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Date : 20071221

Dossier : IMM-2085-07

Référence : 2007 CF 1351

 

 

ENTRE :

MAJEWSKA, Sylwia

MAJEWSKA, Anna Maria

MAJEWSKI, Piotr Marek

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Pinard

 

 

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a décidé que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Les demandeurs sont une mère et ses deux enfants. Il s’agit de citoyens de la Pologne qui demandent l’asile en raison de la discrimination dont ils se disent victimes en tant que Roms.

 

[3]               Après avoir reconnu que des actes de discrimination et de harcèlement cumulatifs peuvent constituer de la persécution, la Commission a estimé que la demande d’asile des demandeurs devait être rejetée parce qu’à cause de leur manque de crédibilité, les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils avaient raison de craindre d’être persécutés, d’autant plus qu’ils pouvaient par ailleurs se réclamer de la protection de l’État.

 

[4]               La Commission a relevé plusieurs contradictions entre le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de Mme Majewska et le rapport médical qu’elle avait produit, notamment le fait qu’elle n’avait pas mentionné dans son FRP qu’elle avait eu deux côtes fracturées alors que cette blessure était indiquée dans son rapport médical, le fait que le rapport médical ne mentionnait pas les blessures subies par le mari de Mme Majewska et le fait que cette dernière était inconsciente à son arrivée à l’hôpital. De plus, le rapport médical indique que Mme Majewska s’est présentée elle‑même à l’hôpital alors que son FRP affirme qu’elle y a été conduite en ambulance. La Commission n’a pas trouvé convaincantes les explications fournies par Mme Majewska pour justifier ces divergences, en l’occurrence que le médecin qui avait établi le rapport « avait été mesquin en n’incluant pas tous les renseignements » et qu’elle avait omis de parler de ses côtes fracturées dans son FRP parce qu’elle devient très perturbée lorsqu’elle lit au sujet de cet incident. Pour ces motifs, la Commission a estimé que Mme Majewska manquait de crédibilité au sujet de sa présumée agression. Ce manque de crédibilité entachait aussi l’affirmation de Mme Majewska suivant laquelle les policiers  n’avaient reçu aucun signalement et avaient refusé de l’aider lorsqu’elle s’était adressée à eux en avril 2006.

 

[5]               S’agissant des difficultés auxquelles les demandeurs étaient confrontés dans le domaine de l’emploi et dans celui de l’enseignement, la Commission a fait observer ce qui suit, après avoir examiné la preuve documentaire :

     Il me semble, à la lecture de ces rapports du Département d’État des États‑Unis que les autorités gouvernementales, de concert avec les dirigeants roms, prennent des mesures pour mettre en œuvre de nouvelles lois, et pour les appliquer, dans le but d’améliorer graduellement la vie et les possibilités des Roms, tant dans le domaine de l’emploi que dans celui de l’enseignement, et d’apprendre aux forces policières à reconnaître la violence et la discrimination racistes contre les Roms, et à prendre des mesures à cet égard.

 

 

 

[6]               Enfin, la Commission a signalé que, même si la preuve documentaire faisait état d’incidents occasionnels de violence et de harcèlement racistes :

. . . Il est évident que les éléments de preuve objectifs font ressortir que chaque citoyen polonais (y compris les citoyens roms) qui estiment faire l’objet de discrimination, de harcèlement ou de mauvais traitements peuvent avoir recours à des mécanismes légaux pour réclamer que justice soit faite.

 

      La demandeure d’asile principale ne s’est pas prévalue du type de recours en justice qui s’offrait à elle en raison de sa méfiance ou de son manque de confiance à l’égard des autorités policières. J’estime que, dans ce cas particulier, une telle méfiance ou un tel manque de confiance ne sont pas justifiés. Je constate qu’une protection de l’État adéquate (quoique non parfaite) est disponible pour la demandeure d’asile principale et ses enfants en Pologne. À mon avis, la demandeure d’asile principale (en son nom et au nom de ses enfants) n’a pas présenté de preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de la Pologne de la protéger et de protéger sa famille.

 

[7]               Les demandeurs soutiennent tout d’abord que la Commission avait des attentes déraisonnables au sujet de la teneur du rapport médical, de sorte que les conclusions qu’elle a tirées au sujet de la crédibilité ne sauraient être confirmées.

 

[8]               La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission quant à la crédibilité des demandeurs d’asile est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour ne doit modifier les conclusions de fait de la Commission que si celle-ci les a tirées de façon abusive ou arbitraire ou si elle n’a pas tenu compte des éléments dont elle disposait (voir les jugements Akhigbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 249, [2002] A.C.F. 332 (C.F. 1re inst.) (QL); Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 70 A.C.W.S. (3d) 136, [1997] A.C.F. 296 (C.F. 1re inst.) (QL); R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 228 F.T.R. 43, et l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7). L'omission d'un fait important dans le FRP peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité (voir Akhigbe, précité). De plus, les décisions de la Commission ne doivent pas être examinées à la loupe mais devraient plutôt être considérées comme un tout et être interprétées en fonction du contexte de la preuve. Les erreurs commises par la Commission doivent être importantes pour que l’intervention de la Cour puisse être justifiée (Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81).

 

[9]               Dans le cas qui nous occupe, j’estime que la Commission a tiré une inférence déraisonnable en estimant que le rapport médical aurait dû mentionner les blessures subies par le mari de Mme Majewska, de même que le fait que Mme Majewska avait été transportée à l’hôpital en ambulance. Il n’y a pas d’éléments de preuve qui indiquent qu’un rapport médical polonais renfermerait ce genre de renseignement, qui ne se rapporte pas directement au traitement médical de Mme Majewska.

 

[10]           J’estime néanmoins que l’appréciation que la Commission a faite de la crédibilité repose sur les conclusions qu’elle a tirées au sujet du défaut du rapport médical de mentionner que Mme Majewska était inconsciente à son arrivée à l’hôpital, ainsi qu’il est indiqué dans son FRP, et de l’omission de Mme Majewska de mentionner dans son FRP qu’elle avait eu les côtes fracturées. À mon avis, ces contradictions sont suffisamment importantes pour justifier la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité de Mme Majewska relativement aux allégations de cette dernière concernant l’incident de janvier 2006. J’estime en outre que la conclusion de la Commission sur ce point était suffisante pour la justifier de conclure que Mme Majewska n’était pas non plus crédible au sujet des démarches qu’elle avait faites pour obtenir la protection de la police.

 

[11]           En second lieu, les demandeurs font remarquer que la Commission a affirmé, à tort, qu’ils avaient invité cette dernière à comparer les rapports du Département d’État des États-Unis de 2003 à 2005. Il ressort plutôt du procès-verbal de l’audience que l’avocat des demandeurs a demandé à la Commission de comparer les rapports de 2002 et de 2005 avec celui de 2006, lequel fait état, suivant les demandeurs, d’un changement perceptible dans la situation au pays. Suivant le défendeur, toutefois, la Commission a procédé à une analyse attentive des éléments de preuve documentaires, et même si la Commission n’a pas cité la bonne pièce, cette erreur ne porte pas un coup fatal à sa décision.

 

[12]           En principe, c’est au demandeur d’asile qu’il incombe de démontrer de façon claire et convaincante qu’il ne peut compter sur la protection de l’État lorsque celui-ci n’est pas l’agent de persécution, à moins qu’il existe des éléments de preuve démontrant un effondrement complet de l’État (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Le défaut de mentionner un élément de preuve précis ne porte pas à lui seul un coup fatal à la décision de la Commission. De plus, des éléments de preuve documentaires tendant à démontrer que la protection de l’État peut être imparfaite ne suffisent pas à réfuter la présomption de la protection de l’État (voir, par exemple, l’arrêt Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102, et le jugement Pitrowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 784, [2005] A.C.F. 1001 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[13]           Dans le cas qui nous occupe, je conclus que l’appréciation que la Commission a faite de la possibilité de recourir à la protection de l’État était raisonnable malgré la confusion créée dans son esprit au sujet des rapports du Département d’État. La Commission a bel et bien fait état de l’existence d’« incidents occasionnels de violence raciste » et du « défaut de la police de faire enquête et de poursuivre en justice les auteurs de crimes racistes », mais elle a conclu, de façon globale, que les demandeurs ne s’étaient pas prévalus du type de recours en justice qui s’offrait à eux. À mon avis, bien qu’il fasse effectivement état de « cas de plus en plus fréquents d’intolérance », le rapport de 2006 du Département d’État des États-Unis ne démontre pas que la situation au pays a changé au point où l’on pourrait considérer que les demandeurs ont réfuté la présomption de la protection de l’État. Je ne vais donc pas modifier la conclusion de la Commission sur ce point.

 

[14]           Pour les motifs qui ont été exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 21 décembre 2007

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2085-07

 

INTITULÉ :                                                   MAJEWSKA, Sylwia, MAJEWSKA, Anna Maria, MAJEWSKI, Piotr Marek c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 21 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 21 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Mike Bell                                                                POUR LES DEMANDEURS

 

Me Alysia Davies                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mike Bell                                                                     POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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