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Date : 20080110

Dossier : IMM-276-07

Référence : 2008 CF 35

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

EMMANUEL ESE IKHUIWU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) confirmant la décision d’une agente des visas travaillant à l’étranger. L’agente des visas a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’article 28 et de l’alinéa 41b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) car il n’a pas résidé au Canada pendant les 730 jours de résidence exigés au cours d’une période de cinq ans.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigeria qui est arrivé au Canada en 1998. Il a été parrainé par son père et il a obtenu le droit d’établissement le 2 mai 1998.

 

[3]               Pendant son séjour au Canada, le demandeur, dans le courant de l’année 2001, a perdu son passeport, lequel comprenait sa fiche d’établissement originale. Par conséquent, il a présenté une demande de nouveau passeport à partir du Nigeria, lequel nouveau passeport lui aurait été envoyé par la poste. Le demandeur a expliqué que, comme il craignait d’avoir des problèmes avec les autorités de l’immigration nigériennes parce qu’il voyageait avec un nouveau passeport, il a demandé à un ami nigérien de faire estampiller le passeport comme s’il avait quitté le Nigeria le 29 décembre 2002.

 

[4]               Le 21 juin 2003, le demandeur s’est rendu au Nigeria et il y a séjourné pendant trois mois. Lorsqu’il a tenté de prendre un vol de retour pour le Canada, il s’est vu refuser l’embarquement parce qu’il n’avait pas les documents de voyage réglementaires. Il a donc demandé au Haut‑commissariat du Canada à Lagos de lui fournir ces documents et il s’est vu fixer le 19 août 2003 comme date d’entrevue.

 

[5]               L’agente des visas a refusé de délivrer les documents de voyage demandés; elle a conclu que le demandeur n’avait pas produit suffisamment de documents pour prouver qu’il avait résidé au Canada pendant deux des cinq dernières années. Son avis écrit mentionnait qu’une personne ne perd le statut de résident permanent que lorsqu’il y a eu confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada, de manquement à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR. Le demandeur a également été informé par écrit que, en vertu du paragraphe 63(4) de la LIPR, il pourrait interjeter appel à la SAI de cette conclusion en matière de résidence, quant à son statut au Canada, dans les 60 jours après avoir été informé par écrit de la perte de son statut. Le demandeur n’a pas interjeté appel de cette conclusion en matière de résidence dans le délai de 60 jours.

 

[6]               En 2003, le demandeur est retourné au Canada sans autorisation. Comme il avait présenté une demande de délivrance de carte de résident permanent avant de quitter le Nigeria, le demandeur s’est rendu à un bureau régional de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour prendre possession de la carte à son retour. Lorsqu’il a délivré la carte de résident permanent le 18 novembre 2003, l’agent de CIC ne savait pas que l’agente des visas au Nigeria avait décidé que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences prévus à l’article 28 de la LIPR et que, par conséquent, il avait perdu son statut de résident permanent.

 

[7]               Depuis 2000, le demandeur a commis une série d’infractions criminelles, notamment la fraude, le vol et la possession de biens obtenus par le crime. Il a été déclaré coupable d’accusations de fraude en 2001, 2002 et 2005. Le ministre a donc ordonné son expulsion le 27 mai 2005, et ce, en vertu du paragraphe 36(2) de la LIPR. Le 30 août 2005, le juge a sursis à l’exécution de cette mesure, en attendant qu’une décision finale soit rendue quant à la demande de contrôle judiciaire.

 

[8]               Le 8 août 2005, le demandeur a déposé une demande de prorogation de délai pour le dépôt devant la SAI de son avis d’appel de la décision rendue au Nigeria par l’agente des visas à l’étranger. Le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas interjeté appel plus tôt de cette décision parce que, comme il avait obtenu une carte de résident permanent à son retour au Canada en 2003, il avait conclu qu’il n’avait pas à interjeter appel de cette décision. La SAI a accueilli sa requête et a permis au demandeur de déposer un appel.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               La SAI a conclu que le refus de l’agente des visas était valide en droit. Elle a également conclu que les motifs invoqués par le demandeur pour avoir quitté le Canada ainsi que ses motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour l’emporter sur les obligations prévues par la loi quant à la résidence.

 

[10]           La SAI a tiré une conclusion négative. Elle a conclu que le témoignage du demandeur était vague, hésitant et évasif; elle a relevé des contradictions entre le témoignage du demandeur, le témoignage de la sœur et l’affidavit de ce dernier; elle a tenu compte de nombreuses accusations en matière de fraude. Par conséquent, le membre de la SAI n’a accordé aucune importance au témoignage du demandeur.

 

[11]           La SAI a également tenu compte du fait que le demandeur n’avait produit aucun document digne de foi prouvant qu’il avait été présent physiquement au Canada. En effet, le membre de la SAI a souligné que le demandeur n’avait produit aucun contrat de bail à l’appui de sa demande de résidence. Il a ensuite mentionné que, même s’il estimait que l’emploi du demandeur constituait une preuve valide de sa présence au Canada, celui‑ci n’aurait toujours pas les deux ans de résidence exigés pendant une période de cinq ans. Le membre de la SAI a donc conclu que la décision de l’agente des visas à l’étranger était valide en droit.

 

[12]           De plus, le membre de la SAI a conclu que les facteurs d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur les exigences prévues par la loi en matière de résidence. Le membre de la SAI a notamment conclu que le demandeur n’avait pas suffisamment démontré qu’il était établi au Canada, et ce, pour les raisons suivantes : il ne possédait aucun bien, il avait passé la plus grande partie de sa vie au Nigeria, il n’avait jamais occupé un emploi à long terme, il était sans emploi depuis 2003, il avait une petite amie mais n’a fourni aucune preuve quant à la durée de leur cohabitation.

 

[13]           Enfin, le membre de la SAI a conclu que le renvoi du demandeur ne lui causerait à lui et à sa famille aucun préjudice indu. Il a souligné que M. Ikhuiwu avait de la famille au Nigeria, qu’il avait vécu plus longtemps au Nigeria qu’au Canada et qu’aucune barrière de langue ne l’empêchait de retourner au Nigeria.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           Le demandeur a soulevé trois questions dans ses observations orales et écrites :

A.)     La SAI a‑t‑elle omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents dans son évaluation de sa présence au Canada?

B.)      La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de sa crédibilité dans son ensemble?

C.)     La SAI a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas d’accueillir sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire?

 

 

 

 

 

L’ANALYSE

 

[15]           Les deux premières questions appellent manifestement l’application de la norme de contrôle la plus stricte car elles portent sur des questions de fait. Dans de tels cas, la cour saisie de la demande de contrôle ne peut intervenir que si elle estime que la SAI a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée qu’elle a tirée « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] » pour employer les mots utilisés dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40. De même, la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable en matière de crédibilité et d’appréciation des éléments de preuve est la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315.

 

[16]           En ce qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire, la décision devrait être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable simpliciter comme il a été décidé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S 817.

 

A.)     La SAI a‑t‑elle omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents dans son évaluation de la présence du demandeur au Canada?

 

[17]           L’avocat du demandeur a prétendu que la SAI a tiré sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences en matière de résidence énoncées au sous‑alinéa 28(1)a)(i) de la LIPR sans avoir examiné la preuve documentaire dont elle était saisie. Cette preuve comprenait la carte de résident permanent, le relevé de rémunération et le dossier relatif à des affaires pénales du demandeur. De plus, l’avocat du demandeur a prétendu que les contrats de bail ne sont pas les seuls documents qui peuvent prouver de façon concluante qu’il était présent au Canada au cours de la période pertinente.

 

[18]           Il est bien établi en droit qu’un tribunal est présumée avoir examiné et évalué l’ensemble des éléments de preuve dont il a été saisi à moins qu’il n’y ait une preuve contraire claire et convaincante. Par ailleurs, il existe un principe de droit bien établi selon lequel un tribunal n’est pas tenu de résumer tous les éléments de preuve qu’il a examinés et appréciés pour en arriver à ses conclusions. Le demandeur n’a offert aucune preuve convaincante démontrant que la SAI a fait abstraction de la preuve qu’il a soumise. De plus, cette preuve n’est pas concluante quant à la période de temps pendant laquelle le demandeur a résidé au Canada et ne suffit certainement pas à démontrer que la conclusion de la SAI était manifestement déraisonnable.

 

[19]           En ce qui concerne la carte de résidence permanente, le régime législatif prévu à la LIPR établit clairement que la simple possession d’une carte de résident permanent ne constitue pas une preuve concluante quant au statut d’une personne au Canada. En vertu du paragraphe 31(2) de la LIPR, la présomption selon laquelle le détenteur d’une carte de résident permanent est un résident permanent est manifestement réfutable. En l’espèce, il est manifeste que la carte de résident permanent, qui a été délivrée par erreur après que l’agente des visas au Nigeria eut conclu que le demandeur avait perdu son statut de résident permanent, ne pouvait pas lui conférer le statut juridique de résident permanent et ne pouvait pas non plus avoir pour effet de rétablir son statut de résident permanent qu’il avait antérieurement perdu parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR. Rien dans la LIPR ou dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) n’indique que la simple possession d’une carte de résident permanent qui n’a pas été délivrée de façon régulière pourrait avoir pour effet de rétablir le statut antérieur de résident permanent d’une personne.

 

[20]           L’alinéa 59(1)a) du Règlement établit également clairement qu’un agent ne peut délivrer une nouvelle carte de résident permanent de façon régulière que lorsqu’un demandeur n’a pas perdu son statut de résident permanent aux termes du paragraphe 46(1) de la LIPR. En l’espèce, le demandeur a perdu son statut de résident permanent car il n’a pas satisfait aux exigences en matière de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR et il n’a pas interjeté appel de la décision dans le délai de 60 jours prévu au paragraphe 63(4) de la LIPR. Ce régime réglementaire confirme qu’il n’était pas possible pour l’agent qui a délivré la carte de résident permanent de l’avoir délivrée de façon régulière compte tenu du fait que le demandeur avait antérieurement perdu sa carte de résident permanent.

 

[21]           Compte tenu que la carte de résident permanent a été délivrée de façon irrégulière en 2003 par un bureau régional de CIC et que, par conséquent, elle n’a pas beaucoup d’importance ou de valeur probante lorsqu’il s’agissait de trancher la question du statut de résident du demandeur au Canada, il n’était pas manifestement déraisonnable que la SAI n’accorde pas beaucoup d’importance à ce document. Autrement dit, la carte de résident permanent, qui n’a pas été délivrée de façon régulière en 2003, n’était pas assez déterminante ou n’allait pas suffisamment directement à l’encontre des conclusions de la SAI pour que l’absence d’analyse ou de discussion dans les motifs de la SAI à propos de la carte de résident permanent constitue une erreur susceptible de révision.

 

[22]           Le demandeur a également prétendu que la SAI n’a pas tenu compte de ses relevés de rémunération versée par ses employeurs délivrés par Revenu Canada ni de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1998, 1999, 2000 et 2001. Il ressort clairement d’un examen des déclarations de revenus et des relevés de rémunération versée par les anciens employeurs du demandeur que, ensemble et individuellement, ils n’établissent pas la présence physique de ce dernier au Canada pendant deux ans au cours de la période de cinq ans se terminant le 22 juillet 2003. En effet, il semble que le demandeur a travaillé pendant de très courtes périodes de temps, ne dépassant pas 455 jours, entre le 13 mai 1999 et le 29 janvier 2001. Ceci est indirectement confirmé par les déclarations de revenus du demandeur qui font état d’une rémunération totale incompatible avec tout emploi de longue durée (sauf peut‑être pour l’année 1999). Je souligne également que, contrairement à l’affirmation du demandeur, on n’a relevé aucun renseignement concernant la cotisation pour les années d’imposition 2000 et 2001 (dossier du tribunal, pages 18 et 19). Rien dans cette preuve n’établit que le demandeur était physiquement présent au Canada de façon continue pendant l’une ou l’autre des années d’imposition en question. Le simple fait qu’une personne produit une déclaration de revenus auprès de Revenu Canada ne signifie pas nécessairement qu’elle réside au Canada; une personne pourrait facilement produire une déclaration de revenus auprès de Revenu Canada pendant qu’elle réside à l’étranger ou pourrait produire une déclaration au Canada puis quitter le pays.

 

[23]           Le demandeur a également prétendu que la SAI a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas satisfait aux exigences en matière de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR, et ce, même s’il avait produit de nombreux documents concernant son dossier relatif à des affaires pénales au Canada qui établissait sa présence physique continue au Canada au cours de l’époque pertinente en question. Mais un examen attentif des documents produits par le demandeur en rapport à son dossier relatif à des affaires pénales au Canada révèle qu’il ne permet pas de trancher la question de savoir si le demandeur résidait physiquement au Canada au cours de la période de temps exigée.

 

[24]           Par exemple, le document émanant de la Gendarmerie royale du Canada indique que des accusations criminelles ont été portées en 2001, 2002 et 2005. Toutefois, il n’y figure rien concernant la période comprise entre 1998 et 2000. Aucun des détails figurant dans ces documents ne prouve ou ne démontre que le demandeur était vraiment présent physiquement au Canada pendant deux des cinq années qui ont précédé la perte de son statut.

 

[25]           De plus, la plus grande partie des autres documents se rapportant à la perpétration d’actes criminels au Canada concernent l’année 2000. Parmi ces documents, il y a rapport circonstancié pour octobre 2003. Ce rapport, toutefois, ne vise qu’une période d’un mois. Il y a également une déclaration émanant d’un agent d’exécution qui mentionne que le demandeur a commis des infractions criminelles en janvier 2004. Mais, encore une fois, ces renseignements ont peu d’importance, compte tenu qu’ils ne visent qu’une période d’un mois qui n'est pas comprise dans la période de cinq ans exigée par la loi pour l’examen de la résidence.

 

[26]           Enfin, une ordonnance de probation a été délivrée le 26 novembre 2001. En vertu de cette ordonnance, le demandeur devait purger sa peine d’emprisonnement au sein de la collectivité, conformément à l’article 742.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Bien que la Cour ne soit saisie d’aucune preuve contraire indiquant que le demandeur n’a pas purgé cette probation pendant la période prescrite de douze mois, rien ne prouve non plus qu’il a respecté l’ordonnance de probation ou qu’il a résidé au Canada au cours de cette période de temps. De toute manière, l’article 21 de la Loi sur la Citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 prévoit que n’est pas pris en compte pour la durée de résidence, la période où l’intéressé a été sous le coup d’une ordonnance de probation.

 

[27]           Je conviens avec le demandeur que les contrats de bail ne sont pas les seuls documents qui prouvent de façon concluante que le demandeur se trouvait au Canada au cours de certaines périodes de temps. En effet, le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il a résidé à différentes adresses entre 1998 et 2003. Mais, en l’absence de documents à l’appui, le témoignage du demandeur doit être évalué en tenant compte de sa crédibilité dans son ensemble, sujet dont je vais maintenant discuter. Compte tenu de l’analyse qui précède, je ne crois toutefois pas que la SAI puisse être blâmée pour ne pas avoir tenu compte d’éléments de preuve importants ayant trait au statut de résident au Canada du demandeur. La SAI a examiné ce que le demandeur lui a soumis et elle était certainement au courant de l’existence de son casier judiciaire et connaissait certainement son historique d’emploi, mais, selon elle, ils ne permettaient pas de conclure que le demandeur avait résidé au Canada pendant deux des cinq années comprises dans la période de temps pertinente. Le demandeur ne m’a pas convaincu que le membre de la SAI a tiré cette conclusion « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait ».

 

B) La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur dans son ensemble?

 

[28]           La SAI a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur en raison du caractère imprécis de son témoignage et de ses hésitations; en raison de son incapacité à fournir des explications convaincantes; en raison des contradictions entre son témoignage, le témoignage de sa sœur et son propre affidavit; et en raison de sa déclaration de culpabilité en rapport avec de nombreuses accusations de fraude. Selon moi, cette conclusion quant à la crédibilité était manifestement déraisonnable. Il est reconnu que la Cour ne modifiera pas une décision de la SAI si le membre était saisi d’éléments de preuve qui, dans l’ensemble, étayaient son appréciation défavorable quant à la crédibilité, si les conclusions du membre étaient raisonnables, compte tenu de la preuve, et si le membre a tiré des conclusions raisonnables à partir de cette preuve : voir, par exemple, Larue c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 484 (QL); Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 685 (C.F.); Sharif c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 542 (C.F.).

 

[29]           L’avocat du demandeur a prétendu que la SAI n’a pas correctement évalué la crédibilité du demandeur et n’a pas tenu compte du caractère harmonieux de son témoignage. Il a également affirmé qu’aucun détail n’a été donné quant aux imprécisions et quant aux hésitations figurant dans son témoignage. Enfin, il a prétendu que la SAI aurait dû clairement relever les contradictions entre le témoignage du demandeur et celui de sa sœur et les contradictions entre le témoignage du demandeur et son affidavit, puis demander au demandeur de donner des explications quant à celles‑ci. À l’appui de cet argument, il a invoqué le principe qu’un témoignage sous serment doit être présumé véridique sauf si on a de bons motifs pour ne pas y prêter foi ou s'il est fondamentalement invraisemblable.

 

[30]           Je suis d’accord avec le défendeur que des conclusions défavorables tirées par un membre de la SAI quant à la crédibilité d'un demandeur suite aux constatations faites par le membre de la SAI quant au comportement du demandeur pendant son témoignage sont d’une manière générale, en l'absence d'abus, inattaquables dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il ne fut pas démontré que c’est le cas en l’espèce. La présence d’incohérences et de contradictions dans le témoignage d’un demandeur est un fondement reconnu pour mettre en doute la crédibilité général d’un demandeur. Le fait que, dans ses motifs, la SAI ne mentionne pas précisément en quoi le témoignage du demandeur contredit le témoignage de sa sœur n’est pas, en l’absence de toute preuve contraire, une erreur susceptible de contrôle en soi. Quant à l’argument selon lequel on n’a pas demandé directement au demandeur d’expliquer la contradiction entre son témoignage et le témoignage de sa sœur, on peut facilement le rejeter en renvoyant à un extrait de la décision Tekin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 357, dans laquelle ma collègue la juge Snider a écrit ce qui suit :

[14] En outre, la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a omis d’informer expressément le demandeur de ses préoccupations quant à la crédibilité relativement à l’omission dans son FRP. L’obligation d’équité n’exige pas que la Commission informe le demandeur de toutes ses préoccupations quant à la crédibilité (voir les décisions Appau c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 300 (1re inst.) (QL), Akinremi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 808 (1re inst.) (QL), et Khorasani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 936, [2002] CFPI no 1219 (QL)). En l’espèce, le demandeur était représenté par un avocat, les parties savaient que la crédibilité était une question en litige et l’incohérence entre l’exposé contenu dans le FRP du demandeur et son témoignage de vive voix était facilement apparente. Par conséquent, la Commission n’avait pas l’obligation d’informer le demandeur de cette incohérence et son omission de le faire ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle (voir les décisions Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1833 (1re inst.) (QL), Matarage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 460 (1re inst.) (QL), et Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1627 (1re inst.) (QL)).

 

 

[31]           Dans les circonstances particulières de l’espèce, compte tenu que le demandeur a été représenté par un avocat et qu'il était conscient du fait que la question de la crédibilité serait peut‑être soulevée à son audience, la SAI n’était pas tenue de demander directement au demandeur de donner des explications quant aux contradictions entre son témoignage et celui de sa sœur. Enfin, contrairement à l’affirmation du demandeur, la SAI avait de nombreux motifs légitimes pour réfuter la présomption selon laquelle un témoignage sous serment est véridique. Non seulement le demandeur a répondu aux questions de façon imprécise, hésitante et évasive, mais la SAI a également conclu que son témoignage contredisait celui de sa sœur ainsi que son propre témoignage par affidavit. De plus, la SAI a souligné que le demandeur a été déclaré coupable de nombreuses accusations de fraude. Compte tenu de l’ensemble de ces facteurs, la SAI pouvait raisonnablement conclure qu’elle n’accorderait aucune importance à son témoignage.

 

C) La SAI a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas d’accueillir la demande pour des motifs d’ordre humanitaire?

 

[32]           Le demandeur ne souscrit pas aux conclusions selon lesquelles les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas que le membre de la SAI exerce son pouvoir discrétionnaire lui permettant d’accueillir sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire. Malheureusement pour lui, le fait qu’il ne soit pas satisfait de la manière selon laquelle la SAI a évalué l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire n’est pas suffisant pour que la Cour intervienne.

 

[33]           Le demandeur n’est pas particulièrement convaincant à propos de son établissement au Canada : il ne possède aucun bien, il a passé la plus grande partie de sa vie au Nigeria, il n’a jamais occupé un emploi à long terme, il est présentement sans emploi, il a une petite amie mais n’a fourni aucun élément de preuve en rapport avec la durée de leur cohabitation. Par contre, il a de la famille au Nigeria et aucune barrière linguistique ne l’empêche de retourner dans ce pays.

 

[34]           Peu importe que je souscrive ou non à l’évaluation de la SAI, il ne s’agit pas là de la question que je dois examiner. Il ne m'appartient pas de réévaluer et de réexaminer les facteurs qui ont été examinés par la SAI ou de contester les conclusions tirées par la SAI pour le motif que j’aurais apprécié les facteurs de façon différente. Ce que je dois décider, c’est si la décision de la SAI est étayée par des motifs capables de résister à un examen assez poussé. Selon moi, après avoir examiné attentivement les motifs de la SAI, le membre de la SAI était au fait de la situation personnelle du demandeur et sa décision était raisonnable.

 

[35]           À la fin de l’audience, le 12 décembre 2007, j’ai accordé quelques jours à l’avocat du demandeur pour formuler des observations quant à une proposition de question à certifier. Le 14 décembre 2007, il a proposé la question suivante : [Traduction] « La délivrance d’une carte de résident permanent au demandeur se traduit‑elle par le rétablissement du statut de résident permanent compte tenu du fait que, en l’espèce, il n’y a eu aucune confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada, conformément à l’alinéa 46(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés? ».

 

[36]           Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur que cette question ne se prête pas à la certification, et ce, pour les raisons suivantes. Premièrement, cette question ne faisait pas l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. La question initialement proposée par le demandeur consistait à savoir si la SAI avait fait abstraction d’éléments de preuve en ne tenant pas compte de ceux‑ci en rendant sa décision. La question proposée, qui, en fait, porte sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’alinéa 46(1)b) de la LIPR et en particulier aux mots « confirmation en dernier ressort du constat », n’a pas été débattue dans les plaidoiries écrites ou orales et ne constitue pas le fondement de mes motifs. Par conséquent, la réponse à la question proposée ne permettrait pas de se prononcer sur la demande. De plus, l’issue de la présente affaire dépend de la suffisance des motifs invoqués par la SAI et de l’appréciation de la preuve. Ces questions reposent sur les faits et ne créent pas une question de portée générale qui doit être examinée par la Cour d’appel fédérale.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.                                          


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-276-07

 

INTITULÉ :                                                            EMMANUEL ESE IKHUIWU

                                                                                 c.

                                                                                 MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 12 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 10 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jide Oladejo

 

POUR LE DEMANDEUR

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jide Oladejo

Avocat

1183, avenue Finch ouest

Bureau 406

Toronto (ON)  M3J 2G2

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                         

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