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Date : 20071221

Dossier : IMM-3599-06

Référence : 2007 CF 1359

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

JACINTHA MARIA HOOPER

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne de Saint‑Vincent-et-les Grenadines (Saint-Vincent). Elle a présenté une demande d’asile en invoquant le fait qu’elle était victime de violence familiale dans son pays natal. Après avoir entendu la demande, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. C’est de cette décision de la Commission que la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire.

 

 

 

LES FAITS

[2]               La demanderesse a commencé à vivre en union de fait avec Michael Williams en 1991. Elle allègue que M. Williams a commencé à l’agresser physiquement deux ans plus tard, après la naissance de leur fille. Lorsqu’il agressait la demanderesse, M. Williams prétendait que l’enfant n’était pas le sien. En mars 1994, M. Williams a battu la demanderesse si violemment qu’elle a été hospitalisée pendant deux semaines. Après avoir reçu son congé de l’hôpital, la demanderesse a signalé l’incident à la police mais aucune mesure n'a été prise. Elle est ensuite retournée vivre avec M. Williams mais elle a précisé qu’elle devait parfois habiter chez sa mère à cause des agressions et du harcèlement qu’elle subissait.

 

[3]               En novembre 1997, la demanderesse et M. Williams ont déménagé à Canouan, une petite île située au large de l’île de Saint‑Vincent, pour travailler dans un centre de villégiature où ils ont vécu ensemble pendant quatre ans. Malgré les avertissements qu’il a reçus du frère de la demanderesse, qui travaillait comme agent de police, M. Williams a continué de se comporter de manière violente.

 

[4]               Lors d’un party de Noël en décembre 1998, M. Williams a brutalement agressé la demanderesse et a plus tard été tiré à l’écart par des collègues de travail de sa conjointe. L’incident a été signalé à la police et M. Williams a été mis en détention. Cependant, il a été libéré au bout d’une heure après avoir raconté à la police qu’il était ivre. Aucune accusation n’a été déposée contre lui. M. Williams a été congédié après que le frère de la demanderesse eut signalé l’incident au gérant du centre de villégiature. Il a trouvé un autre emploi dans un autre centre de villégiature sur l’île et a continué à harceler la demanderesse.

[5]               La demanderesse affirme que M. Williams a continué de la battre pendant les deux années qui ont suivi. Des voisins et des membres de la famille ont également signalé les incidents à la police mais aucune mesure n’a été prise contre M. Williams.

 

[6]               En juillet 2001, la demanderesse s’est enfuie au Canada munie d’un visa de visiteur valide pour une période de six mois. Elle a demandé l’asile en août 2004. Elle a expliqué son retard à présenter une demande d’asile par le fait qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait le faire avant qu’un travailleur social dans un refuge ne l’en informe.

 

[7]               Le 9 juin 2006, la Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse compte tenu de son retard à présenter une demande d’asile et de la possibilité qu’elle avait d’obtenir la protection de l’État à Saint‑Vincent.

 

[8]               Après avoir examiné soigneusement le dossier et les observations des parties, je suis d’avis que la décision de la Commission devrait être annulée.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               La Commission a reconnu l’identité de la demanderesse comme citoyenne de Saint‑Vincent, mais elle a conclu que l’explication au sujet de son retard à demander l’asile n’était pas raisonnable ni crédible. La demanderesse est demeurée au Canada sans statut après l’expiration de son visa de visiteur et n’a pris aucune mesure raisonnable pour légaliser son statut pendant trois ans (la Commission a par erreur mentionné quatre ans). La Commission a souligné que la demanderesse aurait pu se renseigner auprès de son église ou de sa cousine chez qui elle a habité pendant un certain temps.

 

[10]           La Commission a ensuite analysé la question de la protection de l’État accordée, à Saint‑Vincent, aux femmes victimes de violence. Elle a décrit la situation de manière assez positive, en soulignant que « la police de Saint-Vincent répond à tous les appels en matière de violence familiale », qu’elle « s’acquitte de son travail lorsqu’elle reçoit des plaintes en matière de violence familiale », qu’elle « les résout adéquatement », que, depuis 1992, les victimes de violence familiale « ont accès aux recours légaux » et que « le système judiciaire est très efficace pour intenter des poursuites contre les auteurs de violence familiale, et de nombreux agresseurs reçoivent des peines d’emprisonnement ».

 

[11]           En effet, la Commission semble laisser entendre que si le système n’a pas fonctionné aussi bien qu’il aurait dû dans le passé, c’est parce que les femmes ont tendance à retirer leurs plaintes et qu’elles refusent d’utiliser les recours judiciaires. Elle est même allée jusqu’à dire que « lorsqu’il arrive que le système judiciaire ne fonctionne pas en cette matière, il s’agit presque toujours de cas où les procédures sont retirées à la demande de la victime ».

 

[12]           Heureusement, cette tendance s’est modifiée selon la Commission « bien que de nombreuses [femmes] refusent toujours d’aller plus loin que l’étape de la plainte auprès de la police ».

[13]           De manière presque subliminale, la Commission a accepté que la situation laisse à désirer et que la preuve documentaire n’est « pas claire » sur la question de la violence familiale. Cependant, elle a vite fait de souligner que la Marion House, une agence non gouvernementale de services sociaux, peut renvoyer les femmes qui désirent exercer un recours judiciaire à des avocats qui offrent leurs services bénévolement et que, dans de tels cas, la police recommande habituellement aux parties de s’adresser au tribunal de la famille pour obtenir une ordonnance de protection.

 

[14]           La Commission a terminé en affirmant que Saint‑Vincent n’est pas tenu d’assurer une protection efficace à cent pour cent; il doit seulement déployer des efforts sérieux pour assurer une protection aux personnes qui sont victimes de violence en raison de leur sexe. Elle a également supposé que, si le conjoint de fait de la demanderesse avait vraiment voulu la contrôler, comme elle l’a déclaré, il aurait utilisé l’enfant comme appât et pris des mesures pour demander la garde de l’enfant devant les tribunaux. Pour ces motifs, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection offerte par l’État et qu’elle n’était donc pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Étant donné que les parties ont convenu que le retard à demander l’asile ne peut constituer en soi un facteur décisif et qu’il ne semble pas avoir été traité comme tel par la Commission elle‑même, la seule question qui reste à trancher est de savoir si la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la protection offerte par l’État. Bien sûr, la Cour doit d’abord déterminer la norme de contrôle qui s’applique à l’égard d’une telle conclusion avant d’entreprendre son analyse du raisonnement tenu par la Commission.

 

L’ANALYSE

[16]           Il est désormais bien établi que la décision raisonnable simpliciter est la norme générale de contrôle applicable à la question de la protection offerte par l’État. Cette question est clairement une question mixte de fait et de droit, étant donné qu’elle suppose l’application d’une norme juridique (c'est-à-dire une confirmation claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer la protection) à un ensemble de faits. Elle a été analysée à fond par ma collègue la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, et je ne vois aucune raison d’en arriver à un raisonnement différent de celui qu’elle a adopté.

 

[17]           Par conséquent, la décision de la Commission ne sera annulée que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir.

 

[18]           L’avocate de la demanderesse a essentiellement avancé trois arguments. Premièrement, elle a allégué que la Commission a procédé à un examen très sélectif de la preuve dont elle était saisie pour parvenir à sa conclusion. Deuxièmement, elle a soutenu que la Commission s’est fondée exclusivement sur un seul document et n’a pas tenu compte des éléments de preuve plus récents dont elle disposait. Troisièmement, elle a fait valoir que la Commission a mal appliqué le critère juridique relatif à la protection de l'État. Je vais examiner à tour de rôle chacun de ces arguments.

 

[19]           En lisant attentivement la décision de la Commission, on constate que celle-ci a tiré ses conclusions principales presque textuellement d’un document intitulé Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines : violence conjugale, y compris les réactions de la police aux plaintes (de 2002 à avril 2003) (VCT 41518.F) (dossier du tribunal, à la page 57). Certes, il s’agit de l'un des documents contenus dans le Cartable national de documentation préparé par la Direction des recherches de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le problème c’est que non seulement il ne s’agit que d’un document parmi d’autres contenus dans le cartable (c’est le deuxième argument avancé par la demanderesse, sur lequel je reviendrai un peu plus loin), mais que la Commission a comme par hasard laissé tomber tous les renseignements contredisant ses conclusions qui y figuraient.

 

[20]           La rétroaction positive au sujet de l’efficacité de la police et du système judiciaire en ce qui concerne la protection offerte aux femmes battues est fondée sur des renseignements fournis par la coordonnatrice de l’Association des droits de la personne de Saint-Vincent-et-les Grenadines (l’Association) et la présidente et première magistrate du tribunal de la famille. Cependant, dans le le document même sur lequel la Commission s’est fondée, on trouve une opinion contraire à cet égard, celle d’une coordonnatrice et conseillère de la Marion House, une organisation non gouvernementale qui aide les femmes et les enfants victimes de violence. Voici ce que le rapport de la Direction des recherches énonce sur la base des renseignements fournis par la conseillère :

 

Elle a corroboré l'information fournie par la coordonnatrice de l’Association au sujet des refuges et des bureaux d'aide juridique, mais a fourni de l'information contradictoire au sujet des réactions de la police aux plaintes de violence conjugale en les qualifiant de [traduction]  « minimes ». Elle a ajouté que de nombreux agents étaient [traduction]  « de peu d'utilité » lorsqu'il s'agissait de renseigner les victimes de violence conjugale au sujet de leur droits reconnus par la loi. Selon la coordonnatrice, la plupart des cas ne sont pas pris au sérieux et sont traités avec indifférence. Le public a généralement tendance à adopter une attitude de marginalisation envers le problème de la violence conjugale; en outre, comme le pays n'est pas grand, les victimes ont le sentiment de ne disposer d'aucune protection et de n'avoir [traduction]  « nulle part où aller ».

 

La police arrête peu d'auteurs de violence conjugale et rend rapidement la liberté à ceux qu'elle arrête. De nombreux auteurs de violence conjugale sont eux-mêmes policiers. Les cas qui se rendent en cour sont souvent rejetés, soit en raison d'un manque d'éléments de preuve, soit pour des motifs techniques. Les services offerts aux victimes sont [traduction] « minimes ». Marion House peut orienter les femmes à la recherche d'un recours juridique vers des avocats qui offrent bénévolement leurs services.

 

Dossier du tribunal, à la page 57

 

 

[21]           Bien sûr, l’intimé a raison en affirmant qu’un tribunal n’a pas à faire référence à chaque élément de preuve dans sa décision. Cependant, il est également bien établi en droit que la Cour peut conclure que la Commission n’a pas tenu compte de faits essentiels ou qu’elle les a mal compris et que sa décision est erronée, si elle a omis d’analyser des éléments de preuve importants et contradictoires. Comme le juge Evans l’a écrit dans le passage qui suit, souvent cité, tiré de la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 :

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

 

[22]           L’intimé a soutenu que la Commission ne s’est pas penchée sur l’existence d’une preuve contradictoire, comme le prouve sa déclaration selon laquelle la « preuve documentaire [n’est] pas claire » sur la question de la violence familiale. Cependant, cet argument ne suffit pas pour diverses raisons. Tout d’abord, la preuve contradictoire figurait dans le document même sur lequel la Commission s’est fondée, lequel provenait d’une source crédible, une organisation non gouvernementale qui offre des services directs aux femmes victimes de violence. Comme elle a jugé bon de mentionner la Marion House dans ses efforts pour établir que les femmes ne sont pas laissées à elles-mêmes après avoir été agressées par un conjoint violent, la Commission aurait dû également prêter attention à l’analyse de la situation par cette organisation.

 

[23]           La Cour n’est pas liée par les décisions qu’elle a rendues antérieurement sur la situation à Saint‑Vincent, étant donné que chaque affaire est un cas d’espèce et repose sur les documents qui ont été déposés. Cela dit, l’avocate de la demanderesse m’a renvoyé à quelques décisions dans lesquelles la Cour a conclu, en se fondant sur le document même qui a été examiné par la Commission dans la présente affaire, que les autorités de Saint‑Vincent peuvent être disposées à protéger les victimes de violence familiale mais sont incapables de le faire : voir par exemple les décisions Myle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 871 et Henry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1060.

 

[24]           La décision du juge O’Keefe dans l’affaire King c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 774 est encore plus pertinente. Dans cette affaire, la Commission avait conclu qu'il n'y avait pas de preuve convaincante selon laquelle la protection de l'État était inadéquate, et elle s’était fondée sur le document même auquel la Commission a fait référence dans la présente affaire, sans jamais prendre note des renseignements contraires à l'intérieur de ce document. Après avoir cité le même passage qui figure au paragraphe 20 des présents motifs, mon collègue a conclu que le manquement de la Commission de faire référence à cette preuve contraire constitue une erreur susceptible de révision, et il a accueilli la demande de contrôle judiciaire sans examiner l’autre question soulevée par les demandeurs.

 

[25]           Pour ce seul motif, je pourrais en arriver à la même conclusion que mon collègue et renvoyer la décision à la Commission pour qu’elle rende une nouvelle décision, mais il y a plus. La preuve contradictoire que la Commission a omis d’examiner corrobore directement le témoignage de la demanderesse au sujet de son expérience personnelle avec la police. Étant donné qu’elle n’a pas mis en doute la vraisemblance des agressions et des plaintes portées devant la police par la demanderesse, la Commission avait une raison de plus d’expliquer pourquoi la preuve documentaire tendant à confirmer l’expérience de la demanderesse pouvait être rejetée.

 

[26]           De fait, la demanderesse a témoigné que, la seule fois où son agresseur a été détenu, on l’a relâché au bout d’une heure. Ce témoignage corrobore les propos de la coordonnatrice de la Marion House qui sont exposés dans le document rédigé par la Direction des recherches sur lequel s’est fondée la Commission : « La police arrête peu d'auteurs de violence conjugale et rend rapidement la liberté à ceux qu'elle arrête. »

 

[27]           La demanderesse a également témoigné qu’elle n’était pas au courant des mesures prises par le gouvernement pour régler les questions de violence familiale, ni de la possibilité d’obtenir des ordonnances de protection. Encore une fois, cette ignorance, par les victimes de violence familiale, des droits que leur reconnaît la loi est corroborée par la preuve que la Commission n’a pas citée. La coordonnatrice de la Marion House a déclaré que de « nombreux agents étaient [traduction] « de peu d'utilité » lorsqu'il s'agissait de renseigner les victimes de violence conjugale au sujet de leur droits reconnus par la loi ». Cette déclaration concorde avec le témoignage de la demanderesse selon lequel, malgré qu’elle ait porté plainte à la police, on ne l’a jamais avisée de la possibilité d’obtenir une ordonnance de protection.

 

[28]           Non seulement la Commission semble avoir examiné de manière sélective le rapport de 2003 rédigé par la Direction des recherches, mais elle a également omis de tenir compte des éléments de preuve plus récents dont elle disposait, c’est-à-dire du rapport de la Direction des recherches daté du 27 octobre 2005 sur l’application et l’efficacité de la loi sur la violence familiale (VCT 100755.F, à la page 68 du dossier du tribunal). Ce rapport fournit des données statistiques sur le nombre de demandes d’ordonnances de protection qui ont été déposées, accueillies et rejetées, et il expose ce qui suit :

En ce qui concerne l'efficacité de la police, le fonctionnaire de la section pour la promotion de l'égalité des sexes a déclaré que les réponses de la police face à la violence familiale étaient parfois inadéquates et contradictoires. Par exemple, si, dans certaines occasions, la police [traduction] « soumet le cas aux services à la famille ou au tribunal de la famille », dans d'autres, elle [traduction] « enjoint à la femme d'essayer de se réconcilier avec son mari ». Sans donner d'exemples, la fonctionnaire de la section pour la promotion de l'égalité des sexes a indiqué que la police était [traduction] « souvent accusée de ne pas traiter les problèmes de violence familiale de la meilleure manière possible ».

 

[…]

 

Cependant, en ce qui concerne l'efficacité de la police, la représentante de l'ONG a indiqué que, selon lui, la police n'appliquait pas toujours la loi de manière rigoureuse, surtout quand il s'agissait du respect des ordonnances de protection. Saint-Vincent étant un [traduction] « petit monde », il est parfois difficile aux officiers qui connaissent peut-être l'agresseur d'être réceptifs aux plaintes des victimes de violence familiale.

 

 […]

 

 

 

[29]           Cette information était essentielle puisque la Commission a fait valoir que la demanderesse aurait pu demander au tribunal de la famille une ordonnance de protection. Le rapport précité contient des renseignements qui peuvent amener à conclure que l’obtention d’une ordonnance de protection n’était pas un recours efficace dans le cas de la demanderesse, étant donné que ces ordonnances ne sont pas exécutées par la police. On ne peut tenir pour acquis que la Commission a examiné tous les éléments de preuve pertinents simplement parce qu’elle a fait référence au Cartable national de documentation dans la note 6 en bas de page de ses motifs. Lorsque la preuve omise contredit directement la conclusion de la Commission, on exigera davantage qu’une référence en passant à une liasse de documents dans une note en bas de page pour réfuter l’inférence selon laquelle la Commission en est arrivée à une conclusion sans dûment tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait, en particulier lorsque ces éléments sont plus récents que ceux auxquels elle a  expressément fait référence.

 

[30]           Compte tenu de ce qui précède,  je n’ai pas à épiloguer sur le troisième argument de la demanderesse. Il ne fait aucun doute, comme la Commission l’a indiqué, que les autorités de Saint‑Vincent ne sont pas tenues d’assurer une protection efficace à cent pour cent; mais il est tout aussi vrai que les bonnes intentions ne suffisent pas et qu’une protection efficace doit réellement être offerte par l’État pour qu’on puisse conclure à son existence. Comme ma collègue la juge Tremblay-Lamer l’a exposé dans la décision Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 13 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 13 :

[13]      Ainsi donc, même si l'État veut protéger ses citoyens, un demandeur remplira le critère du statut de réfugié si la protection offerte est inefficace. Un État doit donner réellement de la protection, et non simplement indiquer la volonté d'aider. Lorsque la preuve révèle qu'un demandeur a connu de nombreux incidents de harcèlement ou de discrimination ou à la fois de harcèlement et de discrimination sans que l'État le défende efficacement, la présomption joue, et on peut conclure que l'État veut peut-être protéger le demandeur, mais qu'il ne peut le faire.

 

 

[31]           En l’espèce, la Commission s’est fondée sur le fait que l’agresseur avait été mis en détention par la police, vraisemblablement mis en garde, et peu après relâché, pour conclure que la protection de l’État avait été assurée, ce qui est clairement insuffisant. La demanderesse a tenté d’obtenir la protection de la police à deux reprises après avoir été agressée gravement par M. Williams. La première fois, la police n’a pris aucune mesure, même si la demanderesse avait été hospitalisée. À la suite de la seconde plainte formulée par la demanderesse, M. Williams a été mis en détention mais relâché au bout d’une heure sans que des accusations soient portées contre lui. De plus, la Commission disposait d’une preuve incontestable que le conjoint de la demanderesse avait continué de la maltraiter après avoir perpétré ces agressions, et que la police n’avait pris aucune mesure malgré les signalements reçus de voisins et de membres de la famille. Ces faits ne sont certainement pas des exemples de protection efficace offerte par l’État. Il se peut que Saint‑Vincent ait pris des mesures pour lutter contre la violence familiale, mais la Commission a omis d’examiner si ces mesures remédiaient adéquatement au problème.

 

[32]           Pour ces motifs, j’estime que la décision de la Commission ne peut être maintenue. Ainsi, l’affaire sera renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué se prononce à nouveau, conformément aux présents motifs, sur la question de savoir si la demanderesse est une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et aucune question ne sera certifiée. 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-3599-06

 

INTITULÉ :                                                              JACINTHA MARIA HOOPER

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                     LE 13 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                              LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                             LE 21 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brena Parnes

 

        POUR LA DEMANDERESSE

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brena Parnes

Avocate

Barbra Schlifer Commemorative Clinic

489, rue College, bureau 503

Toronto (Ontario)  M6G 1A5

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

                                                                                                                                                                                             

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