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Date : 20080111

Dossier : IMM-824-07

Référence : 2008 CF 39

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

JOSIAH NYABOGO MASONGO

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La question qui se pose en l’espèce n’est pas de savoir si M. Masongo est un homosexuel, mais plutôt de savoir s’il est perçu en tant que tel par la police kényane et s’il risque, par conséquent, d’être persécuté.

 

[2]               La demande d’asile de M. Masongo a été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui était d’avis qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi lui permettant de conclure que le demandeur était homosexuel.

 

[3]               Le demandeur a alors déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) et, conformément à l’article 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, il a présenté de nouveaux éléments de preuve, soit une lettre du Nairobi Divisional Police Headquarters, Muthangari Police Station, envoyée au chef administratif du Bureau Estate à Nairobi. Voici le libellé de la lettre :

[traduction] La personne susmentionnée est un résidant de votre région, Umoja House Estate Hse. No.3B, Nairobi.

Josiah Nyaboga Masongo est recherché par la police parce qu’il aurait participé à des actes d’homosexualité. La police a tenté à plusieurs reprises de l’arrêter, mais en vain.

S’il devait être vu dans votre région, nous vous demandons de nous en aviser immédiatement ou de l’arrêter sur-le-champ.

Vous pouvez communiquer avec le sergent Ndegwa, enquêteur, par téléphone au 0736 492348. Mon numéro d’identification (circulation signal) est le KP/042/06, quartier général de la police.

 

[4]               L’agent d’ERAR a conclu que ce document avait été fabriqué pour les besoins de la présente demande et qu’il était de faible valeur probante.

 

[5]               Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[6]               Si on met de côté le traitement de cette lettre, l’ERAR a été effectué avec beaucoup d’attention. Il a été accepté que les activités homosexuelles sont un crime au Kenya, mais que les poursuites judiciaires sont rares. Les poursuites judiciaires visent en général les organisations actives dans la communauté homosexuelle. La preuve, autre que la lettre, n’appuyait pas, selon l’agent d’ERAR, la proposition selon laquelle M. Masongo intéresserait les autorités kényanes. L’agent a conclu qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur risquerait d’être persécuté s’il retournait au Kenya.

 

[7]               Cependant, la lettre de la police, si elle est authentique, indique tout à fait le contraire. Elle laisse croire que le demandeur serait arrêté dès qu’il serait aperçu.

 

[8]               La question est de savoir si la décision d’attribuer une faible valeur probante à la lettre devrait être annulée. Il ne s’agit pas vraiment d’une question d’appréciation de la preuve, mais plutôt d’une conclusion de fait de la part de l’agent. Il a conclu que le [traduction] « document avait été fabriqué pour les besoins de la demande […] ». En d’autres mots, il a conclu que le document était faux. En réalité, il ne lui a accordé aucune valeur. Les conclusions de fait ne sont pas modifiées à moins qu’elles ne soient manifestement déraisonnables.

 

[9]               L’agent a souligné que la lettre ne faisait mention ni de l’article de la loi que M. Masongo aurait enfreint, ni de la date des présumés actes d’homosexualité, et qu’on n’y mentionnait pas pourquoi le demandeur était recherché à l’époque, soit environ trois ans après les événements en question.

 

[10]           Toutefois, le document est censé être une lettre interne. Rien dans la preuve n’appuie l’inférence selon laquelle une telle lettre devrait faire mention de l’article de la loi criminelle applicable ou de la date de l’infraction alléguée. En outre, que signifient les mots circulation signal (numéro d’identification) utilisés dans la lettre? Est-ce qu’il s’agit d’un autre document qui précise ces renseignements? Il faut aussi souligner que la lettre fait mention de plusieurs tentatives infructueuses d’arrêter M. Masongo.

 

[11]           À mon avis, il ne s’agit pas d’une affaire où l’agent avait le droit de faire abstraction du document sans faire de vérifications, au motif qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve permettant de douter de son authenticité ou que le demandeur n’était pas digne de foi (Gebremichael c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 547, [2006] A.C.F. no 689, au paragraphe 29, et la jurisprudence qui y est citée).

 

[12]           L’affaire de M. Masongo est plutôt conforme à celles dans lesquelles la Cour a affirmé qu’un document censé avoir été délivré par une autorité étrangère est présumé valide à moins d’une preuve contraire (Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 10, 77 A.C.W.S. (3d) 156; Osipenkov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 59, 120 A.C.W.S. (3d) 111; et Sitoo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1513, [2004] A.C.F. no 1850).

 

[13]           Les motifs de l’agent ne mentionnent pas si la lettre dont il disposait était censée être un original ou une photocopie. Bien qu’il n’ait peut-être existé aucune obligation expresse exigeant que le document soit vérifié par des experts, tels que la GRC, il ne reste que la présomption de validité. Les motifs énoncés pour mettre en doute l’authenticité du document constituaient des hypothèses et non des inférences tirées de la preuve au dossier. Ils étaient donc manifestement déraisonnables.

 

[14]           Il est bien établi qu’une hypothèse peut être raisonnable, mais qu’elle n’a aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une inférence est une déduction tirée de la preuve. Je fais ici référence à la décision Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, [1989] A.C.F. no 505, dans laquelle le juge McGuigan, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a cité les propos de lord Macmillan dans Jones c. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la page 45, 144 L.T. 194, à la page 202.

 

[15]           Il y aurait eu lieu de vérifier l’authenticité de la lettre de la police. Il est possible qu’une vérification aurait révélée que la lettre était fausse, d’autant plus que, comme le fait remarquer l’avocat du ministre, l’adresse qui y apparaît pour M. Masongo semble être incorrecte. Les agents d’ERAR disposent de moyens qui devraient parfois être utilisés (Myle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1073, [2007] A.C.F. no 1389).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que, pour les présents motifs, la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision de l’agent d’ERAR soit annulée et l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’ERAR pour qu’il rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-824-07

 

INTITULÉ :                                                               JOSIAH NYABOGO MASONGO

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 10 JANVIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 11 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne

 

    POUR LE DEMANDEUR

David Knapp

 

 

  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joel Etienne

Avocat

Toronto (Ontario)

 

   POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 POUR LE DÉFENDEUR

 

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