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Date : 20080104

Dossier : T‑16‑06

Référence : 2008 CF 13

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC. et WARNER‑LAMBERT COMPANY, LLC

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et APOTEX INC.

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Introduction

[1]               La présente instance a été introduite par Pfizer Canada Inc. et Warner‑Lambert Company, LLC (ci‑après appelées collectivement Pfizer) contre le ministre de la Santé et Apotex Inc. (Apotex), en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, et ses modifications (le Règlement). Pfizer sollicite une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Apotex avant l'expiration du brevet canadien no 2 021 546 (le brevet 546). Pfizer dit que le brevet 546 est un brevet de sélection valide auquel il sera porté atteinte si Apotex est autorisée à produire le composé protégé, à savoir l'atorvastatine calcique (commercialisée sous le nom de LIPITOR). Apotex, pour sa part, affirme que le brevet 546 est invalide pour plusieurs raisons, dont le double brevet et l'absence d'une sélection valide.

 

Le contexte

[2]               Dans le présent jugement, trois brevets apparentés sont en cause : le brevet américain no 4 681 893 (le brevet 893), le brevet canadien no 1 268 768 (le brevet 768) et le brevet canadien no 2 021 546 (le brevet 546). Tous ces brevets ont été délivrés à la société Warner‑Lambert Company. En 1999, Pfizer a acquis la société Warner‑Lambert et ses filiales, dont Parke‑Davis.

 

[3]               La demande relative au brevet 893 fut déposée à l'Office des brevets des États‑Unis le 30 mai 1986 et le brevet fut délivré le 21 juillet 1987. La demande canadienne correspondante, qui a conduit au brevet 768, fut déposée au Canada le 7 mai 1987, le brevet fut délivré le 8 mai 1990, et il a récemment expiré, le 8 mai 2007. Je désignerai l'ensemble de ces brevets sous l'appellation « brevet 893 ».

 

[4]               Le brevet 893 est un brevet de genre où est revendiquée une catégorie de composés appelés statines dont l'effet est de réduire le cholestérol. Les composés décrits par le brevet comprennent ceux qui présentent la formule structurale suivante :

[5]               Dans la structure ci‑dessus, X représente ‑‑CH2‑‑, ‑‑CH2CH2‑‑, ‑‑CH2CH2CH2‑‑ ou ‑‑CH2CH(CH3)‑‑ et les groupes R1, R2, R3 et R4 peuvent être l'un quelconque de plusieurs groupes énumérés de substituants.

 

[6]               La catégorie de composés revendiquée par le brevet 893 comprend les composés 4‑hydroxypyran-2-ones, les acides à cycle ouvert correspondants et leurs sels pharmaceutiquement acceptables. En pratique, ces composés sont le plus souvent utilisés sous forme de sels. Les sels pharmaceutiquement acceptables décrits dans le brevet comprennent les ions de sodium, de potassium, de calcium, de magnésium, d'aluminium, de fer et de zinc.

 

[7]               Le brevet 893 revendique aussi les divers énantiomères ainsi que les mélanges racémiques des composés décrits par la formule susmentionnée. Plus précisément, le brevet englobe le mélange racémique d'atorvastatine.

 

[8]               Plusieurs années après que furent déposées les demandes relatives aux brevets 893 et 768, Pfizer a déposé une demande de brevet apparenté pour laquelle fut délivré le brevet 546. Le brevet 546 revendiquait une sous‑catégorie étroite des composés susmentionnés du brevet 893, compte tenu d'un avantage inattendu revendiqué.

 

[9]               L'un des composés compris dans les revendications du brevet 546 est l'atorvastatine calcique, qui est un sel. L'atorvastatine est l'ingrédient médicamenteux du médicament anti‑cholestérol appelé LIPITOR.

 

[10]           La demande relative au brevet 546 fut déposée au Canada le 19 juillet 1990, d'après une date de priorité fixée au 21 juillet 1989. Le brevet fut soumis à l'inspection du public le 22 janvier 1991 et délivré le 29 avril 1997. Il expirera le 19 juillet 2010.

 

[11]           Le brevet 546 revendique un composé primaire et plusieurs variations de ce composé. Le composé de base est l'acide [R‑(R*,R*)]‑2‑(4‑fluorophényl)-β,δ‑dihydroxy-5‑((1‑méthyléthyl)-3‑phényl-4‑[(phénylamino)-carbonyl]-1H‑pyrrole-1‑heptanoïque. Il existe en deux formes principales, qui sont l'objet des revendications 2 et 3. La revendication 2 protège ce composé de base. Il est souvent appelé la forme acide de l'atorvastatine ou, plus souvent, tout simplement l'atorvastatine :

 

[12]           La revendication 3 concerne la forme lactonique, (2R‑trans)-5‑(4‑fluorophényl)-2-(1‑méthyléthyl-N,4‑diphényl‑1‑[2‑(tétrahydro‑4‑hydroxy-6‑oxo-2H‑pyran-2‑yl)éthyl]-1H‑pyrrole-3-carboxamide, appelée lactone d'atorvastatine :

 

[13]           Les revendications restantes désignent des formes salines particulières de la revendication 2. La plus importante de ces revendications, aux fins de la présente instance, est la revendication 6, à savoir le sel d'hémicalcium d'atorvastatine (c'est‑à‑dire le LIPITOR), qui, selon Pfizer, est le médicament le plus vendu qui ait jamais existé.

 

[14]           L'avantage « inattendu » du brevet 546 était la [TRADUCTION] « surprenante activité inhibitrice de la biosynthèse du cholestérol » de l'atorvastatine au‑delà de ce que l'état antérieur de la technique, y compris le brevet 893, aurait pu faire espérer.

 

Les médicaments inhibiteurs du cholestérol

[15]           L'atorvastatine fait partie d'une catégorie de produits pharmaceutiques appelés statines, ou inhibiteurs de l'HMG CoA‑réductase, qui servent à réduire le taux de cholestérol. Le cholestérol est synthétisé dans la plupart des tissus de l'organisme et il est nécessaire pour un fonctionnement physiologique normal. Il est transporté dans la circulation sanguine par deux types de molécules : les lipoprotéines de haute densité (LHD) et les lipoprotéines de basse densité (LBD). Les LBD sont connues comme transporteurs de « mauvais » cholestérol parce qu'elles peuvent former une plaque sur les parois artérielles. On parle alors d'athérosclérose. Si un caillot se forme, il risque d'obstruer l'une de ces artères ainsi rétrécies et de mener à une crise cardiaque ou à un accident cérébrovasculaire. Il est donc souhaitable de réduire la production de LBD.

 

[16]           Une grande partie du cholestérol de l'organisme est synthétisé dans le tissu hépatique. L'enzyme HMG CoA‑réductase est appelée l'étape cinétiquement limitante, ou le « goulet d'étranglement », dans le parcours de la production du cholestérol. La HMG CoA‑réductase catalyse la première réaction nécessaire à la synthèse du cholestérol, qui est la production d'acide mévalonique à partir du HMG‑CoA. Cette enzyme est la cible des statines. En présence de statines, la HMG CoA‑réductase se liera de préférence avec celles‑ci plutôt qu'avec le HMG‑CoA. Cela a pour effet de ralentir la synthèse du cholestérol parce qu'il n'y a pas suffisamment de HMG CoA‑réductase pour effectuer les réactions. C'est ce que l'on appelle l'inhibition compétitive.

 

La stéréochimie et la désignation des composés

[17]           L'examen du LIPITOR requiert une certaine connaissance de la stéréochimie, c'est‑à‑dire l'étude de la disposition dans l'espace des atomes des molécules. Les molécules sont décrites à l'aide de formules chimiques qui désignent les atomes individuels formant la molécule. Une formule moléculaire donnée peut représenter plus d'une disposition possible des atomes, en ce sens que les atomes peuvent être rattachés entre eux en séquences différentes. Les molécules comportant des agencements différents d'atomes sont appelées isomères. Cependant, les atomes peuvent aussi être rattachés dans le même ordre, mais avec des agencements tridimensionnels différents. Deux molécules du genre seraient appelées stéréo‑isomères, qui peuvent être classés aussi en diastéréoisomères ou en énantiomères, selon leurs caractéristiques. Aux fins du brevet 546, nous ne sommes concernés que par les énantiomères.

 

[18]           Comme les molécules sont par nature tridimensionnelles, et que le papier n'est que bidimensionnel, les chimistes recourent à certaines conventions pour représenter la structure tridimensionnelle des molécules. Comme on peut le voir ci‑après, un lien qui se trouve sur le même plan que le papier est dessiné en général sous la forme d'un bâton. Pour montrer un lien qui déborde de la page, on se sert d'un coin en caractères gras. Lorsque le lien va au‑dessous du plan (c'est‑à‑dire à l'intérieur de la page), on se sert de tirets parallèles décroissants.

[19]           Les deux molécules montrées ci‑dessus sont des exemples d'énantiomères. Le mot « énantiomère » sert à décrire la relation entre deux stéréo‑isomères dont chacun est l'image inversée de l'autre (c'est‑à‑dire qu'ils ne peuvent pas être superposés). Un exemple plus évident d'énantiomères est une paire de mains. La main droite et la main gauche sont les images inversées l'une de l'autre et ne peuvent être superposées. Les chimistes appellent chiralité cette impossibilité de superposition.

 

[20]           Les énantiomères ont des propriétés chimiques, spectrales et physiques identiques, mais possèdent souvent des propriétés biologiques différentes. Par exemple, l'utilisation de la thalidomide fut restreinte lorsqu'il fut découvert que l'énantiomère censé inactif entraînait de graves anomalies congénitales.

 

[21]           Un stéréo‑isomère peut exister dans un mélange racémique (parfois appelé racémate), qui est un mélange de parties égales de ses deux énantiomères. Un racémate présente en général des propriétés physiques différentes de celles des deux énantiomères. Les racémates peuvent être séparés ou décomposés afin d'isoler les deux énantiomères.

 

[22]           Dans le cas de l'atorvastatine, il n'y a pas un, mais deux centres chiraux d'intérêt, indiqués par des astérisques. La désignation R(R*, R*) désigne simplement l'énantiomère (R,R) d'une molécule comportant deux centres stéréogéniques. L'opposé de R(R*,R*) est S(R*,R*), ce qui indiquerait en fait la forme (S,S). Les formes suivantes sont respectivement les formes R(R*,R*) et S(R*,R*) de l'atorvastatine, dans sa forme acide :

 

 

[23]           Aux fins de la présente instance, où seul un ensemble d'énantiomères présente de l'intérêt, les diverses structures sont simplement désignées « atorvastatine » (pour l'énantiomère R(R*,R*)) et « énantiomère S d'atorvastatine » (pour l'énantiomère S(R*,R*)).

 

[24]           Dans la présente instance, Pfizer se fonde sur des données expérimentales internes à l'appui des promesses du brevet 546. Apotex conteste la fiabilité des données de Pfizer et signale d'autres conclusions de recherches qui, de dire Apotex, récusent lesdites promesses. Il est donc utile de comprendre la nature des expériences menées par Pfizer en ce qui concerne les prétendus avantages de l'atorvastatine.

 

[25]           Dans son programme de développement de médicaments, Pfizer utilise trois essais différents pour évaluer l'efficacité de divers médicaments candidats susceptibles d'être des inhibiteurs de la synthèse du cholestérol. Les données mentionnées dans le brevet 546 proviennent d'un essai d'inhibition de la synthèse du cholestérol (essai ISC), mais des essais appelés coenzyme‑A réductase (COR) et inhibition aiguë de la synthèse du cholestérol (IASC) ont également été effectués.

 

[26]           Les essais ISC et COR sont tous deux des essais in vitro. Dans le programme de développement de médicaments de Pfizer pour le LIPITOR, l'ISC fut le premier essai effectué. Il a servi à déterminer l'effet d'un médicament candidat sur le parcours tout entier de la synthèse du cholestérol. Dans cet essai, des échantillons du composé étudié, préférablement à des concentrations connues, ont été ajoutés à une préparation de microsomes de foie de rat entier et d'enzymes cellulaires. Après que la synthèse du cholestérol eut duré une certaine période dans deux tubes à essais (l'un contenant l'échantillon d'essai et la préparation de foie, l'autre utilisé comme contrôle et ne contenant que la préparation), on a déterminé la quantité de cholestérol dans chaque tube.

 

[27]           Les essais COR ont suivi un processus semblable, mais on a utilisé une préparation de foie qui excluait les enzymes autres que la HMG CoA‑réductase. De cette façon, la seule étape de la synthèse du cholestérol qui pouvait survenir était la réaction du HMG‑CoA dans l'acide mévalonique, catalysée par la HMG CoA‑réductase. Cette réaction s'est poursuivie durant un certain temps, après quoi on a mesuré la quantité d'acide mévalonique.

 

[28]           Pour les essais ISC et COR, la valeur d'essai et la valeur de contrôle de chaque expérience ont été comparées pour donner l'inhibition en pourcentage de la synthèse du cholestérol (ou de l'acide mévalonique). Ces valeurs, pour chacune de quatre dilutions du composé d'essai, ont alors été portées sur un graphique pour donner la concentration requise pour une inhibition de 50 p. 100 du cholestérol – la valeur CI50. C'était la valeur d'intérêt. Un médicament nouveau prometteur donnerait, espérait‑on, une valeur CI moindre, indiquant qu'une dose plus faible produirait la même réduction du cholestérol que d'autres statines rivales. Une dose requise plus faible signifierait en général que le médicament considéré cause moins d'effets secondaires.

 

[29]           Quand des résultats favorables furent obtenus des essais ISC et COR, un composé choisi était alors soumis à un essai IASC. L'essai IASC permettait de mesurer la quantité de cholestérol produite in vivo par un rat après une dose unique du médicament candidat. On saurait donc si et dans quelle mesure l'échantillon pouvait être absorbé par le système digestif et transmis au foie, où se produit la synthèse du cholestérol. Autrement dit, l'essai IASC établissait si un composé était biodisponible. En l'espèce, la donnée pertinente – calculée de la même façon que les valeurs CI50 ci‑dessus – est la DE50.

 

La preuve d'expert

[30]           Pour ce qui est de la question principale de la fiabilité des données expérimentales de Pfizer, il importe de garder à l'esprit que les scientifiques qui ont témoigné ne se sont pas exprimés en tant que « personnes versées dans l'art », mais ont plutôt abordé des points fondamentaux intéressant la méthode scientifique et l'interprétation en la matière. Il s'agit là de questions de fait qui doivent être décidées selon la prépondérance de la preuve. Par commodité, les témoins experts auxquels ont recouru chacune des parties pour élucider les points intéressant la présente affaire sont présentés ci‑après, avec pour chacun un bref sommaire de ses titres et compétences.

 

Les experts de Pfizer

[31]           Bruce Roth : Monsieur Roth est l'inventeur désigné dans le brevet 546 ainsi que dans 42 autres brevets. Il détient un doctorat en chimie organique et travaille pour Pfizer et Warner‑Lambert depuis 1982, toujours dans des domaines rattachés au cholestérol sanguin ou à l'athérosclérose. Il est actuellement vice‑président de la Division chimie, Pfizer Global Research and Development.

 

[32]           Roger Newton : Monsieur Newton détient un doctorat en biochimie des lipides. De 1981 à 1998, il a travaillé pour Parke‑Davis, la section de la recherche pharmaceutique de Warner‑Lambert. Monsieur Newton a occupé divers postes chez Parke‑Davis. Il a été directeur de l'équipe de découverte du médicament contre l'athérosclérose, une équipe qui a développé l'atorvastatine calcique. Il a aussi été le « champion » de l'atorvastatine calcique et, à ce titre, a été chargé de convaincre la haute direction d'obtenir l'agrément de la Food and Drug Administration (Office des aliments et des médicaments) des États‑Unis. Il est aujourd'hui vice‑président principal d'une filiale de Pfizer Inc.

 

[33]           Le Dr John Dietschy : Le Dr Dietschy est médecin et professeur de médecine interne à l'Université du Texas. Il a participé à des travaux sur les statines durant plus de 30 ans et s'est vu décerner de nombreux prix pour ses travaux sur la régulation du cholestérol.

[33]

[34]           William Roush : Monsieur Roush est directeur général, chimie pharmaceutique, au campus de Floride du Scripps Research Institute. Il a plus de 30 ans d'expérience universitaire en chimie organique et en chimie pharmaceutique et compte de nombreuses publications à son actif dans ces domaines, en particulier dans le domaine de la synthèse et de l'évaluation des composés optiquement actifs. Il travaille aussi comme consultant pour diverses sociétés pharmaceutiques, dont Parke‑Davis et ses successeurs.

 

Les experts d'Apotex

[35]           Paul Grieco : Monsieur Grieco a 35 ans d'expérience en chimie organique synthétique et en chimie pharmaceutique, après avoir étudié la chimie et la chimie organique. Il a été président du département de chimie de l'Université d'Indiana de 1988 à 1997. Il est aujourd'hui professeur émérite au Montana.

 

[36]           Robert Langer : Monsieur Langer est professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Ses travaux ont été récompensés de plusieurs prix et ont figuré dans plusieurs revues de vulgarisation. Il se décrit comme spécialiste dans plusieurs domaines, dont le génie chimique, le génie biomédical, la biotechnologie, la chimie pharmaceutique et le développement de formules. Il a plus de 550 brevets ou demandes de brevet en instance de par le monde. Il a fait ses études en génie chimique.

 

[37]           John Keana : Monsieur Keana est professeur à la retraite à l'Université de l'Orégon, consultant et membre des comités de rédaction de Medicinal Chemistry et de Drug Design Reviews ‑ Online. Il se décrit comme spécialiste de la chimie pharmaceutique, particulièrement la synthèse organique, la stéréochimie et la mise en production pour ce qui concerne la découverte et le développement de médicaments. Il détient un doctorat en chimie.

 

Les points litigieux

[38]           Comme c'est souvent le cas dans les demandes de ce genre, les parties ont soulevé et plaidé de nombreux points, notamment la validité de l'avis d'allégation d'Apotex, la portée juridique des relations de Pfizer avec l'Office des brevets, et des questions liées à la validité fondamentale, soit la sélection, le double brevet, l'évidence et l'antériorité. Pour les motifs qui suivent, il est uniquement nécessaire de considérer la question de la validité de l'avis d'allégation d'Apotex, et la question de savoir si le brevet 546 est un brevet de sélection valide. Pour ce qui est de la question de la sélection, le point principal à décider est celui de savoir si Pfizer a prouvé que l'atorvastatine calcique présente des avantages surprenants ou inattendus qui suffisent à remplir les conditions légales d'une sélection valide. Ce point revient pour l'essentiel à déterminer si les données expérimentales assemblées par Pfizer pour appuyer les revendications de sélection du brevet 546 sont suffisantes et fiables.

 

Analyse

Le fardeau de la preuve

[39]           Je suis convaincu qu'Apotex s'est acquittée de son obligation intermédiaire de produire une preuve et que Pfizer, quant à elle, n'est pas parvenue à établir, selon la prépondérance de la preuve, que son brevet 546 est un brevet de sélection valide.

 

Les témoins experts

[40]           Tous les témoins scientifiques experts engagés par les parties semblent éminemment compétents dans leurs domaines respectifs. Je n'ai rien trouvé dans le dossier qui donne à penser que l'un ou l'autre d'entre eux n'avait pas l'expertise requise ou n'était pas compétent pour s'exprimer sur les points soulevés. Les raisons que j'ai de préférer le témoignage de tel ou tel témoin plutôt que celui d'autres témoins ne sont donc pas fondées sur une quelconque appréciation de leurs compétences.

 

La validité de l'avis d'allégation

[41]           Pfizer fait valoir que l'avis d'allégation d'Apotex ne suffit pas à mettre en doute la fiabilité des données expérimentales citées dans le brevet 546 au soutien de la promesse de propriétés surprenantes et inattendues de l'atorvastatine comme inhibiteur de la synthèse du cholestérol. Si Pfizer dit que l'avis d'allégation d'Apotex est insuffisant, c'est parce que la « simple affirmation » d'Apotex selon laquelle le brevet 546 ne constitue pas une sélection valide n'a aucun fondement factuel. Pfizer dit donc que l'avis d'allégation pourrait signifier une foule de choses et qu'elle ne saurait être tenue de deviner ce qu'Apotex avait à l'esprit.

 

[42]           Pour résoudre cette question, il est nécessaire de considérer les allégations d'Apotex concernant la sélection, ainsi que le libellé du brevet 546 et la conduite des parties dans la présente instance.

 

[43]           La question de la sélection est abordée dans les passages suivants de l'avis d'allégation d'Apotex :

[TRADUCTION]

 

Par ailleurs, on ne saurait dire que le brevet 546 constitue un brevet de sélection puisque, au mieux, ce brevet atteste simplement les propriétés connues des composés divulgués antérieurement qui sont enseignés dans le brevet 893 (et dans le brevet 768), c'est‑à‑dire l'énantiomère R de l'atorvastatine, l'inhibition de la synthèse du cholestérol avec l'énantiomère R de l'atorvastatine, et les compositions pharmaceutiques constituant l'énantiomère R de l'atorvastatine pour l'inhibition de la synthèse du cholestérol.

 

Il n'y avait aucun avantage appréciable à obtenir des composés revendiqués dans le brevet 546. Le brevet 546 ne prétendait pas que l'ensemble des composés choisis possédaient le prétendu avantage étayé (si tel avantage existe).

 

La sélection (s'il y en a une) n'a pas été faite au regard d'une caractéristique spéciale propre au groupe choisi.

 

Tous les avantages des composés revendiqués dans le brevet 546 étaient connus à la date du brevet 546 et, dans le cas contraire, auraient été évidents compte tenu de l'état de la technique (la connaissance commune de la technique) attesté par les enseignements des références de l'annexe A.

 

Nous nous fondons sur notre examen du brevet 893 (l'équivalent américain du brevet 768) sous la rubrique « antériorité » pour cette allégation et en ce qui concerne le brevet 768 étant donné que les enseignements du brevet 768 et du brevet 893 sont équivalents.

 

Nous nous fondons aussi, pour cette allégation, sur notre examen de l'état de la technique, la connaissance générale commune d'une personne versée dans l'art examinée dans la section « évidence » du présent avis d'allégation.

 

 

[44]           Apotex prétend que la fiabilité des données expérimentales est mise en jeu par l'allégation selon laquelle aucun avantage appréciable ne résultait de l'invention et par sa référence au « prétendu » avantage étayé. Apotex relève aussi que l'unique preuve mentionnée dans le brevet 546 au soutien de la promesse d'un avantage inattendu concernait les données ISC, de telle sorte que son allégation d'absence d'un avantage appréciable ne pouvait concerner qu'une contestation de ces données.

 

[45]           Si j'étais persuadé que Pfizer avait été induite en erreur par l'absence, dans l'avis d'allégation, d'une contestation explicite des données expérimentales, je n'hésiterais pas à lui accorder le redressement qu'elle demande. Dans les conditions présentes, cependant, je ne vois aucune preuve de préjudice pour Pfizer et rien qui laisse à penser qu'elle a mal compris la nature de la contestation d'Apotex relative à la sélection.

 

[46]           Je n'ai aucune difficulté avec la prémisse de l'argument de Pfizer selon lequel un avis d'allégation doit contenir à la fois le fondement juridique et le fondement factuel de chaque allégation. Cette règle vise naturellement à s'assurer qu'un titulaire de brevet dispose de renseignements suffisants pour pouvoir décider s'il convient ou non de solliciter une ordonnance d'interdiction : voir l'arrêt Pharmascience inc. c. Sanofi‑Aventis Canada Inc., 2006 CAF 229, 352 N.R. 99, aux paragraphes 23 et 24.

 

[47]           Pour ce qui est du caractère suffisant ou non de l'avis d'allégation, Pfizer écrivait dans son avis de demande que [TRADUCTION] « l'atorvastatine calcique présente des avantages appréciables et inattendus qui n'étaient pas connus des gens versés dans l'art ni n'étaient évidents ». Au soutien de cette allégation, Pfizer a prié le Dr Dietschy, entre autres, d'examiner l'avis d'allégation d'Apotex. Au paragraphe 16 de son affidavit, le Dr Dietschy décrivait ainsi son mandat :

[TRADUCTION]

 

J'ai été prié par l'avocat de Pfizer de m'exprimer sur les données du brevet 546 ainsi que sur d'autres données mentionnées dans le présent affidavit, et de donner mon avis quant à savoir si, compte tenu de ces données, l'activité inhérente de l'atorvastatine – c'est‑à‑dire son aptitude à inhiber la biosynthèse du cholestérol – est inattendue par rapport à l'activité inhérente d'un mélange racémique d'atorvastatine et de l'énantiomère S‑(R*,R*).

 

 

[48]           Puis le Dr Dietschy exprimait l'avis que les données expérimentales de Pfizer suffisaient à appuyer les promesses du brevet 546. Apotex a répondu par sa propre preuve sur cet aspect, et les témoins de chacune des parties ont été contre‑interrogés. Comme l'on pouvait s'y attendre, Pfizer n'a pas apporté la preuve qu'elle fut prise au dépourvu par la brièveté des allégations d'Apotex. Elle savait même parfaitement que la pertinence de ses données expérimentales avait été un thème récurrent dans le litige portant sur ce brevet. Pfizer a pris la décision réfléchie d'aborder cet aspect dans la présente instance et, ayant mis la question sur le tapis, elle ne saurait plus tard soutenir qu'Apotex est empêchée de contester les données expérimentales qui, en apparence, appuyaient la promesse de sélection contenue dans le brevet : voir Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283, 43 C.P.R. (4th) 161 (C.F.), au paragraphe 106, et Novopharm Limited c. Pfizer, 2005 CAF 270, 42 C.P.R. (4th) 97 (C.A.F.), au paragraphe 17.

 

[49]           Ainsi, je rejette l'argument de Pfizer et je conclus que l'avis d'allégation d'Apotex suffit à étayer sa contestation des données expérimentales invoquées par Pfizer pour appuyer les revendications du brevet 546.

 

Le droit de la sélection

[50]           Il est entendu que la sélection d'un composé chimique à partir d'une catégorie antérieurement définie de composés apparentés peut être inventive et par conséquent brevetable si la sélection est à la fois non évidente et avantageuse. Les critères de création d'un brevet de sélection valide sont décrits dans un arrêt de principe, Pfizer Canada Inc. c. Canada, 2006 CAF 214, [2007] 2 R.C.F. 137 :

3          Il existe deux catégories générales de brevets de produit chimique : les « brevets d'origine », qui portent sur une invention source comportant la découverte d'une nouvelle réaction ou d'un nouveau composé, et les « brevets de sélection », qui supposent un choix entre des composés connexes procédant du composé original qui ont été décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d'origine (voir In re I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents (1930), 47 R.P.C. 283 (Ch. D.), à la page 321, juge Maugham).

 

4          Il y a peu de jurisprudence canadienne sur la question des brevets de sélection, mais la décision I.G. Farbenindustrie a bien défini les principaux éléments de ce type de brevets, et lord Diplock l'a citée en l'approuvant dans une affaire de la Chambre des lords où il a statué que [TRADUCTION] « l'étape inventive dans un brevet de sélection consiste en la découverte qu'un ou plusieurs éléments d'une catégorie de produits antérieurement connue offrent certains avantages spéciaux à une fin particulière, lesquels n'auraient pu être prévus avant que cette découverte ne soit faite » (voir Beecham Group Ltd. v. Bristol Laboratories International S.A., [1978] R.P.C. 521 (H.L.), à la page 579). Tous les éléments de la catégorie connue qui sont revendiqués doivent posséder les avantages spéciaux, lesquels doivent différer des avantages qu'une personne versée dans l'art se serait attendue à trouver dans un grand nombre d'éléments de la catégorie antérieurement divulguée (c.‑à‑d. une qualité d'une nature particulière) (voir I.G. Farbenindustrie, à la page 323).

 

5          Les brevets de sélection encouragent les chercheurs à continuer d'exercer leur génie inventif de façon à découvrir de nouveaux avantages à des composés appartenant à la catégorie connue. Ils peuvent être demandés pour une sélection opérée dans une catégorie comportant des milliers d'éléments ou n'en comportant que deux (voir, par exemple, I.G. Farbenindustrie, à la page 323, et E.I. Du Pont de Nemours & Co (Witsiepe's) Application, [1982] F.S.R. 303 (H.L.), à la page 310).

 

[...]

 

21        Il importe de préciser dès le départ que la recherche empirique visant à opérer une sélection au sein d'une catégorie n'est pas de la vérification. Lord Wilberforce, dans Beecham, a signalé que la sélection d'éléments d'un ensemble de composés possibles et la réalisation de recherches empiriques visant à établir s'ils possèdent les qualités voulues diffèrent de la vérification et donnent des résultats différents (à la page 568).

 

22        Les recherches empiriques débouchant sur une invention protégée par un brevet de sélection doivent comporter [TRADUCTION] « à tout le moins la découverte que les éléments retenus possèdent des qualités inconnues jusque là, qui leur sont propres et qui ne peuvent leur être attribuées du fait de leur appartenance à une catégorie décrite par une invention antérieure » (voir In the Matter of an Application for a Patent by Henry Dreyfus, Robert Wighton Moncrieff and Charles William Sammons (1945), 62 R.P.C. 125, à la page 133, juge Evershed).

 

23        Dans Pope Appliance Corp. v. Spanish River Pulp & Paper Mills, Ltd., [1929] 1 D.L.R. 209 (P.C.), le vicomte Dunedin signale, à la page 216, une invention est simplement [TRADUCTION] « la découverte de quelque chose qui n'a pas été découvert par d'autres ». Un inventeur a droit à un brevet dans lequel il peut démontrer que ses efforts ont abouti à la découverte de connaissances fondamentales pour son invention. On ne saurait opposer que d'autres auraient également pu faire la découverte par expérimentation (voir aussi T. A. Blanco White, Patents for Inventions and the Protection of Industrial Designs, 5e éd. (Londres : Stevens, 1983), à la page 99).

 

24        La vérification, elle, confirme des qualités prévues ou prévisibles de composés connus, c.‑à‑d. des composés déjà découverts et réalisés. Personne ne peut obtenir un brevet de sélection simplement parce qu'il a vérifié les propriétés d'une substance connue (voir SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2003] 1 C.F. 118 (C.A.), au paragraphe 21).

 

[...]

 

31        Pour satisfaire à l'exigence d'utilité découlant du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4 (ancienne Loi), les éléments sélectionnés doivent présenter un avantage par rapport à la catégorie en général (voir Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.), [1981] 1 R.C.S. 504, aux pages 525 et 526). Ce dernier arrêt a donné une définition large de l'utilité nécessaire à la validité d'un brevet dont traite Halsbury's Laws of England (3e éd.), vol. 29, à la page 59 :

 

[TRADUCTION] [...] il y a suffisamment d'utilité pour justifier un brevet si l'invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile.

 

Toutefois, il n'existe aucune exigence juridique particulière quant au type précis d'avantage nécessaire. Il est établi que le critère en matière d'avantage comprend l'évitement d'un désavantage, comme c'est le cas en l'espèce (voir I.G. Farbenindustrie, à la page 322).

 

 

[51]           Un précédent souvent cité, In re I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents (1930), 47 R.P.C. 283, expose les trois conditions générales qui doivent être remplies pour qu'un brevet de sélection soit valide. D'abord, le brevet doit se fonder sur un avantage important tiré de l'utilisation des membres sélectionnés (ou, à l'inverse, sur un inconvénient important qui peut être éliminé), deuxièmement, la totalité des membres sélectionnés doit posséder l'avantage en question, et troisièmement, la sélection doit être faite en fonction d'une qualité ou d'un caractère spécial particulier du groupe sélectionné. Le tribunal concluait par l'avertissement suivant ses propos sur la sélection :

[TRADUCTION]

 

Je dois ajouter quelques mots au sujet de la rédaction du mémoire descriptif d'un tel brevet. Il devrait être évident, après ce que j'ai dit au sujet de l'essence de l'étape inventive, qu'il est nécessaire pour le titulaire du brevet de définir en termes clairs la nature de la caractéristique que, selon ses allégations, possède la sélection pour laquelle il revendique un monopole. Il n'a en réalité divulgué aucune invention s'il affirme simplement que le groupe sélectionné possède des avantages. Indépendamment de la question du caractère suffisant, il doit divulguer une invention, ce qu'il ne fait pas, dans le cas d'une sélection de caractéristiques spéciales, s'il ne définit pas adéquatement ces caractéristiques. Les mises en garde exprimées de façon répétée à la Chambre des lords en ce qui a trait à l'ambiguïté ont, je crois, un poids spécial en ce qui concerne les brevets de sélection. (Natural Colour etc. Ld. v. Bioschemes Ld. (1915), 39 R.P.C. 256, à la page 266, et voir British Ore etc. Ld. v. Minerals Separation Ld. (1910), 27 R.P.C. 33, à la page 47.)

 

 

L'application des principes de sélection au brevet 546

[52]           Les parties s'accordent à dire que l'atorvastatine calcique est un composé qui entrait dans la catégorie générale de composés décrits par le brevet 893 de Pfizer. Entraient aussi dans le champ du brevet 893 l'énantiomère S de l'atorvastatine calcique, le mélange racémique et plusieurs milliers d'autres composés. Le brevet 893 disait que tous les composés de cette invention [TRADUCTION] « sont utiles comme agents hypocholestérolémiants ou hypolipimiants en raison de leur aptitude à inhiber la biosynthèse du cholestérol ». À l'époque, les gens versés dans l'art se seraient attendus à ce que l'atorvastatine produise un effet de réduction du cholestérol, mais à un niveau correspondant à environ deux fois celui du mélange racémique.

 

[53]           Le brevet 546 reconnaissait l'utilité promise des composés décrits par le brevet 893 dans la réduction du cholestérol chez l'homme, mais il affirmait que l'on avait fait la découverte inattendue que l'atorvastatine calcique [TRADUCTION] « offre une inhibition surprenante de la biosynthèse du cholestérol ».

 

[54]           L'affirmation contenue dans le brevet 546 selon laquelle l'atorvastatine calcique présentait une inhibition inattendue et surprenante de la biosynthèse du cholestérol était étayée par des données expérimentales exposées dans le passage suivant du mémoire descriptif :

[TRADUCTION]

 

Les composés selon la présente invention, et en particulier selon le composé de la formule I, inhibent la biosynthèse du cholestérol comme l'indique l'essai ISC qui est divulgué dans le brevet des États‑Unis no 4 681 893. Les données ISC du composé I, de son énantiomère, le composé II, et du racémate de ces deux composés se présentent ainsi :

 

Composé

CI50 (micromoles/litre)

isomère [R‑(R*R*)]*

0,0044

isomère [S‑(R*R*)]

0,44

racémate

0,045

 

[*atorvastatine]

 

 

[55]           Il s'agit là de représentations critiques essentielles pour établir la validité du brevet 546 comme brevet de sélection parce que, sans la preuve d'un avantage spécial auparavant non divulgué et imprévisible (ou d'un inconvénient évité), Pfizer ne peut pas breveter à nouveau l'atorvastatine calcique, et le monopole de Pfizer sur ce composé aurait expiré en même temps que le brevet 893. C'est là un point admis par Pfizer et, ainsi que l'a exprimé son avocat, [TRADUCTION] « cette affaire repose entièrement sur la question de la sélection ».

 

[56]           Avant de vérifier l'exactitude des affirmations empiriques de Pfizer, il est nécessaire d'interpréter la promesse faite par le brevet 546.

 

[57]           Selon le Dr Dietschy, le brevet 546 promettait seulement que l'atorvastatine calcique produit une activité inhibitrice « beaucoup plus grande » ou « beaucoup plus considérable » que ce à quoi se serait attendue une personne versée dans l'art. C'est là un témoignage quelque peu différent de celui de M. Roush, qui semble avoir considéré comme partie intégrante de la promesse du brevet les données expérimentales citées. Il écrivait dans son affidavit que « l'activité dix fois supérieure est surprenante et très certainement inattendue ». Pfizer a fait valoir que toute amélioration sensible au‑delà d'une activité inhibitrice deux fois supérieure de l'atorvastatine calcique était pour l'essentiel tout ce qui était promis. En ce sens, Pfizer voudrait aujourd'hui établir une séparation entre la promesse inventive du brevet et les données qui furent citées pour l'appuyer.

 

[58]           Le brevet 546 ne revendiquait pas expressément pour l'atorvastatine calcique un avantage dix fois supérieur à celui du composé racémique correspondant, mais il ressort clairement des données expérimentales citées qu'un avantage in vitro dix fois supérieur avait été revendiqué. Monsieur Roth ne s'exprimait pas au nom d'une personne versée dans l'art, mais il a décrit ainsi ses conclusions initiales :

[TRADUCTION]

 

147.     Les données que j'ai examinées montraient que l'atorvastatine avait presque dix fois plus de puissance que le racémate. Ces données ont été intégrées dans une demande portant sur le brevet américain no 5 273 995 (le brevet 995), qui est l'équivalent américain du brevet 546.

 

 

[59]           Il est implicite, dans les conclusions citées dans le brevet 546, que l'efficacité supposément inattendue de l'atorvastatine in vitro entraînerait une efficacité accrue excédant les avantages déjà promis par le brevet 893, notamment l'efficacité deux fois supérieure de l'atorvastatine par rapport à celle du composé racémique. Un lecteur averti qui prend connaissance du brevet 546 n'aurait aucune raison de mettre en doute la validité des données citées et présumerait, en l'absence de réserves exprimées, que les résultats de la recherche de Pfizer étaient exacts et reproductibles. Autrement dit, une personne versée dans l'art arriverait à la conclusion que Pfizer avait effectivement constaté que l'atorvastatine était environ 10 fois plus efficace que le racémate pour inhiber la production de cholestérol in vitro. Ainsi, je n'accepte pas la tentative de Pfizer de faire aujourd'hui une distinction entre la promesse d'une activité surprenante et inattendue de l'atorvastatine calcique et les données expérimentales dont elle faisait état dans le brevet, mais, en définitive, cela n'importe pas si la preuve invoquée par Pfizer est si peu fiable ou si peu digne de foi qu'elle ne parvient pas à établir autre chose qu'une efficacité deux fois supérieure de l'atorvastatine par rapport à celle du racémate.

 

La genèse des données du brevet 546

[60]           La façon dont les données utilisées dans le brevet 546 sont apparues fut quelque peu inusitée. Selon M. Roth, « quelqu'un » faisant partie du Comité de révision des brevets de Pfizer a dit, en réponse à une question du chef de la recherche préclinique, que, quelque part dans les données expérimentales in vitro, il y avait peut‑être des éléments attestant pour l'atorvastatine une activité biologique surprenante. Bien que l'atorvastatine fût du ressort de M. Roth, celui‑ci ne connaissait pas ces données, mais il fut prié de les retrouver. Il ressort clairement aussi du témoignage de M. Roth que Pfizer considérait alors sérieusement la possibilité de préparer une demande de brevet pour l'atorvastatine et que la quête de M. Roth pour des données complémentaires devait déterminer si l'atorvastatine [TRADUCTION] « possédait des activités ou propriétés surprenantes qui la rendraient brevetable en soi ».

 

[61]           Monsieur Roth a témoigné qu'il savait que l'atorvastatine était déjà englobée de façon générique par le brevet 893, de telle sorte que, lorsqu'il a entrepris d'examiner les données expérimentales, il devait savoir que Pfizer ne pouvait breveter à nouveau ce composé en l'absence de preuve d'une certaine activité biologique inattendue.

 

[62]           Une telle approche fait craindre que l'enquêteur analyse et choisisse des données a posteriori pour prouver l'inventivité au soutien d'une décision commerciale plutôt que de confirmer la nouveauté des résultats de la recherche à mesure que les données sont obtenues. Cette approche rétrospective requiert de l'enquêteur une objectivité rigoureuse et une fidélité irréprochable à la méthode scientifique afin d'exclure la possibilité d'une vision étroite des choses.

 

La fiabilité des données du brevet 546

[63]           Dans son affidavit, M. Roth décrivait l'approche qu'il avait adoptée pour choisir et analyser les données expérimentales de Pfizer. Il a reconnu que la « meilleure comparaison possible » aurait nécessité des essais comparatifs directs des deux énantiomères de l'atorvastatine et de son racémate, mais, à l'époque, il n'a pu trouver une telle comparaison. Il a donc comparé les essais faits pour comparer directement les sels de sodium des deux énantiomères (ISC 120) avec la moyenne des données historiques obtenues des essais effectués pour le sel de sodium racémique d'atorvastatine (ISC nos 92, 93, 95, 102 et 118). Les cinq essais du sel de sodium racémique n'ont pas été effectués par comparaison directe et ont été menés au cours d'une période de plus de trois ans. Dans son affidavit, M. Roth qualifiait de « meilleure deuxième solution » et de « meilleure comparaison disponible » les données qu'il avait employées.

 

[64]           Monsieur Roth a ensuite examiné l'idée de combiner avec sa moyenne racémique les résultats d'essais qui furent menés différemment. Quatre de ces essais ont été effectués en débutant par la lactone racémique, alors que le cinquième l'a été avec le sel de sodium racémique purifié. Monsieur Roth ne s'en est pas inquiété parce que les cycles de lactone furent traités pour s'ouvrir et créer le sel de sodium in situ, bien qu'aucun test ne fût effectué par Pfizer pour savoir si cette conversion s'était accomplie avec succès.

 

[65]           Monsieur Keana a vivement critiqué les essais ISC menés par Pfizer, et les résultats qu'ils ont produits l'ont laissé sceptique. Il a dit qu'il n'était pas judicieux de se fonder sur les résultats d'un unique essai ISC ou de faire la moyenne de valeurs d'essai uniques qui embrassent un large éventail. L'éventail de variabilité des données ISC utilisées par M. Roth était, selon M. Keana, beaucoup trop large. Il convient de noter qu'il y a une grande variabilité entre le niveau mesuré d'activité du sel de sodium racémique purifié et la moyenne des quatre valeurs obtenues de la lactone racémique. Cela aurait dû à tout le moins conduire Pfizer à s'interroger sur la validité de ces essais.

 

[66]           Monsieur Keana a aussi conclu que les données utilisées par M. Roth n'étaient pas fiables parce que les techniciens de laboratoire n'avaient apparemment pas pu obtenir de vraies solutions pour les composés d'essai. Ces difficultés de solubilité, disait‑il, sont reflétées dans les notes des techniciens, qui ont utilisé des qualificatifs tels que « trouble », « laiteux », « partiellement soluble » ou « insoluble ». Ces qualificatifs montraient que de véritables solutions n'avaient pas été réalisées pour bon nombre des composés d'essai, ce qui aurait conduit à des résultats peu fiables. Dans son affidavit, M. Keana décrivait ainsi le problème :

[TRADUCTION]

 

117.          L'essentiel est qu'un énantiomère simple peut présenter une puissance plus de deux fois supérieure à celle du racémate tout simplement parce que le racémate ne se dissout pas dans la même mesure que l'énantiomère simple ou parce que le racémate se dissout beaucoup plus lentement à partir d'une suspension que l'énantiomère simple. Une valeur CI50 suppose un équilibre réversible. Un racémate et l'énantiomère simple correspondant doivent être véritablement en solution pour donner une valeur CI50 fiable.

 

 

[67]           Selon M. Keana, ces difficultés de solubilité pourraient être aggravées par le fait bien connu qu'il existe souvent d'importantes différences de solubilité entre les racémates et leurs énantiomères correspondants. Lorsqu'une solubilité seulement partielle est obtenue pour l'un des comparateurs ou pour les deux, les niveaux d'activité relative peuvent perdre toute signification. Ce point apparaît dans le passage suivant de l'affidavit de M. Keana :

[TRADUCTION]

 

146.     L'essentiel est qu'un énantiomère simple peut présenter une puissance plus de deux fois supérieure à celle du racémate tout simplement parce que le racémate ne se dissout pas dans la même mesure que l'énantiomère simple, c'est‑à‑dire que la « solution » mère opalescente ou laiteuse du racémate n'est pas une solution du tout. De tels mélanges ne sont pas de véritables solutions même s'ils ne présentent pas de « gros amas ». La nature opalescente ou laiteuse est le résultat de la dispersion de la lumière opérée par de petites particules probablement colloïdales. Dans de tels cas, un énantiomère simple pourrait bien présenter une puissance plusieurs fois supérieure à celle du racémate (même lorsque l'autre énantiomère n'a aucune activité), tout simplement parce que le racémate s'est dissous dans une moindre mesure que l'énantiomère simple. Un racémate et l'énantiomère simple correspondant doivent être véritablement en solution pour donner une valeur CI50 fiable.

 

 

[68]           Ces critiques formulées par M. Keana sont fondées. Même si l'on devait accepter d'emblée la preuve par ouï‑dire de la technicienne de laboratoire qui a effectué les essais ISC, selon laquelle elle employait le mot « insoluble » pour décrire des suspensions uniformes de composés d'essai, les autres difficultés décrites par M. Keana subsistent. Les distinctions visuelles comme celles qu'ont faites les techniciens de laboratoire de Pfizer sont peut‑être commercialement défendables, mais la pratique ne suffit pas à confirmer la validité d'une conclusion scientifique.

 

[69]           Monsieur Langer a exprimé des inquiétudes semblables à celles de M. Keana. Il a lui aussi mis en doute l'à‑propos de la méthode de M. Roth consistant à faire la moyenne de données d'essais lorsque quatre des composés d'essai étaient des lactones racémiques (la lactone se convertissant alors vraisemblablement en sel de sodium in situ) et que l'un des composés a débuté sous la forme d'un sel de sodium hautement purifié. Monsieur Langer a relevé que l'exigence de conversion in situ faisait intervenir, pour quatre des cinq essais, un risque d'erreur expérimentale qui n'était pas contrôlé en mesurant la conversion de la lactone. Monsieur Langer, s'inspirant des données de Pfizer, a donné un exemple qui illustrait ses doutes :

[TRADUCTION]

209.     Pareillement, si l'on utilise les données d'activité ISC qui apparaissent dans la pièce H de l'affidavit de M. Newton du 22 mai 2006, on peut aussi faire une comparaison directe entre les activités des formes lactoniques de l'énantiomère R‑trans et le mélange racémique correspondant à l'atorvastatine. L'utilisation des résultats de l'essai ISC 107 pour faire une comparaison directe des activités de la forme lactonique de l'énantiomère R‑trans (comme l'indique la pièce H de l'affidavit de M. Newton du 22 mai 2006, l'essai ISC 107 est l'unique essai pour lequel des données ont été obtenues de la forme lactonique de l'énantiomère R‑trans correspondant à l'atorvastatine) avec les résultats des essais ISC 92, 93, 95 et 102 (c'est‑à‑dire les quatre essais menés en utilisant la forme lactonique racémique, que M. Roth joint aux résultats de l'essai ISC 118 afin de calculer la moyenne, comme il est indiqué plus haut) pour la forme lactonique racémique donne une valeur CI50 de 0,0355 micromole/litre pour la lactone R‑trans contre une valeur moyenne CI50 de 0,0541 pour la forme lactonique racémique. On arrive donc à un rapport des activités de 1,52, ce qui montre que l'activité de l'atorvastatine sodique convertie in situ à partir de la forme lactonique était moins de deux fois celle de la forme racémique.

 

 

[70]           L'explication donnée par M. Newton pour l'absence d'un essai permettant d'évaluer la conversion était que, dans le processus de découverte de médicaments, cela aurait pris trop de temps et aurait « considérablement ralenti la découverte ». On en revient au problème consistant à s'en remettre, pour les brevets, à des données générées à la faveur de protocoles d'essai, protocoles qui étaient entravés par des considérations commerciales et d'autres considérations pratiques légitimes. De telles considérations ne renforcent pas d'une manière quelconque la fiabilité des données et ne sont pas un prétexte pour se dispenser, au stade de la demande de brevet, de conduire la recherche scientifique qui s'impose.

 

[71]           Monsieur Langer a aussi relevé que, si M. Roth avait utilisé pour sa comparaison uniquement les données de l'essai ISC 118 effectué pour le sel de sodium racémique, il n'aurait constaté qu'une puissance deux fois supérieure. Ce point a aussi été avancé par M. Grieco, qui a exprimé l'avis que l'essai ISC 118 avec le sodium produisait les meilleures données possibles pour l'évaluation du niveau d'activité du racémate. J'admets que l'emploi des données obtenues d'un unique essai (ISC 118) aurait créé lui‑même certaines difficultés, mais le désaccord des experts montre que des conclusions scientifiques peuvent être facilement manipulées par le simple choix des données servant à la comparaison. Ce phénomène est bien saisi par le truisme scientifique voulant que si l'on torture les données assez longtemps, elles finiront par avouer.

 

[72]           Le témoignage du Dr Dietschy était également amoindri par des considérations de viabilité commerciale. Par exemple, sur la question de la solubilité, il a dit que [TRADUCTION] « les entreprises qui travaillent avec ces composés vont commencer par une suspension uniforme ». Il a noté que les difficultés de solubilité étaient communes dans les essais de statines et que l'on pouvait généralement en venir à bout en utilisant des agents solubilisants. Le Dr Dietschy a également justifié la pratique de Pfizer consistant à ne pas mesurer la concentration des composés d'essai parce que cette opération serait incroyablement coûteuse, difficile et fastidieuse du point de vue pratique. Son témoignage donnait à penser que la viabilité commerciale pouvait éclipser la rigueur scientifique lorsqu'un innovateur tente simplement de trier des composés pour développement futur :

[TRADUCTION]

 

R.         Je crois que c'est la manière dont on présume que les choses vont se passer lorsque l'on fait ces essais initiaux. L'entreprise est en quête d'indications sur les composés qui vont être utiles et sur ceux qui sont des réacteurs.

 

Q.        Pourquoi alors allez‑vous présumer que des composés différents vont se dissoudre de la même façon?

 

R.         Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que deux isomères, par exemple un isomère S et un isomère R, pourraient présenter les mêmes degrés de dispersion dans le procédé de dissolution.

 

Q.        Ce pourrait ne pas être le cas?

 

R.         Ce pourrait ne pas être le cas.

 

[...]

 

Q.        Et ai‑je raison de dire que la raison de faire des essais tels que les essais ISC et COR, c'est d'obtenir une information utile sur un composé?

 

R.         Je crois que c'est un peu différent de cela. Dans un programme de découverte de médicaments, ce que vous voulez faire, c'est faire le tri parmi les nombreux composés que les spécialistes de la chimie synthétique organique ont fabriqués, qui pourraient avoir une activité inusitée, activité que vous pourrez alors explorer à l'aide de tests plus complexes et plus coûteux. Par exemple, en utilisant une procédure in vivo. Il ne s'agit donc pas simplement de considérer l'efficacité possible de tels composés, mais plutôt de retenir parmi plusieurs composés ceux qui sont les plus prometteurs.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[73]           Les observations du Dr Dietschy sont sans doute fondées dans un contexte commercial, mais elles sont beaucoup moins convaincantes dans un contexte scientifique et quand des preuves sont assemblées au soutien d'une demande de brevet. Sur ce point fondamental, je partage l'avis de M. Grieco, exprimé au paragraphe 196 de son affidavit, où il écrivait :

[TRADUCTION]

 

Le Dr Dietschy sait fondamentalement qu'il est très important de connaître les concentrations de composés d'essai dans les solutions mères. Il est malheureux qu'il affirme que « ces techniques auraient été très fastidieuses et difficiles sur le plan pratique de la découverte de médicaments et auraient allongé de plusieurs mois la procédure tout entière ». Il m'est impossible de souscrire à son affirmation. Je crois très fermement, comme dans la présente affaire, qu'une fois qu'un médicament candidat a été découvert et que le temps est venu de divulguer l'invention dans une demande de brevet, il est de la plus haute importance de déterminer l'activité réelle du racémate et des énantiomères du racémate, sans égard au coût et au temps [...]

 

[74]           On trouve des propos du même genre au paragraphe 182 de l'affidavit de M. Langer :

[TRADUCTION]

 

[...] Les experts de Pfizer disent constamment que cette variabilité justifie l'importance qu'ils prêtent aux résultats de l'essai ISC 118, résultats qu'ils considèrent comme l'unique démonstration directe de l'activité prétendument « inattendue et surprenante » de l'atorvastatine calcique. Cependant, à mon avis, cette variabilité signifierait pour moi, en tant que scientifique, qu'une unique valeur mesurée, parmi un ensemble de données, ne devrait pas être considérée sélectivement après la production des données (c'est‑à‑dire « a posteriori ») comme l'unique valeur mesurée valide, surtout si d'importantes erreurs expérimentales caractérisent cet ensemble de données (comme c'est le cas pour les données produites lors des essais COR et ISC, comme je l'explique ci‑après). Des expériences contrôlées devraient plutôt être conçues et menées d'une manière objective, telles ou telles d'entre elles devant être reprises suffisamment de fois pour permettre une analyse statistique des données. Ces expériences pourraient encore englober des expériences comparatives directes; elles seraient tout simplement répétées de la manière susmentionnée.

 

 

[75]           Les opinions du Dr Dietschy reposaient sur certaines autres hypothèses qui n'étaient pas fondées. La plus importante d'entre elles était celle selon laquelle tous les composés d'essai avaient été préparés au moins jusqu'au stade d'une suspension uniforme. Cette hypothèse s'appuyait sur ce qu'il avait appris, notamment les propos recueillis par M. Newton de la technicienne de laboratoire responsable. Elle avait dit, semble‑t‑il, à M. Newton qu'elle avait utilisé le mot « insoluble » pour décrire des « suspensions uniformes » et que, même au bout de 18 ans, elle pouvait confirmer que tous les essais en cause atteignaient cet état. L'affidavit de M. Newton ne précise pas ce qu'elle voulait dire par les mots « trouble », « laiteux » ou « partiellement soluble ».

 

[76]           Cette preuve par ouï‑dire est particulièrement troublante parce qu'elle est d'une importance fondamentale pour les avis offerts par les experts de Pfizer et qu'elle aurait dû être étayée par un affidavit de la technicienne de laboratoire responsable. Il est très difficile d'admettre tout bonnement que le mot « insoluble » servait à décrire une solution uniforme, d'autant que plusieurs autres termes présentant une plus grande synonymie apparaissent dans les notes de la technicienne.

 

[77]           L'absurdité évidente de l'hypothèse de travail du Dr Dietschy sur ce point est reflétée dans plusieurs propos échangés avec les avocats, dont les propos suivants :

[TRADUCTION]

Q.        On a donc essayé de le rendre soluble, mais il ne semble pas être soluble; est‑ce exact?

 

R.         Il n'est pas encore pleinement soluble.

 

Q.        Quel – pour vous, insoluble signifie pas pleinement soluble? Pardon.

 

R.         Si je comprends bien la manière dont elle a employé le mot, « insoluble » évoque une solution laiteuse ou une suspension uniforme.

 

Q.        Et vous tirez cela d'une discussion que vous avez lue et que quelqu'un d'autre a eue avec la technicienne?

 

R.         C'est de cela que je tire cette interprétation.

 

Q.        Donc, selon cette information, le mot « insoluble » signifie « partiellement soluble »?

 

R.         Oui.

 

[...]

 

Q.        Très bien. Passons à 124488‑15, le quatrième point en allant vers le bas. Vous voyez quand la sonication et le reste est fait, la technicienne écrit : Laiteux, partiellement soluble?

 

R.         Oui.

 

Q.        Pourquoi écrit‑elle cela si le mot « insoluble » signifie exactement cela?

 

R.         Elle a sans doute utilisé les deux termes d'une manière synonyme. Je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle elle a changé de terme.

 

 

[78]           La tentative du Dr Dietschy d'atténuer l'incapacité de Pfizer d'obtenir des solutions pures apparaît aussi dans l'écart qu'il y a entre son témoignage produit dans la présente instance et son témoignage produit aux États‑Unis. Aux États‑Unis, il parlait d'un « problème de solubilité », alors que, dans la présente instance, ce n'est qu'à contrecoeur qu'il a adopté cette désignation, après avoir été mis en face de son témoignage antérieur.

 

[79]           La tentative de M. Newton de justifier son hypothèse de solubilité était aussi ténue que celle du Dr Dietschy, comme le révèle le passage suivant de son témoignage :

[TRADUCTION]

Q.        Y a‑t‑il quelque légende que je puisse voir, à l'intérieur de l'entreprise, où le mot « insoluble » équivaut à « suspension uniforme »? Y a‑t‑il une légende?

 

R.         Nous n'avions pas de légende, non.

 

Q.        Il n'y a donc pas de lexique où serait défini le mot « insoluble »?

 

R.         Il n'y a pas de gradation pour ce que nous avons considéré le – les mots qui étaient utilisés étaient « laiteux », « trouble », « insoluble », « suspension uniforme ». C'étaient des synonymes. Il s'agit de la quantité de lumière qui peut effectivement traverser cette suspension particulière.

 

Q.        Quelle est la distinction entre « trouble » et « laiteux »? Qu'est‑ce que cela veut dire?

 

R.         Cela dépend pour qui. Cela dépend d'Erica Ferguson. Laiteux est évidemment plus épais que trouble.

 

Q.        Pourquoi dites‑vous cela?

 

R.         « Laiteux » est plus dense que « trouble ».

 

Q.        Comment savez‑vous que c'est ce qu'elle voulait dire?

 

R.         Je ne fais que le supposer.

 

 

[80]           Le recours de Pfizer au ouï‑dire pour interpréter les ambiguïtés évidentes et le manque d'uniformité des notes de laboratoire est, ici encore, inopportun. Il s'agissait d'une preuve importante qui intéressait directement la fiabilité des essais que Pfizer a utilisés pour appuyer sa revendication d'une constatation nouvelle et surprenante. Même le témoignage du Dr Dietschy indiquait qu'il y avait un risque d'erreur expérimentale lorsque la technicienne de laboratoire n'a pu obtenir une suspension uniforme pour les composés d'essai.

 

[81]           Pfizer n'a pas produit un affidavit de la technicienne de laboratoire ni n'a expliqué pourquoi un tel affidavit ne pouvait pas être produit, et il y a donc lieu de croire que les hypothèses de solubilité émises par le Dr Dietschy et M. Newton étaient invalides et que ces essais étaient déficients sur le plan méthodologique : voir le paragraphe 81(2) des Règles des Cours fédérales. Leur empressement à présumer que les techniciens de Pfizer suivaient de bonnes pratiques de laboratoire est également ébranlé par les déficiences graves et admises qui ont vicié ses essais COR et par le fait que Pfizer n'obligeait pas ses techniciens de laboratoire, lorsqu'ils décrivaient leurs observations, à employer un vocabulaire uniforme ou à définir de quelque façon ce vocabulaire.

 

[82]           La fiabilité des essais ISC est également mise en doute par le fait que les techniciens responsables effectuaient les essais jusqu'à leur achèvement et consignaient les données alors même que les mélanges étaient compromis par des difficultés de solubilité qui excédaient manifestement les normes d'essai de Pfizer. Ce problème a été reconnu par M. Newton dans le passage suivant de son témoignage :

[TRADUCTION]

 

Q.        Le protocole disait‑il clairement que, dans l'exécution d'un essai ISC, vous étiez autorisé à utiliser une solution uniforme?

 

R.         Une solution.

 

Q.        Une solution. Vous n'étiez pas autorisé à utiliser quelque chose qui n'était pas une telle solution, par exemple quelque chose qui comportait de gros morceaux ou des flocons. Est‑ce exact?

 

R.         C'est exact, et, malgré cela, elle est allée de l'avant et l'a fait.

 

Q.        Elle a donc transgressé le protocole?

 

R.         Et c'est ce qu'elle n'aurait pas dû faire.

 

Q.        Alors elle a transgressé le protocole.

 

R.         Selon le rapport de recherche, elle n'aurait pas dû faire l'expérience.

 

Q.        Vous reconnaissez donc avec moi qu'elle a transgressé le protocole?

 

R.         Elle n'a pas suivi le protocole.

 

 

[83]           Monsieur Newton semble également avoir exprimé des doutes sur l'empressement de M. Roth à tirer une conclusion sur l'efficacité de l'atorvastatine calcique à partir des données ISC relatives à l'atorvastatine sodique. Son témoignage sur le sujet était le suivant :

[TRADUCTION]

 

Q.        Donc, si je comprends bien ce que vous venez de dire, vous n'utiliseriez pas le sel de sodium pour prédire ou évaluer le sel de calcium?

 

R.         Je ne le ferais pas.

 

 

C'est là un point important parce que toutes les données invoquées par M. Roth dans le brevet 546 résultaient d'essais ISC portant sur les sels de sodium et non sur les sels de calcium.

 

[84]           Finalement, ni le Dr Dietschy ni M. Newton n'ont pleinement approuvé la manière dont M. Roth a examiné les données ISC. Dans son affidavit, le Dr Dietschy écrivait que l'essai ISC 118 (l'essai du sel de calcium) était [TRADUCTION] « la seule comparaison valide (c'est‑à‑dire le seul essai comparatif direct) » du mélange racémique et de ses deux énantiomères et, dans son témoignage, il s'est distancié des données invoquées par M. Roth, pour les raisons suivantes :

[TRADUCTION]

 

Q.        Donc, essentiellement, et simplement pour récapituler, le racémate est une moyenne de cinq valeurs. Les deux autres valeurs semblent venir de l'ISC 120?

 

R.         C'est exact.

 

Q.        Merci.

 

R.         C'est ce que je crois comprendre.

 

Q.        Et, en général, convenez‑vous que vous n'auriez pas utilisé une moyenne obtenue sur plusieurs jours et plusieurs expériences?

 

R.         Non. Si j'avais été là, je n'aurais pas fait les choses exactement de cette façon‑là.

 

 

[85]           Monsieur Newton a lui aussi trouvé à redire sur la manière dont M. Roth avait utilisé les données ISC, comme l'indique le passage suivant de son témoignage :

[TRADUCTION]

 

Q.        Je voudrais vous poser cette question. Diriez‑vous qu'au moment de comparer divers composés pour rendre compte des résultats, il n'était pas indiqué de faire une comparaison entre plusieurs expériences ISC?

 

Me WILCOX : Pour rendre compte des résultats où?

 

Me RADOMSKI :

 

Q.        Dans le brevet.

 

R.         Je n'ai aucune idée de ce qui serait requis pour le brevet, parce que je n'avais rien à faire avec le brevet.

 

Q.        Mais, s'agissant de présenter les données et de comparer les résultats d'énantiomères à ceux de racémates, reconnaissez‑vous qu'il n'était pas approprié de faire des comparaisons entre plusieurs expériences ISC?

 

R.         Ce n'est pas ainsi que je m'y serais pris. Je me serais servi de la même expérience. Mais je ne connais pas les conditions ou le contexte, ni la raison pour laquelle Bruce a pris la décision qu'il a prise, parce que je ne suis intervenu dans aucun de ces travaux concernant le brevet.

 

Q.        Donc, pour ce qui est de prendre une moyenne pour le racémate et de présenter pour le racémate une valeur qui est la moyenne de cinq valeurs différentes, je crois que ce n'est pas ainsi que vous vous y seriez pris pour présenter la valeur du racémate?

 

R.         Je viens de le dire, je pense.

 

 

[86]           Étant donné les problèmes de contrôle de la qualité qui étaient rattachés aux processus de sélection des composés de Pfizer, et étant donné les faiblesses évidentes des données qui ont résulté de ces processus, il est surprenant que Pfizer se soit même fondée sur cette information pour appuyer les revendications du brevet 546. Au moment de chercher une preuve défendable propre à appuyer la valeur inventive, il n'aurait pas été difficile pour Pfizer d'effectuer quelques essais distincts et bien contrôlés sur l'atorvastatine afin d'obtenir des données fiables. Monsieur Roth a plutôt retenu des données suspectes pour appuyer la revendication douteuse d'une puissance dix fois supérieure. Eu égard à l'ensemble de la preuve, je suis disposé à tirer la conclusion que Pfizer n'a pas effectué d'autres expériences parce qu'elle croyait que des essais bien contrôlés n'appuieraient pas son affirmation selon laquelle l'atorvastatine donnait des résultats surprenants et inattendus.

 

[87]           Eu égard à ce qui précède, je récuse sans équivoque la fiabilité des données sélectionnées par M. Roth et invoquées par Pfizer pour prétendre que l'atorvastatine calcique présentait une efficacité dix fois supérieure.

 

Les essais COR

[88]           Le Dr Dietschy a tenté, dans son affidavit initial, d'utiliser les données de l'essai COR de Pfizer pour appuyer son opinion selon laquelle l'énantiomère d'atorvastatine présentait [TRADUCTION] « un niveau d'activité inhibitrice remarquablement élevé » par rapport au mélange racémique. Il disait qu'il avait passé en revue les carnets de laboratoire et qu'il était d'avis que les données avaient été fidèlement transcrites. Il affirmait ensuite que les données COR venaient de « bonnes comparaisons directes effectuées dans de bonnes conditions expérimentales ». Se fondant sur l'une des comparaisons COR, il faisait observer que l'on avait constaté avec surprise que l'atorvastatine calcique était 3,5 fois plus active que le racémate. Un autre des essais COR lui avait permis de conclure que l'atorvastatine calcique était environ six fois plus active que le racémate. Ces deux constats, disait‑il, étaient surprenants.

 

[89]           Ce témoignage du Dr Dietschy était semblable au témoignage initial de M. Newton. C'est surtout M. Newton qui était responsable du développement de l'analyse COR de Pfizer, et il a admis que, durant le processus de découverte de médicaments, les essais COR étaient effectués par des techniciens de laboratoire à sa demande et sous sa surveillance. Son examen initial des données de l'essai COR l'avait conduit lui aussi à conclure que les résultats étaient surprenants et inattendus dans la mesure où ils révélaient un niveau accru d'activité, c'est‑à‑dire entre 3,5 et 6,2, de l'atorvastatine par rapport au racémate.

 

[90]           Monsieur Newton a plus tard prétendu avoir découvert que l'un des techniciens de laboratoire avait mal représenté graphiquement les données de l'essai COR et mal calculé les valeurs. Dans son affidavit supplémentaire, il reformulait les valeurs COR de l'atorvastatine calcique, à l'intérieur d'une fourchette allant de 1,53 à 3,3, pour obtenir une moyenne de 2,41. Ce chiffre est évidemment bien en deçà de l'efficacité dix fois supérieure signalée dans le brevet 546. Il est également bien en deçà de la fourchette COR signalée à l'origine par M. Newton et le Dr Dietschy, et il se rapproche de la valeur anticipée d'une efficacité deux fois supérieure.

 

[91]           Puis M. Newton a désavoué totalement les données de l'essai COR en disant qu'elles n'étaient pas fiables. Il affirmait que les valeurs révisées étaient trop changeantes pour être dignes de foi. Monsieur Newton a également invoqué une déclaration que lui aurait faite la technicienne de laboratoire chargée des essais COR. La technicienne lui aurait dit qu'elle avait commis plusieurs erreurs méthodologiques lors de son analyse COR. Ces erreurs, affirmait‑il, auraient eu un effet sur les données COR, au point de les rendre douteuses.

 

[92]           La tentative de M. Newton d'utiliser de cette manière une preuve par ouï‑dire est totalement inacceptable, et c'est une preuve qui n'est pas recevable. Si la technicienne de laboratoire en question était à même de s'adresser à M. Newton, elle était sans doute à même de produire un affidavit dans lequel elle aurait reconnu les erreurs qui lui étaient attribuées, ainsi que leur importance pour les données COR indiquées. Les propos que lui attribue M. Newton manquaient de précisions sur les essais COR concernés et ne sont rien d'autres que des généralisations sur les méthodes de recherche de la technicienne de laboratoire, des méthodes dont on se souvenait, dit‑on, après 18 ans. Ces propos manquent à ce point de détails quantitatifs et qualitatifs qu'ils ne sauraient soutenir les opinions du Dr Dietschy et de M. Newton selon lesquelles les données COR étaient devenues inutilisables. Pfizer n'a pas produit un affidavit de la technicienne de laboratoire en question, et il n'est donc pas possible de mener un contre‑interrogatoire sur un tel affidavit, ce qui me conduit à tirer une conclusion défavorable et à dire que M. Newton a, le moins que l'on puisse dire, exagéré l'importance des propos qu'on lui aurait tenus.

 

[93]           Le Dr Dietschy a lui aussi minimisé plus tard la valeur des données de l'essai COR quand on lui a appris que l'analyse COR avait, semble‑t‑il, été mal exécutée. Il a affirmé que les prétendues faiblesses de la méthode lui avaient fait perdre confiance dans les données présentées. Son affidavit supplémentaire mentionnait que la variabilité des résultats de l'essai COR rendait également douteux les résultats en question.

 

[94]           Les doutes exprimés par le Dr Dietschy et par M. Newton à propos de la variabilité des résultats sont étranges. Dans son premier affidavit, le Dr Dietschy écrivait qu'il y a une variabilité naturelle dans les résultats obtenus d'essais ISC et COR. On trouvait des propos du même genre dans l'affidavit suivant de M. Newton :

[TRADUCTION]

 

62.       Dans le processus de découverte de médicaments, l'équipe chargée de la découverte du médicament contre l'athérosclérose s'intéressait particulièrement à des valeurs CI50 relatives. Nous voulions classer les composés d'essai selon leur puissance dans chaque essai. Comme les essais ISC et COR étaient des systèmes biologiques soumis à une variabilité naturelle causée par diverses sources, nous n'avons jamais considéré comme absolues les valeurs CI50.

 

63.       Les valeurs CI50 de la compactine n'étaient pas les mêmes toutes les fois qu'était effectué l'essai ISC ou l'essai COR, en raison de la variabilité naturelle propre à de tels essais.

 

64.       Les raisons de la variabilité des valeurs CI50 d'un essai in vitro à un autre, menés à des dates différentes, comprennent les suivantes :

 

a)         la variation, d'un animal à un autre, de la quantité de HMG CoA‑réductase présente dans le foie de chaque rat utilisé dans l'expérience, et donc dans l'homogénat de foie entier préparé un jour donné;

 

b)         l'âge de la préparation microsomique qui est utilisée;

 

c)         le fait que les composés d'essai soient solubilisés à divers degrés;

 

d)         l'erreur humaine lors de l'accomplissement des procédures énoncées dans le protocole (par exemple, erreurs de dilution et erreurs lors de l'usage de la pipette).

 

[95]           Le fait que le Dr Dietschy et M. Newton aient accepté, dès le début, la variabilité des valeurs COR, selon une fourchette allant de 3,5 à 6,2, contredit leurs tentatives ultérieures de rejeter les données COR lorsqu'elles furent rajustées et que l'on constata qu'elles reflétaient une efficacité de l'atorvastatine qui n'était qu'environ le double de celle du racémate. Cette fourchette rajustée de l'efficacité de l'atorvastatine n'est pas plus large que la fourchette antérieure qu'ils étaient tous deux disposés à admettre comme fiable quand elle appuyait leurs opinions.

 

[96]           La tentative de M. Newton d'amoindrir la validité des données de l'essai COR est particulièrement troublante eu égard à son témoignage initial selon lequel il avait passé en revue les données et les avait jugées fiables. Dans la mesure où les erreurs que M. Newton impute aujourd'hui à la technicienne de laboratoire étaient évidentes dans les dossiers de Pfizer, cette contradiction en dit long sur la qualité de l'examen initial des données COR par M. Newton et sape complètement l'affirmation initiale du Dr Dietschy selon laquelle les essais COR [TRADUCTION] « étaient effectués dans de bonnes conditions expérimentales ».

 

[97]           Il est manifeste que les témoins de Pfizer se sont constamment contredits sur l'utilité quantitative des données COR. La quête initiale de M. Roth pour des valeurs d'essai surprenantes et inattendues n'a pas compris un examen des données COR existantes, parce que, selon lui, Pfizer n'utilisait cet essai que pour le tri de composés. Cependant, lorsqu'on a cru que les données COR pouvaient appuyer l'analyse quantitative de M. Roth, les témoins de Pfizer ont voulu s'en servir. Plus tard, lorsque les données en question furent rajustées et qu'elles ne signalaient plus un résultat surprenant et inattendu, ces mêmes témoins ont rejeté les données, affirmant qu'elles étaient douteuses et trop changeantes. Cette incohérence mine la crédibilité du Dr Dietschy et de M. Newton et suggère fortement un manque d'objectivité. Il y avait sans aucun doute quelques faiblesses dans les données COR, mais ces données montraient que la manière dont M. Roth avait adopté et interprété les données ISC était douteuse. Pfizer utilisait l'essai COR à des fins de tri générique, mais cela n'explique pas d'une manière empirique pourquoi M. Roth n'a pas examiné les données provenant de cet essai. Ce point est confirmé par l'empressement de M. Newton et du Dr Dietschy à se servir des résultats COR lorsque ces résultats convenaient à leurs desseins.

 

L'essai comparatif direct de l'atorvastatine calcique (ISC 118)

[98]           Le fondement principal de la revendication actuelle de Pfizer selon laquelle l'atorvastatine calcique présente une activité surprenante et inattendue consiste dans les données obtenues de l'essai calcique ISC 118 et découvertes par M. Roth seulement après le dépôt de la demande de brevet 546. Ces données montraient que l'atorvastatine calcique présentait une activité environ dix fois supérieure à celle du racémate. L'affidavit de M. Roth décrivait ainsi la découverte de ces données :

[TRADUCTION]

 

148.     Un peu plus tard, j'ai été prié de rédiger une déclaration pour dépôt dans la demande relative au brevet 995. Je suis retourné aux données du classeur tenu par le coordonnateur des activités chimiques pour revoir encore une fois les données. J'ai alors constaté une comparaison directe du racémate, de l'énantiomère R‑trans et de l'énantiomère S‑trans, tous analysés en tant que sel de calcium dans la même expérience. Je ne sais pas encore pourquoi je n'ai pas vu ces données comparatives durant mon examen initial du classeur, mais je sais que je ne les ai pas vues à l'époque. Cela était surprenant parce qu'elles étaient, et sont encore, exactement les données que je cherchais – c'est‑à‑dire les meilleures données possibles : les trois composés étaient soumis à des essais comparatifs directs en tant que le sel de calcium dans le même essai. Les données obtenues de cette comparaison sont annexées comme pièce « G ».

 

 

[99]           Je ne suis pas sûr qu'il soit juridiquement acceptable d'autoriser un titulaire de brevet à invoquer des données a posteriori pour appuyer une sélection antérieure. Si l'information utilisée à l'appui de la demande de brevet n'établissait pas la valeur inventive à l'époque, il est difficile d'admettre que la valeur inventive puisse être établie rétroactivement. Cette difficulté avait été évoquée brièvement par lord Reid dans la décision May and Baker Ltd. et al. v. Boots Pure Drug Company Limited (1950), 67 R.P.C. 23, à la page 57, où il écrivait :

[TRADUCTION]

 

Il y a une bonne raison pour laquelle un titulaire de brevet ne devrait pas être autorisé à présenter une nouvelle sélection par modification : la nouvelle sélection risque d'être fondée sur une connaissance qu'il n'a acquise que récemment et, si cela était autorisé, il serait en mesure de revendiquer quelque chose qu'il n'avait pas inventé lorsqu'il a obtenu son brevet.

 

 

[100]       La différence dans la présente affaire peut être que la preuve ultérieurement découverte, et invoquée par Pfizer, existait, semble‑t‑il, à l'époque de sa demande de brevet, mais que nul ne l'avait découverte. C'est là probablement une distinction suffisante pour que Pfizer soit autorisée à invoquer la preuve plus tard, encore que cela ne dissipe pas la préoccupation plus prosaïque selon laquelle la quête initiale de données de M. Roth ne fut pas particulièrement minutieuse.

 

[101]       Néanmoins, l'utilisation par Pfizer des données résultant de cet essai n'est pas fondée, et cela pour bon nombre des raisons examinées précédemment. Comme pour d'autres essais de Pfizer, les notes de la technicienne concernant l'essai ISC 118 montrent que les composés d'essai présentaient des problèmes de solubilité. On peut lire ce qui suit dans les notes :

[TRADUCTION]

 

[...] PD 124,488‑38A (sel d'hémicalcium racémique). Une mention de l'appendice I de l'affidavit de M. Newton, sous ISC n118, datée du 24 octobre 1988, indique « insol KOH sonic + HB chaud insol »

 

PD 134,298‑38A (sel d'hémicalcium d'atorvastatine). Une mention de l'appendice I de l'affidavit de M. Newton, sous ISC no 118, datée du 24 octobre 1988, indique « insol KOH sonic + HB, chaud insol »

 

[102]       Je ne suis pas disposé à admettre que la mention « insol » susmentionnée signifiait que les composés d'essai avaient atteint un état de suspension uniforme. L'unique conclusion évidente à tirer des notes de la technicienne est que, malgré les moyens pris pour obtenir des solutions (par exemple, la sonication et le réchauffement), les composés n'étaient pas totalement solubilisés. Bien qu'ils aient été soumis à plusieurs processus, les composés, qui au départ étaient « insolubles », sont restés « insolubles ».

 

[103]       La validité de cet essai dépendait, au minimum, de l'hypothèse selon laquelle les composés d'essai avaient atteint un état de suspension uniforme ou, pour utiliser les mots du Dr Dietschy, « étaient solubles de façon égale ». C'est là une hypothèse fragile parce qu'elle reposait sur la déclaration peu fiable et non vérifiée d'un tiers et parce qu'elle ne s'accordait pas, en général, avec le vocabulaire employé constamment par les techniciens de laboratoire de Pfizer. Par ailleurs, bien qu'il ait pu être commercialement acceptable de s'en remettre aux observations visuelles subjectives de techniciens pour évaluer la solubilité de composés d'essai, j'accepte les témoignages des témoins d'Apotex pour qui cette pratique est peu fiable du point de vue scientifique. La faiblesse de cette pratique aurait pu être neutralisée si Pfizer s'était appliquée à mesurer la concentration des composés d'essai mais, sans doute pour des raisons commerciales, elle ne l'a pas fait.

 

[104]       J'ajouterais que la pratique de Pfizer consistant à poursuivre des essais jusqu'à leur achèvement alors même que ses propres normes de solubilité n'étaient pas observées ébranle l'hypothèse de travail énoncée par les experts de Pfizer selon laquelle la méthode de l'essai ISC 118 est inattaquable. J'ajouterais à cela que le fait pour les experts de Pfizer de se fonder presque sans discontinuer sur la fiabilité de l'essai ISC 118 contredit largement la preuve selon laquelle les pratiques d'essai de Pfizer souffraient d'un problème de contrôle de la qualité (par exemple les essais COR) et selon laquelle ses protocoles d'essai dépendaient de motivations commerciales et non scientifiques.

 

[105]       Il y a aussi une preuve indirecte que l'essai ISC 118 du calcium racémique a produit des données dont la validité est douteuse. Théoriquement, le niveau d'activité du sel de sodium racémique et celui du sel de calcium racémique, mesurés par l'ISC 118, auraient dû être sensiblement équivalents. Une certaine variabilité pouvait être prévue, mais l'écart d'environ dix fois entre ces valeurs aurait dû faire naître dans l'esprit des analystes de Pfizer l'idée que quelque chose clochait dans l'essai. Je retiens ici les témoignages de MM. Grieco et Langer plutôt que celui du Dr Dietschy. Selon M. Langer, cette [TRADUCTION] « variabilité considérable » entre les composés de sel de calcium et de sel de sodium pouvait être imputée à la faible solubilité des composés, à des taux de dissolution différents, à l'ampleur de la distribution des tailles de particules et à des facteurs temporels, tous des aspects qui rendent possible une erreur importante.

 

[106]       Le dernier sujet de préoccupation en ce qui concerne l'essai ISC 118 du sel de calcium est que, dans un océan de problèmes méthodologiques, cet essai ne saurait appuyer en soi une quelconque conclusion, et il n'en appuie aucune, sur l'efficacité relative de l'atorvastatine calcique par rapport à celle du racémate. Sur ce point, je fais miens les propos tout à fait logiques de M. Langer qui apparaissent dans le passage suivant de son affidavit :

[TRADUCTION]

 

213.     J'exprime mon désaccord avec les experts de Pfizer sur ce point. Encore une fois, eu égard à l'ensemble des problèmes, des erreurs et des doutes qui entourent à la fois les données COR et les données ISC se rapportant à cette affaire, je ne suis pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle, essentiellement, un seul et unique essai, à savoir l'ISC 118, devrait être considéré comme la preuve de l'activité « inattendue et surprenante » de l'atorvastatine calcique par rapport à celle du racémate. Selon moi, vu les difficultés susmentionnées liées aux procédures expérimentales et aux données in vitro se rapportant à cette affaire, un essai unique ne peut pas et ne devrait pas servir à tirer des conclusions quantitatives sur l'activité relative de l'atorvastatine calcique par rapport à celle du racémate. Les bonnes pratiques scientifiques exigent que les résultats expérimentaux soient validés par des répétitions des expériences montrant que les différences quantitatives de l'activité des composés à l'étude sont statistiquement significatives. Cela est d'autant plus important pour les essais expérimentaux qui sont associés (i) à des niveaux accrus de variabilité en raison de l'utilisation de systèmes biologiques, etc. (comme les experts de Pfizer font observer très souvent que c'est le cas pour l'essai ISC, ainsi qu'on l'a vu plus haut) et (ii) à des niveaux appréciables d'erreur expérimentale humaine (comme cela semble également être le cas dans ce cas‑ci, ainsi qu'on l'a vu plus haut). À mon avis, donc, les résultats de l'unique essai ISC 118 ne devraient pas être vus comme une preuve suffisante de l'activité « inattendue et surprenante » de l'atorvastatine calcique, surtout compte tenu du fait que, comme on l'a vu plus haut, une bonne part des données additionnelles ISC et COR in vitro dont n'ont pas tenu compte les experts de Pfizer comme on l'a vu plus haut semble contredire les résultats de l'ISC 118.

 

 

[107]       Le Dr Dietschy lui‑même a admis en contre‑interrogatoire que cet essai n'avait produit qu'« une conclusion factuelle d'un intérêt assez considérable ». Il a aussi admis que, si l'essai n'est pas répété un nombre suffisant de fois, sa portée statistique ne peut pas être vérifiée. Ici, il est revenu sur la question de la viabilité commerciale pour justifier le recours de Pfizer à un essai unique :

[TRADUCTION]

 

Q.        Là n'est pas la question. La question est de savoir si –le fait que quelqu'un puisse décider d'utiliser le résultat ou de donner suite au résultat ne signifie pas nécessairement que le résultat est véridique au sens que j'emploie ici. Le seul moyen de savoir s'il est véridique consiste‑t‑il en fait à effectuer plusieurs expériences et à établir une signification statistique?

 

R.         Cela sera utile si vous décidez de vous en tenir à ce résultat. Mais, encore une fois, il faut raisonnablement considérer ce qui s'est fait ici.

 

            Dans les programmes de découverte de médicaments, il est très courant de prendre de vitesse la concurrence et de glaner les résultats qui donnent à penser que des composés peuvent être d'un grand intérêt et devraient être examinés. Cela peut se faire sans qu'il soit nécessaire de répéter l'expérience 100 fois ou 50 fois pour obtenir une moyenne et un écart type.

 

            J'accepte donc la première partie de votre déclaration. Je dis que ce n'est pas nécessairement ainsi que les choses se passent.

 

 

[108]       Quand on a fait revenir le Dr Dietschy sur la question des bonnes pratiques scientifiques, il a produit le témoignage suivant :

[TRADUCTION]

 

Q.        Je ne vous demande pas de me parler de la brevetabilité, ni de la bonne manière de rédiger un brevet, je vous parle comme à un scientifique. Rappelez‑vous le moment où l'on a obtenu les résultats de la page 8, en tant que scientifique, et laissez de côté ce que vous avez appris plus tard et qui concerne des modèles humains ou animaux ou n'importe quoi d'autre. Précisément à ce moment‑là, vous obtenez les données qui apparaissent à la page 8 et, en tant que scientifique, vous ne pouviez pas leur ajouter foi, au sens que j'emploie ici, parce que ces données n'avaient aucune signification statistique ni ne pouvaient en avoir.

 

R.         C'est la raison pour laquelle on aurait aimé se reprendre et se reprendre encore.

 

Q.        D'accord. Merci. Pour ce qui concerne les données du brevet, à la page 8, et l'idée d'une efficacité dix fois supérieure, ai‑je raison de dire que l'activité dix fois supérieure de l'atorvastatine par rapport au racémate n'a pas été observée dans l'essai COR non corrigé, ou corrigé, ou dans l'essai IASC?

 

R.         Pas dix fois supérieure, mais –

 

Q.        Là était la question, « dix fois supérieure ». L'activité dix fois supérieure n'a pas été observée dans ces expériences?

 

R.         Non, pas dix fois supérieure, mais, dans la plupart des expériences, l'activité était plus de deux fois supérieure.

 

Q.        D'accord. Et ce résultat dix fois supérieur dans le brevet ne vient pas d'une expérience unique, je pense que nous nous entendons là‑dessus, n'est‑ce pas?

 

R.         C'est exact.

 

Q.        Et le seul résultat dix fois supérieur que vous puissiez signaler pour une expérience unique concerne l'essai ISC 118?

 

R.         C'est exact.

 

Q.        Et c'est la seule fois que vous avez constaté un résultat dix fois supérieur dans cette expérience unique parmi toutes les données que vous avez considérées, est‑ce exact?

 

R.         C'est exact.

 

Q.        Vous ne pouvez pas calculer – je vous ai déjà sans doute posé la question et je m'en excuse – l'erreur associée à ce résultat?

 

R.         Non, je ne le peux pas.

 

Q.        Et vous ne pouvez donc dire s'il est statistiquement significatif ou non, est‑ce exact?

 

R.         Exact.

 

 

[109]       Pour les motifs susmentionnés, je n'accepte pas les affirmations de Pfizer selon lesquelles les données obtenues de l'ISC 118 indiquaient de façon valable que l'atorvastatine calcique était plus efficace que le racémate et que cela était surprenant ou inattendu. Je crois plutôt que cet essai était douteux et que les données qu'il a produites étaient scientifiquement invalides.

 

Les essais IASC

[110]       Comme je l'ai dit plus haut, Pfizer a soumis l'atorvastatine calcique à des tests in vivo prenant la forme d'essais IASC. Les données IASC venaient d'études animales bien contrôlées et établissaient que l'atorvastatine calcique était environ deux fois plus active in vivo que le racémate dans l'inhibition de la synthèse du cholestérol. Cette conclusion est confirmée dans deux rapports de recherche confidentiels préparés par Pfizer, respectivement le 31 mai 1989 et le 4 janvier 1990, et elle n'est l'objet d'aucun désaccord actuel. Le Dr Dietschy a d'ailleurs dit que les essais IASC étaient des « études solides ».

 

[111]       J'accepte l'argument de Pfizer selon lequel les données in vivo des essais IASC ne réfutent pas les résultats supposés des expériences in vitro de Pfizer, mais ces données s'accordaient certainement avec l'activité deux fois supérieure escomptée de l'atorvastatine et jettent donc un doute considérable sur la fiabilité des travaux in vitro de Pfizer. Pfizer savait, quand elle a présenté la demande de brevet 546, qu'aucun avantage in vivo inattendu n'allait être obtenu de l'atorvastatine calcique, et le recours sélectif de Pfizer à des données in vitro suspectes pour appuyer la promesse du brevet était, au vu de toutes les données existantes, fallacieux.

 

[112]       Je n'accepte pas non plus l'opinion du Dr Dietschy selon laquelle les résultats des essais IASC ne devraient pas servir à tirer des conclusions comparatives quantitatives sur les effets inhibiteurs de l'atorvastatine calcique in vivo. Pfizer a utilisé les essais IASC précisément à cette fin, et MM. Roth et Newton ont fait de même. Dans un profil de produit rédigé conjointement par MM. Roth et Newton en juin 1989, il était écrit sans équivoque, sur la foi des expériences IASC, que [TRADUCTION] « l'énantiomère purifié d'atorvastatine était apparu deux fois plus efficace que le médicament racémique ». J'ajouterais que la tentative de M. Roth, dans son témoignage, de se distancier de cette affirmation était peu vraisemblable et qu'elle a miné davantage sa crédibilité dans la présente affaire[1].

 

La sélection saline

[113]       Pfizer affirme que le brevet 546 contient une deuxième sélection inventive portant sur le choix du calcium en tant que sel préféré pour sa formulation pharmaceutique de l'atorvastatine. Pfizer dit que le choix du sel est un procédé complexe et imprévisible faisant intervenir davantage que des expériences ordinaires. Le choix d'un sel dépend de plusieurs propriétés physiques, dont la stabilité chimique, la solubilité, l'hygroscopicité et l'aptitude au traitement, dont aucune ne peut être aisément prédite. Dans le cas de l'atorvastatine, Pfizer a trouvé que le sel d'hémicalcium était la variante préférée du composé d'atorvastatine. Dans son affidavit, M. Roth résumait ainsi la recherche de Pfizer concernant le choix du calcium :

[TRADUCTION]

 

135.     À l'époque où j'ai entrepris les travaux qui ont conduit au choix du calcium en tant que sel, je n'avais aucune idée du sel qui serait le plus indiqué. Les études déjà faites ne m'ont guère aidé : la plupart des statines dont les gens versés dans l'art avaient rendu compte étaient présentées comme sels de sodium. Il était inattendu pas que le sel calcique d'atorvastatine présenterait le meilleur ensemble d'attributs. Eu égard aux difficultés que nous a causées le sel de sodium, le sel qui serait retenu n'allait pas de soi. Le choix du calcium, cependant, s'appuyait sur nos essais internes.

 

 

[114]       Apotex fait valoir que le brevet 546 ne renferme rien qui appuie la revendication par Pfizer d'une sélection inventive du calcium par rapport aux autres préparations salines que Pfizer a éprouvées. Apotex fait remarquer que Pfizer avait inclus le calcium dans une étude sélective courante, en même temps que six autres sels, et avait conclu uniquement que [TRADUCTION] « la forme préférée de la présente invention est [...] le sel d'hémicalcium [d'atorvastatine] ». Selon Apotex, le brevet ne révèle aucun avantage spécial procuré par l'utilisation du calcium par opposition aux autres préparations salines possibles, et il ne dit nulle part pourquoi le calcium est meilleur que les autres préparations salines. L'idée que le choix du calcium par Pfizer constituait une sélection valide par rapport à d'autres sels ne s'accorde pas avec l'inclusion du sodium, du potassium, de la méthylglucamine, du magnésium et du zinc dans d'autres revendications du brevet 546. Selon Apotex, il n'y a eu aucun choix du calcium par opposition aux autres formes salines revendiquées.

 

[115]       J'admets l'argument de Pfizer selon lequel le choix d'un sel dans la préparation d'une formulation pharmaceutique peut être inventif et donc constituer une sélection brevetable, mais il ressort clairement des précédents que l'avantage spécial découvert doit être suffisamment divulgué. Dans le contexte des revendications avancées par Pfizer dans le brevet 546, je suis arrivé à la conclusion que sa divulgation ne répond pas aux normes fixées par le précédent qui fait autorité en la matière, l'arrêt Farbenindustrie, précité. Dans cet arrêt, le juge Maugham écrivait qu'une sélection valide requiert plus que la simple affirmation d'« avantages »; ce qu'il faut, c'est une description précise de l'avantage ou de l'attribut spécial qui justifie la préférence accordée à tel élément de la catégorie plutôt qu'aux autres. La même remarque a été faite récemment par le juge Roger Hughes dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CF 596, 58 C.P.R. (4th) 214, où, après un examen minutieux des précédents, il écrivait :

162      J'estime que le brevet 113 ne divulgue pas assez d'éléments dans le mémoire descriptif quant à l'invention dans le choix de l'olanzapine à partir d'un groupe de composés déjà divulgués. Le brevet britannique antérieur indique que toute la classe de composés est utile dans le traitement des troubles du système nerveux central. L'invention dans le choix de l'olanzapine consiste en les soi‑disantes propriétés « surprenantes et inattendues » de l'olanzapine « comparativement à la flumézapine et à d'autres composés apparentés ». Aucune comparaison de la sorte n'est faite dans le brevet 113. Aucune donnée n'est fournie. Tout ce qui nous reste, c'est de la rhétorique, par exemple, la mention d'une « forte efficacité » ainsi que d'effets secondaires « légers et transitoires » et « plus faibles ». La mention brève et déroutante d'une étude chez le chien ne concerne que l'éthylolanzapine et n'enseigne rien au sujet de la flumézapine et d'autres composés.

 

 

[116]       Je refuse d'admettre que l'affirmation selon laquelle l'atorvastatine calcique est la variante pharmaceutique préférée répond à la norme de divulgation applicable, surtout dans le contexte de revendications du brevet 546 portant sur plusieurs autres préparations salines, et d'autant plus que le brevet reconnaît l'équivalence générale de toutes les préparations salines dans l'abaissement des niveaux de cholestérol (voir page 9, ligne 5). Le fait que Pfizer a revendiqué une diversité de sels pour l'atorvastatine donne à penser que le calcium n'offrait rien de particulièrement spécial. Même si c'était le cas, Pfizer avait l'obligation de divulguer cet avantage pour appuyer une revendication de sélection, et aucune divulgation du genre n'a été faite. Par ailleurs, dans un tel contexte, l'affirmation d'une simple préférence ne constitue nullement une sélection. On en a la confirmation dans l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 54, où le juge Ian Binnie, rédigeant l'arrêt de la Cour suprême, écrivait qu'une « variante préférée » ne représente pas nécessairement l'invention au complet, mais seulement un exemple de cette invention.

 

[117]       S'agissant de savoir si la divulgation faite par Pfizer est suffisante, je ferais observer que le juge Konrad von Finckenstein est arrivé à la même conclusion dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada, 2006 CF 1471, 54 C.P.R. (4th) 279. Même si j'avais eu un doute sur la réponse à donner à cette question – et je n'en ai aucun – il me semble que, sauf erreur manifeste ou grave injustice, je dois, eu égard au principe de la courtoisie judiciaire, m'en remettre à la décision du juge von Finckenstein. Il s'agit là après tout d'une question d'interprétation juridique, à laquelle il convient de répondre d'une manière uniforme.

 

[118]       Même si je me trompe sur le caractère suffisant de la divulgation faite par Pfizer, je ne crois pas que son choix du calcium comme variante pharmaceutique préférée soit le résultat de quoi que ce soit d'inventif. Selon la preuve que j'ai devant moi, le choix du calcium a été fait à la suite d'examens ordinaires et limités de sels, qui ont pris fin après la date de priorité du brevet 546. Cela ne s'accorde pas avec la position de Pfizer selon laquelle la préférence accordée au calcium était une sélection. Comme je l'ai dit précédemment, une conclusion postérieure à la date de priorité d'un brevet ne saurait fonder une affirmation de valeur inventive antérieure.

 

Le succès commercial

[119]       Il ne fait aucun doute que le produit de Pfizer appelé LIPITOR a remporté un succès considérable. Ce succès s'explique sans doute en grande partie par ses avantages au chapitre du traitement, mais, dans le contexte d'une invention reposant sur une sélection revendiquée, je ne vois pas en quoi le succès commercial peut être pertinent. Pfizer avait déjà obtenu, dans son brevet 893, un brevet de produit pour l'atorvastatine. Si la présente instance avait porté sur une contestation du brevet 893, le succès relatif du LIPITOR par rapport aux statines rivales aurait pu être un facteur pertinent, encore que secondaire. Cependant, le fait que l'atorvastatine calcique puisse être un meilleur inhibiteur de la synthèse du cholestérol que les produits rivaux ne permet pas de dire si elle présente des avantages inattendus par rapport à la catégorie dans laquelle elle a été choisie. Pour ce qui est de cette question, le succès commercial n'a aucune pertinence.

 

Dispositif (sélection)

[120]       Pour tous les motifs susmentionnés, je récuse la preuve de Pfizer selon laquelle l'atorvastatine présente un avantage inhibiteur inattendu ou surprenant par rapport au racémate. Les données d'essai invoquées par Pfizer dans la présente affaire ne sont nullement fiables et n'ont pas établi pour l'atorvastatine un niveau d'activité allant au‑delà de ce qu'une personne versée dans l'art se serait attendue à constater, c'est‑à‑dire une activité ne dépassant pas le double de celle du racémate. Je refuse également d'admettre que le choix du calcium par Pfizer comme forme saline préférée pour l'atorvastatine constitue une sélection valide. Il s'ensuit nécessairement que le brevet 546 est invalide parce qu'il ne répond pas au critère d'une sélection valide et parce qu'il n'est pas acceptable au motif qu'il revendique un objet déjà monopolisé par le brevet 893.

 

Les dépens

[121]       Apotex a droit aux dépens afférents à la présente demande. Je donnerai 10 jours aux parties pour qu'elles présentent des conclusions sur le montant des dépens.

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Yves Bellefeuille, réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑16‑06

 

INTITULÉ :                                       PFIZER CANADA INC. et al.

                                                            c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ et al.

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DE L'AUDIENCE :             DU 22 AU 26 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 JANVIER 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Shaughnessy                                                    POUR LES DEMANDERESSES

Peter Wilcox

Grant Worden

Damien McCotter

 

Harry Radomski                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Richard Naiberg                                                           APOTEX INC.

Andrew Brodkin

Belle Van

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP                                                                    POUR LES DEMANDERESSES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Goodmans LLP                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                         APOTEX INC.

 



[1]           Monsieur Roth s'est exprimé ainsi : [TRADUCTION] « Cette affirmation s'y trouvait. Cela ne veut pas dire qu'il s'agit d'une affirmation exacte ou d'une affirmation qui est mienne ou à laquelle je souscrivais. »

 

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