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Date : 20080117

Dossier : IMM-6085-06

Référence : 2008 CF 60

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

 

GEORGE REDA KAMEL BADAWY ABRAHAM

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               George Reda Kamel Badawy Abraham (le demandeur) est âgé de 29 ans. Il est de nationalité égyptienne et il appartient à la religion chrétienne copte. Il a demandé l'asile au Canada parce qu'il a peur des intégristes musulmans dans le pays de sa nationalité, mais elle lui fut refusée dans une décision rendue le 15 novembre 2006 par un membre de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) qui n'a pas cru son histoire et qui a conclu qu'il n'était pas crédible, et ce, pour de nombreuses raisons. Le demandeur demande l'annulation de cette décision dans sa demande de contrôle judiciaire. À l'audience du tribunal, le demandeur n'était pas représenté par un avocat ni par un conseiller.

 

[2]               L’histoire du demandeur peut se résumer comme suit : le demandeur est un ingénieur civil qui prétend que, à compter de 2003, il a dirigé, la plupart du temps à chaque vendredi, les travaux de construction de l'intérieur de l'église copte à Bachom, le village dans lequel il résidait et où il n'y a que très peu de maisons, lesquelles sont toutes habitées par des chrétiens coptes. Ce village est situé à deux heures de route du Caire. Selon une photo qui figure au dossier, l'immeuble qui était en construction ne ressemble pas à une église; il ressemble plutôt à un petit hôtel. Sa construction a commencé en 2001 et elle s'est terminée juste à temps pour les cérémonies de Pâques en 2005. Sa construction avait été interrompue avant 2003 parce que la personne qui surveillait l'immeuble avait fait l'objet de menaces et que sa voiture avait été saccagée.

 

[3]               Le demandeur a affirmé dans son témoignage que les intégristes musulmans qui résidaient dans le même immeuble d'habitation que lui au Caire avaient découvert qu'il s'agissait d'une église lorsque les cérémonies de Pâques ont eu lieu en 2005. Il prétend que, en août 2005, il a été attaqué et enlevé par les intégristes musulmans, puis qu'il a été libéré grâce à l'intervention d'un membre influent de la Fraternité musulmane qui a été convaincu d’intervenir par un ami de la famille, qui a servi d'intermédiaire, afin d'obtenir sa libération. Après sa libération, le demandeur a reçu des soins médicaux pour ses blessures. C'est le membre de la Fraternité musulmane qui a recommandé à la famille Abraham que le demandeur quitte l'Égypte. Le demandeur est arrivé au Canada le 1er octobre 2005 et il a demandé l'asile le 3 octobre 2005. Au Canada, il a retrouvé son frère qui avait obtenu le statut d'immigrant reçu à titre de pharmacien avant son arrivée.

 

 

La décision du tribunal

[4]               Comme il a déjà été mentionné, le tribunal a fondé sa décision sur le manque de crédibilité du demandeur et il a donné un certain nombre de raisons qui peuvent être résumées de la façon suivante :

 

a) En vertu de l'article 96 de la LIPR

(1)     Il n'a pas été établi que le demandeur était ingénieur civil : le tribunal a conclu que le demandeur n'avait pas fait d'études en génie civil parce qu'il n'a présenté qu'un « diplôme temporaire », il a mentionné « B. Sc » au titre de ses dernières études complétées, et lorsqu'on lui a demandé ce qu'il ferait en tant qu'ingénieur civil, il n'a fait mention d'aucun plan, d'aucun permis, ce que le tribunal a jugé invraisemblable. Le tribunal a conclu que le demandeur n'avait fait aucune étude en génie.

 

(2)     Le demandeur ne possédait aucun document qui le reliait à l'église de Bachom : le demandeur a déclaré qu'il ne possédait aucun document établissant un lien entre lui et l'église de Bachom. Il a toutefois présenté une lettre émanant d'un évêque dans laquelle il était mentionné qu'il avait participé à la supervision des travaux de construction d'une église, mais le nom de l'église ou le nom du lieu où celle‑ci se trouvait n'étaient pas mentionnés. Il n'a également présenté aucun article de journal portant sur l'église de Bachom. En raison de l'absence de tels documents, le tribunal a conclu que le demandeur n'avait aucun lien avec la présumée église.

 

(3)     L’homme qui a fait don du terrain pour la construction de l'église de Bachom n'a eu aucun problème : le demandeur a déclaré que Bachom est un village où il y a très peu de maisons et que celles‑ci appartiennent toutes à des chrétiens coptes. L’homme qui a fait don du terrain pour la construction de l'église, un chrétien copte, vit à côté de l'église et il n'a eu aucun problème. Selon le tribunal, il est peu vraisemblable que l’homme qui a fait don du terrain pour la construction de l'église n'ait pas été maltraité « alors que le demandeur d'asile craint de retourner dans son pays ».

 

(4)     La découverte de l'existence de l'église : le tribunal a affirmé qu'il a été demandé au demandeur s'il s'était occupé du projet à compter de 2003 et si les intégristes musulmans qui l'ont prétendument enlevé en 2005 avaient vécu dans le même immeuble que lui. Le tribunal a écrit ce qui suit : « Il a commencé par répondre que c'était à cause des cérémonies de Pâques en 2005. Le tribunal n'estime pas vraisemblable que les fondamentalistes islamiques aient attendu jusqu'en 2005 pour agir, alors qu'ils savaient que l'ingénieur précédent construisait cet édifice ».

 

(5)     Le retard accusé pour s'en prendre au demandeur : il était peu vraisemblable que les intégristes musulmans aient attendu jusqu'en 2005 pour s'en prendre au demandeur s'il s'occupait déjà de la construction de l'église de Bachom en 2003.

 

(6)     Les photos de l'église de Bachom : les photos de l'extérieur de l'église de Bachom que le demandeur a présentées n'établissaient pas qu'il s'agissait d'une église et l'édifice semblait très vaste alors qu'il n'y avait que quelques villageois à Bachom. Le tribunal a de plus conclu que la photo n'établissait pas que l'église était située à Bachom. Le tribunal a également conclu que les photos de l'intérieur de l'église avaient pu avoir été prises dans n'importe quelle église car y a beaucoup d'églises en Égypte où les « chrétiens coptes pratiquent leur religion ».

 

(7)          L’absence de signalement à la police : l'incident d'août 2005 au cours duquel le demandeur aurait été enlevé et agressé n'a pas été signalé à la police. Le tribunal a affirmé que le demandeur a mentionné qu'il n'avait pas signalé l'incident parce que les personnes qui travaillaient pour le gouvernement ne les auraient pas aidés, même si elles l'avaient fait auparavant.

 

(8)          La famille du demandeur n'a eu aucun problème : la famille du demandeur, laquelle est prospère et bien connue, n'a pas été maltraitée et continue de vivre et de travailler dans la même région. Après avoir mentionné les points (7) et (8) susmentionnés, le tribunal a écrit ce qui suit : « Le tribunal estime que [le] témoignage [du demandeur] n'est pas crédible et conclut qu'il n'a pas établi l'existence d'une crainte fondée ».

 

(9)          L'absence de corroboration : aucune preuve ne corroborait l'enlèvement et la détention du demandeur. Par exemple, il n'y avait aucun affidavit émanant du garde de l'édifice qui, selon ce que le demandeur avait mentionné dans son FRP, avait dit à ses parents qu'il l'avait vu avec deux hommes. Le tribunal a ajouté ce qui suit : « Le garde n'a pas fourni d'affidavit, même si le demandeur d'asile affirme que son père lui a envoyé tous les documents présentés ».

 

(10)      Le retard : le demandeur a attendu un mois avant de présenter sa demande d'asile.

 

b) En vertu de l'article 97 de la LIPR

(11)   La façon générale dont sont traités les chrétiens coptes en Égypte : environ dix pour cent des 72 millions d'Égyptiens sont chrétiens coptes. La Constitution garantit la liberté de croyance et les pratiques religieuses; le gouvernement impose toutefois certaines restrictions à l'exercice de ces droits. Mais, comme la pratique des chrétiens coptes n'est pas contraire à la charia, ils exercent leur culte sans faire l'objet de harcèlement. Les chrétiens coptes ne sont pas exposés au risque de préjudice comme l'envisage l'article 97 de la LIPR.

 

(12)   Aucune preuve de risque personnel particulier : il y a parfois des accès de violence sectaire mais cette violence ne touche pas la situation personnelle du demandeur à titre de chrétien copte.

 

[5]               Par ailleurs, le demandeur a présenté des documents médicaux à l'appui du fait qu'il a été blessé lorsqu'il aurait été détenu par les intégristes musulmans. Le tribunal a toutefois jugé qu'il n'accorderait aucune importance à ces documents parce que, selon lui, le témoignage du demandeur n'était pas crédible. Le tribunal a conclu que ces documents avaient été obtenus pour les fins de la demande d'asile du demandeur.

 

La position des parties – les erreurs reconnues

[6]               L'avocat du défendeur, dans son mémoire, a convenu que la preuve ne pouvait pas étayer deux des conclusions tirées par le tribunal quant à la crédibilité : (1) la conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas ingénieur civil (point no 1) et, (2) la conclusion selon laquelle le demandeur a attendu un mois avant de présenter sa demande d'asile au Canada (point no 10). L'avocat du défendeur convient également que comme le tribunal n’a pas tenu compte des documents médicaux en tirant sa conclusion quant à la crédibilité, celle‑ci ne pourrait pas être maintenue si la Cour concluait que les autres conclusions quant à la crédibilité étaient manifestement déraisonnables.

 

[7]               Dans son argumentation, l'avocat du demandeur n'a pas contesté certaines des conclusions du tribunal et n'a exprimé aucune réserve à leur égard :

 

·      Il n'a pas contesté le fait que les photos de l'extérieur de l'église de Bachom n'établissaient pas qu'il s'agissait d'une église et que l’église semblait très vaste alors qu'il n'y a que quelques villageois à Bachom (point no 4).

 

·      Il n'a pas contesté (point no 7) le fait qu'il n'existe aucun rapport de police quant à l'incident survenu en août 2005, mais il a prétendu que le tribunal ne pouvait pas se fonder sur cet élément pour ne pas croire le demandeur parce qu'il ne servait à rien d'aller voir la police car il a quitté le pays sur les conseils du membre de la Fraternité musulmane.

 

·      L'avocat n'a pas contesté le fait que la famille du demandeur n'avait eu aucun problème avec les persécuteurs du demandeur (point no 8).

 

[8]               L’avocat du demandeur a prétendu que les points suivants, c'est‑à‑dire, (1) absence de corroboration quant à l'enlèvement et la détention du demandeur (point no 9), (2) aucune preuve de risque personnel particulier (point no 12), et (3) la façon générale dont sont traités les chrétiens coptes en Égypte (point no 11) n'étaient pas pertinents ou devaient logiquement être écartés si le tribunal a commis une erreur en rejetant l'histoire du demandeur.

 

[9]               Avec les deux concessions faites par l'avocat du défendeur selon lesquelles la preuve démontrait que le demandeur était ingénieur civil et qu'il n'avait pas attendu pour déposer sa demande lorsqu'il est arrivé au Canada, l'avocat du demandeur s'est concentré sur les conclusions suivantes du tribunal qui, selon lui, ont été tirées par erreur suite à une mauvaise interprétation du témoignage rendu et des documents produits ou suite au fait que le tribunal n'a pas tenu compte du fait que le demandeur n'était pas représenté par un avocat à l'audience devant le tribunal:

 

(1)          Absence de document à l'appui établissant un lien entre le demandeur et l'église de Bachom (point no 2). L’avocat du demandeur a prétendu que le demandeur avait produit un tel document;

 

(2)          Bien qu'il ne conteste pas la conclusion selon laquelle l’homme qui a fait don du terrain pour la construction de l'église de Bachom n'avait aucun problème (point no 3), le tribunal n'a pas tenu compte du témoignage du demandeur quant à savoir pourquoi il en était ainsi;

 

(3)          La conclusion du tribunal quant au moment auquel les intégristes musulmans ont découvert que l'édifice était une église (point no 4). Encore une fois, l'avocat du demandeur a prétendu que le tribunal n'a pas tenu compte du témoignage demandeur;

 

(4)          Bien qu'il ait admis que le demandeur ne se soit pas rendu à la police pour signaler son enlèvement et les mauvais traitements qu’on lui a infligés, le tribunal a tiré une conclusion déraisonnable et n'a pas tenu compte de son témoignage expliquant pourquoi il avait agi ainsi de la sorte (point no 7).

 

[10]           Essentiellement, le demandeur prétendait, quant aux autres motifs liés à la crédibilité, que le tribunal a commis une erreur en interprétant incorrectement la preuve ou en n'en tenant pas compte ou qu’il n'a pas dûment tenu compte du fait qu'il n'était pas représenté par un avocat.

 

[11]           L'avocat du demandeur a soulevé une autre erreur qui a été commise par le tribunal mais il ne s'agit pas d'une erreur qui est liée à la crédibilité du demandeur. L'avocat du demandeur affirme que le dossier indique que le tribunal a refusé d'entendre le témoignage du frère du demandeur et qu'il s'agissait là d'un manquement à l'équité procédurale.

 

L'analyse

La norme de contrôle

[12]           Les avocats des deux parties sont d'avis que la norme de contrôle applicable aux questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de la décision manifestement déraisonnable; je suis d'accord avec eux. Il est bien établi en droit que les conclusions quant à la crédibilité sont des conclusions de fait. L'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales énonce les motifs pour lesquels la Cour peut accorder réparation, notamment si cette dernière est convaincue que l'office fédérale « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». Cela équivaut à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[13]           Dans l'arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, le juge Iacobucci a décrit, au paragraphe 52, la décision manifestement déraisonnable comme étant celle qui est « clairement irrationnelle » ou, de toute évidence, non conforme à la raison ou à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir. Dans l'arrêt Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, le juge Major a écrit ce qui suit : « Il est difficile de définir l'expression "décision manifestement déraisonnable" mais on peut affirmer qu'il doit s'agir d'une décision frôlant l'absurde ».

 

[14]           À cet égard, je renvoie à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montreal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793. La juge L’Heureux-Dubé a écrit ce qui suit au paragraphe 85 de cet arrêt :

 

85    Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d’un tribunal administratif exige une extrême retenue : Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, le juge La Forest aux pp. 849 et 852.  Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n’est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu’une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l’espèce, l’allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve; voir également : Conseil de l’éducation de Toronto, précité, au par.  48, le juge Cory; Lester, précité, le juge McLachlin à la p. 669.  La décision peut très bien être rendue sans examen approfondi du dossier : National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, le juge Gonthier à la p. 1370.

 

[15]           Au paragraphe 4 de l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (CAF), le juge Décary a écrit ce qui suit quant aux conclusions en matière de plausibilité :

 

4     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

 

[16]           Après avoir examiné les arguments, la transcription, le formulaire de renseignements personnels du demandeur et l'affidavit qu’il a présenté à l'appui de la demande de contrôle judiciaire, il me semble que, essentiellement, le demandeur prétend que la preuve au dossier n'étaye pas les conclusions que le tribunal a tirées quant à la crédibilité; il prétend que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve ou l'a mal interprétée.

 

[17]           L'avocat du demandeur souligne que l'avocat du défendeur a déjà admis que le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a reconnu que la preuve ne pouvait pas étayer la conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur n'était pas ingénieur; il en va de même de sa conclusion quant au retard accusé par le demandeur pour déposer sa demande d'asile.

 

[18]           L'avocat du demandeur a notamment prétendu que l'erreur que le tribunal a faite lorsqu'il n'a pas cru que le demandeur était ingénieur était importante et représentative de l'approche boiteuse adoptée en l'espèce par le tribunal, à savoir qu'il a trop rapidement tiré des conclusions d'invraisemblance fondées sur des hypothèses non étayées par la preuve.

 

[19]           Selon moi, l'argument du demandeur est fondé; le tribunal a commis des erreurs importantes qui justifiaient l'intervention de la Cour en tirant les conclusions qui suivent. Si j'ajoute à cela les erreurs qui ont été admises, j'en arrive à conclure que la décision du tribunal doit être annulée.

 

[20]           Premièrement, selon moi, il était déraisonnable et arbitraire que le tribunal conclut que le demandeur n'a pas été enlevé, agressé et menacé parce que ni le demandeur ni sa famille n'ont signalé l'incident à la police. Cette conclusion ne tient pas compte de la preuve selon laquelle le demandeur fut libéré par ses ravisseurs grâce à l'intervention du membre influent de la Fraternité musulmane qui a conseillé au demandeur et à ses parents que le demandeur quitte le pays parce qu'il ne pouvait pas intervenir davantage pour le protéger.

 

[21]           Deuxièmement, la preuve au dossier indique que les persécuteurs du demandeur étaient des intégristes musulmans qui habitaient dans l'immeuble d'habitation au Caire où le demandeur lui‑même habitait avec ses parents lorsqu'il allait à l'université et après qu’il eut obtenu son diplôme. La preuve révèle que certains intégristes musulmans à Bachom et dans les environs de Bachom, qui, comme il a déjà été souligné, est située à deux heures de route du Caire, étaient au courant, entre 2001 et 2003, que l'église était en construction et ils avaient menacé le premier ingénieur qui avait supervisé la construction de l'extérieur de l'église. Entre 2003 et 2005, le demandeur se rendait en voiture du Caire à Bachom, surtout le vendredi, afin de superviser l'aménagement intérieur de l'église. Le tribunal a tout simplement présumé que les persécuteurs du demandeur étaient les mêmes personnes qui avaient menacé le premier ingénieur et cela l'a amené à conclure que les auteurs des menaces étaient au courant qu'une église était en construction à Bachom et, par conséquent, il n'a pas cru le demandeur. Rien au dossier ne vient étayer cette connaissance présumée de la part de ceux qui ont enlevé le demandeur. Cet élément fut essentiel à la décision du tribunal quant à savoir pourquoi les persécuteurs du demandeur ont attendu jusqu’en août 2005 pour s'en prendre à lui après que les cérémonies de Pâques eurent été célébrées à Bachom dans un édifice qui ne fut pas conçu pour ressembler à une église et qui ne ressemblait pas une église.

 

[22]           Troisièmement, le tribunal est arrivé à la conclusion que le demandeur n'avait aucun lien avec l'église, et ce, en raison de l'absence de deux documents. Le premier document mentionné par le tribunal était la lettre datée du 25 septembre 2005 émanant de l'évêque d’El-Sharkiya déposée en preuve dans laquelle il était mentionné que le demandeur [Traduction] « avait servi l'église en supervisant les travaux de construction de l'église ». Le tribunal a conclu que cette lettre comportait une irrégularité parce que le nom de l'église n'y était pas mentionné. L'autre document mentionné par le tribunal était un document composé d'articles de journaux traitant de l'église. Le tribunal a conclu ce qui suit : « […] cette absence de documents montre qu'il n'était pas lié à cette prétendue église ». Selon moi, la conclusion du tribunal est manifestement déraisonnable. Premièrement, à la page 273 du dossier certifié du tribunal, on a demandé au demandeur si un journal était publié dans le village de Bachom et le demandeur a répondu ce qui suit : [Traduction] « Juste un petit village d'agriculteurs ». Si l'on tient compte du contexte, la réponse du demandeur était « non ». Quant à lettre émanant de l'évêque, le tribunal a conclu qu'elle comportait une irrégularité parce que le nom de l'église n'y était pas mentionné. La conclusion du tribunal ne peut pas être maintenue parce le demandeur a expliqué que l'église était un édifice relevant de l'évêché d'El Sharkiya. Le tribunal n'a pas tenu compte de cet élément de preuve.

 

[23]           Ces erreurs commises par le tribunal, combinées avec les erreurs admises, suffisent, selon moi, à infirmer la conclusion principale du tribunal selon laquelle le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve crédible pour étayer sa crainte de persécution. Ces erreurs sont importantes et sont déterminantes quant à la décision du tribunal. La décision du tribunal ne peut pas être maintenue.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et la demande d'asile du demandeur est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour nouvelle décision. Aucune question à certifier n'a été proposée.

 

                                                                                                            « François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          IMM-6085-06

 

INTITULÉ :                                                         GEORGE REDA KAMEL BADAWY ABRAHAM

                                                                              c.

                                                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE 8 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 17 JANVIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Hart A. Kaminker

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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