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Date : 20071221

 

Dossier : IMM‑711‑07

 

Référence : 2007 CF 1354

 

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2007

 

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

 

ZIA UDDIN AHMED JILANI

 

demandeur

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Monsieur Jilani est un citoyen du Pakistan où il était un membre actif du mouvement politique connu sous l’acronyme MQM‑A. Il est arrivé au Canada en janvier 1997 et a demandé l’asile. La Section du statut de réfugié a rejeté sa demande en janvier 1998, mais un permis de séjour temporaire lui a été accordé. Pour des motifs sans lien avec la présente instance, le permis de M. Jilani n’a pas été renouvelé. Il a donc présenté une demande d’examen des risques avant renvoi en mars 2006. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par l’agente d’ERAR en date du 3 janvier 2007.

 

[2]               La Section du statut de réfugié a décidé que M. Jilani n’était pas un réfugié au sens de la Convention puisque la situation politique avait changé à la suite d’une élection qui avait permis au MQM‑A d’obtenir un soutien considérable et de devenir membre de la coalition au pouvoir. Elle a également décidé que M. Jilani avait une possibilité de refuge intérieur dans l’un des quartiers de Karachi, sa ville d’origine, où vivait un grand nombre de partisans du MQM‑A.

 

[3]               La SSR a effectivement conclu que le témoignage de M. Jilani était crédible, qu’il avait été persécuté pour son appartenance au MQM‑A et qu’il avait été forcé de vivre en ce qui aurait été qualifié de « semi-clandestinité ». Son père et un de ses frères plus âgés, également membres actifs du MQM‑A, sont décédés à la suite de blessures subies en prison en 1994. Un de ses frères, un autre membre du MQM‑A, a également demandé l’asile au Canada, alors que ses autres frères et sœurs, ainsi que sa mère, vivent à Karachi.

 

[4]               L’agente d’ERAR a conclu que le climat politique de la province de Sind et de sa capitale, Karachi, est passablement similaire à celui qui existait en 1998. Le MQM‑A s’accorde avec le parti au pouvoir et n’est pas expressément ciblé par les forces de sécurité lors d’assassinat ou d’intimidation politique, bien que ces attentats se produisent. Elle a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur dans la ville de Karachi et que M. Jilani n’avait pas fourni de preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de protection offerte par l’État.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE  

[5]               Les questions qui se posent en l’espèce sont de savoir si l’agente d’ERAR a commis une erreur dans son analyse de l’existence d’une PRI et lorsqu’elle a décidé que le demandeur pouvait obtenir la protection de l’État.

 

ANALYSE

[6]               Dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, [2005] A.C.F. no 540, après avoir appliqué la démarche pragmatique et fonctionnelle, j’ai résumé au paragraphe 19 mes conclusions quant aux normes de contrôle applicables aux décisions des agents d’ERAR de la manière suivante :

Ayant rassemblé et soupesé tous ces facteurs, je conclus que, dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions relatives à l’ERAR, la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter, et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte.

 

 

[7]               S’agissant des questions relatives à la protection offerte par l’État, dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232, après avoir examiné la jurisprudence, madame la juge Danièle Tremblay‑Lamer a statué aux paragraphes 9 à 11 que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. 

 

[8]               Je ne vois aucune raison d’appliquer des normes différentes en l’espèce.

 

[9]               La demande d’asile de M. Jilani a été instruite sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, c’est pourquoi sa présente demande fondée sur l’article 97 n’a pas été examinée dans le cadre de cette décision. Dans ses observations écrites, le demandeur prétend que l’agente d’ERAR a commis une erreur de droit en décidant que la décision de la SSR lui serve d’assise et en négligeant de mener une analyse indépendante et approfondie de sa demande, maintenant fondée sur l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qu’il a présentée en 2002. Le demandeur invoque à l’appui de cette thèse la décision Nikolayeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 246, [2003] A.C.F. no 322.

 

[10]           L’affaire que cite le demandeur constitue l’une des rares décisions ayant été prononcées durant la période suivant immédiatement l’édiction de la LIPR. Or, ces affaires n’avaient en commun que le fait pour les demandeurs d’avoir fourni des éléments de preuve seulement sur la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention (sous le régime de l’ancienne Loi), alors qu’ils étaient jugés selon la nouvelle loi. Dans ces circonstances, il a été décidé que les demandeurs devaient être autorisés à demander un nouvel examen dans le cadre duquel ils pourraient fournir de la documentation pour que leur demande soit examinée sur le fondement de l’article 97. Ces décisions se distinguent nettement de l’espèce, car M. Jilani a fourni des documents permettant à l’agente d’ERAR d’effectuer un examen fondé sur l’article 97.

 

[11]           L’analyse de l’agente portait sur les risques présents visés aux articles 96 et 97. Reprocher à l’agente d’ERAR de ne pas avoir mené une analyse indépendante fondée sur l’article 97 de la LIPR de la situation telle qu’elle existait au moment où la SSR a rendu sa décision en 1998 reviendrait à privilégier la forme au détriment du fond : Pannu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1666, [2004] A.C.F. no 2024. 

 

[12]           Le demandeur soutient que la conclusion de l’agente d’ERAR selon laquelle Karachi constitue une PRI valable est manifestement déraisonnable. Il prétend que les actes de persécution subis dans le passé font naître une présomption de persécution pour l’avenir. Or, M. Jilani a été victime de persécution à Karachi; c’est pourquoi cette ville ne saurait, selon lui, constituer une « possibilité de refuge » : Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706, [1991] A.C.F. no 1256.

 

[13]           À mon avis, il s’agit là d’un argument sans fondement. Karachi est une très grande ville qui compte beaucoup de quartiers et la preuve établit clairement que le MQM‑A possède des bastions dans un certain nombre de ces quartiers, à l’intérieur desquels les membres de l’organisation vivent et travaillent en sécurité. La notion de possibilité de refuge intérieur ne requiert pas que l’asile soit dans une autre ville ou dans une autre province de l’État d’origine, du moment qu’il s’agit réellement d’un endroit où le demandeur peut se protéger de la persécution subie dans son quartier d’origine.

 

[14]           Le demandeur soutient en outre que la conclusion de l’agente selon laquelle il pouvait obtenir la protection de l’État vu que le MQM‑A s’accordait désormais avec le parti au pouvoir constitue une erreur de droit. Il note que la Cour a statué à plusieurs reprises que le fait de confondre la volonté de protéger avec la capacité de protéger constitue une erreur susceptible de contrôle : Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, [2006] A.C.F. no 439. Il affirme que le gouvernement n’est pas monolithique et que les membres du MQM‑A ont continué d’être victimes de violence, de torture et d’assassinat depuis leur intégration dans la coalition.

 

[15]           L’agente a noté que la preuve documentaire fournie par le demandeur visait principalement la période comprise entre 2001 et 2003, moment où les forces de sécurité du Pakistan commettaient fréquemment de graves violations des droits de la personne à l’endroit des membres des partis politiques d’opposition, dont le MQM‑A. L’agente a reconnu que les forces de sécurité perpétraient encore de la violence, mais a conclu que cette violence ne visait pas expressément les membres du MQM‑A. Cette conclusion est étayée par la preuve documentaire, qui a attiré mon attention durant l’audience. La preuve indique que l’intégration du MQM‑A dans la vie politique du pays est maintenant réalisée. Cette intégration a permis au mouvement de prendre le contrôle de certains pouvoirs et d’exercer une influence sur les forces de sécurité aux échelles régionale et étatique. L’existence d’incidents sporadiques qui ne ciblaient pas uniquement le MQM‑A et qui n’étaient pas comparables à ceux de la situation comprise entre 2001 et 2002 demeurait cependant préoccupante. Des mesures actives ont été prises en vue de diminuer le niveau de violence. L’État a donc à la fois la volonté et la capacité de protéger, surtout dans les secteurs contrôlés par le MQM‑A. La décision de l’agente selon laquelle le demandeur pouvait obtenir la protection de l’État était raisonnable et fondée sur la preuve.

 

[16]            Les arguments du demandeur semblent indiquer essentiellement une objection générale à l’appréciation de la preuve par l’agente concernant la protection de l’État. La Cour a conclu qu’il est impossible d’exiger qu’un pays puisse garantir une protection efficace pour chacun de ses citoyens en tout temps. Le critère juridique qui s’applique impose au demandeur de prouver qu’il est exposé à plus qu’une simple possibilité de risque au Pakistan : Alfaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 92, [2005] A.C.F. no 97. M. Jilani n’a pas fait cette preuve.

 

[17]           M. Jilani a été victime de persécution grave à Karachi au début des années 1990 et, comme l’a noté la SSR dans sa décision il y a presque dix ans, sa réticence à retourner à l’endroit où il a si terriblement souffert est compréhensible. Malgré ce fait, le demandeur n’a pas prouvé que la décision de l’agente d’ERAR résultait de l’application d’un critère juridique inapproprié ou qu’elle était déraisonnable.

 

[18]           Par conséquent, je rejette la demande. Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question certifiée n’a été proposée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-711-07

 

INTITULÉ :                                       ZIA UDDIN AHMED JILANI

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 29 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 DÉCEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Jennifer Dagsvik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Waldman & Associés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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