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Date : 20080111

Dossier : T-1886-06

Référence : 2008 CF 42

Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

DUFF TYRRELL

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA et L’ÉTABLISSEMENT MISSION

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

A.        Introduction

[1]               M. Duff Tyrrell, qui est incarcéré depuis bien des années dans des pénitenciers du Canada, a acheté un ordinateur en 1999. Avec l’autorisation des représentants du Service correctionnel du Canada (le SCC), il a acheté et a commencé à utiliser l’ordinateur avec un périphérique connu sous le nom de syntoniseur de télé. Il a utilisé son ordinateur, avec le syntoniseur de télé, de 1999 jusqu’au 18 juillet 2005, sauf au cours de quelques brèves périodes et lors d’un certain nombre de transfèrements. Toutefois, au mois de juillet 2005, lorsque M. Tyrrell a de nouveau été transféré à l’établissement Mission, l’ordinateur n’a pas été remis à celui‑ci parce que, selon les représentants du SCC, le syntoniseur de télé qui était installé n’était pas autorisé en vertu de la directive du commissaire 090 (la DC 090). L’ordinateur a été entreposé avec les effets personnels de M. Tyrrell, et il est encore entreposé.

 

[2]               M. Tyrrell tente depuis lors de se faire remettre son ordinateur avec le syntoniseur de télé. Il est reconnu que M. Tyrrell aurait pu utiliser son ordinateurs si le syntoniseur de télé était retiré. Toutefois, selon M. Tyrrell, l’ordinateur ne lui sert à rien sans le syntoniseur de télé.

 

[3]               M. Tyrrell croit que la décision Poulin c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1293 (rendue le 20 septembre 2005) s’applique à son cas. Dans cette décision, le juge Martineau a interprété, dans des remarques incidentes, la clause d’exception de la version du mois de juin 2003 de la DC 090 comme permettant à un détenu qui avait un ordinateur dont le syntoniseur de télé avait été installé avant le mois d’octobre 2002 d’utiliser ce syntoniseur de télé.

 

[4]               Pour arriver à ses fins, M. Tyrrell s’est prévalu de tous les recours possibles, qu’il s’agisse de demandes ou de griefs. Dans l’ensemble, il a fondé ses demandes sur la décision Poulin. Le 19 septembre 2006, le grief que M. Tyrrell avait présenté au troisième (et dernier) palier a été rejeté par le commissaire adjoint du SCC. Selon la décision (la décision contestée), la version du mois de juin 2003 de la DC 090 visait à interdire les syntoniseurs de télé et la DC 090 avait été modifiée en 2006 en vue de rendre cette politique claire.

 

[5]               M. Tyrrell demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

 

B.        Les points litigieux

[6]               Les points litigieux suivants sont soulevés dans la présente demande :

(i)                  La confiscation de l’ordinateur portait‑elle atteinte aux droits reconnus à M. Tyrrell par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte)?

(ii)                Le SCC a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant le grief présenté par M. Tyrrell au troisième palier?

(iii)               Dans le cas où la présente demande de contrôle judiciaire serait rejetée, la Cour devrait‑elle ordonner au SCC de rembourser à M. Tyrrell le coût de son ordinateur, soit 2 200 $?

 

[7]               Pour les motifs ci‑après énoncés, je conclus que la présente demande doit être rejetée. M. Tyrrell ne m’a pas convaincue que le SCC avait porté atteint aux droits que lui garantit la Charte ou que la décision contestée devrait être annulée. En outre, j’ai conclu que M. Tyrrell n’a pas le droit de se faire rembourser le coût de l’ordinateur.

 

C.        L’analyse

C.1      Historique de la DC-090

[8]               Je commencerai par un bref historique de la directive applicable. Les ordinateurs, en tant qu’effets personnels, sont régis par la directive du commissaire intitulée « Effets personnels des détenus ». La première version de la DC 090 a été publiée au mois de janvier 1987, mais depuis lors, la directive a fait l’objet de nombreuses révisions.

 

[9]               La version du mois de septembre 1998 de la DC 090 autorisait le directeur de la Sécurité générale à publier et à distribuer les spécifications techniques pour les ordinateurs, les périphériques et les logiciels des détenus, ce qu’il a fait au mois de novembre 1998. Les spécifications énumérées par le directeur de la Sécurité générale comprenaient un certain nombre de périphériques restreints, qui ne comprenaient pas un syntoniseur de télé.

 

[10]           Au mois d’octobre 2002, le SCC a décrété un moratoire interdisant l’achat de nouveaux ordinateurs et périphériques. Au mois de juin 2003, le moratoire a été levé et une version révisée de la DC 090 a été publiée. La version du mois de juin 2003 énumérait un certain nombre de périphériques interdits, dont les syntoniseurs de télé. La version du mois de juin 2003 comportait également une clause portant sur les exceptions, qui prévoyait que « [l]es détenus qui [avaient] déjà été autorisés à garder un ordinateur ou des périphériques dérogeant aux spécifications précitées [...] [pouvaient] les conserver dans leur cellule ». Cette version de la DC 090 faisait l’objet de la décision rendue dans l’affaire Poulin, où le juge Martineau a annulé une décision du SCC interdisant à M. Poulin de conserver son ordinateur avec le syntoniseur de télé.

 

[11]           En réponse à la décision Poulin, une version révisée de la DC 090 a été publiée le 16 janvier 2006, la clause d’exception étant supprimée de la directive.

 

[12]           La politique a de nouveau été révisée et remplacée par la DC 566‑12, le 5 janvier 2007. En vertu de la DC 566‑12 actuelle, il semble que l’ordinateur de M. Tyrrell soit autorisé en tant qu’ordinateur acquis avant le mois d’octobre 2002, mais sans le syntoniseur de télé, qui est interdit en vertu de la politique. Toutefois, il importe de noter qu’il n’est pas question ici de la DC 566‑12 et que je n’ai pas à rendre une décision définitive au sujet de l’interprétation qu’il convient de donner à cette politique, et ce, parce que la politique qui était en vigueur lorsque la décision faisant l’objet du présent contrôle a été rendue (la décision rendue le 19 septembre 2006 au troisième palier de la procédure de règlement des griefs), était la version de la DC 090 du 16 janvier 2006. La question de savoir quelle version de la politique doit être examinée sera traitée ci‑dessous.

 

C.2 Première question : A‑t‑il été porté atteinte aux droits reconnus à M. Tyrrell par la Charte?

[13]           M. Tyrrell affirme que la décision de lui refuser son syntoniseur de télé l’a privé de son droit d’utiliser un [traduction] « article légal » en violation de l’article 7 de la Charte.

 

[14]           M. Tyrrell soutient également que le SCC l’assujettit à un traitement inhabituel, en violation des droits qui lui sont reconnus à l’article 12 de la Charte, du fait que le SCC reconnaît qu’il est au courant de la décision rendue par la Cour dans l’affaire Poulin, précitée, mais qu’il refuse néanmoins de lui remettre un article admissible.

 

[15]           Enfin, M. Tyrrell soutient qu’en ne lui remettant pas son ordinateur avec son syntoniseur de télé sans aucune preuve que son utilisation du syntoniseur de télé pose un risque, le SCC a confisqué son bien en violation des droits que lui garantit l’article 8 de la Charte.

 

[16]           J’examinerai chacune des prétendues atteintes.

 

C.2.1 Article 7

[17]           Afin d’établir une infraction à l’article 7 de la Charte, le demandeur doit démontrer qu’il y a eu atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne. Si aucun droit de ce genre n’est en cause, il est inutile de poursuivre l’analyse fondée sur l’article 7 (Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, paragraphe 47).

 

[18]           Dans l’affaire dont je suis ici saisie, M. Tyrrell n’a pas indiqué quel droit prévu à l’article 7 (la vie, la liberté ou la sécurité de la personne) a été violé par suite des mesures prises par le défendeur. De toute évidence, le fait d’être privé du syntoniseur de télé ne met pas la vie de M. Tyrrell en danger. Par conséquent, je me demanderai uniquement si les droits à la liberté et à la sécurité de la personne de M. Tyrrell ont été violés.

 

[19]           Le droit à la liberté protégé par l’article 7 a été examiné dans un certain nombre de décisions. Dans l’arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 49, le juge Bastarache a fait remarquer que « la "liberté" est en cause lorsque des contraintes ou des interdictions de l’État influent sur les choix importants et fondamentaux qu’une personne peut faire dans sa vie ». Dans l’arrêt R. c. Clay, [2003] 3 R.C.S. 735, les juges Gonthier et Binnie ont examiné la jurisprudence concernant le droit à la liberté prévu à l’article 7 et ils ont conclu ce qui suit :

Il ressort selon nous de ces diverses citations que le droit à la liberté prévu à l’art. 7 est considéré comme un droit touchant à l’essence même de ce que signifie le fait d’être une personne humaine autonome dotée de dignité et d’indépendance eu égard aux « sujets qui peuvent à juste titre être qualifiés de fondamentalement ou d’essentiellement personnels » (Clay, précité, paragraphe 31).

 

[20]           En l’espèce, M. Tyrrell a fourni un affidavit dans lequel il déclare avoir été privé des avantages suivants du fait qu’il n’a pas son ordinateur avec le syntoniseur de télé :

 

(i)                  l’accès aux fichiers se rapportant aux journaux qu’il tient aux fins de la réadaptation et de la prévention des rechutes;

(ii)                le refus d’accorder la semi-liberté parce qu’il n’a pas pu fournir un imprimé de ses journaux en vue de prouver qu’il les tenait;

(iii)               l’accès à des émissions de télévision éducatives et professionnelles axées sur sa réinsertion dans la société et l’enregistrement de pareilles émissions;

(iv)              des divertissements éducatifs et récréatifs : jeux, rédaction, traitement de texte, programmes d’apprentissage, compétences en dactylographie, etc.

(v)                les démarches juridiques axées sur l’audience de libération conditionnelle.

 

[21]           De plus, M. Tyrrell jure qu’il a tenté de surmonter ses tendances criminelles et qu’il a été en proie à l’angoisse, au stress, à la dépression, à l’insomnie et au ressentiment depuis qu’il a perdu son syntoniseur de télé.

 

[22]           Même si j’accepte la véracité de l’affidavit de M. Tyrrell, je conclus qu’il  n’a pas démontré que la possession et l’utilisation d’un syntoniseur de télé est d’une nature « fondamentalement personnelle » justifiant la protection fournie par l’article 7. De fait, M. Tyrrell n’a pas soumis de preuves ou de décisions donnant à entendre que le fait d’être privé de son syntoniseur de télé portait atteinte à sa dignité ou à son indépendance de la façon envisagée dans l’arrêt Clay, précité. En outre, un grand nombre de privations que M. Tyrrell a endurées semblent être de la nature d’une contrariété. Comme il a été signalé dans l’arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 97, le droit à la liberté prévu à l’article 7 ne fournit pas une protection complète contre l’angoisse, le stress et la stigmatisation.

 

[23]           En ce qui concerne le droit à la sécurité prévu à l’article 7, dans l’arrêt Blencoe, précité, la Cour suprême a fait remarquer que l’atteinte de l’État à l’intégrité corporelle et la tension psychologique grave causée par l’État pourraient constituer une atteinte à la sécurité de la personne (Blencoe, précité, paragraphe 55). Toutefois, dans l’arrêt Blencoe, la Cour suprême a refusé de conclure que le stress, l’angoisse et la stigmatisation associés au fait qu’il s’était écoulé 30 mois avant qu’une plainte de harcèlement sexuel fondée sur les droits de la personne soit traitée occasionnait le degré de stress nécessaire pour que l’article 7 entre en jeu.

 

[24]           En l’espèce, rien ne montre qu’il a été porté atteinte à l’intégrité corporelle de M. Tyrrell. En outre, comme dans l’arrêt Blencoe, précité, le stress et les autres privations dont M. Tyrrell a fait l’objet n’ont pas atteint, selon moi, le degré nécessaire pour constituer une tension psychologique grave causée par l’État. Comme le juge Lamer l’a fait remarquer dans l’arrêt Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, paragraphe 59) :

Il est manifeste que le droit à la sécurité de la personne ne protège pas l’individu contre les tensions et les angoisses ordinaires qu’une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d’un acte gouvernemental. Si le droit était interprété de manière aussi large, d’innombrables initiatives gouvernementales pourraient être contestées [...]

 

C.2.2 Article 8

[25]           Pour l’application de l’article 8 de la Charte, une saisie « s’entend de "l’appropriation par un pouvoir public d’un objet appartenant à une personne contre le gré de cette personne" » (Thompson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, pages 493, 505). Toutefois, au moment de déterminer si une saisie est abusive, il faut se rappeler que l’objet de l’article 8 est de protéger les attentes raisonnables d’une personne en matière de vie privée (Thomson, précité, 506).

 

[26]           Dans l’arrêt Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872, la portée de l’article 8 en milieu carcéral a été examinée. L’affaire portait sur une fouille, plutôt que sur une saisie, mais je conclus que les remarques suivantes du juge La Forest s’appliquent néanmoins :

L’emprisonnement implique nécessairement de la surveillance, des fouilles et des vérifications. On s’attend à ce que l’intérieur d’une cellule de prison soit visible et requière une surveillance. Dans un pénitencier, la fouille par palpation, le dénombrement et la ronde éclair sont tous des pratiques nécessaires pour assurer la sécurité de l’établissement, du public et, en fait, des détenus eux‑mêmes. L’intimité dont jouit le détenu dans ce contexte est considérablement réduite et il ne peut donc s’attendre raisonnablement à ce que sa vie privée soit respectée dans le cadre de ces pratiques. Cela ne change rien que ce soient des gardiens du sexe féminin qui se livrent parfois à ces pratiques. Comme il n’y a aucune attente raisonnable à ce que la vie privée soit respectée, l’art. 8 de la Charte n’est pas mis en jeu, ni d’ailleurs l’art. 7 [Weatherall, précité, page 877, voir également R. c. Guimond, [1999] M.J. n 213 (B.R.)]. [Non souligné dans l’original.]

 

[27]           M. Tyrrell a soutenu que le SCC met en œuvre des procédures par lesquelles les ordinateurs des détenus sont assujettis à une inspection régulière. M. Tyrrell ne conteste pas la validité de ces procédures. Étant donné que l’attente raisonnable du respect de la vie privée est faible ou inexistante en milieu carcéral (Weatherall, précité) et que M. Tyrrell accepte la procédure du SCC concernant les fouilles et saisies de périphériques en général, la saisie de l’ordinateur avec le syntoniseur de télé ne frustre pas, à mon avis, une attente raisonnable à l’égard du respect de la vie privée de M. Tyrrell. Par conséquent, l’article 8 de la Charte « n’entre pas en jeu » en l’espèce.

 

[28]           De toute façon, je suis convaincue, compte tenu de la preuve par affidavit qui m’a été soumise, que la saisie du syntoniseur de télé n’était pas abusive puisque cela était nécessaire pour assurer la sécurité de l’établissement Mission du SCC (Guimond, précité, paragraphe 36).

 

C.2.3 Article 12

[29]           Dans l’arrêt R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, le juge Lamer a défini l’expression « traitements ou peines cruels et inusités » :

Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l’art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Laskin à la p. 688 de l’arrêt Miller et Cockriell, précité, à se demander « si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine ». En d’autres termes, bien que l’État puisse infliger une peine, l’effet de cette peine ne doit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié (Smith, précité, page 1072). [Non souligné dans l’original.]

 

[30]           Cette définition a été appliquée dans un certain nombre de décisions où il était allégué que les conditions d’incarcération violaient l’article 12 de la Charte (voir, par exemple, R. c. Olson (1987), 62 O.R. (2d) 321 (C.A.), confirmé par [1989] 1 R.C.S. 296; voir également Carlson c. Canada, [1998] A.C.F. no 733, paragraphe 30 (1re inst.) (QL)).

 

[31]           En l’espèce, les défendeurs ont soumis une preuve par affidavit au sujet de la nécessité de limiter l’accès aux syntoniseurs de télé afin de minimiser les risques à la sécurité dans les établissements du SCC. Je constate également que la décision contestée comporte une tentative de la part du SCC d’expliquer à M. Tyrrell pourquoi sa situation diffère de celle qui existait dans l’affaire Poulin, précitée. En outre, M. Tyrrell a admis que le SCC veut bien lui remettre son ordinateur s’il consent à ce que le syntoniseur de télé soit retiré. Compte tenu de la preuve dans son ensemble, je conclus que le SCC a pris des mesures en vue de minimiser l’effet du refus d’autoriser le syntoniseur de télé tout en minimisant le risque pour ses établissements. À mon avis, de telles mesures ne constituent pas un traitement ou une peine cruels et inusités excessifs au point de ne pas être compatibles avec la dignité humaine.

 

C.3  Deuxième question : Le SCC a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant le grief présenté par M. Tyrrell au troisième palier?

[32]           J’examinerai maintenant la question de savoir si une erreur susceptible de contrôle a été commise dans la décision rendue au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. M. Tyrrell soulève un certain nombre de problèmes que poserait la décision :

(i)                  le SCC aurait dû suivre la décision rendue dans l’affaire Poulin et lui laisser son ordinateur et son syntoniseur de télé;

(ii)                rien ne montre que le syntoniseur de télé de première génération de M. Tyrrell peut causer le tort auquel la DC 090 vise à remédier;

(iii)               d’autres détenus utilisent des ordinateurs avec des syntoniseurs de télé;

(iv)              le SCC a agi d’une façon inéquitable en modifiant sa politique après que la décision Poulin eut été rendue.

 

[33]           Je ferai d’abord remarquer que M. Tyrrell ne m’a pas soumis suffisamment d’éléments de preuve montrant que le SCC a agi de mauvaise foi ou d’une façon arbitraire en modifiant la DC 090. Deuxièmement, étant donné qu’il n’est pas contesté que le SCC est habilité à élaborer des procédures en vue d’assurer la sécurité dans le milieu pénitentiaire, je conclus qu’il importe peu de savoir si le SCC a démontré que M. Tyrrell présente lui-même un risque pour la sécurité (Poulin, précité, paragraphe 26). Je ferai également remarquer que l’allégation de M. Tyrrell selon laquelle la politique n’est pas appliquée d’une façon uniforme n’est pas étayée par la preuve. Quoi qu’il en soit, même si cela est vrai, ce fait n’a rien à voir avec la présente décision.

 

[34]           Par conséquent, en ce qui concerne les plaintes formulées par M. Tyrrell, l’issue de l’affaire dépend d’une question d’interprétation légale. La DC 090 prévoit‑elle une exception pour les syntoniseurs de télé faisant l’objet de droits acquis? Dans l’affirmative, la décision contestée doit être annulée. Dans la négative, la décision contestée doit être maintenue.

 

[35]           Il s’agit donc essentiellement de savoir si le SCC a commis une erreur dans son interprétation de la DC 090. Je supposerai qu’il s’agit d’une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Laliberté c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. no 548, paragraphe 22 (1re inst.) (QL); Macdonald c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1326, paragraphe 42).

 

[36]           Une question préliminaire qui est cruciale en l’espèce consiste à déterminer quelle est la version de la DC 090 sur laquelle le commissaire adjoint pouvait à bon droit se fonder en rendant la décision contestée. En particulier, je signale que la version du mois de juin 2003 de la DC 090 était en vigueur au moment où la décision initiale par laquelle on refusait à M. Tyrrell l’accès à son syntoniseur de télé a été rendue, alors que c’était la version de la DC 090 du 16 janvier 2006 qui était en vigueur lors du règlement des griefs présentés par M. Tyrrell aux deuxième et troisième paliers.

 

[37]           La procédure de règlement des griefs prévue par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, est régie par le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, articles 74 à 82. Le juge Rothstein a décrit cette procédure dans la décision Giesbrecht c. Canada, [1998] A.C.F. no 621, au paragraphe 10 (1re inst.) (QL) :

                                Les griefs doivent être traités rapidement et les directives du commissaire fixent des délais [...] Un détenu peut interjeter appel d'une décision sur le fond au moyen de la procédure de grief et un tribunal d'appel peut substituer sa décision à celle du tribunal dont la décision est contestée.

(voir également Wild c. Canada, 2006 CF 777, paragraphe 9).

 

[38]           En d’autres termes, à chaque palier plus élevé de la procédure de règlement des griefs, le décideur peut substituer sa décision à celle qui a été rendue au palier inférieur. Par conséquent, il s’agit en théorie d’un « appel », mais la nature de la procédure de règlement des griefs permet à chaque décideur subséquent de considérer le grief comme un examen de novo et d’accepter de nouveaux éléments de preuve (voir, par exemple, Besse c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.F. no 1790, paragraphe 5 (C.A.) (QL)). Je conclus donc que le commissaire adjoint pouvait à bon droit se fonder sur la version de la DC 090 du mois de janvier 2006 en statuant sur le bien-fondé de la demande de M. Tyrrell, et ce, bien que la décision initiale refusant à celui‑ci l’utilisation du syntoniseur de télé eût été rendue conformément à la version de la DC 090 du mois de juin 2003.

 

[39]           Puisque j’ai conclu que le commissaire adjoint a eu raison de se fonder sur la version de la DC 090 du 16 janvier 2006, je dois maintenant déterminer s’il a interprété correctement cette directive.

 

[40]           M. Tyrrell accorde énormément d’importance à la décision Poulin, précitée. Dans cette décision, le juge Martineau avait conclu que la version de la DC 090 du mois de juin 2003 permettait aux personnes atteintes d’un handicap visuel ou physique d’utiliser, dans certaines circonstances, des périphériques et des logiciels adaptés à leurs besoins. Le juge Martineau a également fait remarquer ce qui suit :

En effet, la politique actuelle autorise, en tout état de cause, la possession d’ordinateurs et de périphériques non conformes dans le cas des détenus ayant obtenu l’autorisation avant octobre 2002 de conserver ceux-ci. (Poulin, précité, paragraphe 26).

 

[41]           Comme il en a ci‑dessus été fait mention, la version de la DC 090 sur laquelle on s’est en fin de compte fondé pour rejeter le grief présenté par M. Tyrrell au troisième palier de la procédure de règlement des griefs était la version du 16 janvier 2006. Contrairement à la version du mois de juin 2003 sur laquelle on s’était fondé dans la décision Poulin, la version 2006 de la DC 090 ne comportait pas d’exceptions pour « un ordinateur ou des périphériques dérogeant aux spécifications [du SCC] ». En d’autres termes, il n’y avait pas de clause d’exception concernant les droits acquis. Étant donné que le syntoniseur de télé de M. Tyrrell était un article expressément interdit au moment où la décision contestée a été rendue, le commissaire adjoint a eu raison de rejeter le grief au troisième palier de la procédure. Étant donné que la décision rendue dans l’affaire Poulin dépendait de l’interprétation d’une version antérieure de la DC 090, cette décision ne s’applique pas au cas de M. Tyrrell.

 

[42]           En somme, l’interprétation de la DC 090 applicable, à la date de la décision contestée, est correcte.

 

C.4 Troisième question : Le SCC devrait-il rembourser à M. Tyrrell le coût de son ordinateur?

[43]           Enfin, M. Tyrrell affirme que la Cour doit ordonner au SCC de lui rembourser le coût de l’ordinateur avec le syntoniseur de télé. Je ne suis pas certaine qu’une telle ordonnance relève de la compétence de la Cour et je ne crois pas qu’une telle ordonnance soit justifiée. M. Tyrrell peut utiliser son ordinateur n’importe quand, à condition d’accepter de retirer le syntoniseur de télé. M. Tyrrell affirme que l’ordinateur en soi ne lui sert à rien, mais je ne suis pas convaincue que cela soit le cas. En outre, en tant que détenu, M. Tyrrell devait savoir, lorsqu’il a acheté son ordinateur, que les politiques concernant cet article personnel pouvaient changer. Je n’ordonnerai donc pas au SCC de rembourser à M. Tyrrell le coût de son ordinateur.

 

D.        Conclusion

[44]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[45]           Les défendeurs sollicitent les dépens. Puisqu’ils ont eu gain de cause, les défendeurs ont droit à leurs dépens. Conformément au pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, j’accorderai les dépens sous la forme d’une somme globale de 300 $.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Les dépens, fixés à 300 $, sont adjugés aux défendeurs.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1886-06

 

INTITULÉ :                                                   DUFF TYRRELL

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        ET AL.

                                                                         

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 9 JANVIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 JANVIER 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Duff Tyrrell

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Michelle Shea

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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