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Date : 20080117

Dossier : T-1430-07

Référence : 2008 CF 62

Toronto (Ontario), le 17 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE Me KEVIN R. AALTO, protonotaire

 

ENTRE :

LE RÉVÉREND EDWIN PEARSON, LE RÉVÉREND MICHEL ETHIER et

JAMES ROSCOE HOAD

 

demandeurs

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

représentée par LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans ce recours collectif envisagé, les défendeurs, représentés par le procureur général du Canada, ont déposé, en application de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, une requête pour que soit rendue une ordonnance ayant notamment pour effet de radier dans son intégralité, et sans autorisation de la modifier, la déclaration modifiée, et de rejeter l’action. Au début de l’audition de la requête, l’avocat des demandeurs a opposé une exception préliminaire concernant la procédure des recours collectifs, en s’interrogeant plus précisément sur la question de savoir si un protonotaire avait le pouvoir de statuer sur une requête en radiation d’une déclaration dans le cadre d’un recours collectif envisagé. Après audition d’arguments complets sur l’exception préliminaire, j’ai différé l’audition de la requête principale pour pouvoir examiner l’exception préliminaire.

 

Les faits

[2]               Les demandeurs ont déposé la présente action en tant que recours collectif envisagé et ont déposé, conformément à l’ancien article 299.17 des Règles des Cours fédérales, maintenant l’article 334.15, une requête en autorisation de l’action comme recours collectif. Les demandeurs sollicitent réparation pour la violation des droits garantis aux membres du groupe par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). La violation aurait résulté de l’application, par les défendeurs, de certaines dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la Loi), dispositions qui, selon les demandeurs, ont été abrogées et sont dépourvues d’effet.

 

[3]               Le groupe proposé est constitué des membres de l’Assemblée de l’Église de l’Univers. Cette religion affirme, parmi ses principes, que le cannabis est une substance sacrée devant être utilisée dans les sacrements et rites religieux. Les membres du groupe affirment, dans leur déclaration modifiée, qu’ils utilisent le cannabis à des fins sacramentelles, et ils croient qu’aucune loi n’interdit la possession de cannabis pour utilisation dans un rite religieux. Essentiellement, la déclaration modifiée précise que l’application de la Loi à l’encontre des membres de l’Église de l’Univers porte atteinte à la liberté de religion garantie à ceux-ci par la Charte.

 

[4]               Les défendeurs ont réagi à la déclaration modifiée et à la requête en autorisation de l’action par dépôt de la requête en radiation de la déclaration modifiée. Au soutien de leur requête, les défendeurs invoquent plusieurs arguments, résumés comme il suit :

 

1.                   L’action constitue un abus de procédure parce que les présumées mesures fautives appliquées par les défendeurs ont été validées dans des décisions judiciaires rendues par la Cour de justice de l’Ontario, la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la Cour d'appel de l’Ontario. Les défendeurs font valoir que les tribunaux ontariens ont jugé, implicitement ou explicitement, que les dispositions pénales concernées étaient valides sur le plan constitutionnel et que, par conséquent, puisque les demandeurs cherchent à faire réexaminer lesdits jugements, ils demandent en fait à la Cour de se poser en juridiction compétente pour réformer les décisions des tribunaux ontariens. Les défendeurs disent que l’action constitue donc un abus de procédure et qu’elle devrait être rejetée.

 

2.                   Subsidiairement, les défendeurs disent que l’action est fondamentalement viciée car elle procède intégralement d’une conclusion erronée en droit, celle selon laquelle il n’existe aucune interdiction valide de posséder de la marijuana. Ainsi, affirment-ils, l’action est vouée à l’échec et devrait être radiée parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable.

 

3.                   Subsidiairement à nouveau, les défendeurs disent que les demandeurs n’ont pas plaidé des faits importants suffisants propres à justifier une procédure fondée sur l’exercice fautif d’une charge publique ou fondée sur toute autre cause d’action et que, pour cette raison, la procédure doit être radiée.

           

[5]               Les arguments des défendeurs requièrent que soient décidés les points suivants de leur requête en radiation :

1.                  L’action constitue-t-elle un abus de procédure parce qu’elle oblige la Cour à se poser en juridiction compétente pour réformer des décisions antérieures rendues par les tribunaux de l’Ontario et portant sur la validité constitutionnelle des dispositions de la Loi?

2.                  L’action devrait-elle être radiée dans son intégralité en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles, sans possibilité de la modifier, et devrait-elle être rejetée parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable?

3.                  L’action devrait-elle être radiée dans son intégralité en application des alinéas 221(1)c) et f) des Règles, sans possibilité de la modifier, et devrait-elle être rejetée parce qu’elle est frivole et vexatoire?

 

[6]               Dans leurs conclusions présentées en réponse, les demandeurs ont invoqué une exception préliminaire d’incompétence mettant en cause l’interdépendance des règles relatives aux recours collectifs (auparavant les articles 299.1 à 299.41, et aujourd’hui les articles 334.1 à 334.40, qui constituent la partie 5.1 des Règles) et des règles qui régissent les actions en général [la partie 4 des Règles]. Ils font valoir que, parce que leur requête en autorisation de l’action comme recours collectif ne peut être instruite que par un juge de la Cour et qu’il s’agit de savoir si une « cause d’action valable » est l’une des conditions qui doivent être remplies avant qu’une action soit autorisée comme recours collectif, la requête en radiation et les questions qu’elle soulève devraient être instruites par un juge ou, mieux encore, instruites en même temps que la requête en autorisation elle-même.

 

[7]               Ils prétendent aussi que, puisque le recours collectif envisagé porte sur une réparation dépassant 50 000 $, un protonotaire n’a pas le pouvoir de statuer sur la requête. Ils disent qu’un recours collectif est une procédure spéciale, régie par la partie 5.1, laquelle constitue un code complet conférant aux seuls juges le pouvoir d’autoriser un recours collectif et, puisque la somme réclamée dépasse 50 000 $ par membre du groupe, un protonotaire n’a pas le pouvoir d’intervenir.

 

Points préliminaires à décider

[8]               L’exception préliminaire soulève les points suivants :

 

1.                   Le protonotaire a-t-il le pouvoir de statuer sur une requête en radiation d’une déclaration dans un recours collectif envisagé, lorsqu’une requête en autorisation d’une action comme recours collectif est pendante?

 

2.                   Le protonotaire a-t-il le pouvoir de statuer sur une requête en radiation d’un recours collectif lorsque la somme réclamée dépasse 50 000 $ par membre du groupe?

 

Compétence générale d’un protonotaire

[9]               La fonction de protonotaire est une fonction d’origine législative. Le protonotaire est un fonctionnaire judiciaire autonome de la Cour fédérale, assimilable à un juge assesseur, nommé par le gouverneur en conseil conformément à l’article 12 de la Loi sur les Cours fédérales. Le paragraphe 12(3) de la Loi sur les Cours fédérales dispose que les pouvoirs et fonctions des protonotaires sont fixés par les Règles.

 

[10]           La compétence première d’un protonotaire est décrite ainsi, à l’article 50 des Règles :

Protonotaires

50. (1) Le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des présentes règles — à l’exception des requêtes suivantes — et rendre les ordonnances nécessaires s’y rapportant :

 

a) une requête à l’égard de laquelle les présentes règles ou une loi fédérale confèrent expressément la compétence à un juge;

 

b) une requête devant la Cour d’appel fédérale;

 

c) une requête pour obtenir un jugement sommaire, sauf s’il s’agit d’un jugement sommaire :

(i) dans une action visée au paragraphe (2),

(ii) à l’égard d’une réclamation visée au paragraphe (3);

 

d) une requête pour obtenir une condamnation pour outrage au tribunal à la suite d’une citation pour comparaître ordonnée en vertu de l’alinéa 467(1)a);

 

e) une requête pour obtenir une injonction;

 

f) une requête concernant la mise en liberté ou l’incarcération d’une personne;

 

g) une requête pour annuler ou modifier l’ordonnance d’un juge ou pour y surseoir, sauf celle rendue aux termes des alinéas 385a), b) ou c);

 

h) une requête pour surseoir à l’exécution de l’ordonnance d’un juge;

 

i) une requête visant la nomination d’un séquestre judiciaire;

 

j) une requête pour obtenir des mesures provisoires en vertu de l’article 18.2 de la Loi;

 

k) une requête pour en appeler des conclusions du rapport d’un arbitre visée à la règle 163;

 

l) une requête en vue de faire autoriser une action ou une demande comme recours collectif.

 

Actions d’au plus 50 000 $

 

(2) Le protonotaire peut entendre toute action visant exclusivement une réparation pécuniaire ou toute action réelle visant en outre une réparation pécuniaire dans lesquelles chaque réclamation s’élève à au plus 50 000 $, à l’exclusion des intérêts et des dépens.

 

Recours collectif

 

(3) Le protonotaire peut entendre toute réclamation à l’égard de points individuels présentée dans un recours collectif si elle vise une réparation pécuniaire qui s’élève à au plus 50 000 $, à l’exclusion des intérêts et des dépens.

 

Jugement étranger

 

(4) Le protonotaire peut entendre toute demande pour l’enregistrement, la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement étranger faite conformément à la règle 327.

 

Jugement sur consentement

 

(5) Malgré les alinéas (1)c) et k) et sauf dans une instance à l’égard de laquelle une loi fédérale confère expressément la compétence à un juge, le protonotaire peut prononcer tout jugement final qu’un juge de la Cour fédérale a le pouvoir de prononcer s’il est convaincu que les parties intéressées y consentent.


[11]           La définition du mot « Cour », à l’article 2 des Règles, comprend un protonotaire. L’article 2 dispose ainsi :

                                « Cour » Selon le cas :

[...]

b) la Cour fédérale, à laquelle est assimilé le protonotaire qui agit dans les limites de la compétence conférée par les présentes règles.

 

 

[12]           Selon l’article 50 des Règles, le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des Règles, à l’exception des requêtes expressément exclues. Ainsi, comme on peut le voir, le protonotaire est investi d’une très vaste compétence puisque la majorité des Règles parlent d’ordonnances de la « Cour » ou de décisions rendues par la « Cour ». Le rôle du protonotaire est d’ailleurs reconnu par la jurisprudence comme un rôle étendu. Dans l’arrêt First Canadians’ Constitution Draft Committee et al. c. Canada, 2004 CAF 93, la Cour d'appel fédérale a passé en revue la compétence des protonotaires. Le juge Décary faisait observer ce qui suit :

[6]   L'intention du législateur ne saurait être plus claire. Les protonotaires sont nommés pour assurer « l'exécution des travaux de celle-ci (la Cour fédérale) qui, aux termes des règles, incombent à cette catégorie du personnel » (paragraphe 12(1) de la Loi) et la description des travaux de la Cour que peuvent exécuter les protonotaires se trouve dans les Règles (paragraphes 12(1) et 12(3) de la Loi).

 

[7]   Le juge en chef Isaac a décrit le rôle des protonotaires au sein de la Cour fédérale dans l'arrêt Aqua-Gem, description qui a été confirmée récemment par la Cour dans Merck (précité, au paragraphe 22). Voici une partie des motifs invoqués par le juge Isaac dans Aqua-Gem :

 

Il est hors de doute qu'en créant les fonctions de registraire ou protonotaire de la Cour de l'Échiquier et de protonotaire de notre Cour, le législateur avait à l'esprit le soutien que les protonotaires assuraient aux juges des cours supérieures, avant et après le jugement, dans les systèmes judiciaires d'Angleterre et de l'Ontario, lesquels faisaient un large usage de ces auxiliaires de la justice.

 

Dans ses cours Hamlyn (publiées sous le titre The Fabric of English Civil Justice, Londres: Stevens & Sons, 1987), sir Jack Jacob, c.r., lui-même ancien protonotaire en chef de la Haute Cour de justice d'Angleterre, a donné un aperçu de l'évolution et du mode de fonctionnement de ce système en Angleterre. Le passage suivant, aux pages 110 et 111, est particulièrement instructif sur l'évolution historique de ce système :

 

[traduction]

Le trait le plus frappant de la procédure préliminaire en Angleterre réside dans ce que, à quelques rares exceptions près, elle ne se déroule pas devant un juge, mais devant un auxiliaire de la justice appelé protonotaire ou registraire. Avant 1837, les juges des trois cours supérieures de common law entendaient eux-mêmes les requêtes préliminaires, qui étaient alors relativement peu nombreuses et peu variées. En 1837, le législateur a supprimé un grand nombre de fonctions administratives et quasi judiciaires, et les a remplacées par des protonotaires dans les trois tribunaux de common law pour seconder les juges dans les procédures préliminaires. En 1867, le législateur a encore innové, en faisant du protonotaire non plus un auxiliaire du juge, mais une autorité judiciaire séparée, distincte et indépendante. Pour y parvenir, il a habileté les juges à adopter des règles investissant les protonotaires du pouvoir d'exercer les mêmes fonctions que le juge en chambre, sauf les questions et instances expressément prévues. Point n'est besoin de dire que les règles nécessaires ont été immédiatement adoptées et qu'elles se sont considérablement développées depuis. Elles ont pour effet de donner aux protonotaires compétence originale sur les matières et procédures dont ils sont saisis. Dans cette fonction, le protonotaire à la Haute Cour est l'équivalant du juge en chambre et c'est en incarnant « la Cour » elle-même qui rend sa décision, ordonnance ou jugement.

 

La compétence des protonotaires, qui a été considérablement élargie depuis l'institution de ces fonctions, est en effet très étendue et couvre la quasi-totalité des procédures préliminaires, sauf l'importante exception des requêtes en injonction si elles ne sont pas introduites dans des conditions convenues; elle embrasse également la quasi-totalité des procédures postérieures au jugement. Les protonotaires sont habiletés à rendre des ordonnances définitives comme des ordonnances interlocutoires ainsi que des jugements définitifs tout aussi impératifs et exécutoires que ceux des juges. [Souligné dans l’original.]

 

 

[13]           Puis le juge Décary concluait par le résumé suivant de la compétence des protonotaires :

[8]   La compétence des protonotaires, à l'instar de celle des protonotaires dans le système judiciaire d'Angleterre, a donc été considérablement élargie avec le temps pour « couvrir la quasi-totalité des procédures préliminaires, sauf l'importante exception des requêtes en injonction [...], et embrasse également la quasi-totalité des procédures postérieures au jugement » . Cette compétence est établie par le comité des règles, constitué en vertu de l'article 45.1 de la Loi, qui jouit donc du pouvoir exceptionnel d'investir les protonotaires « du pouvoir d'exercer les mêmes fonctions que le juge en chambre, sauf les questions et instances expressément prévues ».

 

Compétence du protonotaire dans les actions où la somme réclamée est supérieure à 50 000 $

[14]           Outre la compétence conférée par le paragraphe 50(1) des Règles, le paragraphe 50(2) confère au protonotaire pleine compétence en première instance dans les actions en réparation pécuniaire ne dépassant pas 50 000 $, à l’exclusion des intérêts et des dépens. Ce plafond ne limite cependant pas les actions à l’égard desquelles le protonotaire a compétence. L’arrêt First Canadians’ a réglé la question de savoir si le protonotaire a le pouvoir de statuer sur une requête en radiation lorsque la somme en litige dépasse 50 000 $. Dans cet arrêt, un protonotaire avait radié une déclaration dans laquelle la somme réclamée dépassait 50 000 $, et il avait accordé les dépens à la partie requérante. Saisi d’un appel formé à l’encontre de la décision d’un juge de la Cour fédérale qui confirmait la décision du protonotaire, le juge Décary, s’exprimant pour la Cour, écrivait ce qui suit :

[9]   Le paragraphe 50(1) des Règles établit le principe selon lequel le protonotaire peut entendre « toute requête » en vertu des Règles de la Cour fédérale « à l'exception » des requêtes mentionnées au paragraphe 50(2). Il s'agit réellement d'un pouvoir très large et, sauf si une requête est mentionnée au paragraphe 50(2), le protonotaire peut l'entendre. Le paragraphe 50(1) a été soigneusement rédigé et il ne confère aucun pouvoir aux protonotaires en matière d'actions. C'est le paragraphe 50(2) qui confère aux protonotaires compétence pour entendre une action et il limite expressément cette compétence aux actions qui visent exclusivement une réparation pécuniaire ou une action réelle visant en outre une réparation pécuniaire dans lesquelles chaque réclamation s'élève à au plus 50 000 $, à l'exclusion des intérêts et des dépens. Le législateur avait certainement à l'esprit la distinction entre « requête » et « action » et s'il avait voulu que soient exclues de la compétence du protonotaire les requêtes déposées dans le contexte d'une action dans laquelle la réclamation s'élevait à plus de 50 000 $, il l'aurait fait. Il n'y a donc aucun doute, à mon avis, qu'un protonotaire a compétence, en vertu du paragraphe 50(1), d'entendre une requête visant à radier une action en vertu de l'article 221, quel que soit le montant de la réclamation de l'action. [Non souligné dans l’original.]

 

 

Règles relatives aux actions et aux recours collectifs

 

[15]           La partie 4 des Règles régit la conduite des actions. L’article 169 des Règles dispose expressément que la partie 4 s’applique à toutes les autres instances que les demandes et les appels. L’article 334.12 des Règles dit que les recours collectifs peuvent être introduits par action ou par demande. Cependant, bien que la procédure relative à la conduite des recours collectifs soit exposée dans la partie 5.1, les règles applicables aux actions s’appliquent à tout recours collectif qui est une action (article 334.11 des Règles). La partie 5.1 ne renferme aucune règle disposant que seul un juge peut instruire une requête en radiation se rapportant à un recours collectif. Il ne fait aucun doute qu’une requête en autorisation d’une action comme recours collectif relève exclusivement de la compétence d’un juge (article 334.16 des Règles). Cependant, de nombreux aspects de la procédure des recours collectifs sont de la compétence de la « Cour ». Ainsi, l’article 334.22 des Règles dispose que, dans une action autorisée comme recours collectif, une partie peut, « sur autorisation de la Cour », procéder à l’interrogatoire préalable d’un membre du groupe autre que le représentant demandeur. Si l’on s’en tient aux propos tenus par le juge Décary dans l’arrêt First Canadians’, la distinction entre une « autorisation » et d’autres procédures était manifestement présente dans l’esprit des rédacteurs des Règles, et, si les rédacteurs avaient voulu empêcher les protonotaires de connaître des requêtes relevant de l’article 334.22 des Règles, ils l’auraient dit expressément. Il n’y a donc aucun doute que les protonotaires sont investis non seulement de la compétence conférée par le paragraphe 50(2) des Règles dans les recours collectifs, mais également de la compétence en matière de recours collectifs qui n’est pas expressément conférée à un juge.

 

Requêtes préliminaires dans les recours collectifs

[16]           Inhérente à la position adoptée par les demandeurs est l’idée selon laquelle les requêtes préliminaires en radiation d’une déclaration qui sont fondées sur l’absence d’une cause d’action valable sont de quelque manière proscrites et ne peuvent être examinées que dans le cadre de la requête en autorisation. Cette proposition est dépourvue de fondement. Lui donner crédit reviendrait à priver de sens les dispositions des Règles qui concernent les recours collectifs. Les Règles ont pour objet de faire en sorte que toute instance introduite devant la Cour fédérale soit régie par les mêmes principes procéduraux. Elles reposent sur le principe primordial selon lequel elles doivent permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (article 3 des Règles).

 

[17]           Les requêtes en radiation d’actes de procédure sont régies par l’article 221 des Règles, qui se trouve dans la partie 4. En vertu de l’article 169, la partie 4 s’applique aux actions introduites par recours collectif. L’article 221 dit explicitement que la Cour peut à tout moment ordonner la radiation d’un acte de procédure en se fondant sur divers motifs énumérés. L’article 221 ne soustrait nullement les recours collectifs à son application et il ne renferme rien qui soit incompatible avec les recours collectifs.

 

[18]           Les paragraphes 334.16(1) et (2) des Règles exposent respectivement les conditions qui doivent être remplies dans une requête en autorisation, ainsi que les facteurs à prendre en compte. La disposition est ainsi rédigée :

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

 

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

 

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

 

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

 

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

 

e) il existe un représentant demandeur qui :

 

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

 

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

 

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

 

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

 

Facteurs pris en compte

 

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

 

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

 

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

 

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

 

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

 

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

 

 

[19]           Il convient de noter que l’article 334.16 des Règles est une disposition impérative en ce sens qu’il incombe au juge d’autoriser l’instance comme recours collectif si toutes les conditions sont réunies. Il s’agit d’un exercice très différent de celui qui est envisagé par l’article 221. L’article 334.16 ne parle que des actes de procédure révélant une cause d’action valable, tandis que l’article 221 accorde à la Cour le pouvoir de radier un acte de procédure pour divers motifs, notamment le fait que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable. Ce serait se livrer à un exercice peu économique, et contraire à l’objet des Règles, que de déposer, dans le cadre d’une procédure d’autorisation, une requête en radiation d’un acte de procédure fondée uniquement sur l’absence d’une cause d’action valable, tandis que le dépôt d’une requête en radiation fondée sur les divers autres motifs énumérés dans l’article 221 serait réservé aux exceptions préliminaires.

 

[20]           On peut trouver une autre confirmation de cette conclusion dans les règles relatives à la gestion des instances. Selon l’article 384.1 des Règles, tout recours collectif envisagé est une instance à gestion spéciale. Le paragraphe 385(1) énonce ainsi les pouvoirs du juge ou du protonotaire responsable de la gestion de l’instance :

385. (1) Sauf directives contraires de la Cour, le juge responsable de la gestion de l’instance ou le protonotaire visé à l’alinéa 383c) tranche toutes les questions qui sont soulevées avant l’instruction de l’instance à gestion spéciale et peut :

 

a) donner toute directive nécessaire pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

 

b) sans égard aux délais prévus par les présentes règles, fixer les délais applicables aux mesures à entreprendre subséquemment dans l’instance;

 

c) organiser et tenir les conférences de règlement des litiges et les conférences préparatoires à l’instruction qu’il estime nécessaires;

 

d) sous réserve du paragraphe 50(1), entendre les requêtes présentées avant que la date d’instruction soit fixée et statuer sur celles-ci. [Non souligné dans l'original.]

 

 

 

[21]           Ainsi, le protonotaire affecté, en vertu de l’alinéa 383b), à titre de juge responsable de la gestion d’une instance est habilité, sous réserve des exceptions du paragraphe 50(1), à statuer sur toute question soulevée avant le procès ou avant la fixation d’une date d’audience.

 

[22]           Cependant, les demandeurs soutiennent encore que, puisque l’article 334.16, qui concerne l’autorisation d’une instance comme recours collectif, dispose que seul un juge peut autoriser une instance comme recours collectif, et uniquement si plusieurs conditions sont réunies, la première étant que « les actes de procédure révèlent une cause d’action valable » (alinéa 334.16(1)a)), seul un juge, et non un protonotaire, peut dire si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable. Ils font valoir que, si un protonotaire saisi d’une requête selon l’article 221 dit que les actes de procédure révèlent ou ne révèlent pas une cause d’action valable, il a usurpé la compétence du juge. Ils font aussi valoir que le point de savoir s’il y a ou non cause d’action valable devrait être décidé au stade de l’autorisation, devant un juge, et non au stade d’une requête préliminaire comme celle qui est présentée ici par les défendeurs. Autrement dit, une requête préliminaire en radiation présentée en vertu de l’article 221 est-elle incompatible avec les règles relatives aux recours collectifs?

 

[23]           La réponse est tout simplement négative. L’interprétation préconisée par les demandeurs étire la pratique et la procédure exposées dans les Règles en ce qui concerne les actions. Les règles relatives aux recours collectifs constituent simplement un code général de procédure régissant la conduite d’un recours collectif dans le contexte tout entier des Règles. Elles n’excluent pas le droit des défendeurs de faire radier une déclaration pour l’un quelconque des motifs énumérés à l’article 221. Il n’est pas logique qu’un recours collectif envisagé ne puisse être radié qu’au stade de la requête en autorisation. Admettre une telle interprétation reviendrait à miner l’aptitude de la Cour à contrôler sa procédure et à radier les instances où n’est pas alléguée une cause d’action valable, ou les instances abusives, frivoles ou vexatoires.

 

[24]           Finalement, s’il faut asseoir davantage l’idée selon laquelle une requête en radiation peut être déposée avant l’audition de la requête en autorisation, alors le juge Hugessen faisait implicitement observer, dans la décision Always Travel Inc. et al. c.  Air Canada, 2003 CFPI 212, qu’une partie est à même de déposer une requête préliminaire en radiation avant l’audition de la requête en autorisation. Dans ce précédent, le juge Hugessen, juge responsable de la gestion de l’instance, a rendu une ordonnance obligeant les parties à déposer avant une certaine date toutes les requêtes préliminaires. L’unique requête déposée était une requête en prorogation du délai de dépôt des défenses.

 

[25]           Le point qu’il devait décider dans cette affaire était de savoir si les défendeurs pouvaient différer le dépôt de leurs défenses jusqu’après l’audition de la requête en autorisation. Le juge Hugessen a estimé, se fondant en partie sur l’article 385 des Règles, que l’affaire justifiait l’octroi de l’ordonnance demandée. Toutefois, dans ses motifs, il a relevé que, puisque l’unique requête présentée était une requête en prorogation de délai présentée conformément à son ordonnance antérieure « je [suis] d’avis que [les défenderesses] sont maintenant irrecevables à présenter d’autres requêtes préliminaires et ne peuvent donc plus déposer de requête en vue d’obtenir la radiation de tout ou partie de la déclaration modifiée, [mais] les défenderesses peuvent néanmoins faire valoir lors de la présentation de la requête en autorisation de l’action comme recours collectif qu’aucune cause d’action n’a été établie ou que certaines causes d’action alléguées ne sont pas valables ».

 

[26]           Une requête en radiation de la déclaration peut donc être présentée, en application de l’article 221, avant l’audition de la requête en autorisation. Puisqu’un protonotaire peut maintenant être nommé juge chargé de la gestion de l’instance dans une instance à gestion spéciale (alinéa 383b) des Règles) et qu’il est habilité en vertu des Règles à statuer sur toute requête non énumérée dans les exceptions de l’article 50, il a le pouvoir de statuer sur une requête en radiation d’un recours collectif déposée en application des Règles.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.                  L’exception préliminaire selon laquelle le protonotaire n’aurait pas compétence pour statuer sur une requête en radiation d’un recours collectif envisagé est rejetée.

 

2.                  L’avocat des défendeurs consultera l’avocat des demandeurs et indiquera à la Cour, dans un délai de dix jours après la date de la présente ordonnance, les dates convenant aux deux parties pour l’audition de la requête des défendeurs au fond, à défaut de quoi sera tenue une conférence au cours de laquelle sera fixée la date de l’audition.

 

 

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-1430-07

 

INTITULÉ :                                                   LE RÉVÉREND EDWIN PEARSON ET AL.

                                                                        c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 7 JANVIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE PROTONOTAIRE AALTO

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 JANVIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Charles Roach

Kiké Roach

 

POUR LES DEMANDEURS

James Gorham

Susan Keenan

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Roach, Schwartz & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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