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Date : 20080123

Dossier : T-1758-06

Référence : 2008 CF 87

Montréal (Québec), le 23 janvier 2008

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

CHANEL S. DE R.L., et

CHANEL INC.

demanderesses

 

et

 

 

GENÈVE ACCESSOIRES INC.

BIJOUTERIE GENÈVE INC.,

HENRI SEBAG ET/OU LA PERSONNE PHYSIQUE

OU MORALE FAISANT AFFAIRES

SOUS LE NOM COMMERCIAL GENÈVE ET/OU

GENÈVE ACCESSOIRE À LA PLACE ALEXIS NIHON,

1500 ATWATER, MONTRÉAL (QUÉBEC) ET

AU CENTRE LAVAL, 1600 LE CORBUSIER, CHOMEDEY, LAVAL

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Par requête déposée à la Cour le 5 avril 2007 (la requête en annulation), les défendeurs sollicitent conformément à l'article 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 telles que modifiées (les Règles), une ordonnance annulant le jugement par défaut prononcé contre eux le 22 mars 2007. Les défendeurs demandent également l’annulation de la déclaration amendée des demanderesses datée du 1er décembre 2006 ainsi que des dommages-intérêts exemplaires de 150 000 $ pour M. Sebag « pour atteinte à sa réputation et […] ceci démotivera des compagnies multinationales […] à ne pas intenter des poursuites judiciaires de façon cavalière et à ne plus utiliser de façon abusive le système de justice canadien. »

 

[2]               Les demanderesses, Chanel S. de R.L. et Chanel Inc. (collectivement, Chanel), sont les propriétaires inscrites des marques de commerce no 143,648; 345,284; 339,904 et UCA 18537, enregistrées dans le registre canadien des marques de commerce. Le 5 octobre 2006, Chanel dépose à l’encontre des défendeurs une déclaration dans laquelle elle affirme que les défendeurs violent ses droits dans les marques de commerce visées par les numéros d’enregistrement 345, 284 et UCA18537 (les marques de commerce CHANEL).   Les 7 novembre et 1er décembre 2006, Chanel dépose des déclarations modifiées.  Les défendeurs ne déposent aucune défense. Le délai de 30 jours prescrit par l’article 204 des Règles est expiré au moment où Chanel présente une requête ex parte en vue d'obtenir de la Cour un jugement par défaut.  

 

[3]               Le 22 mars 2007, la Cour rend le jugement par défaut contre les défendeurs et déclare ce faisant que ces derniers : 

a)         ont violé, ou sont réputés avoir violé, les marques de commerces CHANEL;

b)         ont déprécié la valeur de l’achalandage attachée aux marques de commerces CHANEL; et,

c)         ont attiré l'attention du public sur leurs marchandises de façon à créer de la confusion au Canada entre leurs marchandises, leurs services ou leurs activités et les marchandises, les services ou les activités des plaignantes.

 

[4]               La Cour émet, entre autres, une injonction permanente interdisant aux défendeurs (et à leurs mandataires, préposés, employés, représentants et successeurs) de proposer à la vente, de vendre, d'importer, de fabriquer, d'imprimer, de distribuer, d'annoncer, de promouvoir, d'expédier, d'entreposer, d'exposer des articles associés aux marques de commerce CHANEL.  La Cour ordonne également aux défendeurs, conjointement et solidairement, de payer sans délai la somme de 12 000 $ à titre de dommages intérêts compensatoires conventionnels et la somme de 4 952,65 $ au titre des dépens et des débours.

 

[5]               Le 5 avril 2007, les défendeurs déposent la présente requête en annulation qui a été fixée pour audition le 21 novembre 2007.  À l’audition, j’ai permis à M. Sebag, qui se représente lui-même, de représenter également les défenderesses Genève Accessoires et Bijouterie Genève Inc. J’ai également permis que la requête en annulation soit décidée sur la base de prétentions écrites additionnelles que j’ai considérées avant de rendre l’ordonnance qui suit rejetant la requête en annulation avec dépens.

 

[6]               Selon les prétentions des défendeurs, M. Sebag, le principal défendeur, a dû changer « de firmes d’avocats à deux reprises sans résultats [sic]. » Les défendeurs allèguent qu’ils n’avaient pas les moyens de payer pour les services d’un grand cabinet d’avocat : Bijouterie Genève Inc. et Accessoires Genève Inc. n’ont pas les ressources financières nécessaires pour défrayer les coûts d’un avocat sans mettre en péril leur survie.

 

[7]               Les déclarations des demanderesses ont été rédigées et signifiées en anglais et par conséquent, les défendeurs prétendent qu’un jugement par défaut ne peut être obtenu selon la règle 68(1) des Règles. Les défendeurs déclarent qu’ils ont demandé à plusieurs reprises au cabinet d’avocats des demanderesses de leur envoyer toute correspondance ainsi que les ordonnances de la Cour en français. Cela n’a pas été fait : M. Sebag n’a pas reçu les copies des affidavits en français signés par Sylvain Gagnon, Nanette Minichiello, Hélène Doré, Sylvie Caron, Luc Léonard et Mario Boyerand. Or, la règle 74 des Règles donne à la Cour le droit de retirer du dossier de la Cour les documents qui n’ont pas été déposés en conformité aves les Règles. De plus, selon les défendeurs, le jugement par défaut a été rédigé en anglais et devient donc un document illégal selon l’article 20 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C.  1985, ch. 31 (4e supp.).

 

[8]               Finalement, les défendeurs soutiennent qu’il y a un manque de crédibilité de Chanel, ainsi qu’un manque d’éthique de la part de ses procureurs. Ainsi, les défendeurs questionnent la légalité de l’affidavit signé par Nanette Minichiello, directrice des ventes chez Chanel Inc. Compte tenu que cet affidavit confirme sous serment les faits rapportés par sa fille, Vanessa Willberg, cette preuve est inadmissible et doit être rejetée par la Cour.  De plus, il est allégué par les défendeurs que la déclaration amendée du 1er décembre 2006 constitue un abus de procédures puisqu’elle est basée sur de fausses allégations. L’allégation selon laquelle les défendeurs ont persisté à vendre des bijoux Chanel contrefaits à la bijouterie Genève de Laval, est fausse et erronée. Vu que cette bijouterie a été vendue à 9156-5793 Québec Inc., M. Sebag n’a plus aucun intérêt personnel.  D’autre part, la photo d’un bijou Chanel (selon la déclaration amendée datée du 1er décembre 2006, ce bijou a été vendu à la bijouterie Genève de Laval) n’inclut aucun affidavit, aucun fait allégué et aucune date précise. Cette photo devient donc une affirmation gratuite.  Finalement, M. Sebag a une instruction scolaire très limitée et a beaucoup de difficulté à lire et à écrire. 

 

[9]               En vertu du paragraphe 399(1) des Règles, la Cour peut annuler une ordonnance rendue sur requête ex parte si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi l'ordonnance n'aurait pas dû être rendue. Le critère en vertu duquel un jugement par défaut peut être annulé est bien établi. Bref, il s’agit aujourd’hui de répondre aux questions suivantes :

a)      Les défendeurs ont-ils une explication raisonnable pour justifier leur défaut de présenter une défense?

b)      Les défendeurs ont-ils une défense prima facie à opposer au bien-fondé de la demande de Chanel?

c)      Les défendeurs ont-ils présenté leur requête dans des délais raisonnables?

 

(Voir notamment Taylor Made Golf Co. Inc. et al. c. 1110314 Ontario Inc. (1998), 148 F.T.R. 212; SEI Industries Ltd. c. Terratank Environmental Group, [2006] A.C.F. no 271 (QL), 2006 CF 218 (SEI)).

 

[10]           Commençons par souligner que les défendeurs ont présenté promptement leur requête en annulation. Le troisième élément du critère est donc rempli. Mais qu’en est-il des deux autres critères?

 

[11]           Quant au premier critère, ayant considéré les représentations écrites ayant été soumises de part et d’autre ainsi que la preuve au dossier, je suis d’avis que les défendeurs n’ont pas fourni une « explication raisonnable » ou une « excuse satisfaisante » pour justifier leur défaut de présenter une défense. Le seul fait qu’un avocat ait été désigné récemment ou qu’un changement d’avocats soit survenu, justifie rarement le report dans le déroulement d’un procès (General Motors Corp. c. Diabco International Inc., [2007] A.C.F. no 554 (QL), 2007 CF 399). Quoiqu’il en soit, il n’y a pas de circonstances particulières ou spéciales dans ce dossier.

 

[12]           Contrairement à la prétention des défendeurs, Chanel a le droit de choisir de s’exprimer en français ou en anglais devant cette Cour. Dans l’arrêt Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1995] A.C.F. no 737  (QL), le juge Noël au para. 15, a déclaré :

Je ne puis trouver aucun fondement juridique permettant de soutenir que Sa Majesté ou une institution fédérale est tenue de fournir à une partie une traduction des affidavits faits sous serment par ses témoins, lorsque l'affidavit en question est rédigé dans la langue officielle autre que celle qui a été choisie par la partie en question. Dans la mesure où cette obligation découle de la Constitution, de la Charte ou de la Loi sur les langues officielles, elle doit être tirée d'une garantie inscrite dans la Constitution ou du libellé de la Loi. Tel qu'il est mentionné plus haut, la garantie constitutionnelle liée à l'emploi de l'une ou l'autre des langues officielles dans les poursuites judiciaires concerne celui qui rédige les plaidoiries écrites et non celui qui les lit. Il n'existe donc aucun droit constitutionnel permettant à une partie d'exiger les affidavits produits par la partie adverse dans la langue officielle qu'elle a choisie; en conséquence, le gouvernement n'est nullement tenu de fournir une traduction.

 

 

[13]           De plus, dans la même affaire, Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines),  [1995] A.C.F. no 1629 (QL), le juge Richard a souligné que la Loi sur les langues officielles et les Règles n'obligent pas la Cour à fournir une traduction, dans l'une ou l'autre des langues officielles, des documents (comme des affidavits) utilisés devant la Cour. Les défendeurs n’ont donc pas le droit de recevoir des copies des affidavits de la partie demanderesse en français. D’autre part, je rejette également l’argument des défendeurs à l’effet que le jugement original serait un document illégal selon l’article 20 de la Loi sur les langues officielles. Je note d’ailleurs que le jugement par défaut a depuis été traduit en français. Il ne semble pas non plus y avoir d’accroc aux règles de justice naturelle. En effet, je note que certaines lettres de M. Sebag à Chanel et à cette Cour sont rédigées en anglais. D’ailleurs, les factures émises par Sun Jewelry & Art Inc. de Miami, Floride pour les bijoux des marques de commerce CHANEL sont en anglais. Je note également que même si M. Sebag a une instruction scolaire très limitée, il est capable de comprendre la nature des procédures en l’espèce.  M. Sebag n’est pas une partie mal informée. Il agit au nom d’entreprises dont il est le président et l’actionnaire principal.  Il a pu lire la correspondance de Chanel et écrire à cette Cour.

 

[14]           Bref, les défendeurs n’ont pas donné des « raisons convaincantes » justifiant leur défaut de présenter une défense en temps utile. Quoiqu’il en soit, les défendeurs n’ont pas à mon avis une défense prima facie à opposer au bien-fondé de la demande de Chanel.

 

[15]           Rappelons que le droit de Chanel à l'emploi exclusif de la marque de commerce CHANEL est réputé être violé par une personne non admise à l'employer et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion (Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, article 20).  Pour décider s'il y a confusion, il faut considérer toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a)         le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues;

b)         la période pendant laquelle chaque marque a été en usage;

c)         le genre de marchandises, services ou entreprises;

d)         la nature du commerce; et

e)         le degré de ressemblance (SEI, précitée, au para. 17).

 

[16]           La règle 81(1) des Règles indique que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.  Selon la règle 81(2), lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables. L’affidavit de Nanette Minichiello a été produit à l’appui d’une requête. Donc, même si elle confirme les faits rapportés par quelqu’un d’autre, ce n’est pas en soi un document « illégal. »  De plus, le fait qu’elle soit une employée de Chanel n’est pas une raison suffisante pour retirer cette preuve du dossier de la Cour. En l’espèce, Chanel a déposé plusieurs preuves (affidavits signés par Sylvain Gagnon, Nanette Minichiello, Hélène Doré, Sylvie Caron, Luc Leonard et Mario Boyerand à l’appui de sa requête par écrit, laquelle était conforme à la règle 210). Cette preuve présentée par Chanel constituait une base solide et convaincante pour conclure que les défendeurs avaient violé les droits de Chanel sur les marques de commerce CHANEL; d’où l'ordonnance rendue par le juge Harrington.

 

[17]           Or, depuis que le jugement par défaut  a été prononcé, les défendeurs n’ont pas fourni de preuve ou d’arguments sérieux à l’encontre des conclusions de violation. Les défendeurs invoquent aujourd’hui une facture émise par Sun Jewelry & Art Inc. de Miami Floride qui, il est allégué, démontre que des bijoux des marques de commerce CHANEL ont été achetés en toute légalité.  À cet effet, les défendeurs ont aussi produit un affidavit signé par M. Sebag qui déclare avoir acheté ces bijoux en toute bonne foi, pensant que la bijouterie à Miami avait les autorisations nécessaires pour vendre des produits CHANEL. Les défendeurs « questionnent l’éthique professionnelle et les motifs des demandeurs ainsi que leurs avocats », en alléguant que c’est le travail de la Gendarmerie Royale du Canada de saisir des produits contrefaits portant une marque de commerce et de donner des amendes. Il est également allégué que Chanel et Bijouterie Almar Inc. ont conclu une entente hors cour pour 2 000 $ concernant une poursuite similaire. 

 

[18]           Je note que même si les défendeurs ont acheté les produits de la marque de commerce CHANEL de bonne foi, ceci n'est pas une défense valable à la contrefaçon d’une marque de commerce (Parfums Christian Dior, S.A. v. Di Iorio, [1980] A.C.F. no 1001 (QL), (1980), 53 C.P.R. (2e) 145; Henkel Kommanditgesellschaft Auf Aktien c. Super Dragon Import Export Inc., [1984] A.C.F. n1020 (QL), (1984), 2 C.P.R. (3d) 361; confirmé [1986] A.C.F. no 313 (C.A.F.) (QL); 69 N.R. 234).  De plus, M. Sebag a plus de 30 ans d’expérience dans la bijouterie. Les prix payés par les défendeurs pour les articles achetés étaient extrêmement bas, ce qui aurait dû éveiller ses soupçons (Microsoft Corp. c. 9038-3746 Québec Inc., [2006] A.C.F. no 1965 (QL), 2006 CF 1509).  Je suis également d’avis que l’entente hors cour intervenue dans un autre dossier de contrefaçon entre Chanel et Bijouterie Almar Inc. n'a absolument aucun rapport avec les points litigieux. Finalement, Chanel pouvait poursuivre son action devant cette Cour, sans tenir compte du fait que la GRC pouvait enquêter au criminel.

 

[19]           En conséquence, je ne suis pas satisfait que les défendeurs ont une défense prima facie démontrant pourquoi l'ordonnance contestée n'aurait pas dû être rendue en l’espèce.

 

[20]           Cette requête doit donc être rejetée et les demanderesses auront droit aux dépens.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête en annulation de l'ordonnance de jugement par défaut datée du 22 mars 2007 soit rejetée avec dépens en faveur des demanderesses.

 

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1758-06

 

INTITULÉ :                                      CHANEL S. DE R.L. ET AL.

c. GENÈVE ACCESSOIRES INC. ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 novembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Martineau

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Me Louis Gratton                                                          POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Monsieur Henri Sebag                                                  POUR LES DÉFENDEURS

(se représente lui-même)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault LLP, s.r.l.                                              POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

 

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