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Date : 20080123

Dossier : T-1118-06

Référence : 2008 CF 71

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

demandeur

et

 

NAV CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

L'HISTORIQUE

 

[1]               Il s'agit d'une requête en jugement sommaire présentée par le procureur général du Canada (le demandeur) qui sollicite une ordonnance enjoignant à Nav Canada (la défenderesse) de remettre la libre possession de certains immeubles qui ont fait l'objet d'un bail conclu par les parties. Subsidiairement, le demandeur sollicite une ordonnance précisant les faits essentiels qui ne sont pas en litige. Pour sa part, la défenderesse sollicite une ordonnance enjoignant aux parties de soumettre le différend à un régisseur des loyers, et ce, en vertu de la Loi sur les locaux d'habitation, R.S.N.W.T. 1988, ch. R-5 (la Loi).

 

 

LES FAITS

[2]               Le 10 mars 2005, les parties ont conclu un contrat de bail visant sept immeubles résidentiels (les immeubles) situés à Norman Wells (Territoires du Nord‑Ouest) et détenus en pleine propriété par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Le contrat de bail comportait des modalités qui peuvent être résumées de la façon suivante (sauf lorsqu'il y a citation intégrale) :

[Traduction]

 

(1) La défenderesse sera en possession des immeubles du 1er avril 2005 jusqu'au 30 avril 2005 et continuera d'être en possession des immeubles sur une base mensuelle jusqu'au 31 mars 2006.

(2) « Les locaux d'habitation ne seront utilisés qu'à des fins d'habitation et qu'à des fins connexes par les employés de Nav Canada et ne seront pas utilisés à des fins commerciales, sauf autorisation contraire écrite. Les locataires du preneur à bail doivent demeurer à l'emploi du preneur à bail pendant toute la durée du bail, sauf disposition contraire de la part du locateur ».

(3) Si la défenderesse est en possession des immeubles après le 31 mars 2006, le bail sera prorogé sur une base mensuelle.

(4) Le demandeur a le droit, « pour toute raison qu'il jugera nécessaire », de résilier l'entente « par avis écrit accordant au locataire 30 jours pour quitter ».

(5) Tout litige découlant du contrat sera renvoyé à la Cour fédérale du Canada.

 

[3]               Le 6 octobre 2005, le demandeur a avisé par écrit qu'il résiliait le contrat, à compter du 31 mars 2006, quant à deux immeubles que la défenderesse choisira.

 

[4]               La défenderesse a remis la libre possession quant à un seul des immeubles.

 

[5]               Le 23 février 2006, le demandeur a avisé par écrit qu'il résiliait le contrat, à compter du 31 mai 2006, quant à deux autres immeubles que la défenderesse choisira.

 

[6]               Le 1er mars 2006, le demandeur a envoyé à la défenderesse un rappel quant aux deux avis de résiliation ainsi qu'un avis de résiliation du bail, à compter du 30 juin 2006, quant aux trois autres immeubles.

 

[7]               Le 13 mars 2006, la défenderesse a avisé le demandeur qu'elle ne remettrait pas la libre possession quant aux trois autres immeubles. Les parties ont tenté, sans succès, de conclure un nouveau contrat de bail.

 

[8]               En 2007, la défenderesse a remis la libre possession quant aux deux autres immeubles, mais elle admis continuer à conserver la possession des quatre dernières propriétés.

 

LES ARGUMENTS

[9]               Le demandeur prétend que, dans sa défense, la défenderesse n'a fait qu'invoquer l'inamovibilité prévue dans la Loi et n'a fait mention d'aucune véritable question litigieuse. Le demandeur prétend notamment que la Loi ne s'applique pas au contrat de bail conclu par les parties, car le facteur d'application de la Loi est l'occupation et, la défenderesse, à titre de société, est incapable d'occuper les immeubles à titre de locaux d'habitation. De plus, le demandeur souligne que la disposition du contrat de bail qui prévoit que les litiges doivent être tranchés par la Cour fédérale démonte que les parties ne voulaient pas que la Loi s'applique.

[10]           La défenderesse, en revanche, prétend que la nature des locaux ou leur utilisation prévue, et non pas leur occupation, déclenche l'application de la Loi. En l'espèce, les immeubles, en vertu du contrat, ne sont censés êtres utilisés qu'à des fins d’habitation. Non seulement la Loi prévoit l'inamovibilité, mais prévoit également que les conflits doivent être réglés par un régisseur des loyers. Par conséquent, la défenderesse sollicite une ordonnance enjoignant aux parties de soumettre le conflit au régisseur des loyers.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[11]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes :

1.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« locateur »  Sont assimilés au locateur le propriétaire d’un logement locatif, ou une autre personne en permettant l’occupation, et ses héritiers, ayants droit, représentants personnels et successeurs en titre, ainsi que la personne, autre qu’un locataire qui occupe le logement locatif, qui a droit à la possession de l’ensemble d’habitation et qui tente de faire respecter les droits d’un locateur prévus par un bail ou par la présente loi, y compris le droit de percevoir un loyer;

 

« logement locatif »  Habitation ou terrain de maisons mobiles servant ou destiné à servir de logement locatif; y est assimilée la chambre dans une pension ou un meublé;

 

« bail »  Convention, y compris ses renouvellements, écrite, verbale ou implicite entre le locateur et le locataire relativement à l’occupation d’un logement locatif;

 

« locataire »  Personne qui paie un loyer en échange du droit d’occuper un logement locatif, et ses héritiers, ayants droit et représentants personnels.

 

6. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et par dérogation à toute autre loi et à toute entente ou renonciation contraires, la présente loi ne s’applique qu’aux baux et aux logements locatifs.

 

48. (1) Il est interdit de résilier un bail autrement qu’en conformité avec la présente loi.

 

 

[12]           La Loi prévoit, aux articles 50 et 63, de nombreuses façons grâce auxquelles une partie peut résilier un contrat de bail, mais un locateur ne peut pas, en vertu de la Loi, résilier un contrat de bail afin continuer à utiliser les locaux comme logement locatif.

 

[13]           La Loi prévoit également que, afin de régler les différends, le locateur ou le locataire doivent s'adresser à un régisseur des loyers ou, dans certains cas, à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest.

 

L'ANALYSE

[14]           Le critère en matière de jugement sommaire prévu dans les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 9 (les Règles), consiste à savoir s'il existe une véritable question litigieuse. Il s'agit d'une question de fait. Lorsqu'il n'y a aucune question de fait, mais que l'affaire ne soulève qu'une ou plusieurs questions de droit, la Cour peut, et normalement doit, trancher cette ou ces questions et rendre un jugement en conséquence (voir paragraphe 216(2) des Règles).

 

[15]           Compte tenu que, en l'espèce, les parties s'accordent sur de nombreux points, la seule question est de savoir si la Loi s'applique au contrat de bail conclu par les parties. Si la Loi ne s'applique pas, la défenderesse, dans sa défense, ne fait état d'aucune véritable question litigieuse, car elle ne fait qu'invoquer l'inamovibilité prévue dans la Loi. Si la Loi s'applique, alors un régisseur des loyers, plutôt que la Cour, constitue l'instance appropriée pour le règlement du différend.

 

[16]           Le paragraphe 6(1) de la Loi mentionne que la loi ne s'applique qu'aux « baux et aux logements locatifs ». Par conséquent, la Cour doit déterminer si les immeubles sont des « logements locatifs » et si le contrat de bail est un « bail » au sens de la Loi.

 

[17]           Le contrat de bail conclu par les parties mentionne que les immeubles ne doivent servir qu'à des fins d’habitation. Il est donc évident que les immeubles sont des « logements locatifs » et la Loi définit un logement locatif comme étant «  une habitation ou terrain de maisons mobiles servant ou destiné à servir de logement locatif […] ».

 

[18]           Il reste à savoir si le contrat de bail est un « bail » tel que défini dans la Loi, c'est‑à‑dire une « convention entre le locateur et le locataire relativement à l’occupation d’un logement locatif ». Il est assez claire que le demandeur, à titre de propriétaire des immeubles, est visé par la définition de « locateur ». Il est également clair, toutefois, selon moi, que la défenderesse, une personne morale, n’est pas un « locataire » au sens de la Loi, c'est‑à‑dire une « personne qui paie un loyer en échange du droit d’occuper un logement locatif » Selon moi, la défenderesse n'est pas visée par la définition, de « locataire » parce que, même sil elle paye un loyer, elle n'occupe pas et ne peut pas occuper un logement locatif qui est défini comme étant une « habitation ». La défenderesse paye pour le droit de fournir le logement locatif à ses employés.

 

[19]           Mon opinion est étayée par la décision qui a été rendue par la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest dans Northwest Territories Housing Corp. c. Yellowknife Syndicate, [1990] N.W.T.R. 269, [1990] N.W.T.J. no 170, où il était question de savoir si la Loi [Traduction] « s'appliquait à un bail accordé par le propriétaire d'un ensemble d'habitations à une société dont les locataires s'en servent comme logement »? (paragraphe 1). La Cour a conclu que, si elle interprétait littéralement et libéralement la Loi, ce n'était pas le cas parce que la société avait loué l'ensemble d’habitations afin de louer les logements de l’ensemble à des tiers. La Cour a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

 

Si on examine la [Loi] dans son ensemble […], il est manifeste qu'elle vise à fournir des moyens législatifs plus efficaces et moins lourds afin de permettre aux locataires de faire valoir et de protéger leurs droits reconnus par la loi contre les locateurs lorsque les locataires ont le droit d'occuper un logement loué. […] Il ne faut pas oublier l'inégalité entre le pouvoir de négociation et les ressources financières des locataires et le pouvoir de négociation et les ressources financières des locateurs, la Loi vise évidemment à rétablir l'équilibre des forces par le biais d'un régisseur des loyers qui joue le rôle de médiateur et, au besoin, qui tranche les différends entre les locateurs et les locataires. De même, la Loi ne vise pas à s'appliquer à ce qui constitue essentiellement une transaction de bail commercial conclue entre des partenaires égaux qui contractent librement et en vertu de laquelle le locataire, habituellement une société importante, n'occupe pas le logement afin d'y habiter [Non souligné dans l'original.] (paragraphe 18).

 

[20]           Par conséquent, selon loi, même si les personnes qui habitent dans les immeubles pourraient en d'autres circonstances être protégées par la Loi, la défenderesse ne peut pas se prévaloir de cette protection car elle n'est pas « locataire » au sens de la Loi et, par conséquent, le contrat de bail n'est pas un « bail ». Je conclurais qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse. Comme le contrat de bail conclu entre les parties a pris fin parce qu'il a été résilié conformément à ses modalités et parce que sa durée fixée dans le contrat est arrivée à échéance, j'accorderais l'ordonnance sollicitée par le plaignant.

[21]           Je tiens à souligner que ma conclusion repose uniquement sur mon interprétation de la Loi. Je ne souscris pas à la prétention du demandeur selon laquelle la Loi ne peut tout simplement pas s'appliquer parce que les parties ne voulaient pas qu'elle s'applique. La Loi est manifestement l'expression législative de la politique publique et il n'est pas permis à quiconque de se soustraire aux obligations qu'elle impose en concluant tout simplement une entente privée.

 

[22]           Le demandeur a droit à ses dépens.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

1.         La requête du demandeur en vue d'obtenir un jugement sommaire est accueillie.

 

2.         Le contrat de location no 71337 conclu entre Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et Nav Canada est résilié.

 

3.         La défenderesse doit remettre la libre possession des immeubles situés au 6 Woodland Drive, au 8, 18 et 20 Sahcho Avenue, dans la ville de Norman Wells (Territoires du Nord‑Ouest), à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, sauf si les parties conviennent autrement.

 

4.         Les dépens sont adjugés au demandeur.

 

« James K. Hugessen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          T-1118-06

 

INTITULÉ :                                                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                            c. NAV CANADA

                                                           

 

 

REQUÊTE ÉCRITE FONDÉE SUR L'ARTICLE 369 DES RÈGLES    

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                         LE JUGE HUGESSEN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 23 JANVIER 2008

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Alexander R. Bernard

 

POUR LE DEMANDEUR

Katherine R. Peterson, c.r.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

Peterson, Stang & Malakoe

Yellowknife (T.N.-O)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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