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Date : 20080107

Dossier : IMM-5468-06

Référence : 2007 CF 1339

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

 

ENTRE :

PIN XIAN XIN

(alias PINXIAN XIN)

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]            La demanderesse, Pin Xian Xin, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision en date du 18 septembre 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens, respectivement, de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]            La Commission a estimé que la demanderesse n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas réussi à démontrer qu’elle serait persécutée pour l’un des motifs prévus par la Convention ou qu’il existait une sérieuse possibilité qu'elle subisse un grave préjudice si elle retournait en Chine.

 

[3]            La présente demande de contrôle judiciaire est fondée sur le paragraphe 72(1) de la LIPR. La demanderesse affirme qu’elle craint d’être persécutée du fait de son appartenance à une église chrétienne clandestine et du fait qu’elle a donné naissance à un second enfant, contrairement à la politique chinoise de l’enfant unique. Elle invoque deux principaux moyens au soutien de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire :

a.     la Commission a commis une erreur en décidant que la demanderesse n’était pas crédible et en concluant qu’elle n’avait pas été et qu’elle n’était pas maintenant une chrétienne;

b.    la Commission a commis une erreur en décidant que la demanderesse n’était pas exposée à une possibilité sérieuse de subir un préjudice si elle devait retourner en Chine parce qu’elle a donné naissance à un second enfant, contrairement à la politique chinoise de l’enfant unique.

 

Nature des mesures réclamées par la demanderesse

[4]            La demanderesse sollicite ce qui suit :

a.     une ordonnance déclarant que la demanderesse est une réfugiée au sens de la Convention;

b.    à titre subsidiaire, une ordonnance renvoyant l’affaire à la Commission avec certaines directives;

c.     à titre plus subsidiaire encore, une ordonnance renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il procède à une audience de novo.

 

[5]            Dans le jugement Marsh c. Canada (Gendarmerie Royale du Canada), [2006] A.C.F. no 1854, la juge Dawson déclare, aux paragraphes 45 et 46 :

Je reconnais que, conformément à la compétence qui lui est conférée, il y a des circonstances dans lesquelles la Cour donnera, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, des directives qui sont si précises qu’elles obligeront l’office fédéral à arriver à une conclusion précise. Voir, par exemple, Turanskaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 145 D.L.R. (4th) 259 (C.A.F.). Dans la décision Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 73, la Cour a examiné dans quelles circonstances une telle directive devrait être donnée. Au paragraphe 18, elle a énoncé les facteurs pertinents :

 

-        Les preuves versées au dossier sont‑elles si nettement concluantes qu’il s’agit de la seule conclusion possible?

-        La seule question à trancher est‑elle une pure question de droit, concluante aux fins de la cause?

-        La question de droit est‑elle fondée sur des preuves incontestées et sur des faits qui sont admis?

-        L’affaire dépend‑elle d’une question de fait sur laquelle la preuve est partagée?

 

À mon avis, pour les motifs énoncés ci‑après, la présente espèce n’est pas visée par les critères mentionnés qui s’appliquent lorsqu’il s’agit de donner des directives précises.

 

 

 

[6]            Dans l’affaire qui nous occupe, une des principales questions à trancher est celle de savoir si la Commission a agi de façon manifestement déraisonnable en concluant que la demanderesse n’était pas crédible. Des faits sont donc en litige, de sorte que la présente affaire ne satisfait pas aux critères que la Cour doit respecter pour pouvoir donner des directives spécifiques et encore moins pour rendre un jugement déclaratoire.

 

[7]            Pour ce qui est de la demande d’audience de novo, pour les motifs ci-après exposés, je conclus que la Commission a commis une erreur en estimant que la demanderesse n’était pas crédible. Sa décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Norme de contrôle

[8]            La Commission possède une compétence spécialisée pour trancher les questions de fait, et notamment pour évaluer la crédibilité des demandeurs d’asile. Ce type de décision se situe au cœur même de la compétence que la loi confère à la Commission. Les questions de crédibilité s’inscrivent dans le cadre de la mission de recherche des faits de la Commission. L’application de ces facteurs à l’analyse pragmatique et fonctionnelle nous conduit à conclure que la norme de contrôle appropriée dans le cas des décisions rendues par la Commission au sujet de la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

 

[9]            Pour les motifs qui suivent, j’estime qu’il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la question de la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la Commission au sujet des risques en cas de retour dans le pays d’origine.

 

Contexte

[10]        Âgée de 32 ans, la demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine. Elle est née dans la ville de Banghu, Guangzhou, dans la province de Guangdong. Elle a fréquenté l’école jusqu’en huitième année et elle a eu besoin des services d’un interprète cantonais du début à la fin de la présente instance, notamment pour donner des instructions à son avocat, pour obtenir de l’aide pour remplir son Formulaire de renseignements personnels [FRP] et pour témoigner à l’audience de la Commission.

 

[11]        Elle affirme qu’elle craint d’être persécutée aux mains des autorités chinoises parce qu’elle est membre d’une église protestante non enregistrée connue sous le nom d’église clandestine ou de maison-église et qu’elle a contrevenu à la politique chinoise de l’enfant unique.

 

[12]        Dans l’exposé circonstancié de son FRP du 8 novembre 2005, la demanderesse explique que sa cousine, Shu Ying Yang, lui a présenté l’église clandestine en mars 2000 et que sa cousine l’a avertie de ne dire à personne qu’elle fréquentait une église clandestine en raison de l’opinion défavorable des autorités chinoises à l’égard de l’église clandestine par rapport à l’église d’État. La demanderesse a expliqué qu’elle avait bien aimé son expérience spirituelle et qu’elle avait continué à assister régulièrement aux rassemblements, qui avaient lieu dans diverses maisons privées. Elle a épousé Shu Pei Su, un non chrétien, en octobre 2001. Après son mariage, elle a donné naissance à un fils, et après avoir accouché, elle a dû porter un DIU, qui est un dispositif de contrôle des naissances, et elle devait se présenter à une clinique pour des contrôles périodiques.

 

[13]        Le mari de la demanderesse ne fréquentait pas l’église clandestine et il s’inquiétait pour la sécurité de la demanderesse parce qu'elle fréquentait cette église clandestine. La demanderesse a été baptisée en avril 2001. En décembre 2002, il a trouvé un passeur pour aider la demanderesse à obtenir un visa de visiteur afin de pouvoir quitter le pays, parce qu’il craignait que les autorités ne la découvrent. Les diverses tentatives faites en 2002, 2003 et 2004 pour obtenir un visa de visiteur ont toutes échoué.

 

[14]        La demanderesse est devenue enceinte une seconde fois en août 2005. Contrairement à la politique chinoise de l’enfant unique, la demanderesse et son mari ont décidé de garder l’enfant. Craignant que les autorités chinoises ne découvrent cette seconde grossesse, l’époux a envoyé la demanderesse se réfugier dans la clandestinité pour éviter d’autres vérifications de son DIU. Les agents de planification familiale qui recherchaient la demanderesse ont informé son époux qu’elle devait se présenter pour un contrôle de son DIU. Un cousin a trouvé un passeur pour aider la demanderesse à sortir du pays. Elle a demandé l’asile peu de temps après son arrivée au Canada et a donné naissance à son second enfant, une fille, le 17 février 2006.

 

[15]        La demanderesse affirme qu’elle craint qu’elle serait forcée de se faire avorter et de se faire stériliser si elle retournait en Chine. Elle a également soutenu qu’elle ne serait pas en mesure de pratiquer sa religion aussi librement qu’elle le fait au Canada.

 

[16]        À l’audience du 30 juin 2006 de la Commission, la demanderesse a témoigné par le truchement d’un interprète cantonais. Elle a été interrogée par l’agent de protection des réfugiés, par la commissaire et par son propre avocat.

 

[17]        La demanderesse a notamment été interrogée au sujet de sa connaissance des croyances chrétiennes, de sa connaissance de l’Église patriotique, qui est approuvée par l’État, de la divulgation à son mari de sa fréquentation de l’église clandestine, d’une lettre d’appui provenant d’un pasteur d’une église chrétienne canadienne et des conséquences éventuelles de la naissance d’un second enfant en Chine.

 

Motifs invoqués par la Commission pour justifier ses conclusion au sujet de l’appartenance à la foi chrétienne de la demanderesse

 

 

[18]        La Commission a déclaré ce qui suit :

L’une des questions que devait trancher le tribunal était la suivante : la demandeure est-elle une chrétienne authentique dont le profil l’expose à un risque si elle est renvoyée en Chine? Le tribunal conclut, en se fondant sur l’ensemble de la preuve, que la demandeure n'a pas fait la démonstration, au moyen d’éléments de preuve crédibles et fiables, qu'elle était ou qu’elle avait été une chrétienne authentique, et il conclut donc qu’elle n’intéresserait nullement les autorités si elle devait être renvoyée en Chine.

 

Connaissance par la demanderesse des croyances chrétiennes

[19]           La Commission a relevé que la demanderesse avait affirmé qu’elle avait reçu le baptême en avril 2001, qu’elle avait une Bible en Chine, qu’elle avait lu la plus grande partie de l’Ancien et du Nouveau Testament et qu’elle avait joint les rangs de l’Église Baptiste Logos de Markham en 2005. La Commission a constaté que la demanderesse connaissait le nombre exact de disciples de Jésus ─ douze ─ mais qu’elle n’avait pu en nommer que huit, qu’elle ne savait pas ce qu’était une parabole mais qu’elle connaissait bien l’histoire de la brebis perdue et qu’elle avait pu la raconter. La Commission a conclu que les connaissances qu’avait la demandeure de la Bible et de la religion chrétienne étaient superficielles et qu’elles n’étaient pas compatibles avec ses présumées six années de pratique du christianisme en Chine et au Canada. Toutefois, ainsi que l’extrait suivant le démontre, la transcription certifiée conforme des débats qui ont eu lieu devant la Commission n’appuie pas la conclusion de la Commission :

[traduction]

La commissaire :                       Et quelle est votre parabole favorite?

La demandeure d’asile :           Je vous demande pardon?

La commissaire :                       Quelle est votre parabole favorite?

L’AVOCAT À LA DEMANDEURE D’ASILE :

Q.                                              Vous savez ce qu’est une parabole?

La commissaire :                        On trouve des paraboles dans la Bible. Vous avez lu à leur sujet?

La demandeure d’asile :           Oui.

L’AVOCAT À LA DEMANDEURE D’ASILE :

Q.                      Racontez-nous en une.

A.                      Il m’a dit d’obéir aux Commandements.

Q.                      Pardon…

A.                      D’obéir aux Commandements.

La commissaire :                         De quelle parabole parlez-vous? Pouvez-vous nous dire où elle se trouve?  J’ai l’impression que vous ne saisissez pas la question.

L’AVOCAT À LA DEMANDERESSE D’ASILE :

Q.                                                Vous comprenez?

A.                                                Je suis tellement confuse. Est-ce que je peux l’écrire en chinois? Je n’ai pas appris cela.

La commissaire :                         D’accord. Un exemple de parabole est celle de la brebis perdue. Est-ce que vous connaissez le message de ce récit? Connaissez-vous ce récit pour commencer?

La demandeure d’asile :              Oui, c’est l’histoire du berger qui avait 100 brebis. Une d’entre elles s’est égarée et le berger a tout fait pour la retrouver. Cela veut dire que Dieu préfère que les 99 brebis soient ses enfants, mais qu’il serait très triste d’en perdre une.

La commissaire :                         Et qu’est-ce qu’il ferait s’il en trouvait une? C’est sur cette dernière partie que je voulais vous interroger. Qu’est-ce qui arrive lorsqu’il retrouve la brebis perdue?

La demandeure d’asile :              Même si j’avais 99 brebis, je ne vais pas abandonner la brebis égarée.

[20]      En anglais, le terme « parabola » (parabole) que la commissaire a employé en l’espèce est une ligne géométrique et non un récit biblique. Lors de l’instruction de la demande de contrôle judiciaire, on a interrogé l’avocate du défendeur au sujet du mot « parabola » que l’on trouve dans la transcription, car le défendeur soutient qu’il avait fallu insister auprès de la demanderesse pour obtenir qu’elle explique ce qu’est une parabole.  L’avocate a avancé l’idée qu’il pouvait s’agir d’une erreur de transcription mais elle n’a pas soumis d’éléments de preuve pour démontrer que le mot qui avait effectivement été employé à l’audience était « parable » et non « parabola » [qui se rendent dans les deux cas en français par « parabole »]. Si l’on se fie à la transcription certifiée, on ne peut reprocher cette confusion à la demanderesse. Même en admettant que la transcription est incorrecte et que c’est le mot anglais « parable » (« parabole » au sens de récit biblique) qui a été employé, il n’en demeure pas moins que la demanderesse ─ qui, rappelons-le, s’exprimait par le truchement d’un interprète cantonais ─ a démontré sans hésiter qu’elle connaissait bien la parabole de la brebis perdue.

 

[21]                La conclusion de la Commission suivant laquelle les connaissances qu’avait la demanderesse de la Bible et de la religion chrétienne étaient superficielles est mal fondée, si l’on considère le nombre peu élevé d’éléments de preuve négatifs dont elle disposait à ce sujet.

 

L’Église patriotique

[22]      La Commission a examiné les réponses données par la demanderesse au sujet de l’Église patriotique, qui est approuvée par l’État, mais elle n’a tiré aucune conclusion défavorable à la demanderesse sur la foi des réponses données par cette dernière sur cette question.

 

Défaut de la demanderesse d’informer son mari de sa fréquentation de l’église clandestine

[23]      La Commission a tiré deux conclusions d’invraisemblance précises. En premier lieu, la Commission a estimé qu’il était invraisemblable que la demanderesse ait attendu sept mois après leur mariage pour informer son époux qu’elle était membre d’une église clandestine, et qu’elle ne l’en ait finalement informé que lorsqu’il lui eut demandé pour quelle raison elle fermait son étal de fruits tous les dimanches. La Commission a également estimé qu’il n’était pas plausible que la demanderesse, en dépit des craintes et objections présumées de son époux, ait ensuite choisi d’être baptisée dans cette église clandestine et qu’elle ait continué à la fréquenter régulièrement.

 

[24]      Dans le jugement Dong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 413, au paragraphe 3, le juge Campbell déclare :

La norme à laquelle la SPR doit satisfaire à l'égard des conclusions de non-plausibilité est énoncée dans Vodics c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1000, de la manière suivante :

10       En ce qui a trait aux conclusions défavorables sur la crédibilité en général et les conclusions d'invraisemblance en particulier, le juge Muldoon a énoncé, dans la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, la norme à appliquer :

         6.   Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l'arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu'un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s'il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n'a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l'arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu'il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d'éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

         7. Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est‑à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur d'asile le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les demandeurs d'asile proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

 

 

[25]      La demanderesse a relaté de façon cohérente les circonstances dans lesquelles son mari avait appris qu’elle fréquentait l’église. Elle a expliqué qu’en dépit des craintes de son mari, elle avait choisi de se faire baptiser et de continuer à fréquenter l’église clandestine en raison de ses convictions religieuses, parce qu’elle aimait son église et son Dieu. Elle a ajouté que son mari se souciait d’elle et qu’il avait dû se plier à sa volonté de continuer à fréquenter l’église. Il n’y a pas lieu de s’étonner qu’un croyant persiste à proclamer sa foi en dépit de l’adversité. Pareille explication ne déborde pas le cadre de ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre, compte tenu surtout de la nature des convictions religieuses et de l’histoire de la chrétienté.

 

[26]      La Commission avance trois motifs pour justifier sa conclusion d’invraisemblance : l’incompatibilité entre les convictions de la demanderesse et le fait qu’elle a caché à son mari qu’elle fréquentait l’église, le fait que l’exposé circonstancié de son FRP ne précise pas qu’elle avait omis de communiquer ces renseignements à son époux et l’absence de documents de corroboration pour confirmer son christianisme et sa fréquentation de l'église clandestine. La Commission déclare ce qui suit, à la page 7 de ses motifs :

Selon la preuve fournie par la demandeure, en tant que chrétienne, elle comprenait les Dix commandements; pourtant, elle allègue avoir dissimulé de l’information concernant sa religion clandestine durant une longue période au cours de laquelle elle a rencontré puis épousé son mari, violant ainsi le commandement « Tu ne mentiras point ». De plus, il n’existe aucun élément de preuve de la demandeure qui indique qu’elle ait envisagé de soumettre ce dilemme important à son Dieu, à son pasteur ou à sa prétendue amie qui l’a introduite dans son église clandestine. De plus, l’exposé circonstancié de son FRP ne précise pas qu’elle a omis de communiquer ces renseignements à son époux, un non-chrétien, en dépit du fait que le formulaire d’examen initial indique bien qu’il faut inclure les détails importants des incidents et des événements. De plus, il n’existe aucun document de corroboration, comme une lettre de son époux, de sa cousine ou de son pasteur, pour confirmer son christianisme et sa fréquentation de l'église clandestine, conformément à l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, dont il est fait mention sur le formulaire d'examen. Aucune explication raisonnable n’a été soumise au tribunal concernant les raisons pour lesquelles ces renseignements corroborants n’ont pas été communiqués, ou quelles mesures, le cas échéant, ont été prises pour obtenir ces documents.

 

[27]      Si l’on fait abstraction de l’observation que le silence, à strictement parler, ne peut être assimilé à un mensonge, il convient de signaler que la Commission n’a pas exigé de la demanderesse qu’elle explique pourquoi elle avait désobéi au commandement « Tu ne mentiras point ». Si ce facteur revêtait pour elle de l’importance pour apprécier la version des faits de la demanderesse, la Commission aurait dû lui poser la question pour obtenir des éclaircissements de sa bouche même (voir Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, 2nd éd. à feuilles mobiles, Markham, LexisNexis Butterworths, 2007, au par. 8.86 (xvi) (« Immigration Law and Practice »)). La demanderesse avait expliqué que la cousine qui l’avait présentée à l’église clandestine l’avait prévenue de ne parler à personne de l’église. La Commission passe cette explication sous silence et ne se fonde pas sur l’ensemble de la preuve pour tirer sa conclusion au sujet de la crédibilité (Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration),  [1989] A.C.F. no 442 (C.A.F.); voir aussi Immigration Law and Practice, précité, au paragraphe 8.86(iv)).

 

[28]      La Commission accorde beaucoup d’importance au fait que, dans l’exposé circonstancié de son FRP, la demanderesse ne précise pas qu’elle avait omis de dire à son époux qu’elle fréquentait une église clandestine. Dans l’exposé circonstancié de son FRP, la demanderesse ne parle pas de sa fréquentation de l’église clandestine, de son mariage et des préoccupations subséquentes de son mari. Les détails relatifs aux circonstances dans lesquelles son mari a découvert ces faits constituent précisément le genre de renseignements qui ressortent à l’occasion lors d’une audience d’immigration en bonne et due forme au cours de laquelle l’agent d’immigration a l’occasion de poser des questions au demandeur ou à la demanderesse. Le défaut d’entrer dans des détails aussi précis dans l’exposé circonstancié du FRP ne saurait constituer en soi un élément conséquent permettant d’asseoir l’évaluation de la crédibilité.

 

Corroboration

[29]      La Commission a par ailleurs fondé la conclusion défavorable qu’elle a tirée au sujet de la crédibilité sur le fait qu’il n’existait aucun document de corroboration, comme une lettre de son époux, de sa cousine ou de son pasteur, pour confirmer le christianisme de la demanderesse ou sa fréquentation de l'église clandestine. La Commission a signalé qu’aucune explication raisonnable ne lui avait été soumise concernant les raisons pour lesquelles ces renseignements corroborants n’avaient pas été communiqués, ou quelles mesures, le cas échéant, avaient été prises pour obtenir ces documents. La Commission a effectivement demandé à la demanderesse pourquoi, alors qu’elle mentionnait qu’elle avait fui la Chine en raison de la naissance imminente de son second enfant, la lettre d’appui de son pasteur ne faisait aucune allusion à sa fréquentation de l’église clandestine en Chine, un fait qui aurait dû normalement revêtir de l’importance aux yeux d’un pasteur chrétien. La Commission s’en est toutefois tenue à cette série de questions et elle n’est pas allée jusqu’à exiger de la demanderesse qu’elle lui explique l’absence de documents corroborants. La Commission qui conclut que le demandeur d’asile n’est pas crédible parce qu’il n’est pas en mesure de fournir des éléments de preuve documentaire pour corroborer sa demande d’asile commet une erreur. À défaut d’éléments de preuve contredisant ses dires, on ne peut établir de lien entre, d’une part, le défaut de la demanderesse de fournir des éléments de preuve corroborant son appartenance à l'église clandestine et, d’autre part, la crédibilité de la demanderesse et ce, même si la conclusion de fait tirée par la Commission à ce sujet est bien fondée (Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 705, au paragraphe 45). La Commission a commis une erreur en concluant que l’absence de documents corroborants permettait à la Commission de tirer une conclusion négative au sujet de la crédibilité de la demanderesse sans accorder à cette dernière la possibilité de fournir une explication.

 

Recours aux services d’un interprète

[30]      La Commission mentionne la confusion de la demanderesse lorsqu’on lui a demandé si son pasteur canadien l’avait déjà qualifiée de chrétienne « convertie ». Elle a d’abord répondu par l’affirmative, ajoutant que le pasteur savait qu'elle avait un enfant. La Commission a estimé que cette réponse était source de confusion. Lorsqu’on a appelé l’attention de la demanderesse sur la lettre du pasteur, elle a répondu correctement qu’elle avait été baptisée et donc qu’elle était reconvertie. La Cour fédérale a expliqué qu’il fallait se garder de se fonder sur ce genre de confusion pour tirer des conclusions lorsque le demandeur d’asile témoigne par le truchement d’un interprète comme c’est le cas en l’espèce (Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 444 (C.A.F.), et Owusu-Ansah, précité).

 

Considérations non pertinentes

[31]      La Commission relève l’absence d’éléments de preuve crédibles lui indiquant « le statut religieux actuel de la fille née au Canada ». Faute d’éléments de preuve portant sur la coutume religieuse consistant à baptiser les nouveaux-nés peu de temps après leur naissance, le statut religieux de la fille de sept mois de la demanderesse est un élément nettement dénué de pertinence. La Commission ne peut fonder ses conclusions quant à la crédibilité sur des considérations non pertinentes (Attakora, précité, et Owusu-Ansah, précité).

 

Défaut de tenir compte de certains éléments de preuve

[32]      Voici la conclusion que la Commission a tirée, à la page 9 de ses motifs, sur la question de l’appartenance de la demanderesse à la foi chrétienne :

Vu l’ensemble de la preuve, le tribunal conclut que la demandeure n’a pas fait la démonstration, au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était membre d'une église clandestine en Chine, ou qu’elle était une chrétienne authentique. Le tribunal conclut qu’elle a joint les rangs de l’Église Baptiste Logos, à Markham, pour étoffer sa demande d'asile. Le tribunal conclut qu’il n’existe aucune preuve convaincante qu’elle pratiquerait la foi chrétienne en Chine, soit à l’église patriotique enregistrée, soit dans la maison‑église clandestine non enregistrée; par conséquent, sa demande d'asile reposant sur des motifs religieux n’est pas fondée.

 

[33]      En plus d’écarter le témoignage que la demanderesse avait elle-même donné au sujet de sa fréquentation de l’église clandestine et de sa profession de foi, la Commission a fait totalement fi de la lettre du pasteur canadien, qui affirme que la demanderesse participe aux services religieux dominicaux depuis septembre 2005, le mois suivant son arrivée au Canada.  Le pasteur affirme que la demanderesse est une chrétienne convertie et qu’elle participe avec enthousiasme aux activités de l’église. La célérité avec laquelle la demanderesse a commencé à fréquenter l’église chrétienne et à participer aux services religieux est compatible avec son témoignage qu’elle s’est convertie au christianisme en Chine. La lettre du pasteur qui a eu l’occasion d’observer la demanderesse participer aux services religieux et qui s’est dit d’avis que la demanderesse est une chrétienne constitue un élément de preuve dont la Commission devait tenir compte. La Commission n’a avancé aucune raison pour justifier le fait qu’elle avait ignoré ces éléments de preuve.

 

Absence d’éléments de preuve

[34]      Enfin, on ne trouve rien, dans les éléments de preuve cités par la Commission et dans ceux que l’on trouve dans la transcription de l’audience de la Commission, qui appuierait la conclusion de la Commission que la demanderesse avait joint les rangs de l’Église Baptiste Logos dans le seul but de renforcer sa demande d’asile.

 

Conclusion sur la première question

[35]      Je trouve manifestement déraisonnables les motifs invoqués par la Commission pour conclure que la demanderesse n’était pas crédible et pour conclure qu’elle n’était pas membre d’une église clandestine et qu’elle n’était pas une chrétienne.

 

Conclusion de la Commission suivant laquelle la demanderesse ne risque pas d’être persécutée pour l’un des motifs prévus par la Convention et n’a pas la qualité de personne à protéger

 

[36]      La Commission s’est fondée principalement sur la preuve documentaire pour conclure que la crainte de la demanderesse de devoir se faire avorter et stériliser n’était pas objectivement fondée. La Commission s’est cependant nécessairement référée aux éléments de preuve et au témoignage de la demanderesse. Voici ce que la Commission déclare, à la page 10 de ses motifs :

La question déterminante à trancher relativement à la demande est la suivante : la demandeure a‑t‑elle fait la démonstration, au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi, qu’elle avait enfreint la politique familiale de la Chine qui préconise l’enfant unique et qu’elle courait le risque d’être persécutée si elle devait être renvoyée dans son pays de citoyenneté?

 

 

[37]      La Commission avait d’abord examiné la question des croyances chrétiennes de la demanderesse tant à l’audience que dans ses motifs écrits. La Commission avait estimé que la demanderesse n’était pas crédible, une conclusion que j’ai déjà qualifiée de manifestement déraisonnable. 

 

[38]      Compte tenu de la conclusion erronée tirée par la Commission au sujet de la crédibilité de la demanderesse, j’estime que la Commission ne pouvait en conséquence apprécier convenablement le témoignage et les éléments de preuve présentés par la demanderesse au sujet de sa demande d’asile fondée sur l’un des motifs énoncés dans la Convention ou sur l’un des motifs prévus à l’article 97.  En conséquence, il n’est pas nécessaire que j’examine la décision de la Commission sur cette seconde question, car elle repose sur une appréciation manifestement déraisonnable de la preuve.

 

Conclusion

[39]      J’estime que la conclusion tirée par Commission au sujet de la crédibilité est manifestement déraisonnable.

 

[40]      La décision rendue le 18 septembre 2006 par la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Certification

[41]      Ni l’une ni l’autre des parties ne m’a soumis de question à certifier et j’estime que la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Commission pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué;

 

2.  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée. 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-5468-06

 

 

INTITULÉ :                                                              PIN XIAN XIN (PINXIAN XIN) c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                     LE 2 OCTOBRE 2007

 

 

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                    LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                             LE 7 JANVIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marvin Moses                                                                    POUR LA demanderesse

 

Me Kristina Dragaitis                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Marvin Moses                                                                    POUR LA demanderesse

Avocat

Marvin Moses Law Office

480, avenue University, bureau 610

Toronto (Ontario)

M5G 1V2

 

John H. Sims, c.r.                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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