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Date: 20080118

Dossier: IMM-2564-07

Référence: 2008 CF 64

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2008

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

SEDA AMIRAGOVA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 ( « LIPR » ) d'une décision datée du 3 mai 2007, rendue par trois commissaires suite à une audience de novo de la Section de la protection des réfugiés ( « SPR » ). Bien qu’elle accorde le statut de réfugié à la fille de la demanderesse, Goar Manvelyan, citoyenne de la Russie, la SPR refuse par la même décision, d’accorder la demande d'asile de la demanderesse jugeant qu’elle pourrait retourner vivre chez elle en Arménie.

I.          Question en litige

 

[2]               La seule question en litige déterminante qui mérite l’attention du tribunal est la suivante :

La SPR a-t-elle erré en fait ou en droit lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’était pas crédible?

 

[3]               La Cour conclut que la SPR a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon arbitraire et sans tenir compte des éléments dont elle disposait. La SPR a déterminé que la demanderesse n’était pas crédible, malgré le fait que la crédibilité de la demanderesse avait été reconnue dans cette même décision. Cette contradiction est fatale pour les fins du présent dossier.

 

II.          Historique judiciaire

[4]               Le 29 novembre 2005, un premier panel de la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse et de sa fille au motif qu’elles pourraient facilement réintégrer l’Arménie.

 

[5]               Le 17 juillet 2006, dans l’arrêt dans l’arrêt Amiragova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lIimmigration), 2006 CF 882, [2006] A.C.F. no 1116 (QL), le juge Max Teitelbaum a accueilli la demande de contrôle judiciaire des demanderesses en y constatant l'insuffisance des motifs de la SPR. La décision du 29 novembre 2005 a été annulée et le dossier des demanderesses fut retourné à la SPR pour une nouvelle audition et détermination devant un différent panel.

 

[6]               L’audience de novo a eu lieu le 20 février 2007. La décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire a été rendue le 3 mai 2007 par un panel de trois (3) membres.

 

III.       Contexte factuel

[7]               La demanderesse est née en Géorgie en 1950 d’une famille très riche. Après la montée du mouvement des « fanatiques nationalistes géorgiens », elle a quitté son pays natal pour l’Arménie au début de l’année 1980. Cette même année, elle épouse le célèbre compositeur monsieur Gaik Manvelyan et devient citoyenne arménienne. De leur union est née une fille en 1983.

 

[8]               La demanderesse soumet que depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, la mafia a eu la main mise un peu partout dans les pays de l’ancien bloc soviétique. Le 23 juin 1991, le père de la demanderesse a été tué par la mafia et la famille de Gaik Manvelyan devient victime d’extorsion de fonds sous le joug de la mafia. C’est la raison pour laquelle la famille quitte l’Arménie en 1993 et s’installe en Russie. Seuls le père et la fille auraient obtenu la nationalité russe.

 

[9]               L’ère des agressions des fanatiques chauvinistes russes et des skinheads contre les personnes d’origine caucasienne bat son plein au début des années 2000. La demanderesse et sa famille n’ont pas été épargnées.  D’abord, le 8 août 2004, mademoiselle Goar et une amie sont attaquées par un groupe de jeunes russes et traitées de sales arméniennes. Elles sont presque violées et menacées de mort. La police n'intervient pas, malgré l'identification des agresseurs. Ensuite, le 5 octobre 2004,  le mari de la demanderesse a lui aussi été agressé violemment dans la rue et il est mort sur place même, des suites d’une crise cardiaque déclenchée par cette violente agression. Finalement, quelques semaines à peine après le mort de son mari, la demanderesse a été gravement battue par trois fanatiques chauvinistes russes, ce qui lui a laissé des séquelles physiques et psychologiques permanentes.

 

[10]           Leurs plaintes aux autorités russes sont restées lettre morte. Mère et fille décident alors, en octobre 2004, de quitter la Russie. Le 26 avril 2005, elles obtiennent un visa canadien. Le 28 juin 2005, les deux femmes arrivent au Canada et demandent l’asile aussitôt.

 

[11]           La demanderesse a également dit dans son témoignage que son frère a été victime de la mafia en Arménie. Il s’est lui aussi enfui en Russie. Cependant, il a subi le même traitement associé au peuple d’origine caucasienne. Il est rentré en Arménie en octobre 2004 et a été assassiné par la mafia deux mois après. La demanderesse n’a pas assisté aux funérailles, craignant pour sa propre vie.

 

[12]           Au soutien de la demande, la demanderesse a déposé à la SPR un rapport de l’Hôpital Urbain No. 36 de Moscou, daté du 2 juin 2005, qui constate le diagnostique médical suivant de la demanderesse suite à l’attaque d’octobre 2004 : « Ostéochondoroses de la colonne et dislocation du corps L1 de la colonne. »

 

[13]           De plus, un rapport psychologique du psychologue David L.N. Woodbury, préparé le 22 janvier 2006, suite à deux séances de traitements de la demanderesse, conclut ce qui suit à la page 12:

Conclusion:

The trauma

Ms Amiragova’s suffering can be directly ascribed to the cumulative stress she experienced because of the following reported traumatic incidents:

§         xenophobic tensions leading to escape from Georgia to Armenia

§         murder of father by “mafia”

§         extortion by mafia

§         escape to Moscow

§         anti-caucasian xenophobia in Moscow, incidents of harassment of self, husband and daughter

§         husband’s death

§         attack, resulting in spinal fracture, and eight month’s hospitalization

§         chronic anxiety and agoraphobia

§         flight to Canada

§         refusal of first refugee claim

§         prospect of second Hearing

 

Recommendations:

While the determination of Ms. Amiragova’s status as a refugee is, of course, the responsibility of Immigration officials, I make the following, purely therapeutic  recommendations, taking into account the clinical literature on PTSD, especially when complicated by the presence of agoraphobia:

 

§         A two-pronged treatment strategy including medication and psychotherapy is most effective.

§         A prerequisite of effective therapeutic intervention is that the victim must perceive her environment as SAFE. This perceived safety could only be found far from her aggressor.

 

It is therefore my professional clinical opinion that Ms. Amiragova’s psychological state would greatly improve if she were allowed to remain in Canada where she can establish a new life, she can get the help she needs, and she can begin the recovery process.

 

IV.       Décision à l’étude

 

[14]           En rejetant la demande de la demanderesse, les trois membres décideurs de la SPR ont conclu de la façon suivante:

« En  second lieu, comme le tribunal a rejeté la demande de madame Seda Amirogova sur la base qu’elle n’est pas crédible et surtout qu’elle peut retourner en Arménie, le même sort doit être dévolu sur le motif de menaces à la vie et du risque de traitement cruels et inusités.

[. . .] »

 

 

[15]           Toutefois, la SPR avait précédemment commenté la crédibilité des demanderesses de la façon suivante :

« Le tribunal tient à souligner en terminant que les demanderesses ont témoigné directement et sans aucune exagération par rapport au récit soumis. Aucune contradiction ne fut décelée dans le témoignage des demanderesses.

[. . .] »

 

[16]           Cette contradiction flagrante est inexplicable. La Cour ne peut pas partager la proposition du défendeur disant que la SPR « a commis une erreur cléricale dans la formulation de ses motifs. »  Si erreur cléricale il y a, elle est hors de l’ordinaire et ne peut pas être expliquée de telle façon.  La conclusion principale de la SPR déclare la demanderesse non crédible.

 

 

 

 

[17]           Pour chacun d’entre nous, la crédibilité est ce que l’on a de plus important.  Elle se gagne et se préserve par l’histoire que l’on vit, les gestes que nous portons et la parole que nous exprimons.  Perdre sa crédibilité touche le cœur même de notre réputation.  Pour la demanderesse d’asile, la crédibilité va au cœur même de sa demande.  La déclarer non crédible alors que la preuve révèlerait qu’elle le soit entache de façon sérieuse sa demande.  Elle mérite mieux.  Une telle contradiction est manifestement déraisonnable.

 

[18]           Les principes de base nécessaires à la détermination de la crédibilité, comme nous rappelle le juriste Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, Looseleaf, 2nd ed. vol. 1 (Toronto :  Butterworths, 2007) à 8-58 ont été énoncés dans l’arrêt Rosta v. Thiel, [1986] N.S.J. No. 555 aux paragraphes 18, 19 et 20 :

18     In considering the evidence presented along with the documentation, the matter of credibility comes to the forefront. Credibility in matters such as this usually concerns the assessment or weighing of the evidence of witnesses. The issue of credibility is one of fact. It cannot in reality be determined by following a set of rules that it is suggested, have the force of law. In fact, a person or witness could be one of good credit or character but nonetheless be mistaken. Their memory could be faulty. I have assessed the credibility in the light of observing the witnesses, the manner in which they answered the questions put to them, both by their own counsel and counsel on cross-examination. I have watched their demeanour on the witness stand. I have taken into consideration the tones of their voice and the method in which they answered questions. I have also considered their actions and reactions on the stand while being questioned. I have also taken into consideration their ability to recall the evidence.

 

19     The matter of credibility and a method I accept as practical is set forth by Mr. Justice O'Halloran in a decision of the British Columbia Court of Appeal in the case of Faryna v. Choray, [1952] 2 D.L.R. 354, where he says at page 357:

 

"The credibility of interested witnesses, particularly in the cases of conflict of evidence, cannot be gauged solely by the test of whether the personal demeanor of the particular witness carried conviction of the truth. The test must reasonably subject his story to an examination of its consistency with the probabilities that surround the currently existing conditions. In short, the real test of the truth of the story of a witness in such a case must be its harmony with the preponderance of the probabilities which a practical and informed person would readily recognize as reasonable in that place and in those conditions. Only thus can a court satisfactorily appraise the testimony of quick minded, experienced and confident witnesses, and of those shrewd persons adept in the half-lie and of long and successful experience in combining skillful exaggeration with partial suppression of the truth."

 

20     I also agree with the views put forth by Justice Haynes in R. v. Hawke (1975), 3 O.R. (2d) 210, particularly at page 224 where he said as follows:

 

"The most satisfactory judicial test of truth lies in it's harmony or it's lack of harmony with the preponderance of probabilities disclosed by the facts and circumstances in the conditions of the particular case ..."

 

[19]           Il est difficile d’appliquer ces principes en l’espèce puisque la SPR se contente de dire :  « En second lieu, comme le tribunal a rejeté la demande de madame Seda Amirogova sur la base qu’elle n’est pas crédible et surtout qu’elle peut retourner en Arménie, le même sort doit être dévolu sur le motif de menaces à la vie et du risque de traitements cruels et inusités ».  Lorsqu’on lit les paragraphes qui précèdent, il est impossible de comprendre d’où provient cette conclusion. Au contraire, ce que la SPR dit, deux paragraphes auparavant, contredit carrément cette conclusion de manque de crédibilité de la demanderesse :

Le tribunal tient à souligner en terminant que les demanderesses ont témoigné directement et sans aucune exagération par rapport au récit soumis. Aucune contradiction ne fut décelée dans le témoignage des demanderesses.

 

[20]           Ou bien la demanderesse est crédible, ou bien elle ne l’est pas.  Une décision de la SPR ne peut tout simplement pas être contradictoire à ce sujet.  Il en va de la réputation de la demanderesse.  L’erreur cléricale ne peut pas en toute justice être expliquée par une simple erreur cléricale.  Ce serait injuste. Il est impératif qu’un nouveau panel de la SPR entende complètement le dossier.

 

[21]           Les parties furent invitées à soumettre une question certifiée, ce qu’elles n’ont pas fait.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE QUE:

-  La demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

-  La décision du 3 mai 2007 soit annulée et que le dossier soit retourné pour qu’un nouveau panel puisse entendre la demande;

-  Aucune question ne sera certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2564-07

 

INTITULÉ :                                       SEDA AMIRAGOVA c. LE             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 15 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

                                                                                                                   

Me Michel Le Brun                                                      POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Me Simone Truong                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michel Le Brun                                                      POUR LA DEMANDERESSE

LaSalle (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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