Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20071221

Dossier : IMM-1746-07

Référence : 2007 CF 1356

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

ROOP SINGH

DEVI MADHU

MITALI KAUR

RAJAT SINGH

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Roop Singh (le demandeur principal) et trois autres membres d’une famille qui en compte cinq cherchent à faire annuler une décision en date du 8 mars 2007 par laquelle un agente de l’immigration (l’agente) a refusé leur demande de résidence permanente au Canada fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire reposait sur trois éléments : a) la menace à leur vie et à leur sécurité à laquelle ils seraient exposés s’ils étaient contraints de retourner en Inde pour présenter leur demande de résidence permanente; b) leur établissement au Canada et c) l’intérêt supérieur de leurs enfants, dont deux sont nés en Inde et le troisième, Karishma, maintenant âgée de 19 mois, est née au Canada.

 

[2]               Leur demande de contrôle judiciaire soulève trois questions principales :

 

1)      Le tribunal a-t-il mal évalué leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en adoptant le critère prévu à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) plutôt que le critère prescrit par les lignes directrices opérationnelles, en l’occurrence qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles, excessives ou disproportionnées s’ils devaient retourner dans le pays dont ils ont la nationalité pour y présenter depuis là-bas leur demande de résidence permanente au Canada?

 

2)      Le tribunal a-t-il commis une erreur dans son évaluation du risque en interprétant mal la nature du risque auquel le demandeur principal affirmait qu’il serait exposé? L’avocat des demandeurs soutient que le tribunal a fait fausse route en ne tenant pas compte des menaces proférées contre lui en février 2005.

 

3)      Le tribunal a-t-il effectivement tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants, eu égard au fait que l’agente les a bel et bien mentionnés dans sa décision mais qu’en réalité, elle n’a pas évalué ou pris en compte leur intérêt supérieur?

 

[3]               Un aspect sous-jacent à la première question est le fait que l’agente qui a examiné la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire le 8 mars 2007 a également tranché le même jour leur demande d’examen des risques avant le renvoi (ERAR).

 

Les faits

[4]               Les membres de la famille Singh sont des citoyens de l’Inde et ils sont des sikhs. Leur crainte s’explique par les violences et les émeutes dont les membres de la communauté des sikhs ont été la cible et qui ont eu lieu à New Delhi en 1984 après l’assassinat de la Première ministre, Indira Gandhi. Le père du demandeur principal (le père) aurait été témoin des émeutes qui avaient lieu dans son quartier de New Delhi, où Roop Singh avait grandi et il a aussi reconnu ses organisateurs, qui étaient des membres influents du Parti du Congrès (les organisateurs). Son père a signalé le tout à la police, qui a refusé de porter des accusations. Son père a poursuivi sans succès ses démarches en vue de faire traduire les organisateurs en justice. Les demandeurs affirment par ailleurs que l’État n’est pas en mesure de les protéger.

 

[5]               En 2004, le gouvernement de l’Inde a institué une commission d’enquête sur les émeutes de 1984. Le père a été appelé à témoigner dans le cadre de cette enquête; il aurait identifié les organisateurs des émeutes dans sa région. Après avoir donné son témoignage, il a été harcelé par les personnes qu’il avait ainsi identifiées.

 

[6]               Le 16 novembre 2004, alors qu’il rentrait chez lui à la fin de sa journée de travail chez Indian Airlines, où il était chef de la comptabilité, Roop Singh a trouvé son père, qui s’agrippait la poitrine et qui est décédé dans les minutes qui ont suivi. Roop Singh n’a pas demandé d’autopsie pour déterminer la cause du décès.

 

[7]               Après avoir été informé par un ami de la famille que son père avait été vu plus tôt le même jour en compagnie des trois organisateurs, Roop Singh s’est rendu au poste de police, où il a déposé une plainte et déclaré qu’il avait lui-même été témoin des émeutes de 1984 dans son quartier. La police a, selon le demandeur principal, refusé d’intervenir.

 

[8]               En février 2005, M. Singh a été arrêté par des fiers‑à‑bras qui l’ont agressé et qui lui ont dit qu’il allait mourir comme son père. Il s’est rendu au poste de police, mais la police l’a accusé de mentir. Les menaces se sont poursuivies.

 

[9]               En mars 2005, sa fille a été suivie par des inconnus alors qu’elle revenait de l’école pour se rendre à la maison. Le demandeur principal aurait alors reçu un appel téléphonique où on menaçait d’enlever sa fille.

 

[10]           Les membres de la famille, qui avaient obtenu des visas de visiteur au Canada et au Royaume-Uni en 2004, ont quitté l’Inde le 19 avril 2005 pour l’Angleterre. Ils sont demeurés en Angleterre pendant huit jours. Le demandeur principal a demandé conseil en vue de présenter une demande d’asile au Royaume-Uni, mais il n’a pas demandé l’asile dans ce pays.

 

[11]           Les membres de la famille sont alors partis pour le Canada, où ils sont arrivés le 27 avril 2005. Ils y sont demeurés jusqu’au 9 mai 2005. Ils sont retournés en Angleterre, censément pour y présenter une demande d’asile. Toutefois, il n’était pas possible d’y immigrer. En dernier ressort, les demandeurs d’asile sont revenus au Canada le 8 juin 2005, où ils ont soumis la présente demande d’asile.

 

[12]           Leur demande d’asile a été refusée le 2 juin 2006 par la Section de la protection des réfugiés  (la SPR) qui a estimé que la version des faits du demandeur principal n’était pas crédible en raison des contradictions relevées entre sa déclaration au point d’entrée, son formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage; de plus, la SPR a estimé que son histoire était invraisemblable. Les demandeurs ont alors demandé l’autorisation de saisir notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire, autorisation qui leur a été refusée le 18 septembre 2006.

 

[13]           Le 14 novembre 2006, leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a été reçue à Vegreville et a été transférée à Montréal pour y être examinée le 14 février 2007. Le 24 novembre  2006, leur demande d’ERAR a été reçue à Montréal.

 

[14]           Ainsi qu’il a été mentionné, l’agente a rendu le 8 mars 2007 une décision qui tranchait tant la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire que la demande d’ERAR.

 

[15]           Le 27 avril 2007, les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire pour les deux demandes. Je crois comprendre que cette autorisation leur a été refusée en ce qui concerne la demande d’ERAR.

 

[16]           Le 22 juin 2007, un juge de notre Cour a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs.

 

Décision du tribunal

[17]           L’agente a énuméré les quatre facteurs invoqués par les demandeurs dans leurs observations écrites au sujet des raisons d’ordre humanitaire :

 

·      établissement au Canada;

·      menace à la vie et à la sécurité;

·      intérêt supérieur des trois enfants du couple;

·      autres facteurs, c.-à-d. les problèmes de santé du demandeur principal.

 

[18]           Elle a ensuite passé en revue tous les éléments de preuve qui avaient été soumis par les demandeurs à l’appui des quatre facteurs susmentionnés. 

 

[19]           Sous la rubrique « établissement », l’agente a examiné les antécédents professionnels de M. Singh ainsi que des lettres faisant état de l’implication des demandeurs dans leur temple et attestant de façon générale leurs bonnes mœurs.

 

[20]           Pour ce qui est de la menace à la vie et à la sécurité, l’agente a examiné les risques dont le demandeur principal faisait état et qui étaient les mêmes que ceux dont il avait parlé dans son FRP, qui avait été examiné par la SPR et dans sa demande d’ERAR. L’agente a analysé les conclusions de la SPR.

 

[21]           S’agissant de l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a tenu compte de tous les éléments de preuve contenus dans les observations écrites des demandeurs, qui parlaient des succès scolaires de Mitali, alors âgé de 13 ans, et de Rajat, alors âgé de 11 ans, et des liens d’amitiés qu’ils avaient créés.

 

[22]           Sous la rubrique « autres facteurs », l’agente a mentionné la lettre du 21 novembre 2006 du docteur Tang concernant la dépression dont souffrait M. Singh.

 

[23]           L’agente a ensuite fourni son analyse. Elle a d’abord cité les lignes directrices du ministre contenues dans le guide des opérations connu sous le nom de IP-5 suivant lesquelles il incombe aux demandeurs de convaincre la personne chargée de prendre une décision que, en raison de leur situation personnelle, ils subiraient des difficultés inusitées, injustifiées ou disproportionnées s’ils étaient obligés de retourner en Inde pour y demander un visa en vue d’être admis au Canada.

 

[24]           L’agente a ensuite analysé les quatre facteurs susmentionnés à la lumière des observations des demandeurs.

 

[25]           Pour ce qui est de la menace à la vie et à la sécurité, l’agente a essentiellement repris ce qu’elle avait dit dans la décision sur l’ERAR rendue, comme nous l’avons signalé, le même jour que la décision défavorable sur les raisons d’ordre humanitaire. Elle a qualifié l’Inde de plus grande démocratie parlementaire du monde, a évoqué la place qu’occupent les sikhs au sein de la population en Inde, le fondement de la crainte des demandeurs, en l’occurrence de fait qu’ils sont des sikhs, le changement de mentalité en Inde depuis 1984, qui s’est traduit par des violences et une discrimination accrues à l’encontre des sikhs, en insistant sur les problèmes particuliers du Jammu et du Cachemire. L’agente a évoqué les problèmes actuels qui existent en Inde, y compris la violence envers les femmes et elle a conclu que les demandeurs n’avaient mentionné aucun de ces problèmes dans leurs observations. L’agente a signalé que le demandeur avait mentionné dans ses observations qu’il avait quitté un très bon emploi en Inde, ce qui, selon lui, prouvait le bien-fondé de ses craintes.

 

[26]           Plus précisément, l’agente a mentionné une lettre que le demandeur principal avait récemment reçue de son frère et selon laquelle des fiers-à-bras s’étaient dernièrement introduits par effraction chez lui à la recherche du demandeur principal. L’agente a accordé peu de valeur à cette lettre, surtout en raison du peu de renseignements qu’elle contenait. Se référant à la conclusion de la SPR suivant laquelle le demandeur principal n’était pas crédible, l’agente a conclu que la lettre du frère n’était pas suffisante pour établir que les demandeurs seraient exposés à une menace à leur vie ou à leur sécurité.

 

[27]           Pour ce qui est de l’établissement, l’agente a estimé que le demandeur principal n’exerçait  un emploi stable au Canada que depuis un an (2006). Elle a parlé des efforts faits par les membres de la famille pour apprendre le français et du fait qu’ils étaient bien aimés de leur entourage et par les autres enfants à l’école. Comme les demandeurs se trouvaient au Canada depuis moins de deux ans, elle a toutefois précisé que la preuve soumise ne l’avait pas convaincue que leur établissement justifiait une dispense d’application de la règle habituelle qui exige de demander de l’extérieur du Canada un visa de résident permanent. Elle n’était pas convaincue que le respect de cette exigence normale leur causerait des difficultés inusitées, injustifiées ou excessives.

 

[28]           Elle a ensuite examiné l’intérêt supérieur des enfants, qu’elle a qualifié de facteur important. Dans le cas de l’enfant canadien de 19 mois, la cadette, elle s’est dite d’avis que l’intérêt de cet enfant commandait qu’elle soit avec ses parents. Pour ce qui est de Mitali et de Rajat, l’agente a signalé leur succès scolaires et leur facilité à se faire des amis. Elle a toutefois rappelé que les demandeurs pouvaient compter sur l’appui d’une grande famille en Inde et a estimé que le demandeur principal avait fait preuve de suffisamment de débrouillardise pour démontrer qu’il était en mesure de subvenir aux besoins de sa famille en cas de retour en Inde. Sur ce point, l’agente a conclu, après avoir tenu compte des éléments relevés et après avoir tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants touchés par la décision, que les enfants avaient démontré leur bonne capacité d’intégration au Canada. Elle a toutefois ajouté qu’elle ne considérait pas que les éléments soumis au dossier démontraient de façon suffisante qu’ils subiraient des difficultés inusitées, injustifiées ou excessives s’ils étaient tenus de se conformer à l’exigence habituelle, en l’occurrence celle de présenter leur demande de résidence permanente à l’étranger. Elle a affirmé qu’elle avait tenu compte de l’âge des enfants, de leur degré d’intégration, des conséquences de sa décision sur leur éducation et de l’ensemble de la preuve pour en arriver à la conclusion que l’intérêt supérieur des enfants n’était pas suffisant pour justifier une exemption.

 

[29]           Enfin, pour ce qui est des autres facteurs, elle a déclaré que les problèmes de santé évoqués par le demandeur principal n’avaient pas été suffisamment démontrés par la preuve pour qu’on puisse conclure que le demandeur principal subirait des conséquences si sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était refusée, étant donné que rien ne permettait de penser qu’il ne pourrait pas être traité pour sa dépression en Inde. L’agente a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que ce facteur était suffisant et important.

 

Analyse

[30]           Pour les motifs ci-après exposés, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La norme de contrôle d’une décision relative à des raisons d’ordre humanitaire est, sur le fond, celle de la décision raisonnable. Cette norme de contrôle des décisions rendues au fond relativement à une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Est déraisonnable la décision qui n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, le tribunal qui contrôle une conclusion en fonction de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748).

 

[31]           Le fondement de la décision de l’agente ressort à mon avis de façon évidente de l’examen de sa décision. Après avoir examiné les éléments de preuve soumis par les demandeurs à l’appui des facteurs relatifs aux raisons d’ordre humanitaire invoqués, l’agente a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que ces éléments de preuve étaient suffisants pour justifier une dispense d’application de la condition habituelle imposée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) aux personnes cherchant à obtenir le droit d’établissement au Canada, en l’occurrence d’être titulaires d’un visa de résident permanent avant de venir au Canada dans ce but.

 

[32]           Il est de jurisprudence constante, à la Cour fédérale, que :

 

·      C’est au demandeur qu’il incombe d’établir l’existence de raisons d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier une dispense d’application des obligations légales habituelles de la LIPR;

 

·      Concrètement, le demandeur doit soumettre à l’examen du décideur suffisamment d’éléments de preuve probants et fiables pour démontrer l’existence des raisons d’ordre humanitaire qu’il invoque. Le demandeur doit présenter ses meilleurs arguments et ne peut se plaindre par la suite s’il n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve convaincants. Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, notre Cour ne peut se lancer dans une nouvelle pondération de ces éléments de preuve en vue de remplacer la décision du tribunal par la sienne (Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2002 CFPI 567; voir également Samsonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1158). En corollaire à l’obligation imposée au demandeur de présenter ses meilleurs arguments, le décideur doit examiner et pondérer les éléments de preuve qui lui sont soumis.

 

[33]           Ces principes ont une incidence directe sur l’argument des demandeurs suivant lequel l’agente n’a pas procédé à une analyse assez approfondie avant de tirer ses conclusions au sujet de l’établissement, de l’intérêt supérieur des enfants et des problèmes de santé du demandeur principal. Cet argument est mal fondé.

 

[34]           Il ressort nettement de la comparaison entre, d’une part, les éléments de preuve et les arguments présentés par les demandeurs et, d’autre part, l’analyse de l’agente, que cette dernière a soigneusement examiné toute la preuve, l’a analysée et a conclu que, sur chacun des points en question (établissement, intérêt supérieur des enfants et autres facteurs), la preuve n’était pas suffisante pour justifier une exemption. À mon avis, le degré auquel l’agente a poussé son analyse était directement proportionnel à l’ampleur des éléments de preuve soumis à son examen. On ne pouvait s’attendre que l’agente analyse des éléments de preuve qui n’avaient pas été portés à sa connaissance.

 

Première question

[35]           Suivant la jurisprudence de notre Cour, le critère sous-jacent à toute demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est le critère des difficultés. Ainsi que mon collègue le juge de Montigny l’a souligné dans le jugement Ramirez et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404, la notion de « difficultés », dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, et la notion de « risque » envisagée dans une ERAR « ne sont pas équivalentes et doivent être appréciées selon une norme différente ». Il ajoute ce qui suit, au paragraphe 43 de ses motifs : « Il est tout à fait légitime pour un agent de s'appuyer sur le même ensemble de conclusions factuelles en appréciant une demande CH et une demande d'ERAR, à condition que ces faits soient analysés sous le bon angle ».

 

[36]           Ainsi que le juge O’Keefe l’a expliqué dans le jugement Dharamraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 674, au paragraphe 24 : « La preuve des risques que les demandeurs doivent faire est plus lourde dans le cas d’un ERAR que dans celui d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Aussi, il peut arriver qu’un facteur de risque soit pertinent pour une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais pas pour une demande d’ERAR ». Au paragraphe 25, le juge déclare : « En l’espèce, l’agente a simplement fait sienne l’évaluation des risques effectuée par la CISR et par l’agent d’ERAR sans effectuer une analyse plus approfondie pour les besoins de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. À mon avis, l’agente a rendu une décision déraisonnable parce qu’elle n’a pas examiné les facteurs de risque dans le contexte de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ».

 

[37]           On trouve à la page 562 du dossier certifié du tribunal les observations écrites des demandeurs en ce qui concerne leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Le risque qu’ils y évoquent est le même que celui dont ils avaient fait état devant la CISR et dans leur demande d’ERAR, en l’occurrence la menace à leur vie à laquelle ils seraient exposés parce que les organisateurs des émeutes de 1984 les tueraient s’ils retournaient en Inde, étant donné qu’ils craignent qu’ils témoignent contre eux dans la foulée des mesures prises par le gouvernement de l’Inde, par le biais de la commission d’enquête, en vue de traduire en justice les responsables des émeutes de 1984.

 

[38]           Dans leurs observations écrites, les demandeurs insistent sur un facteur qui, selon eux, n’avait pas été soulevé devant la CISR pour prouver la crainte de M. Singh. Ils font valoir qu’il ne serait ni plausible ni logique que M. Singh quitte le poste important et bien rémunéré qu’il occupait au sein de Indian Airlines si la menace à sa vie et à celle des membres de sa famille n’était pas réelle.

 

[39]           Le tribunal a exprimé dans les termes suivants sa conclusion sur ce point : [traduction] « Après avoir analysé les risques allégués, je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas démontré de façon objective qu’ils seraient personnellement exposés à une menace à leur vie et/ou à leur sécurité ».

 

[40]           Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal a expressément tenu compte des observations écrites des demandeurs au sujet de l’emploi de M. Singh. L’agente n’était pas convaincue que les demandeurs avaient présenté des éléments de preuve suffisants pour démontrer cet emploi et les circonstances entourant la démission de M. Singh.

 

[41]           Compte tenu des circonstances de la présente affaire, la jurisprudence citée par l’avocat des demandeurs ne s’applique pas. L’agente a essentiellement décidé que les risques invoqués au soutien de la demande fondée sur les raisons d’ordre humanitaire n’avaient pas été démontrés et qu’ils n’existaient tout simplement pas. Dans ces conditions, le risque allégué ne saurait être considéré comme une difficulté pour trancher une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[42]           Par ailleurs, les demandeurs n’ont appelé l’attention de l’agente sur aucune autre circonstance associée à ce risque qui aurait pu emporter sa conviction pour ce qui est du critère moins exigeant auquel il faut répondre pour démontrer l’existence de difficultés.

 

[43]           La présente espèce est différente de l’affaire Ramirez, précitée, dans laquelle le juge de Montigny déclare, au paragraphe 45 : « Il se peut que la violence, le harcèlement et les mauvaises conditions sanitaires ne constituent pas un risque personnalisé pour l'application de la LIPR, mais ces facteurs peuvent bien être suffisants pour établir des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ».

 

[44]           L’avocat du demandeur a cité la décision rendue par le juge de Montigny dans l’affaire Kaur c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1491. Il affirme qu’il s’agit d’une affaire très semblable à celle qui m’est soumise. Je ne suis pas de cet avis. L’affaire Kaur qui m’a été citée ne portait pas sur une décision relative à des raisons d’ordre humanitaire; il s’agissait plutôt d’une décision de la CISR.

 

Deuxième question

[45]           Il ressort du dossier que l’agente n’a pas mal interprété le risque invoqué en méconnaissant la véritable nature de la crainte que M. Singh affirmait avoir du fait de l’agression dont il avait été victime en février 2005 entre les mains de fiers-à-bras.

 

[46]           Le dossier certifié du tribunal, qui est constitué des pièces dont l’agente disposait lorsqu’elle a pris sa décision, renferme aux pages 542 à 550 la décision qu’elle a rendue au sujet de l’ERAR, décision qui est incorporée et mentionnée dans la décision qu’elle a rendue au sujet des raisons d’ordre humanitaire.

 

[47]           À la page 545, l’agente précise bien les raisons pour lesquelles M. Singh aurait été agressé en février 2005, en l’occurrence qu’il aurait communiqué avec la police en laissant entendre qu’il était en mesure d’identifier les organisateurs des émeutes de 1984.

 

Troisième question

[48]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’agent d’immigration doit être « réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur des enfants ».

 

[49]           L’avocat du demandeur soutient que la décision de l’agente minimise l’intérêt supérieur des enfants car on n’y trouve aucune analyse sérieuse de cet intérêt. À mon avis, la lecture de la décision de l’agente n’appuie pas l’argument des demandeurs.

 

[50]           Une fois de plus, l’agente a cité les observations écrites dans lesquelles les demandeurs ont expliqué qu’il était avantageux pour les enfants de demeurer au Canada parce qu’ils seraient assurés d’y recevoir une formation scolaire de qualité et jouiraient d’une plus grande liberté et de meilleures perspectives d’avenir.

 

[51]           Dans sa décision, l’agente a tenu compte de la preuve soumise et du degré d’intégration des demandeurs. L’agente a mentionné leur âge, leur degré d’établissement, les conséquences sur leur éducation, ainsi que l’ensemble de la preuve en ce qui concerne leur intérêt supérieur. L’agente a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que tous les éléments contenus au dossier permettaient de conclure que les demandeurs subiraient des difficultés injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter de l’étranger leur demande de résidence permanente au Canada. À son avis, tous les facteurs qui, selon les demandeurs, jouaient en faveur de l’intérêt supérieur des enfants n’étaient pas suffisants pour justifier une dispense d’application des règles de droit canadiennes en matière d’immigration qui exigent que ceux qui veulent résider au Canada fassent l’objet d’un examen initial à l’étranger.

 

[52]           Les demandeurs ne m’ont pas convaincu, en invoquant la jurisprudence citée, que l’agente a commis une erreur justifiant notre intervention en rendant sa décision après avoir analysé l’intérêt supérieur des enfants.

 

[53]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question certifiée n’a été proposée.

 

 

                                                                                                « François Lemieux »

                                                                                                ___________________________

                                                                                                                        Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1746-07

 

INTITULÉ :                                       ROOP SINGH ET AL. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Me Stewart Istvanffy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Simone Truong

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Istvanffy Vallières & Ass.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.