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Date : 20071218

Dossier : IMM-2378-07

Référence : 2007 CF 1330

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2007

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

 

EHAB MOHAMED MO EL GHAZALY

SALWA TAWFIK MO SHALABY

SHADI EHAB MOHA EL GHAZALY

SHAIMAA EHAB MO EL GHAZALY

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision rendue le 19 avril 2007 par laquelle une agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a rejeté la demande de protection des demandeurs.

 

LE CONTEXTE

[2]               Ehab Mohamed Mo El Ghazaly (le demandeur principal), ainsi que son épouse Salwa Tawfik Mo Shalaby et leurs deux enfants, Shaimaa Ehab Mo El Ghazaly et Shadi Ehab Moha El Ghazaly (les demandeurs), sont citoyens de l’Égypte.

 

[3]               Le demandeur principal n’est arrivé au Canada que le 13 janvier 2003, mais les autres demandeurs sont arrivés le 17 septembre 2002. Tous ont demandé la résidence permanente pour raisons d’ordre humanitaire le 28 février 2003.

 

[4]               Les demandeurs ont tous demandé l’asile le 18 août 2003. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a toutefois rejeté leur demande le 12 mars 2004 pour manque de crédibilité. Cette décision reposait aussi sur le fait qu’ils n’avaient pas cherché protection à la première occasion et qu’il n’y avait pas assez de documents pour établir le  prononcé d’une déclaration de culpabilité au criminel en Égypte. Les demandeurs ont produit cinq certificats d’appel et un jugement concernant la déclaration de culpabilité au criminel. La demande d’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire a été rejetée le 25 juin 2004.

 

[5]               Le 26 juillet 2006, les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Ils ont produit quatre nouveaux certificats indiquant que quatre appels concernant les déclarations de culpabilité avaient été rejetés le 29 avril 2002. Le 19 avril 2007, l’agente a rejeté à la fois leur demande d’ERAR et leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[6]               L’agente a rejeté la demande d’ERAR au motif qu’il n’y avait pas de risque de persécution, ni de risque d’être soumis à la torture ou à des traitements cruels et inusités, au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[7]               Les passages pertinents de la décision concernant l’ERAR sont les suivants :

Toutefois, il n’est pas établi que le demandeur serait emprisonné s’il devait retourner en Égypte.

 

Je note que le demandeur présente ici, en substance, les mêmes allégations qui ont été présentées devant la SPR et qu’elle […] a rejetée[s] pour des motifs de crédibilité. Ici, les demandeurs ont présenté des documents démontrant que le demandeur principal a fait appel aux condamnations dont il fait l’objet. Je voudrais d’abord mentionner qu’il s’agit ici de simples photocopies auxquelles j’accorde peu de force probante puisqu’il m’est impossible d’attester de leur authenticité.

 

D’autre part, mentionnons que ces documents, à eux seuls, même s’ils étaient considérés authentiques, ne permettraient pas d’établir que le demandeur et sa famille sont à risque de rencontrer les problèmes qu’ils allèguent. Ils ne me permettraient pas de tirer de conclusion en ce qui concerne le contexte de ces condamnations, dont l’abus de pouvoir allégué du proche président, puisque ce fait, ainsi que les autres faits des allégations, n’ont pas été démontrés ni ici, ni devant la SPR.

 

De plus, pour ces mêmes raisons, je ne peux pas conclure qu’il s’agirait ici d’une sanction d’emprisonnement [qui] serait illégitime ou contraire aux normes internationales. J’accorde conséquemment aucun poids à cette allégation.

 

LES QUESTIONS À EXAMINER

[8]               Je crois qu’il y a lieu d’examiner trois questions, qui doivent être reformulées comme suit :

a)                L’agente a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale due aux demandeurs?

b)               La conclusion de fait de l’agente est-elle manifestement déraisonnable?

c)                La conduite de l’ancien avocat des demandeurs a-t-elle porté atteinte à leur droit d’être entendus?

 

LA LÉGISLATION PERTINENTE

[9]               La législation applicable à une audience tenue dans le contexte d’une demande d’ERAR figure à l’alinéa 113b) de la Loi, ainsi qu’à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), qui sont libellés ainsi :

113. Il est disposé de la demande comme il suit  :

[…]

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows :

[…]

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise  :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following :

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

 

LES NORMES DE CONTRÔLE

[10]           Dans la décision Rizk Hassaballa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 489, aux paragraphes 9 et 10, j’ai appliqué la norme de la décision raisonnable à une décision d’ERAR considérée de manière globale, ainsi qu’à des questions mixtes de fait et de droit. Cependant, pour ce qui est des conclusions de fait, j’ai conclu que la norme de contrôle appropriée était la décision manifestement déraisonnable, mais que c’est la décision correcte qui est la norme à appliquer aux questions de droit et d’équité procédurale (voir aussi Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 2005 CF 437; Sing c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 361). Je ne vois aucune raison d’appliquer en l’espèce des normes de contrôle différentes.

 

ANALYSE

a)         L’agente a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale due aux demandeurs?

[11]           Dans la présente affaire, les quatre certificats d’appel ne constituaient pas un élément fondamental de la décision relative à la demande de protection des demandeurs car, comme l’agente l’a indiqué, même si elle avait conclu que les documents étaient authentiques, elle n’aurait pas fait droit à la demande parce que les demandeurs n’avaient pas produit de preuves suffisantes à l’appui de leurs allégations. Les facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement étant absents, il n’était pas obligatoire de tenir une audience aux termes de l’alinéa 113b) de la Loi.

 

[12]           Indépendamment des questions de crédibilité entourant l’authenticité des documents, la décision est essentiellement fondée sur le caractère insuffisant des éléments de preuve des demandeurs quant au risque qu’ils courraient s’ils étaient renvoyés en Égypte. Cela signifie aussi qu’aucune audience n’était nécessaire (Kaba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1113, au paragraphe 29). Les originaux des certificats n’auraient été d’aucune utilité pour les demandeurs dans le cadre de leur demande.

 

[13]           Comme le défendeur l’a indiqué, les certificats en question peuvent servir à indiquer que le demandeur principal fait l’objet d’une action en justice dans son pays. Toutefois, ce fait ne corrobore aucunement la crainte alléguée de persécution des demandeurs concernant l’abus de pouvoir de l’associé du demandeur principal ou le préjudice dont ils seraient censément victimes s’il fallait qu’ils retournent en Égypte. Ces mêmes arguments ont été présentés à la CISR, mais ils n’ont jamais été établis. Comme la demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la CISR a été rejetée et que les demandeurs ont fondé leur demande d’ERAR sur la même série de faits que ceux qui avaient été invoqués devant la CISR, il était raisonnable que l’agente se fonde sur les conclusions de fait de la CISR. Les demandeurs n’ont produit aucune preuve nouvelle à l’appui du reste de leurs allégations (Hausleitner c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 641, aux paragraphes 33 et 34).

 

[14]           Les passages pertinents de la décision de la CISR sont les suivants :

Questionné à savoir pourquoi il n’avait pas produit les jugements définitifs d’avril 2002 au dossier, mais avait plutôt déposé des certificats d’appel de ces jugements, il a répondu qu’il avait dû quitter en catastrophe, il aurait pu obtenir, depuis son arrivée au Canada, les jugements définitifs d’avril 2002, ce qui aurait appuyé sa revendication. Le tribunal a donc de sérieux doutes que ces jugements définitifs visaient son arrestation, tel qu’il allègue. Cela affecte à nouveau la crédibilité du demandeur.

 

Cette conclusion est renforcée par le fait que le seul jugement déposé au dossier est un jugement daté du 19 novembre 2001, dans lequel la cour constate l’extinction de l’action criminelle (poursuite pour chèque sans provision) contre le demandeur et le désistement de l’action civile à la demande de l’accusé, en l’espèce, une filiale de la société du demandeur. Le tribunal a eu l’occasion de vérifier l’original de ce document le matin de l’audience, et a pu constater qu’il s’agissait d’un document qui avait été imprimé sur papier à en-tête de la compagnie du demandeur. Questionné sur cette invraisemblance, le demandeur a répondu ne pas savoir pourquoi son avocat avait fait une copie sur du papier de sa société. Le tribunal constate que le demandeur n’a donné aucune explication logique qui aurait pu éclairer le tribunal à savoir pourquoi l’original de la pièce P-8, qui est un jugement d’une audience tenue au palais de justice du Caire, portait à l’endos le nom de la société du demandeur. Cela affecte à nouveau la crédibilité du demandeur.

 

 

[15]           Le demandeur principal savait que l’on accordait moins de poids à des certificats qu’à un jugement, mais il a quand même produit à titre de preuve nouvelle d’autres certificats pour étayer sa demande d’ERAR. Il ressort clairement de la décision de la CISR qu’il y a des jugements disponibles. Le demandeur principal n’a toutefois pas tenté de les obtenir, même s’il s’agit des meilleures preuves dont il puisse disposer pour étayer sa demande.

 

b)                     La conclusion de fait de l’agente est-elle manifestement déraisonnable?

[16]           L’agente a clairement évalué les éléments de preuve qui lui étaient soumis et, à mon avis, la décision contestée ne comporte aucune conclusion de fait manifestement déraisonnable. Dans la décision Augusto c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 673, la juge Carolyn Layden-Stevenson écrit ce qui suit, au paragraphe 9 :

À mon avis, cet argument vise essentiellement le poids que l’agente a accordé à la preuve. À moins qu’il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève de l’agent chargé de l’examen et n’est normalement pas sujette à un contrôle judiciaire. En l’espèce, les motifs révèlent que l’agente d’ERAR a tenu compte de la preuve présentée par Mme Augusto, mais n’y a pas attribué beaucoup de poids. Il n’était nullement déraisonnable pour l’agente d’agir ainsi.

 

 

[17]           Je crois que l’on peut dire la même chose en l’espèce. La preuve objective était en soi  insuffisante pour établir que les demandeurs couraient un risque comme ils l’alléguaient. En outre, les quatre certificats n’étaient pas concluants.

 

c)                  La conduite de l’ancien avocat des demandeurs a-t-elle porté atteinte à leur droit d’être entendus?

[18]           Ayant déjà évalué une allégation semblable dans le dossier IMM-2377-07, je crois que l’on peut dire la même chose en l’espèce. L’allégation est donc rejetée pour les mêmes motifs, qui sont les suivants :

Les demandeurs allèguent que leur ancien avocat n’a pas produit la version originale des documents judiciaires, que les demandeurs lui avaient fournie. Ils ont produit une lettre signée de la main de cet avocat, en date du 10 juillet 2007, et indiquant ce qui suit :

 

La présente e[s]t pour vous confirmer que j’ai représenté Monsieur Ehab dans les dossiers de demande CH et ERRAR. Je confirme aussi que Monsieur EL-GHAZALY était en possession des originaux des jugements émis contre lui en ÉGYPTE, mais je ne peux confirmer qui les aurait déposés auprès de CIC.

 

Comme l’a signalé le défendeur, la règle générale est la suivante : un représentant agit comme mandataire pour le client, et ce dernier doit supporter les conséquences du fait d’avoir retenu les services d’un représentant de piètre qualité. Récemment, dans la décision Vieira c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2007 CF 626, le juge Michel M.J. Shore a déclaré ce qui suit, au paragraphe 29 :

 

[traduction

Il ressort clairement de la jurisprudence qu’un demandeur est tenu responsable du conseiller qu’il choisit et, en outre, que des allégations d’incompétence professionnelle ne seront entendues que si elles s’accompagnent d’une preuve corroborante. Une telle preuve revêt habituellement la forme d’une réplique de l’avocat en question à l’allégation ou celle d’une plainte auprès du barreau compétent. En l’espèce, les demandeurs ont fait une prétention sans fournir à l’appui une preuve quelconque. Le défaut de donner avis et l’occasion de répliquer à un avocat dont le professionnalisme est contesté suffit pour rejeter toutes les allégations d’incompétence, d’action fautive ou de prévarication. (Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000) 189 F.T.R. 147, [2000] A.C.F no 555 (QL), au paragraphe 19; Geza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2004) 257 FTR 114, [2004] A.C.F no 1401 (QL), Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509, [2005] A.C.F. no 1864 (QL), au paragraphe 32; Nduwimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1387, [2005] A.C.F. no 1736 (QL); Chavez, décision précitée.)

 

En l’espèce, le demandeur principal déclare avoir porté plainte contre son ancien avocat, mais je n’ai devant moi aucune preuve qui corrobore cette affirmation. Il est loin de s’agir en l’espèce d’un cas exceptionnel où « le défaut de représentation ou la négligence reprochés à l’avocat sont évidents à la face du dossier et compromettent le droit d’une partie à une audition pleine et entière » (Dukuzumuremyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 278, au paragraphe 18). Cette allégation est donc rejetée.

 

[19]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[20]           Ni l’un ni l’autre des avocats n’a proposé une question à certifier.

 

JUGEMENT

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM-2378-07

 

 

INTITULÉ :                                                   EHAB MOHAMED MO EL GHAZALY, SALWA TAWFIK MO SHALABY, SHADI EHAB MOHA EL GHAZALY, SHAIMAA EHAB MO EL GHAZALY, EHAB MOHAMED MO EL GHAZALY ET AL.

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

 

POUR LES DEMANDEURS

Andrea Shahin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Shams

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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