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Date : 20080116

Dossier : IMM-5910-06

Référence : 2008 CF 55

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

AMANPREET KAUR GREWAL 

YADVINDER SINGH GREWAL

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Yadvinder Singh Grewal (M. Grewal) et Amanpreet Kaur Grewal (Mme Grewal) se sont mariés en Inde le 27 avril 2001. Ils ont une jeune fille, Ayra, qui est née en Inde le 3 juin 2002.

 

[2]               M. Grewal réside au Canada. Il a obtenu la résidence permanente au pays le 3 décembre 2002 en tant que célibataire qu’aucune personne à charge n’accompagnait.

 

[3]               Mme Grewal habite encore en Inde. Sa demande de résidence permanente au Canada, reçue par le Haut-commissariat du Canada à New Delhi (le haut-commissariat) en juin 2002 et parrainée par son mari au début 2002, a été rejetée par une agente des visas le 26 octobre 2006, qui a conclu qu’elle était interdite de territoire au Canada. Pour étayer sa demande de résidence permanente, Mme Grewal avait présenté un faux certificat de mariage établissant qu’elle s’était mariée avec M. Grewal le 30 décembre 2002, c’est‑à‑dire après qu’il eut obtenu le droit d’établissement au Canada au début décembre 2002.

 

[4]               Lors de son entrevue avec le haut-commissariat en 2003, Mme Grewal a d’abord réitéré ce mensonge, mais lorsqu’on lui a fait la remarque que les invités à son mariage portaient des vêtements d’été, elle a admis s’être mariée en avril 2002.

 

[5]               Deux motifs justifiant l’interdiction de territoire ont été exposés :

 

·        Une infraction à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), qui prévoit qu’un étranger est interdit de territoire pour fausses déclarations lorsqu’il fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. L’alinéa 40(2)a) de la Loi précise que l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si l’étranger n’est pas au pays.

 

·        Une infraction à l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), qui prévoit qu’un étranger n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial s’il était un membre de la famille n’accompagnant pas l’intéressé et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

 

[6]               Le 23 mai 2006, les demandeurs ont été avisés des conclusions provisoires tirées par le haut‑commissariat et ont eu l’occasion d’y répondre. Les refus officiels pour les motifs avancés quant à l’interdiction de territoire sont expliqués dans deux lettres de l’agente des visas, Anita Puri, en date du 26 octobre 2006.

 

[7]               L’agente des visas a rendu une autre décision ce jour‑là, décision qui fait l’objet de la présente procédure de contrôle judiciaire. Elle a refusé d’exercer, en faveur de Mme Grewal, la compétence du ministre fondée, en vertu de l’article 25 de la Loi, sur l’existence de circonstances d’ordre humanitaire. Cet article, reproduit ci‑dessous dans les deux langues officielles, autorise le ministre à accepter des entorses à la Loi ou au Règlement.

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

(2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l’étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

(2) The Minister may not grant permanent resident status to a foreign national referred to in subsection 9(1) if the foreign national does not meet the province’s selection criteria applicable to that foreign national.

 

 

[8]               Ce sont les nouveaux avocats des demandeurs, Waldman & Associates, qui ont répondu aux lettres relatives à l’équité de l’agente des visas en date du 23 mai 2006. Dans leurs observations, ils ont admis que les demandeurs n’avaient pas donné la vrai date de leur mariage et que Mme Grewal n’avait pas fait l’objet d’un contrôle.

 

[9]               Les avocats des demandeurs ont expressément demandé à l’agente des visas de dispenser Mme Grewal de l’application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement et d’accepter l’entorse à l’article 40 de la Loi ou, subsidiairement, d’accorder à Mme Grewal un permis de résidence temporaire.

 

[10]           Ils ont aussi fait savoir à l’agente des visas que M. Grewal, qui avait également produit le faux certificat de mariage à l’appui du parrainage de sa femme, avait été déclaré interdit de territoire à la suite d’une enquête tenue au Canada, mais que son appel devant la Section d’appel de l’immigration (la Section) avait été accueilli et que, le 9 février 2006, la Section avait annulé pour des raisons d’équité la mesure d’expulsion prise contre M. Grewal.

 

[11]           Ils ont aussi informé l’agente des visas qu’Ayra avait le droit d’être parrainée par son père pour devenir une résidente permanente parce qu’elle était née après qu’il eut obtenu le droit d’établissement au Canada, soit le 3 décembre 2002. Ils ont demandé à l’agente des visas de poursuivre le traitement de la demande de résidence permanente d’Ayra même si elle rejetait la demande de Mme Grewal.

 

[12]           Les avocats ont fait mention des observations d’ordre humanitaire qu’ils avaient présentées le 9 mars 2006 et qui étaient fondées sur l’intérêt supérieur de la famille et sur sa réunification.  

 

[13]           J’ai été informé à l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire qu’Ayra a obtenu la résidence permanente au Canada et qu’elle passe la majorité de son temps avec sa mère en Inde, mais qu’elle est venue quelques fois au Canada.

 

[14]           Deux questions sont soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire :

 

·        L’agente des visas a-t-elle omis de tenir compte de l’intérêt supérieur d’Ayra en minimisant cet intérêt?

 

·        L’agente des visas a-t-elle accordé trop de poids à la fausse déclaration faite par Mme Grewal si bien qu’elle n’a pas tenu compte d’autres facteurs pertinents et, par conséquent, a rendu une décision déraisonnable?

 

[15]           À l’audition de la présente demande, l’avocate des demandeurs n’a pas soulevé une question qui était formulée dans leur mémoire et selon laquelle l’agente des visas avait commis une erreur de droit en outrepassant sa compétence parce qu’elle n’avait pas le pouvoir délégué nécessaire pour rendre une décision d’ordre humanitaire.

 

La décision de l’agente des visas

[16]            Comme je l’ai noté précédemment, le 26 octobre 2006, l’agente des visas a conclu que [traduction] « il n’y a pas de circonstances d’ordre humanitaire qui justifient que le statut de résidente permanente vous soit octroyé ou que vous soyez dispensée de l’application de critères et d’obligations prévus par la Loi ».  

 

[17]           Dans la lettre officielle qu’elle a envoyée à Mme Grewal, l’agente des visas n’a fait aucune mention de la jeune fille et n’a pas exposé les motifs de sa décision. Les notes du STIDI de l’agente des visas ont été produites et je cite ci‑après les passages qui portent sur la dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

[traduction]

Dans sa lettre datée du 9 mars 2006, le représentant du répondant a demandé que l’on traite la demande d’Amanpreet Kaur Grewal en se fondant sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. J’ai examiné les renseignements au dossier afin de déterminer l’existence de motifs d’ordre humanitaire.

 

Selon l’information contenue dans nos dossiers, les parents ainsi que les sœurs et frères d’Amanpreet Kaur Grewal habitent en Inde. Le répondant est le seul membre de sa propre famille qui réside au Canada. Amanpreet Kaur Grewal habite avec les membres de sa famille à elle et de la famille de son répondant. Il semble qu’elle puisse recevoir du soutien affectif dans son pays de résidence. Le répondant lui apporte un soutien financier et peut continuer à le faire.

 

Au point d’entrée, le répondant a choisi de ne pas informer notre bureau ni l’agente de son nouveau état matrimonial au moment du traitement de sa demande. Il a décidé de ne pas déclarer la demanderesse comme étant sa conjointe à charge et ne l’a pas assujettie à un contrôle.

 

Amanpreet Kaur Grewal est une personne instruite; elle a une maîtrise et un diplôme en création de mode. Elle a délibérément donné une fausse date de son mariage dans le but d’établir qu’elle a droit au visa de résidente permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. 

 

Par ma lettre datée du 23 mai 2006, j’ai avisé Amanpreet Kaur Grewal qu’elle était exclue de la catégorie de regroupement familial en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Étant donné que sa fille, Ayra, est née après que le répondant eut obtenu la résidence permanente au Canada, elle a droit à un visa en tant qu’enfant à charge. Dans sa lettre datée du 6 juin 2006, le représentant du répondant m’a demandé de [traduction] « poursuivre le traitement de la demande de résidence permanente de l’enfant si je rejetait la demande de Mme Grewal ».

 

Je suis d’avis qu’il n’y a pas de motifs d’ordre humanitaire qui justifient l’octroi d’une dispense des critères applicables.

 

 

[18]           Anita Puri a déposé un affidavit dans le cadre de la présente instance au sujet duquel elle n’a pas été contre‑interrogée.

 

[19]           Dans la première partie de son affidavit, Mme Puri a déclaré avoir examiné le dossier concernant la demande de visa et les affidavits des demandeurs signés les 13 et 17 janvier 2007, de même que le mémoire des points d’argument des demandeurs déposé dans le cadre de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant sa décision. Elle a également expliqué ses fonctions dans le traitement des demandes de résidence permanente en cause et comment les notes qu’elle a préparées quant au traitement de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demandeurs ont été enregistrées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), système utilisé à New Delhi pour le traitement des demandes d’admission au Canada.

 

[20]            Les parties importantes de son affidavit sont les paragraphes 7, 8 et 9, reproduits ci‑après :

 

 

 

[traduction]

7.     Dans mon évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, j’ai tenu compte du fait que la Section d’appel de l’immigration avait accueilli l’appel du demandeur.

 

8.     Les demandeurs sont instruits; ils peuvent lire l’anglais sans difficulté et comprennent bien la langue. La demanderesse a une maîtrise et un diplôme en création de mode. Le visa de résident permanent a été envoyé par la poste au demandeur le 25 octobre 2001. La lettre habituellement jointe à ce type de visa, que nous utilisons à notre bureau depuis mai 2000, informait les demandeurs de ce qui suit :

 

[traduction] « Si l’une des circonstances suivantes s’applique à vous ou à une personne visée par votre demande, vous devez immédiatement en informer notre bureau et nous renvoyer les visas en vue d’un traitement supplémentaire : changement de l’état matrimonial (mariage), divorce, annulation de mariage, décès ou autre. » Une copie de cette lettre (Annexe B) est jointe à mon affidavit.

 

9.     Dans mon évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, j’ai tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs, bien que, par mégarde, je ne l’aie pas mentionné dans mes notes. Avant de prendre ma décision, j’ai lu et pris en compte toutes les observations de l’avocate des demandeurs à l’appui de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. J’ai tenu compte du fait que le demandeur a choisi avant de venir au Canada de ne pas déclarer la demanderesse comme étant son épouse et du fait que la demanderesse a fourni de l’information erronée et trompeuse dans le but d’obtenir son admission au Canada. J’ai estimé que la décision du demandeur d’habiter au Canada était un choix personnel délibéré et qu’il ne subirait pas de difficultés indues s’il retournait en Inde, parce qu’il avait habité dans ce pays pendant près de 30 ans avant de déménager au Canada en 2001. Vu ses compétences et son expérience de travail, il pourrait facilement s’établir de nouveau en Inde. J’ai considéré que si le demandeur retournait en Inde, ce qu’il est en mesure de faire, il serait avec sa famille. J’ai également estimé que si leur famille éprouvait des difficultés, elles seraient le résultat des choix personnels des demandeurs. Par conséquent, je n’étais pas convaincue que les circonstances de la présente affaire justifiaient l’octroi d’une dispense des critères applicables.

[Non souligné dans l’original.]

 

La décision rendue le 9 février 2006 par la Section

[21]           Dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire, il est important d’examiner la décision rendue le 9 février 2006 par la Section, qui a accueilli l’appel de M. Grewal et, pour des motifs d’ordre humanitaire, a annulé la mesure de renvoi prise contre lui. Comme il est mentionné dans la décision, M. Grewal n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’expulsion et son appel ne concernait que la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi. Il est important de comprendre que la mesure d’expulsion prise contre lui était fondée en partie sur le fait qu’il était interdit de territoire au Canada pour les mêmes raisons que Mme Grewal était interdite de territoire, c’est‑à‑dire pour avoir fait de fausses déclarations sur la date de leur mariage. Les paragraphes 6 à 12 sont les parties importantes de la décision de la Section. Après avoir souligné que le ministre « ne s’oppos[ait] pas à ce que des mesures spéciales soient prises pour des motifs d’ordre humanitaire » [non souligné dans l’original], à la condition qu’il soit tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision, et après avoir rappelé les facteurs établis par la Cour suprême du Canada dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, le tribunal a rédigé ce qui suit :

 

[6]        Ayant pris le tout en considération, je conclus que les circonstances, et le fait que l’intimé ne s’oppose pas à la prise de mesures spéciales de nature discrétionnaire, me convainquent qu’il convient de faire droit au présent appel pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[7]        Les parties conviennent que la fausse déclaration, bien qu’elle soit techniquement importante pour l’application de la LIPR, n’est cependant pas grave, car elle n’avait et ne pouvait avoir aucune incidence sur le propre droit de l’appelant de venir au Canada, parce que celui-ci a présenté une demande et a été admis à titre de travailleur qualifié indépendant, et non de membre de la catégorie du regroupement familial.

 

[8]        Au vu des observations qui m’ont été soumises et auxquelles l’intimé ne s’est pas opposé, je suis persuadé que l’appelant n’a fait la fausse déclaration en question qu’à la suite de conseils inadéquats d’un consultant en immigration indépendant, qu’il n’aurait pas fait cette déclaration sans ces conseils et qu’il regrette sincèrement son erreur.

 

[9]        Au vu de ces observations, ainsi que des documents qui m’ont été soumis, je suis par ailleurs convaincu que l’appelant est maintenant établi au Canada et non en Inde et qu’il subirait de sérieuses difficultés s’il était renvoyé, car il n’y a rien, sinon peu, qui l’attend dans ce pays.

 

[10]      Les facteurs susmentionnés font pencher la balance des motifs d’ordre humanitaire du côté positif.

 

[11]      L’appelant a un jeune enfant en Inde, sa fille, Ayra Grewal. Cependant, je ne suis pas convaincu que l’intérêt supérieur de cet enfant soit directement touché de manière négative si je fais droit à l’appel. Selon la conseil de l’appelant, ce dernier subvient régulièrement aux besoins financiers de sa fille ainsi que de sa mère, son épouse, depuis qu’il est au Canada, et l’intimé ne s’est pas opposé à cette observation. Je n’ai aucune raison de croire que l’aide financière qu’il assure depuis le Canada prendra fin dans l’avenir. En outre, même s’il en résulte finalement que sa venue au Canada serait impossible, peut-être parce que l’alinéa 117(9)d) du RIPR s’applique à sa mère, ce résultat final n’est pas encore survenu ou n’a pas encore été décidé, et s’il s’agit jamais là du résultat final, je ne suis pas convaincu que l’appelant ne retournerait pas en Inde de sa propre initiative, après avoir fait ses propres choix au sujet de ses obligations quant à l’intérêt supérieur de son enfant, de même que pour rejoindre son épouse.

 

[12]      Je ne vois aucun autre facteur ou aucune autre circonstance qui mérite un examen de ma part en l’espèce. [Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Comme je l’ai mentionné précédemment, les avocats des demandeurs ont présenté de longues observations au haut‑commissariat à New Delhi le 9 mars 2006. Plus particulièrement, la décision rendue le 9 février 2006 par la Section, qui annulait la mesure de renvoi prise contre M. Grewal, était jointe à ces observations, de même que de nombreux autres documents.

 

Les observations relatives aux motifs d’ordre humanitaire présentées le 9 mars 2006 par l’avocate

[23]           Les avocats des demandeurs ont présenté des observations juridiques fondées sur la jurisprudence qui s’appliquait à ce moment‑là et ils ont fait valoir que, lorsque M. Grewal avait présenté sa demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés, il n’était pas marié et que, par conséquent, il n’était pas tenu de déclarer sa conjointe parce qu’elle n’était pas encore son épouse. L’avocate a soutenu que l’alinéa 117(9)d) ne s’applique pas à l’époux de Mme Grewal et qu’elle devrait se voir délivrer un visa. L’avocate a fait référence aux décisions de mes collègues dans Beauvais c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2005] A.C.F. no 1713, et dela Fuente c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2005] A.C.F. no 1219.

 

[24]           L’avocate a également affirmé que, si les dispositions de l’alinéa 117(9)d) contrecarraient la demande de parrainage de M. Grewal à l’égard de son épouse, pour la réunification de la famille, il faudrait envisager la délivrance d’un visa à Mme Grewal pour des circonstances d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi. Elle a fait valoir que M. Grewal apporte un soutien financier à son épouse depuis le Canada et que, même s’il a rendu visite plusieurs fois à sa famille en Inde, la séparation est un fardeau émotionnel pour M. et Mme Grewal : durant leurs cinq années de mariage, ils n’ont été en mesure que de passer de courtes périodes ensemble et Ayra est élevée sans la présence constante de son père. L’avocate a fait remarquer que l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 25 de la Loi est la seule mesure qui permettrait la réunification de la famille au Canada, où M. Grewal habite depuis le 2 décembre 2001 et où il est bien enraciné. L’avocate a fourni des exemples de cet enracinement ainsi que de son engagement dans la collectivité.  

 

[25]           L’avocate a insisté sur la réunification de la famille. Elle a fait une analyse de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans De Guzman c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CAF 436, dans lequel le juge Evans a déclaré au paragraphe 49 que l’alinéa 117(9)d) n’empêchait pas l’admission des fils de Mme De Guzman au Canada sur d’autres fondements. Il a mentionné, plus précisément, qu’ils pouvaient présenter au ministre une demande de dispense discrétionnaire de l’application de cet alinéa conformément à l’article 25 de la Loi, ou encore une demande de résidence permanente, et il a souligné que le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire de façon favorable s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au demandeur, compte tenu de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché, ou l’intérêt public le justifient. C’est en raison de l’article 25 que le juge Evans a conclu que l’alinéa 117(9)d) ne rendait pas la Loi non conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. L’avocate a fait valoir que M. Grewal est bien enraciné au Canada, qu’il sera en mesure de subvenir aux besoins de sa famille ici et que leur but ultime est la réunification de la famille. L’avocate a ajouté que le mariage, la cohabitation, la décision de fonder une famille et l’intégrité de la famille sont des droits de la personne. Elle a écrit ce qui suit : [traduction] « Bien que le droit de se marier et le droit à la protection de sa famille n’impliquent pas le droit de choisir le pays dans lequel résidera la famille, le Canada a explicitement reconnu que l’établissement au pays de membres de la famille immédiate de Canadiens et de résidents permanents est un objectif déclaré; l’importance de l’unité familiale n’est pas simplement reconnue en termes généraux. »

 

[26]           Enfin, l’avocate des demandeurs a affirmé qu’il était dans l’intérêt supérieur d’Ayra de rejoindre son père, M. Grewal, au Canada et d’habiter avec son père et sa mère. Elle a soutenu qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de permettre, pour des motifs d’ordre humanitaire, à sa mère de venir vivre au Canada. Si cela était refusé à sa mère, Ayra subirait un préjudice et un traumatisme émotionnels graves parce qu’elle serait privée de l’avantage d’être élevée tant par son père que par sa mère.

 

 

 

Analyse

a) La norme de contrôle

[27]           La norme de contrôle qui s’applique à une décision d’un agent d’immigration quant à l’existence de motifs d’ordre humanitaire au sens de l’article 25 de la Loi est la décision raisonnable simpliciter; voir l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Baker c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, une affaire qui portait sur l’examen de l’existence de motifs d’ordre humanitaire. Il s’agissait de décider si un agent d’immigration avait refusé à bon droit de dispenser un étranger de l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada.   

 

[28]           Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, le juge Iacobucci affirmait ce qui suit : « Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. »

 

b) Examen et conclusions

[29]           L’avocate des demandeurs a soutenu que je ne devrais accorder que peu de poids à l’affidavit de l’agente des visas en date du 21 février 2007, dans lequel elle déclare, entre autres, qu’elle a tenu compte de l’intérêt supérieur d’Ayra.

 

[30]           La jurisprudence de la Cour traite de la situation où les motifs de décision d’un agent des visas sont mentionnés dans les notes du STIDI et où ces motifs ont été complétés par l’affidavit ultérieur de l’agent, dans lequel il ne précise pas simplement les brefs motifs d’évaluation fournis dans les notes du STIDI, mais où, comme en l’espèce, il élabore un raisonnement complet dont on ne trouve trace nulle part dans ses notes.  

 

[31]           Dans ces circonstances, la jurisprudence de la Cour, illustrée par bin Abdullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1185, Kalra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 941, et Yue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 717, a établi qu’il ne faut accorder que peu de poids à un tel affidavit parce qu’il a été signé plusieurs mois après que la décision a été rendue et que, par conséquent, il constitue une explication fournie après coup et le reflet des souvenirs imparfaits d’une personne.

 

[32]           Je souscris au raisonnement selon lequel, dans ces circonstances, il ne faut accorder que peu de poids à l’affidavit d’un agent des visas. À vrai dire, mes collègues ont expliqué très souvent que la valeur des notes du STIDI, c’est qu’elles constituent un instantané du raisonnement de l’agent des visas ainsi que des questions posées et des réponses données.  

 

[33]           En tout état de cause, l’affidavit de l’agente des visas n’est pas utile vu l’examen qu’elle a fait de l’intérêt supérieur d’Ayra. Elle déclare simplement avoir tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant sans fournir d’analyse ni de raisonnement. Sa déclaration est une déclaration globale qui ne se conforme pas à la jurisprudence bien établie selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant doit être bien identifié et défini; voir Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 7.

 

[34]           Il existe un autre motif pour accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Dans son affidavit, l’agente des visas a déclaré avoir tenu compte de la décision de la Section à l’égard de M. Grewal.

 

[35]           Une fois de plus, l’agente des visas a fait une déclaration générale sans procéder à un examen ou à une analyse de la décision de la Section.

 

[36]           Je suis d’avis que la décision de la Section est essentielle à l’examen des motifs d’ordre humanitaire visant Mme Grewal. La Section a tiré des conclusions quant aux circonstances qui ont incité M. Grewal à fournir de faux renseignements concernant la date à laquelle il a épousé Mme Grewal, à son degré d’enracinement au Canada et aux conséquences qu’il subirait s’il retournait en Inde. Je fais également remarquer que devant la Section, le représentant du ministre ne s’opposait pas à la prise de mesures spéciales de nature discrétionnaire.

 

[37]           En l’espèce, il n’y a pas lieu de se pencher sur les autres questions soulevées par les parties.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agente des visas quant à l’application de l’article 25 de la Loi est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen en ce qui concerne la question d’ordre humanitaire.

 

                                                                                                « François Lemieux »

                                                                                                ____________________________

                                                                                                                        Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5910-06

 

INTITULÉ :                                       Amanpreet Kaur Grewal et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Krassina Kostadinov            

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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