation pécuniaire à l'alinéa 1d) quant aux employés travaillant sur des navires autres que des navires sans quart. 

 

[41]      Si j'ai eu tort en concluant que la décision de l'arbitre à savoir s'il pouvait accorder une réparation pécuniaire était soumise à la norme de la décision raisonnable ou si j'ai commis une erreur en concluant que l'interprétation de la convention collective faite par l'arbitre était déraisonnable, j'annulerais toujours sa décision au motif qu'elle était manifestement déraisonnable.

 

[42]      Premièrement, le défendeur ne cherchait pas à obtenir une réparation pécuniaire lorsqu'il a déposé son grief. Au paragraphe 4 de sa décision, l'arbitre a fait mention de la mesure corrective recherchée par le défendeur :

 

 

McKindsey : Je voudrais une description claire du régime de travail traditionnel, quant à savoir comment il s'applique au « Quest », c'est-à-dire pour ce qui est des heures travaillées de 16 h à minuit au taux applicable. Je voudrais une explication sur la question de savoir pourquoi la direction n'a pas tenu compte du règlement relatif aux capitaines de port, du règlement relatif aux capitaines et de notre convention collective en ce qui a trait aux heures de travail.

 

 

[43]      Deuxièmement, rien ne prouve, dans le dossier soumis à la Cour, qu'il y a eu perte financière. Cette conclusion est conforme avec celle des parties selon laquelle le défendeur n'a présenté aucune preuve de perte à l'arbitre. Comme l'a souligné un autre arbitre, le préjudice doit être certain et non spéculatif : voir Chénier c. Conseil du Trésor (Procureur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 27. Dans Chénier, aucune indemnité majorée n'a été accordée malgré que l'arbitre estimait que ses vastes pouvoirs de réparation lui permettaient d'en accorder dans les circonstances de l'espèce.

 

[44]      Troisièmement, la réparation pécuniaire de 160 $ est, à tout le moins, plus que l'objectif déclaré du processus décisionnel du défendeur pour le remettre dans sa situation antérieure. Il semble plutôt qu'il s'agisse d'une amende, ou, à tout le moins, d'un moyen de dissuasion visant à empêcher l'employeur de manquer à son obligation « en toute liberté ». En se fondant sur son propre raisonnement, l'arbitre semble avoir imposé une réparation autre qu'une réparation de nature compensatoire. Comme l'a affirmé le juge Létourneau dans Lussier, précité, « […] vu […] l'absence de preuve de préjudice, l'octroi par l'arbitre d'une compensation pour l'erreur commise s'apparente beaucoup plus à l'octroi de dommages punitifs qu'à une véritable indemnisation pour le préjudice effectivement subi »

 

[45]      En bref, même si on fait preuve de la plus grande retenue judiciaire envers les décisions des arbitres, l'octroi de la réparation pécuniaire en l'espèce n'était pas étayée par la preuve qui a été présenté à l'arbitre. La décision de l'arbitre doit être annulée.

 

[46]      J'ai conclu qu'aucune réparation pécuniaire ne pouvait raisonnablement être accordée. De plus, le défendeur n'a demandé aucune indemnisation et n'a présenté aucune preuve de perte financière. Par conséquent, l'affaire ne sera pas renvoyée pour nouvelle décision.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l'arbitre datée du 2 août 2006 est annulée.

2.                  Le soussigné demeure saisi de la présente instance en vue de l'adjudication des dépens, le cas échéant.

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          T-1585-06

 

 

INTITULÉ :                                                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                              c.

                                                                              MARK McKINDSEY

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE 2 OCTOBRE 2007

 

OBSERVATIONS

SUPPLÉMENTAIRES :                                     LE 8 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 21 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jennifer A. Lewis                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Paul Champ                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                         POUR LE DEMANDEUR

 

Raven, Cameron, Ballantyne

& Yazbeck, LLP

Ottawa (Ontario)                                                    POUR LE DÉFENDEUR

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