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Date : 20071224

Dossier : DES-1-00

Référence : 2007 CF 1366

Ottawa (Ontario), le 24 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur a été détenu en vertu d’un certificat de sécurité, du 26 juin 2000 au 13 avril 2007, date à laquelle il a été libéré sous réserve de conditions rigoureuses en attendant que le gouvernement puisse le renvoyer du Canada. Il voudrait aujourd’hui que soient modifiées les conditions de sa mise en liberté. Les ministres défendeurs consentent à certaines des modifications proposées par le demandeur, ils s’opposent à d’autres et ils ont proposé eux-mêmes certaines modifications. Après avoir entendu la preuve et les observations des deux parties, je suis d’avis que certaines des conditions de la mise en liberté du demandeur devraient être modifiées.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Je crois utile de rappeler d’une manière assez détaillée les faits à l’origine de la présente demande, car l’historique des événements a été quelque peu controversé au cours de l’audience.

 

[3]               Le demandeur, de nationalité égyptienne, a été déclaré réfugié au sens de la Convention par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en 1996, environ un an après son arrivée au Canada depuis le Soudan. Il a par la suite rencontré et épousé Mme Mona El Fouli, une citoyenne canadienne. Ils ont ensemble deux fils préadolescents, Yusuf et Ibrahim. Mme El Fouli a également un fils, Haney, âgé de 23 ans.

 

[4]               Le 26 juin 2000, le demandeur a été détenu sur la foi d’un certificat de sécurité signé par le solliciteur général (aujourd’hui le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) et par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (les ministres). Le certificat de sécurité a été déclaré raisonnable par la Cour fédérale dans le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2001 CFPI 1095, [2001] 4 C.F. 644.

 

[5]               Les demandes de mise en liberté sous condition qu’avait présentées le demandeur ont été rejetées par la Cour en 2003 et en 2005 au motif que l’imposition des conditions suggérées et le recours aux cautions proposées ne suffiraient pas pour neutraliser le danger que sa mise en liberté représenterait pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. S’agissant de la deuxième demande de mise en liberté sous condition, la Cour écrivait, dans le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2005 C.F. 1596, [2005] A.C.F. n° 1948, qu’il demeurait loisible au demandeur de solliciter à nouveau une mise en liberté et d’offrir de meilleures cautions ainsi que des preuves propres à convaincre la Cour que le danger qu’il constitue pourrait être neutralisé.

 

[6]               Une autre audience a eu lieu en décembre 2006, au cours de laquelle fut examiné le maintien en détention du demandeur. À l’époque de cette audience, la décision n’avait pas encore été rendue concernant une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la conclusion d’un représentant du ministre selon laquelle le demandeur pouvait être renvoyé en Égypte. Cette conclusion du représentant du ministre fut annulée le 14 décembre 2006 par décision de ma collègue, la juge Danièle Tremblay-Lamer, et l’affaire fut renvoyée pour réexamen. Il devint dès lors évident que le demandeur ne serait pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable, l’une des conditions de l’exercice du pouvoir de la Cour de le libérer sous condition, ainsi que le prévoit le paragraphe 84(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, tel qu’il était alors formulé.

 

[7]               Me fondant sur la preuve entendue en décembre 2006, j’ai estimé, dans des motifs rendus publics le 15 février 2007, que le demandeur avait également rempli la deuxième condition d’une mise en liberté, à savoir que des cautions et conditions adéquates pouvaient neutraliser le risque qu’il constituait. J’ai souligné que cette mise en liberté équivaudrait à une forme d’assignation à résidence et que le demandeur serait renvoyé en détention s’il transgressait les conditions. Des conditions provisoires, largement fondées sur celles qu’avaient proposées les avocats du demandeur lors de l’audience de décembre, étaient annexées aux motifs, et les parties avaient sept jours pour faire connaître leurs réactions à telles conditions, après quoi celles-ci devaient être intégrées dans une ordonnance en règle : Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 C.F. 171, [2007] A.C.F. n° 206.

 

[8]               Le 23 février 2007, la Cour suprême du Canada rendait son arrêt dans l’affaire Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9, [2007] A.C.S. n° 9. Elle a jugé que la procédure servant à établir si un certificat est raisonnable, ainsi que la procédure d’examen d’une détention selon ce que prévoit la Loi, contrevenaient à l’article 7 et ne pouvaient pas être validées par l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.). La Cour suprême a suspendu pour une période d’un an sa déclaration d’invalidité de la procédure des certificats de sécurité, afin de permettre au législateur de promulguer une loi réparatrice.

 

[9]               La Cour suprême a estimé que les dispositions régissant l’examen d’une détention étaient déficientes, car elles privaient les étrangers d’un examen rapide de leur détention après qu’était confirmé le caractère raisonnable du certificat de sécurité. La réparation prononcée, avec application immédiate, consista à invalider le paragraphe 84(2) de la Loi, à insérer le mot « étranger » dans l’article 83 et à supprimer du paragraphe 83(2) les mots « Tant qu’il n’est pas statué sur le certificat ». Une personne arrêtée qui était l’objet d’un certificat de sécurité aurait dès lors droit à un examen de sa détention sans le délai de 120 jours prévu par l’ancien paragraphe 84(2), et à d’autres examens tous les six mois par la suite.

 

[10]           Au paragraphe 116 de l’arrêt Charkaoui, la Cour suprême écrivait que des conditions de mise en liberté rigoureuses, bien que moins sévères que l’incarcération, restreignent fortement la liberté individuelle. Par conséquent, de dire la Cour suprême, les conditions de la mise en liberté ne doivent pas être disproportionnées avec la nature du danger.

 

[11]           Par consentement des parties, les preuves entendues et les conclusions tirées concernant la demande de M. Mahjoub présentée en vertu du paragraphe 84(2) furent considérées comme si elles s’étaient rapportées à une demande faite en vertu du paragraphe 83(2), tel que ce paragraphe était formulé à la suite de l’arrêt Charkaoui. Des observations ont été reçues des avocats des parties, par lettre en date du 22 février 2007, à propos des conditions provisoires annexées à la décision du 15 février. Les défendeurs priaient par exemple la Cour d’exiger l’installation de caméras de vidéosurveillance et d’un système bidirectionnel de vidéoconférence au domicile du demandeur. Les requêtes des défendeurs ont été intégrées dans l’ordonnance rendue le 1er mars 2007, selon laquelle le demandeur devait être mis en liberté lorsque les conditions indiquées dans l’ordonnance seraient remplies.

 

[12]           En dépit des réels efforts déployés par les avocats des deux parties, il a fallu du temps pour donner effet à toutes les conditions précisées dans l’ordonnance du 1er mars. Plusieurs d’entre elles ont posé des difficultés, notamment l’installation des caméras de vidéosurveillance et des équipements destinés à surveiller l’accès à l’Internet chez le demandeur. Ces difficultés et autres problèmes logistiques ont été examinés avec les avocats au cours de conférences tenues le 9 mars, le 22 mars et le 5 avril.

 

[13]           Afin de faciliter la mise en liberté du demandeur, les parties sont convenues que des mesures provisoires pourraient être adoptées tandis qu’elles continueraient de travailler à résoudre les difficultés. Le 10 avril, les avocats du demandeur ont présenté une liste des modifications projetées auxquelles les défendeurs avaient consenti. Une ordonnance révisée fut rendue par la Cour le 11 avril. Cette ordonnance autorisait la mise en liberté du demandeur avant l’installation des caméras extérieures, à la condition qu’il reste chez lui, sauf avec l’approbation préalable de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ou sauf en cas d’urgence médicale. La connexion Internet existante, au domicile du demandeur, devait également être débranchée. Une fois les conditions ainsi revues, le demandeur fut mis en liberté le 13 avril 2007.

 

[14]           Une audience a eu lieu à Toronto le 24 mai 2007 à propos de plusieurs questions non réglées, notamment celle de la vidéosurveillance. Le propriétaire du demandeur, qui était représenté lors de cette audience, s’est opposé à l’installation de caméras vidéo extérieures pour protéger l’intimité des autres locataires du complexe domiciliaire. Le demandeur a soulevé, mais sans s’y attarder, la question de l’équipement de vidéoconférence. Les défendeurs ont exprimé l’avis qu’il n’était pas nécessaire d’approfondir la question des caméras intérieures. Une conférence s’est déroulée par téléphone le 4 juin, afin d’éclaircir certains aspects qui avaient émergé de l’audience du 24 mai. Les parties sont parvenues à un accord sur les limites géographiques à l’intérieur desquelles le demandeur pouvait faire des sorties dans la ville de Toronto, et la Cour en fut informée par lettre datée du 8 juin 2007.

 

[15]           Le 14 juin 2007, la Cour a rendu une ordonnance modifiant l’ordonnance révisée du 11 avril, afin d’en supprimer l’exigence relative à l’installation de caméras vidéo extérieures et d’y intégrer les limites géographiques arrêtées par les parties. Jusqu’à cette date, le demandeur avait effectivement été confiné à son domicile, à l’exception de quelques brèves sorties autorisées par l’ASFC. Deux autres modifications mineures demandées par les défendeurs, et auxquelles ne s’est pas opposé le demandeur, ont également été apportées à l’ordonnance à ce moment-là. Aucun changement n’a été apporté à la condition selon laquelle un dispositif bidirectionnel de surveillance devait être installé chez lui pour permettre des communications directes par vidéoconférence, ainsi que le prévoyaient les ordonnances du 1er mars et du 11 avril.

 

[16]           Après une téléconférence d’établissement du calendrier, tenue avec les avocats le 25 septembre 2007, une nouvelle ordonnance modificatrice fut rendue le 27 septembre, afin de permettre à l’ASFC de prolonger au-delà de 21 heures les sorties que pouvait faire le demandeur. Lors de cette téléconférence du 25 septembre, on fixa à la période du 5 au 9 novembre 2007 l’audition de la présente demande, à Toronto.

 

[17]           Les requêtes en modification faites par le demandeur étaient exposées dans une lettre de son avocat, portant la date du 10 octobre 2007, et expliquées davantage dans son dossier de requête et son affidavit justificatif déposés le 29 octobre. Les défendeurs ont décrit leur position dans une lettre datée du 2 novembre 2007 et déposé un avis de requête et un dossier le 5 novembre.

 

[18]           Pour l’heure, la mise en liberté du demandeur est subordonnée aux conditions suivantes que j’ai regroupées et reformulées, par souci de commodité. Cette liste ne comprend pas les cautionnements de bonne fin qui ont été signés avant sa mise en liberté et ne doit pas être considérée comme si elle reproduisait les termes précis des ordonnances :

  • le demandeur doit se soumettre à une surveillance électronique par bracelet émetteur et dispositif de repérage GPS, autoriser l’installation chez lui d’une ligne téléphonique terrestre spécialisée distincte et d’un dispositif bidirectionnel de surveillance, pour permettre des communications directes par vidéoconférence;
  • il doit rester à son domicile, sauf disposition contraire, et doit être surveillé en tout temps par une caution agissant comme surveillant et agréée par la Cour;
  • il est autorisé à aller dans l’arrière-cour de son domicile, entre 8 heures et 21 heures, sous surveillance, et ne peut y rencontrer que des personnes autorisées; les salutations d’usage adressées aux voisins immédiats sont autorisées;
  • il est autorisé à faire des sorties approuvées au préalable, entre 8 heures et 21 heures, s’il porte le dispositif de repérage et s’il est accompagné d’un surveillant; l’ASFC peut, à son gré, autoriser des sorties jusqu’après 21 heures;
  • trois brèves sorties (de moins de quatre heures) approuvées sont autorisées chaque semaine; l’autorisation doit être demandée chaque semaine, 72 heures à l’avance, avec indication de l’endroit; il doit communiquer avec l’ASFC avant de quitter son domicile et après y être revenu; des demandes portant sur des sorties familiales de plus longue durée peuvent être faites jusqu’à trois fois par mois; les demandes d’autorisation doivent être faites chaque semaine pour la semaine suivante, et un avis de 72 heures est requis;
  • escorté par un surveillant, il peut accompagner les enfants les plus jeunes directement entre son domicile et l’école, entre 8 heures et 9 h 15 et entre 15 heures et 16 h 30, sans avoir aucun échange avec quiconque en chemin; l’emplacement de l’école, l’itinéraire et le calendrier scolaire doivent être portés à la connaissance de l’ASFC; sa présence à l’école dans les cas d’urgence est autorisée, à condition qu’il soit accompagné et qu’il en informe l’ASFC avant de quitter son domicile et après y être retourné;
  • sous réserve d’un avis de 48 heures, il peut aller à des rendez-vous chez le médecin ou chez le psychologue, moyennant avis signifié avant son départ et après son retour; la preuve qu’il s’est présenté à son rendez-vous est requise; en cas d’urgence médicale nécessitant une hospitalisation, la situation et l’endroit où il se trouve doivent être portés à la connaissance de l’ASFC aussitôt que possible, et l’ASFC doit être informée dès son retour à son domicile;
  • en cas d’urgence concernant un proche, il peut accompagner son surveillant et le proche en question à l’hôpital jusqu’à ce qu’un autre surveillant soit disponible, à condition qu’il en informe l’ASFC aussitôt que possible et, là encore, après être revenu chez lui; s’il est trop souffrant pour accompagner le surveillant, l’ASFC doit en être informée immédiatement;
  • seules les personnes figurant sur une liste établie sont autorisées à entrer chez lui; cela comprend les membres de la famille immédiate, les cautions, les conseillers juridiques, les professionnels appelés en urgence, les enfants âgés de moins de 15 ans qui sont des amis des enfants mineurs, le concierge de l’immeuble et les réparateurs travaillant pour le concierge, enfin les personnes autorisées au préalable par l’ASFC; l’ASFC doit connaître le nom, l’adresse et la date de naissance de la personne pour qui une autorisation est demandée; il n’est pas nécessaire d’obtenir une autorisation préalable pour les visites ultérieures d’une personne déjà autorisée; l’ASFC peut retirer son autorisation à tout moment;
  • durant ses sorties, le demandeur doit rester à l’intérieur d’une zone géographique définie et ne peut pas se rendre à un endroit non approuvé;
  • il ne doit pas entrer dans l’enceinte d’un aéroport, d’une gare de chemin de fer, d’une station de métro ou d’une gare routière, ni dans les locaux d’un bureau de location de véhicules, ni monter à bord d’un bateau ou navire;
  • il ne peut rencontrer personne sur rendez-vous, si ce n’est ses avocats ou les personnes autorisées par l’ASFC, et après avoir communiqué les nom, adresse et date de naissance de la personne en question; cette restriction ne s’applique pas aux membres de la famille, aux cautions et aux surveillants;
  • il ne doit pas se lier à des personnes dont il sait ou devrait savoir qu’elles soutiennent ou fréquentent des groupes terroristes ou djihadistes, ni à des personnes ayant un casier judiciaire, si ce n’est Matthew Behrens;
  • il ne doit pas avoir la possession, l’accès ou l’utilisation de dispositifs de communication sauf ce qui est prévu; les téléphones cellulaires de Mona et Haney El Fouli doivent être gardés hors de la portée du demandeur; leurs numéros de téléphone cellulaire doivent être communiqués à l’ASFC; Mona El Fouli doit consentir à l’interception des appels faits sur son téléphone, et Haney doit remettre à l’ASFC les factures mensuelles indiquant les appels faits à partir de son téléphone cellulaire ou vers son téléphone cellulaire; les téléphones cellulaires doivent être utilisés uniquement à l’intérieur du domicile, dans un endroit verrouillé dont seul Mona et Haney ont les clés; le demandeur peut se servir d’une ligne téléphonique classique à l’intérieur du domicile, à condition qu’il consente à l’interception de toutes les communications empruntant cette ligne; il peut aussi utiliser un téléphone conventionnel en dehors de chez lui pour informer l’ASFC en cas d’urgence médicale;
  • toutes les communications écrites arrivant chez lui ou partant de chez lui peuvent être interceptées par l’ASFC;
  • le demandeur doit autoriser l’accès de son domicile à tout moment par les employés de l’ASFC, par les personnes que désigne l’ASFC ou par un agent de la paix pour qu’ils puissent vérifier sa présence à son domicile et pour garantir l’observation des conditions, y compris pour perquisitionner sur les lieux ou faciliter l’enlèvement, l’installation ou l’entretien d’un dispositif;
  • les cautions et les surveillants peuvent être interrogés ou priés de remettre des rapports sur la manière dont le demandeur se conforme aux conditions;
  • tous les documents de voyage doivent être remis, et il est interdit au demandeur de solliciter, d’obtenir ou de posséder un passeport, un document de voyage ou un billet qui l’autoriserait à voyager; cela n’interdit pas les déplacements dans les transports en commun de surface à l’intérieur de la ville de Toronto, notamment sur le transbordeur de l’île de Toronto, ou à l’intérieur de la ville de Mississauga;
  • le demandeur devra se présenter pour son renvoi du Canada, s’il on lui demande de le faire;
  • il ne doit pas posséder d’arme, d’imitation d’arme, de substances nocives ni d’explosifs, ni aucun composant de tels objets ou matières;
  • il ne doit pas troubler la paix publique et il doit être de bonnes vie et mœurs, et tout agent de l’ASFC ou agent de la paix pourra l’arrêter et le détenir sans mandat s’il a des motifs raisonnables de croire que l’une des conditions de sa mise en liberté a été transgressée; la Cour dira, dans les 48 heures de sa détention, s’il y a eu violation et s’il devrait être détenu sous garde;
  • il ne peut pas changer le lieu de son domicile sans l’autorisation préalable de la Cour, et nul ne peut occuper le nouveau domicile sans l’autorisation de l’ASFC.

 

POINTS LITIGIEUX

 

[19]           Le demandeur voudrait que plusieurs changements soient apportés aux conditions de l’ordonnance modifiée du 11 avril :

  • rétablissement de la connexion Internet pour qu’elle soit utilisée par son beau-fils et par ses fils, sous réserve de contrôles exercés sur l’accès;
  • autorisation d’installer un télécopieur, c’est-à-dire la capacité de transmettre des documents par télécopie afin de faciliter la communication avec les médecins, les services sociaux et les cabinets d’avocats;
  • assouplissement des limites imposées aux sorties;
  • allongement des limites de temps et accès non surveillé à l’arrière-cour du domicile;
  • suppression de l’obligation d’installer un dispositif de vidéoconférence;
  • ajout de Mathew Behrens à la liste des surveillants agréés par la Cour;
  • assouplissement de l’obligation de notification se rapportant aux visiteurs.

 

[20]           Par requête incidente, les défendeurs sollicitent une ordonnance :

  • autorisant l’ASFC à installer le dispositif bidirectionnel de vidéoconférence au premier étage du domicile du demandeur, dans un endroit qui soit facilement accessible;
  • autorisant l’ASFC à exiger un avis de 72 heures ouvrables lorsque le demandeur sollicite une sortie;
  • prévoyant que le demandeur ne peut pas accéder à une zone où l’ASFC juge que la surveillance électronique est déficiente;
  • prévoyant que le demandeur ne peut pas changer d’adresse sans une évaluation préalable du risque, effectuée par l’ASFC, et sans l’approbation préalable de la Cour, au moins 60 jours avant le déménagement;
  • autorisant l’ASFC à demander, aux fins de contrôle des antécédents, les nom, adresse et date de naissance des personnes sollicitant une autorisation, et également leurs numéros de téléphone résidentiel et cellulaire, deux pièces d’identité avec photo, une signature et tout autre renseignement jugé nécessaire par l’ASFC pour l’exécution des vérifications de sécurité;
  • autorisant l’ASFC à exiger un avis de 48 heures avant toute visite d’une personne agréée;
  • obligeant le demandeur à tenir, pour les visiteurs, un registre que l’ASFC fournira et pourra inspecter, sur demande;
  • obligeant les personnes se présentant au domicile du demandeur à se placer devant le dispositif bidirectionnel de vidéoconférence afin de confirmer leur identité;
  • prévoyant que le demandeur ne peut, en aucune circonstance, posséder une caméra-enregistreuse vidéo, ni enregistrer les agents de l’ASFC sur bande magnétique ou magnétoscopique.

 

EXAMEN

            Les requêtes du demandeur

                        L’accès à l’Internet

 

[21]           La clause 12 de l’ordonnance du 11 avril prévoit que le demandeur ne doit pas, directement ou indirectement, posséder, avoir à sa disposition ou utiliser un ordinateur permettant l’accès à l’Internet. Elle prévoit aussi que la connexion Internet des ordinateurs utilisés par le beau-fils et les deux fils du demandeur sera supprimée avant la mise en liberté de celui-ci. La suppression de la connexion Internet a été acceptée par le demandeur, car on n’a pas pu surveiller efficacement l’accès à l’Internet chez lui, par le moyen d’abord proposé par les défendeurs, à savoir la vidéosurveillance.

 

[22]           Les défendeurs ne s’opposent pas au rétablissement de la connexion Internet, à condition que soit bien verrouillée la pièce dans laquelle se trouve l’ordinateur permettant la connexion et que seuls Mme El Fouli et Haney El Fouli possèdent les clés ainsi que le mot de passe de l’accès à l’Internet. Ils s’opposent à ce que Yusuf et Ibrahim disposent d’une connexion Internet dans leur propre chambre, estimant que les garçons seraient alors davantage exposés à subir la surveillance et l’influence du demandeur. Il n’est pas contesté que Haney El Fouli a besoin d’un accès à l’Internet pour ses cours. Il y a maintenant accès, à son collège, grâce à son ordinateur portatif, mais il serait plus commode pour lui d’avoir une connexion chez lui également. Les défendeurs suggèrent que les garçons, qui sont respectivement en cinquième et en troisième année, puissent accéder à l’Internet à l’école ou dans une bibliothèque publique pour l’accès restreint que requièrent leurs devoirs.

 

[23]           Le demandeur rétorque que, vu les restrictions imposées à ses déplacements et les obligations correspondantes pesant sur Mona et Haney El Fouli en leur qualité de surveillants, ils n’ont pas le temps d’accompagner les garçons dans une bibliothèque ni de rester avec eux à l’école à cette fin. Le demandeur propose que les garçons puissent accéder à l’Internet au moyen d’une connexion filée entre l’ordinateur de leur chambre et celui de la chambre d’Haney, connexion qui serait activée au besoin, de telle sorte que Mona et Haney El Fouli soient en mesure de surveiller à tout moment l’accès des deux garçons à l’Internet.

 

[24]           L’Internet est aujourd’hui un instrument précieux aux fins éducatives et les garçons y auraient avantageusement accès depuis leur domicile pour faire leurs devoirs scolaires, encore que soit discutable la nécessité d’un tel accès, à leurs âges et à leurs niveaux scolaires. L’Internet offre aussi un moyen de communication de plus en plus efficace. Comme je le disais au début, la Cour doit être persuadée que les conditions de la mise en liberté du demandeur sont aptes à neutraliser le risque qu’il constitue pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Comme il est indiqué dans les conditions de la mise en liberté, le moyen de neutraliser ce risque consiste notamment à empêcher l’accès aux dispositifs de communication.

 

[25]           Lorsqu’ils ont témoigné à l’audience de décembre 2006 relative à la mise en liberté du demandeur, ce dernier, Mme El Fouli et Haney El Fouli ont accepté que les modalités imposées puissent perturber les conditions de vie et l’intimité de la famille. Il y avait notamment l’obligation pour eux de consentir à l’interception des communications passant par le téléphone traditionnel de la maison et par le téléphone cellulaire de Mona El Fouli. Une condition moins envahissante était imposée à Haney El Fouli. Il devait remettre à l’ASFC les factures mensuelles faisant état des appels entrants et sortants de son téléphone cellulaire. Il s’agissait là, selon moi, de mesures qui étaient en rapport avec le risque que constitue le demandeur.

 

[26]           Le demandeur s’oppose à toute surveillance de l’utilisation de l’Internet à partir de son domicile si la condition est modifiée pour autoriser le rétablissement du service. Cette position n’est pas acceptable, car l’Internet pourrait servir à déjouer toute velléité de surveillance des communications du demandeur. Une solution a été évoquée par la Cour durant l’audience : le demandeur et sa famille pourraient consentir à ce que le fournisseur de services Internet communique périodiquement à l’ASFC les renseignements relatifs aux sites Web visités, ainsi que les adresses électroniques vers lesquelles ou depuis lesquelles des messages ont été envoyés ou reçus à la faveur de la connexion Internet du domicile du demandeur. À mon avis, cela établirait un juste équilibre entre la liberté individuelle et les mesures propres à neutraliser le risque. Si le demandeur et sa famille ne sont pas disposés à accepter cette condition, l’interdiction de l’accès à Internet sera maintenue.

 

[27]           Une autre question se pose à propos de l’utilisation possible, chez le demandeur, de services téléphoniques fondés sur Internet, à la faveur de la voix par IP (VoIP) et de programmes tels que Skype ou MSN Voice, qui permettent les communications vocales ou visuelles d’ordinateur à ordinateur et d’ordinateur à ligne terrestre. Ce point n’a pas été soulevé à l’audience, mais il est par la suite venu à l’attention de la Cour à titre de difficulté possible. Les avocats furent priés de présenter, après l’audience, des conclusions écrites sur la nécessité de régler cette question dans l’ordonnance révisée.

 

[28]           Dans une lettre adressée à la Cour, l’avocat des défendeurs écrivait que les ministres souhaitaient produire à huis clos des preuves et des conclusions sur la question. Les avocats du demandeur ont demandé que les services téléphoniques par Internet soient autorisés et qu’on leur permette de présenter d’autres conclusions dans le cas où les ministres s’y opposeraient ou voudraient que ce privilège soit assorti de conditions. La Cour a accepté d’autoriser les ministres à produire des preuves et des conclusions, qu’elle a entendues à huis clos le 17 décembre 2007. Au vu de ces preuves et conclusions, la Cour juge nécessaire d’approfondir la question. Les avocats du demandeur sont invités à présenter des conclusions, orales ou écrites, sur la question de savoir si de tels programmes devraient être autorisés et, dans l’affirmative, à quelles conditions ils devraient l’être. Dans l’intervalle, les programmes en question ne seront pas installés et, si les ordinateurs du domicile du demandeur en sont déjà pourvus, ils doivent être enlevés ou désactivés, et aucun microphone ne doit être branché aux ordinateurs. Sous réserve de cette clause restrictive et des autres clauses susmentionnées, la Cour ordonnera que les modalités de la mise en liberté du demandeur soient modifiées pour permettre l’installation d’une connexion Internet.

 

            Télécopieur

 

[29]           La clause 12 de l’ordonnance du 11 avril interdit aussi au demandeur de posséder un télécopieur ou d’avoir accès à un tel appareil. Ce que voudrait le demandeur, ce n’est pas d’être autorisé à se servir lui-même d’un télécopieur, mais que la présence d’un télécopieur soit autorisée dans la maison pour l’usage de son épouse ou celui de son beau-fils, aux mêmes conditions de contrôle de l’accès que celles qui sont proposées pour la connexion Internet. Mme El Fouli a témoigné que, de temps à autre, elle doit envoyer par télécopieur des documents à des cabinets de médecins, à des services sociaux ou aux avocats du demandeur. Pour ce faire, elle doit se rendre dans un magasin qui offre des services de télécopie, ce qui est fort peu pratique, puisqu’un autre surveillant doit rester auprès du demandeur, et également coûteux. On affirme que la présence d’un télécopieur au domicile du demandeur faciliterait aussi les communications avec l’ASFC.

 

[30]           Les défendeurs sont opposés à cette requête, car ils considèrent qu’il serait difficile de surveiller efficacement l’utilisation d’un télécopieur comme dispositif de communication. Ils ont produit une déclaration solennelle, d’un spécialiste des technologies de l’information, qui concerne les possibilités et les limites d’une interception des transmissions faites à partir d’appareils traditionnels ou à partir de modems télécopieurs assistés par ordinateur. La Cour croit comprendre que les télécopieurs balaient les documents papier et en transmettent copie par ligne terrestre vers une ligne téléphonique à distance branchée à une imprimante-télécopieur. Les programmes de télécopie informatisés utilisent un modem pour transmettre vers le téléphone et l’imprimante à distance les documents composés sur l’ordinateur.

 

[31]           Il appert du témoignage de Haney El Fouli qu’il a dans sa chambre un matériel de télécopie appelé dispositif universel, celui-ci comprenant aussi une imprimante et un scanneur. Il a témoigné qu’il avait essayé de l’utiliser une fois, sans résultat, car il n’avait pas pu obtenir la tonalité de numérotation. Si l’appareil avait fonctionné, on aurait pu s’interroger sur la question de savoir si cela constituait une violation des conditions de l’ordonnance du 11 avril.

 

[32]           Haney El Fouli a reconnu qu’il pouvait aussi scanner et envoyer par courriel des documents à l’aide de ce dispositif. Les défendeurs ont dit que cette fonction pourrait constituer une solution rendant inutile l’installation d’un télécopieur distinct, sous réserve que le dispositif demeure dans la chambre verrouillée de Haney et que l’accès de la chambre soit limité à lui-même et à Mme El Fouli.

 

[33]           L’ajout d’un télécopieur utilisant la ligne téléphonique terrestre classique n’augmenterait pas sensiblement, selon moi, le risque que le demandeur obtienne l’accès à certains dispositifs de communication, par exemple le téléphone. Comme je l’ai dit plus haut, selon les termes de l’ordonnance du 11 avril, le demandeur et Mme El Fouli devaient consentir à l’interception, par l’ASFC ou en son nom, de toutes les communications transmises à l’aide de leur ligne téléphonique terrestre classique. Je suis d’avis que ce consentement englobe l’interception de toute transmission par télécopieur utilisant cette ligne terrestre. Cependant, le témoignage du spécialiste technique de l’ASFC est que l’interception, chez le fournisseur de services terrestres, des transmissions par télécopieur nécessiterait une ordonnance de la Cour. Je suis disposé à insérer dans l’ordonnance révisée une clause en ce sens accordant l’autorisation d’installer un télécopieur.

 

[34]           Je crois prudent d’exiger que le demandeur et Mme El Fouli fournissent aussi une liste de toutes les personnes et institutions à qui ils se proposent d’envoyer des télécopies, avec leurs numéros de téléphone respectifs, liste qui devra être mise à jour périodiquement selon les besoins ou selon ce qu’exigera l’ASFC.

 

            Sorties

 

[35]           Le demandeur voudrait un assouplissement, sous quatre aspects, des limites restreignant ses sorties : a) attribution d’une heure par jour, en semaine, pour lui permettre de faire de l’exercice et de prendre l’air en dehors de chez lui lorsqu’il emmène les garçons à l’école ou qu’il va les y chercher, et aussi durant les vacances scolaires; b) plus grande liberté dans l’accomplissement de ses pratiques religieuses; c) participation à l’école islamique du dimanche, et programmes récréatifs pour les garçons à titre de sorties supplémentaires; et d) autorisation de prendre le métro pour se rendre à ses rendez-vous chez le médecin.

 

[36]           Je crois qu’il convient de noter qu’au vu de la preuve, y compris le témoignage du demandeur et celui de son épouse, les représentants de l’ASFC semblent avoir été généralement souples dans leur manière d’interpréter les conditions relatives aux sorties et que les agents ont agi d’une manière professionnelle dans l’accomplissement de leurs tâches. Aux dates de l’audience, ils avaient autorisé environ 42 sorties pour le demandeur. Quelques-unes avaient été refusées, pour diverses raisons. L’autorisation a été refusée durant une brève période après un incident survenu en août, qui sera évoqué plus loin. En général, cependant, les parties s’accordent à dire que la famille Mahjoub et les agents ont de bons rapports. Il faut en savoir gré en particulier à M. Terence Pearce, surveillant des mesures d’exécution au Centre des mesures d’exécution de la grande région de Toronto, qui est l’un des principaux points de contact avec la famille et qui s’est employé avec conviction à aplanir les difficultés. Le demandeur et Mme El Fouli ont tous deux reconnu dans leur témoignage le rôle constructif de « M. Terry ».

 

[37]           La plupart du temps, le demandeur et sa famille semblent également s’être efforcés de se conformer aux conditions et de coopérer avec les représentants de l’ASFC. Ils ont pris soin de communiquer avec l’ASFC avant de quitter leur domicile et après y être revenus, et de se renseigner auprès de M. Pearce et d’autres personnes lorsqu’ils n’étaient pas sûrs de la portée et de l’effet des conditions. Le seul incident qui, selon moi, suscite un sérieux doute a concerné l’installation du dispositif de vidéoconférence, que j’évoquerai plus loin.

 

[38]           Des témoignages ont été produits à propos d’un incident survenu à Ontario Place lorsque, durant une sortie avec sa famille, le demandeur est monté sur un petit transbordeur utilisé pour transporter les visiteurs entre diverses attractions et s’est servi d’une embarcation à pagaies avec l’un de ses fils. On pourrait n’y voir qu’une transgression anodine, mais l’incident semble avoir résulté d’un authentique malentendu quant à la portée des modalités de l’ordonnance. L’objet de la condition est d’empêcher le demandeur de monter sur un « bateau ou navire » pour tromper la surveillance à laquelle il est soumis ou pour quitter la zone géographique à laquelle il est confiné. L’idée n’était pas de faire obstacle à l’agrément du demandeur quand il se trouve avec sa famille dans un parc d’attractions. Je relève qu’il y avait, dans le voisinage immédiat, des agents de l’ASFC qui n’ont pas jugé à propos d’intervenir. Je ne voudrais pas encourager le demandeur à transgresser le moindrement les conditions, mais je n’accorde aucune importance à l’incident.

 

                        Exercice quotidien

 

[39]           S’agissant de la requête du demandeur qui voudrait pouvoir faire de l’exercice et prendre l’air une heure par jour en semaine, le demandeur et Mme El Fouli ont tous deux témoigné que cela serait bénéfique pour leur santé. Mme El Fouli a dit que ses médecins lui avaient conseillé de faire davantage d’exercice. Il a été difficile pour elle de suivre ce conseil, compte tenu de ses responsabilités familiales et de son rôle de surveillante pour son mari. Le demandeur dit qu’il resterait soumis à l’obligation d’informer l’ASFC avant de quitter son domicile et après y être revenu et qu’il porterait constamment sur lui le dispositif de repérage GPS. Il n’a pas, à ce moment-là, insisté pour que cette possibilité lui soit offerte durant les vacances scolaires.

 

[40]           Les défendeurs sont opposés à cette requête en raison de plusieurs difficultés que les agents de l’ASFC avaient constatées quant à l’utilisation par le demandeur du dispositif de repérage GPS. Les difficultés en question ont été évoquées dans le témoignage de M. Pearce. Le système doit être programmé pour situer l’endroit où se trouve le demandeur lorsqu’il quitte son domicile. Il y a eu plusieurs cas où le signal émis par le dispositif de repérage n’était pas saisi par le système quand le demandeur quittait son domicile, ou qu’il était par la suite perdu et non récupéré à divers intervalles. M. Pearce a été très objectif dans son témoignage et n’a pas donné à entendre que le demandeur avait tenté de détériorer le système de repérage électronique ou d’en éprouver les limites. Mais le problème ne semble pas s’être manifesté dans d’autres cas où ce système est employé.

 

[41]           Le demandeur était généralement sous surveillance physique durant ces sorties, de telle sorte que les pertes du signal, bien que troublantes, ne signifient pas qu’il n’a pas été surveillé efficacement. L’ASFC a pris des mesures pour s’assurer que le système fonctionnait comme il le devait et elle a donné au demandeur un cours de perfectionnement sur la manière de saisir et de maintenir le signal. Dans son témoignage, M. Pearce a reconnu que, ces dernières semaines, le fonctionnement du dispositif de repérage GPS n’avait causé aucune difficulté.

 

[42]           La Cour serait très préoccupée s’il était établi que le demandeur a délibérément tenté d’éprouver les limites du système de repérage électronique ou de l’empêcher de fonctionner. Cela ne semble pas être le cas. La preuve ne permet pas de dire s’il est aujourd’hui plus en mesure d’utiliser le dispositif GPS ou si c’est la manière de l’ASFC de programmer le dispositif qui est devenue plus efficace. Quelle que soit la raison, je ne crois pas que les difficultés antérieures d’utilisation de ce système devraient empêcher le demandeur de sortir de chez lui une heure par jour, en semaine, pour prendre l’air et faire de l’exercice lorsqu’il emmène les garçons à l’école ou qu’il va les y chercher. Je suis d’avis que, si l’on additionne le système électronique et le recours à la surveillance physique, exercée au gré de l’ASFC, le demandeur peut être surveillé efficacement. Par conséquent, cette modification sera intégrée dans l’ordonnance révisée. Le demandeur devra, bien sûr, signaler à l’ASFC le moment où il entend disposer de cette heure de sortie, ainsi que l’endroit où il se trouvera durant l’heure en question.

 

                        Plus grande liberté dans l’accomplissement des pratiques religieuses

 

[43]           Le demandeur voudrait être autorisé à assister aux prières, à une mosquée, le vendredi après-midi, ainsi qu’à la prière du soir durant le Ramadan, sans que cela compte comme des sorties hebdomadaires. Les défendeurs ne s’opposent pas à ces changements, à condition que la mosquée ait été agréée par l’ASFC. Je crois comprendre que cela signifie que l’ASFC puisse y surveiller efficacement le demandeur, et non que l’ASFC entend surveiller le déroulement effectif des prières. Il ne semble pas y avoir eu de difficultés particulières à ce sujet depuis la mise en liberté du demandeur. D’ailleurs, la modification apportée en septembre, qui permettait à l’ASFC de reporter à sa guise l’heure du couvre-feu quotidien, était une mesure proposée conjointement pour faciliter les pratiques du demandeur durant le Ramadan. En conséquence, la Cour accédera à ces requêtes.

 

[44]           L’ASFC a refusé d’autoriser le demandeur à assister aux célébrations de l’Eid ul-Fitr au Centre Rogers, structure très imposante qui permet d’accueillir des milliers de gens. La requête a été refusée parce que, d’après l’ASFC, le Centre n’était pas un lieu sûr et que, selon les agents, il leur serait impossible d’y surveiller efficacement une sortie du demandeur. Les défendeurs ne s’opposent pas en principe au désir du demandeur d’assister à ces célébrations ou à celles de l’Eid ul-Adha en décembre, à condition encore une fois que l’endroit soit sûr et que le demandeur puisse être surveillé efficacement.

 

[45]           Je crois comprendre que ces événements sont des dates importantes du calendrier islamique et qu’ils constituent une occasion pour les membres de la famille d’accomplir ensemble des pratiques et de célébrer ensemble des fêtes religieuses. Mme El Fouli a dit combien les garçons aimaient participer à ces événements et à quel point ils avaient regretté de ne pas pouvoir partager cette expérience avec leur père cette année. Néanmoins, la question de savoir si l’endroit est sûr et s’il se prête à une surveillance efficace appelle une décision opérationnelle qu’il vaut mieux laisser à l’appréciation des représentants de l’ASFC.

 

[46]           L’avocat du demandeur a reconnu dans sa plaidoirie qu’il ne s’agit pas ici d’un terrain sur lequel la Cour devrait s’aventurer, tout en exprimant l’espoir que l’ASFC puisse être encouragée à se départir d’une vue restrictive fondée uniquement sur la taille du théâtre de l’événement. J’hésite à m’exprimer sur ce point, car on ne m’a pas indiqué les autres solutions qui pourraient permettre à la famille de participer à ces célébrations en d’autres endroits suscitant moins d’inquiétudes au chapitre de la sécurité et de la surveillance.

 

                        L’école islamique du dimanche et les programmes récréatifs destinés aux garçons

 

[47]           Avant la mise en liberté du demandeur, les deux jeunes garçons étaient inscrits à des activités récréatives organisées par la communauté locale et fréquentaient l’école islamique du dimanche entre 10 heures et 14 h 30. Depuis sa mise en liberté, ils n’ont ni pris part aux activités ni assisté à l’école du dimanche en raison des restrictions imposées quant aux allées et venues de leur père et des responsabilités de leur mère et de leur beau-frère en tant que surveillants. Le demandeur voudrait être autorisé à emmener les garçons aux activités récréatives et à les accompagner, ainsi que son épouse, à l’école du dimanche, sans que cela soit compté dans ses sorties hebdomadaires. Mme El Fouli a déjà enseigné à l’école du dimanche et voudrait pouvoir le faire encore.

 

[48]           La position des défendeurs est que le demandeur peut solliciter l’autorisation de l’ASFC pour participer aux activités récréatives dans le cadre de ses sorties hebdomadaires. Ils s’opposent à ce qu’il aille à l’école du dimanche avec ses fils parce que l’ASFC considère que cela n’est pas matériellement possible. Leur opposition n’est pas fondée sur la nature de l’événement ni sur l’endroit où il se déroule, à savoir une école qui est inoccupée durant la fin de semaine. Dans son témoignage, M. Pearce a dit que la capacité de l’ASFC d’exercer une surveillance serait compromise. Il ne s’agit pas de la situation de l’école ordinaire, où le demandeur accompagne simplement les enfants à l’école et va les y chercher. Sa présence à l’école du dimanche durerait plus de quatre heures. Selon M. Pearce, il faudrait que l’ASFC obtienne des renseignements sur les autres participants, qu’elle les informe que le demandeur constitue un risque pour la sécurité nationale et qu’elle obtienne leur consentement à ce qu’ils soient agréés par l’ASFC. Ces aspects ont été vigoureusement contestés en contre-interrogatoire et durant les plaidoiries. L’ASFC n’a pas imposé les mêmes exigences lorsqu’elle a accédé à des requêtes visant des sorties à des endroits où se trouveraient d’autres personnes, par exemple des galeries marchandes et des restaurants. Les mêmes règles qui, en de tels cas, interdisent toute prise de contact avec autrui pourraient s’appliquer aux sorties à l’école du dimanche.

 

[49]           Il est évident que les représentants de l’ASFC craignent de ne pas être autorisés à entrer dans le lieu où se déroule l’école du dimanche, auquel cas il ne leur serait pas possible de surveiller les activités du demandeur pendant qu’il s’y trouve. Ce sont là des préoccupations légitimes. La Cour n’est pas disposée à admettre une situation où le demandeur ne pourrait pas être surveillé efficacement durant une période prolongée ou serait occupé à enseigner. Mais je ne crois pas nécessaire que l’ASFC identifie chacun des autres participants à l’école du dimanche, qu’elle les informe du statut du demandeur et qu’elle obtienne leur consentement à ce qu’ils soient agréés. Mme El Fouli a dit qu’elle veillerait à ce que son mari reste auprès d’elle et à ce qu’il ne joue aucun rôle actif à l’école. En conséquence, et à la condition que l’ASFC puisse entrer dans l’école pour surveiller les activités du demandeur, je ne vois pas pourquoi la présence du demandeur à l’école ne pourrait pas être approuvée en tant que l’une des sorties hebdomadaires du demandeur.

 

[50]           Les avocats du demandeur ont admis que, si celui-ci avait à choisir entre l’école du dimanche et une sortie dans une galerie marchande ou au restaurant, l’école du dimanche aurait préséance. On a fait valoir cependant que le demandeur ne devrait pas être astreint à un tel choix, car les autres sorties, par exemple dans les galeries marchandes et les restaurants, étaient tout aussi importantes pour la famille. C’est là un aspect qui pourrait être étudié davantage ultérieurement. Pour l’heure, puisque les conditions en vigueur ne sont appliquées que depuis sept mois, je ne suis pas disposé à augmenter le nombre des sorties hebdomadaires.

 

                        Utilisation du métro

 

[51]           Pour l’instant, il est interdit au demandeur d’emprunter le métro de Toronto pour ses sorties, y compris ses rendez-vous chez le médecin. Des témoignages ont été produits concernant l’emplacement des cabinets de médecins, leurs distances depuis le domicile du demandeur et le temps probable qu’il faut pour s’y rendre au moyen des transports publics de surface. Aux dates de l’audience, la famille ne disposait pas d’une automobile en état de marche, et le demandeur dépendait de la bonne volonté d’amis et de sympathisants pour aller à ses rendez-vous. La Cour fut informée plus tard, par une lettre de l’avocat des défendeurs, qu’un véhicule avait été acquis par la famille, puis immatriculé au nom de Mme El Fouli le 19 novembre 2007.

 

[52]           Les défendeurs ont produit un horaire de la Commission des transports de Toronto pour montrer que ce n’était pas impossible, mais ils n’ont pas véritablement contesté l’affirmation selon laquelle les déplacements dans les transports en commun à Toronto sont beaucoup plus difficiles si l’on ne peut pas se servir du métro. Un trajet qui pourrait se faire en quelques minutes par le métro pourrait prendre des heures dans l’une ou l’autre direction par autobus et tramway. Néanmoins, les défendeurs restent opposés à tout assouplissement de cette restriction, parce que le système de repérage GPS ne fonctionne pas sous terre et que la surveillance physique est beaucoup plus difficile dans un métro, où il y a souvent affluence.

 

[53]           Selon le demandeur, ces difficultés pourraient être aplanies par une coordination minutieuse avec les agents chargés de la surveillance. Une surveillance discrète n’est pas requise. Comme pour toute autre sortie, le demandeur serait tenu de notifier sa destination et son itinéraire à l’ASFC. Des directives précises pourraient être données pour que l’ASFC ne perde pas sa trace dans le réseau de transport.

 

[54]           Cela suppose naturellement que les représentants de l’ASFC jugeraient nécessaire de maintenir la surveillance physique du demandeur s’il se déplaçait en métro. Dans les circonstances actuelles, je crois que c’est une supposition raisonnable et, bien que les arguments du demandeur soient très convaincants, cela imposerait un fardeau additionnel sur la capacité de l’ASFC de surveiller efficacement les déplacements du demandeur. Je crois que la Cour doit se montrer prudente avant d’approuver un nouveau mode de transport qui est notablement différent du mode jusque-là autorisé. Eu égard au fait que la famille a récemment acquis un véhicule, la nécessité de cette modification est moins pressante. En conséquence, je ne suis pas disposé à l’approuver pour l’instant.

 

            Accès à l’arrière-cour

 

[55]           Pour l’instant, le demandeur est autorisé à se trouver dans son arrière-cour entre 8 heures et 21 heures, à condition d’être accompagné d’un surveillant. Il voudrait que ce soit désormais entre 7 heures et 22 heures. Compte tenu de la nouvelle saison, c’est une requête sur laquelle il n’a pas insisté à l’audience mais qu’il présentera à nouveau avant les mois d’été. Le demandeur voudrait cependant que soit assouplie la condition l’obligeant à être constamment en la présence d’un surveillant. Cette condition s’est révélée incommode. Ainsi, lorsque le téléphone sonne ou qu’un repas doit être préparé, tous deux doivent réintégrer la maison. Avec la modification proposée, le surveillant pourrait rester dans la maison et observer de temps à autre le demandeur par la fenêtre.

 

[56]           Les défendeurs s’opposent à cette modification, car il y a une allée fréquentée par des piétons, près de l’arrière-cour, entre deux enfilades de maisons en rangées. Mme El Fouli a témoigné qu’elle a rarement vu quelqu’un qu’elle n’ait pas reconnu, dans l’allée en question. Selon le témoignage de M. Pearce, la station de base sans fil du bracelet émetteur pourrait être programmée de manière à englober l’arrière-cour. Le problème n’est donc pas que le demandeur puisse s’esquiver sans que soit déclenchée une alarme, mais qu’il puisse avoir des échanges non surveillés avec des passants. La zone est visible depuis des endroits tels que le parc de stationnement, et il reste loisible à l’ASFC d’exercer une surveillance physique impromptue.

 

[57]           À titre de compromis, les avocats du demandeur ont proposé que la condition soit assouplie pour permettre au demandeur de rester dans l’arrière-cour, mais non en la présence immédiate d’un surveillant, pour autant qu’il reste dans le champ de vision d’un surveillant qui pourrait se trouver à l’intérieur de l’habitation, dans le salon, dans la cuisine ou dans la salle à manger. Je crois que c’est là une proposition raisonnable et j’accepte d’intégrer ce changement dans l’ordonnance révisée.

 

                        L’ajout de Matthew Behrens comme surveillant

 

[58]           Le demandeur voudrait que M. Matthew Behrens soit ajouté à la liste des surveillants agréés par la Cour qui doivent rester auprès du demandeur et l’accompagner dans ses sorties. M. Behrens, qui travaille comme éditeur, est un activiste politique bien connu qui est opposé à la procédure des certificats de sécurité et à la détention de personnes fondée sur des motifs de sécurité nationale. Au fil des actions qu’il a menées pour défendre cette cause, il a développé des rapports étroits avec le demandeur et sa famille et leur a apporté une aide avant et après la mise en liberté du demandeur.

 

[59]           M. Behrens a un casier judiciaire mineur. Il n’a donc pas été proposé comme caution apte à exercer une surveillance lorsque la libération du demandeur était étudiée, il y a un an. Il a cependant été explicitement exclu de l’interdiction faite au demandeur de fréquenter des personnes ayant un casier judiciaire. M. Behrens a pris des dispositions, par l’entremise de son organisation, pour que le dépôt en espèces soit consigné à la Cour au nom de Mona El Fouli, et son épouse fut l’un des membres de la collectivité qui ont signé des cautionnements de bonne fin. M. Behrens a donc montré un engagement considérable envers la libération du demandeur.

 

[60]           En raison de la nature de son travail, M. Behrens peut organiser son temps comme il l’entend et il s’est mis à disposition pour conduire le demandeur et Mme El Fouli à leurs rendez-vous. Il reste disposé et apte à fournir ce service, mais le demandeur dit que les choses seraient plus faciles si M. Behrens était approuvé comme surveillant. Par exemple, Mme El Fouli a besoin d’une physiothérapie depuis un accident automobile qui s’est produit il y a quelque temps, mais il lui a été impossible d’obtenir pour le demandeur la surveillance nécessaire qui lui aurait permis à elle d’aller à ses rendez-vous. Le fait d’avoir à disposition un surveillant additionnel, d’affirmer le demandeur, donnerait à Mme El Fouli la possibilité d’aller à ses rendez-vous.

 

[61]           Les défendeurs s’opposent énergiquement à cette requête. Ils ne se fondent pas sur le casier judiciaire mineur de M. Behrens; ils font plutôt valoir qu’il s’est montré irrévérencieux envers la Cour et envers l’application de la loi. Ils disent que la Cour ne peut pas avoir l’assurance que M. Behrens veillerait à ce que le demandeur se conforme aux conditions imposées s’il était autorisé à surveiller le demandeur.

 

[62]           En contre-interrogatoire, M. Behrens a été mis en présence de plusieurs articles qu’il avait écrits en 2003 et qui circulent encore sur l’Internet. Ces articles renferment des déclarations où il condamne des décisions rendues par des juges de la Cour dans des affaires portant sur des certificats de sécurité. Les avocats du demandeur se sont opposés à ce contre-interrogatoire au motif que le droit de M. Behrens d’exprimer ses opinions était protégé par la Charte. Les défendeurs ont fait valoir que la question n’était pas la liberté d’expression, à laquelle M. Behrens a indiscutablement droit, mais qu’il s’agissait de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et décider de faire confiance à M. Behrens. Sur ce moyen, le contre-interrogatoire a été autorisé, et les articles ont été produits comme pièces.

 

[63]           D’un côté, les propos sur lesquels l’attention de la Cour a été appelée ne sont rien de plus que des observations sur la qualité des motifs exposés par la Cour dans un cas donné. De l’autre, certains propos pourraient être interprétés comme des attaques personnelles à l’encontre des juges qui ont rendu ces décisions. Assez troublant était un extrait qui comparait un juge de la Cour à [traduction] « un magistrat des États du Sud jetant Rosa Parks en prison parce que la loi, c’est la loi, et que la loi dit que les personnes de race noire ne peuvent pas s’asseoir dans la zone des autobus réservée aux Blancs, [le juge] obéit à la loi injuste des certificats de sécurité... » C’est comme s’il disait qu’une loi promulguée par le Parlement, loi qui a résisté à l’examen constitutionnel de la Cour suprême du Canada, équivaut à une loi raciste appliquée dans un État ségrégationniste. Les propos donnent également à penser que le juge qui présidait l’affaire avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la loi. À mon avis, cela dépasse la limite des commentaires légitimes.

 

[64]           Les avocats du demandeur ont fait valoir que M. Behrens faisait simplement allusion au fait que les juges de la Cour étaient tenus d’appliquer une loi injuste, opinion que partagent bien d’autres personnes et qui a finalement prévalu dans l’arrêt Charkaoui. C’est là, selon moi, une remarque inexacte sur la portée et l’effet de l’arrêt de la Cour suprême. Qui plus est, c’est aussi une qualification par trop généreuse de l’état d’esprit de M. Behrens lorsqu’il a tenu de tels propos. S’agissant des articles considérés globalement, ils donnent à penser que, lorsque M. Behrens les a écrits, il était dédaigneux à l’endroit des lois du Parlement relatives à la sécurité nationale, et à l’endroit de ceux qui doivent les appliquer dans l’exercice de leurs fonctions, qu’ils soient juges ou fonctionnaires.

 

[65]           Dans la présente instance, M. Behrens a affirmé que son obligation envers la Cour, s’il venait à être agréé comme surveillant, aurait préséance sur ses convictions personnelles. La question est de savoir si, eu égard auxdites convictions, la Cour devrait croire cette affirmation.

 

[66]           Outre leur méfiance envers ses publications, les défendeurs pointent du doigt les observations faites par M. Behrens dans un échange de courriels avec M. Pearce, lorsque M. Behrens avait tenté d’intercéder pour le demandeur auprès de l’ASFC. Les défendeurs disent que l’emploi, par M. Behrens, de propos que leur avocat a qualifiés de « vitrioliques », lorsqu’il avait critiqué une mesure prise par des agents de l’ASFC, accrédite leur opinion qu’il ne respecterait pas les conditions imposées au demandeur. Les courriels révèlent qu’il y avait eu un malentendu évident sur ce qui s’était produit et que M. Behrens s’en est rapidement excusé. Plus inquiétant est le témoignage de M. Pearce à propos du rôle dont s’est semble-t-il investi M. Behrens en agissant comme mandataire du demandeur lorsqu’il a mis en doute des décisions prises par des représentants de l’ASFC. Il n’a aucun pouvoir d’intercéder pour le demandeur, et les fonctionnaires de l’ASFC n’ont aucune obligation de traiter avec lui.

 

[67]           La question fondamentale que soulève cet aspect est celle de savoir si l’approbation de M. Behrens comme surveillant favoriserait ou entraverait l’objectif consistant à garantir l’observation des conditions imposées au demandeur. Les défendeurs disent que l’approbation de M. Behrens comme surveillant n’est pas nécessaire puisqu’il est disposé à se mettre encore à disposition, avec son véhicule, pour conduire le demandeur et son épouse à leurs rendez-vous, qu’il soit ou non agréé comme surveillant. La question du transport n’est plus aussi pressante depuis que la famille possède un véhicule. Cependant, il appert de la preuve que l’ajout d’un autre surveillant, en particulier d’un surveillant pouvant organiser son temps comme il l’entend et qui dispose d’un véhicule, aiderait la famille à se conformer aux conditions. Selon moi, cela faciliterait l’observation des conditions.

 

[68]           M. Behrens sait parfaitement qu’une violation des conditions pourrait entraîner le renvoi en détention du demandeur et la confiscation des garanties de bonne fin déposées par les cautions, dont son épouse. Il a affirmé sous serment qu’il placerait sa responsabilité envers la Cour au-dessus de ses convictions personnelles. Dans ces conditions, et non sans quelques réticences, je suis disposé à l’approuver comme caution apte à exercer une surveillance, dès qu’il aura signé un engagement de même teneur que les engagements signés par les autres cautions.

 

[69]           Tout en accédant à cette requête, je voudrais souligner que M. Behrens n’est pas investi d’un plus grand pouvoir d’intercéder auprès de l’ASFC pour le demandeur qu’il ne le serait en tant que particulier ou en tant qu’ami de la famille. Sa nomination à titre de surveillant ne lui donne pas le droit d’obtenir de l’ASFC des renseignements à caractère privé ou de questionner les représentants de l’ASFC sur leurs rapports avec le demandeur. Sa responsabilité est une responsabilité envers la Cour, en ce sens qu’il lui incombe de veiller à l’observation des conditions énoncées dans les ordonnances de la Cour. Il n’a pas le pouvoir d’interpréter lesdites conditions ou de négocier leur application avec l’ASFC. S’il apparaît de quelque manière qu’il s’ingère dans l’accomplissement des tâches des agents de l’ASFC, cette nomination sera révoquée et le demandeur ne pourra plus communiquer avec lui.

 

[70]           Je sais aussi que M. Behrens est proposé comme caution apte à exercer une surveillance dans d’autres cas intéressant des personnes soumises à des certificats de sécurité et à des conditions de mise en liberté. Il me semble que, si la Cour doit se fier à sa capacité d’exercer dans le cas présent les responsabilités d’une caution apte à exercer une surveillance, cela ne devrait pas être encouragé.

 

            L’équipement de vidéoconférence

 

[71]           La condition selon laquelle le demandeur doit autoriser l’installation, chez lui, de dispositifs bidirectionnels de surveillance pour permettre des communications directes par téléconférence n’a pas été débattue lors de l’audience de décembre 2006, mais la Cour l’a adoptée telle que l’avait proposée l’avocat des défendeurs après qu’elle eut rendu publics les motifs de sa décision du 15 février 2007. Le demandeur n’y a pas réagi ni ne s’y est opposé à l’époque; cependant, aucune possibilité explicite de le faire ne lui avait été donnée avant l’insertion de la condition dans l’ordonnance du 1er mars.

 

[72]           La question de l’installation de l’équipement de vidéoconférence a été soulevée par les avocats du demandeur lors des conférences du 9 mars et du 22 mars et durant l’audience du 24 mai. La position qu’ont alors toujours défendue le demandeur et ses avocats à ces occasions est qu’ils s’opposaient à l’installation d’un tel équipement parce qu’il constituait une intrusion inutile dans l’intimité de la famille. Cependant, d’autres sujets étaient plus urgents à l’époque, notamment la question de la caméra extérieure de vidéosurveillance, et cette objection n’a pas été poussée plus loin ni n’a été résolue.

 

[73]           Le dispositif ne fut pas installé au domicile du demandeur avant sa mise en liberté, comme le prévoyaient les ordonnances du 1er mars et du 11 avril. L’ordonnance du 11 avril autorisait sa mise en liberté en attendant que soit résolue la question de la caméra extérieure de vidéosurveillance, mais elle ne prévoyait nul report de l’installation du dispositif de vidéoconférence. Il appert de la preuve qu’on a tenté trois fois de l’installer, sans succès, au cours du printemps et au début de l’été. Aux deux premières occasions, en mai et en juin, un technicien de Bell s’est vu refuser l’entrée sur les lieux. À la troisième tentative, le 26 juillet, deux agents de l’ASFC accompagnaient le technicien, mais la famille Mahjoub s’est opposée à ce qu’ils entrent dans le salon avec leurs chaussures de service aux pieds. Le demandeur affirmait que le salon tout entier était une zone de prières dans laquelle la famille et les visiteurs devaient en général enlever leurs chaussures. Les agents de l’ASFC avaient reçu l’ordre de n’en rien faire, car leurs chaussures font partie de leur uniforme de service. Pour éviter tout affrontement additionnel, M. Pearce a ordonné par téléphone aux agents de quitter les lieux.

 

[74]           Un agent de l’ASFC a informé par courriel l’avocate du demandeur, Barbara Jackman, qu’ils retourneraient sur place le 2 août pour installer le dispositif et qu’ils le mettraient à proximité de la station de base électronique pour pouvoir utiliser la même ligne d’abonné numérique. Dans sa réponse, Mme Jackman écrivait : [traduction] « Pour éviter toute impasse le 2 août, prière de confirmer que vos agents n’exigeront pas que le téléphone soit placé à un endroit qui ne soit pas acceptable pour M. Mahjoub et Mme El Fouli ».

 

[75]           Les agents et un technicien sont revenus sur les lieux le 2 août et ont chaussé des housses de patin propres pour entrer dans le salon et y installer le dispositif à côté de la station de base. Je relève que le lieu de l’installation du dispositif se trouve aussi à proximité du téléviseur familial et du lecteur de DVD. Les Mahjoub se sont opposés à l’installation du dispositif dans le salon. Une boîte a donc été fournie, équipée d’une longue rallonge, pour que le dispositif puisse être mis dans un coin ou sorti du salon pour être installé dans la cuisine si nécessaire. Les agents ont montré que le dispositif pouvait être placé en trois endroits au rez-de-chaussée.

 

[76]           Ce dispositif, qui ressemble à un téléphone, a une profondeur de 10 pouces, une largeur de 9 pouces et une hauteur de 3 pouces. L’objectif, qui peut être recouvert d’un capuchon lorsqu’il n’est pas utilisé, n’est actif que lorsque le dispositif est branché et que le destinataire prend le combiné. Il n’a aucune fonction d’enregistrement. Le champ de vision peut être rétréci de manière à ne saisir que la personne qui se trouve devant la caméra, et non l’arrière-plan.

 

[77]           Peu après son installation, agissant sur l’avis de son avocate, Barbara Jackman, le demandeur a débranché le dispositif de vidéoconférence et l’a déménagé dans le sous-sol. Selon son témoignage et celui de Mme El Fouli, l’avocate leur avait dit qu’ils pouvaient débrancher le dispositif et le mettre dans le coin le plus éloigné de la maison, puisque l’endroit n’avait pas été précisé dans l’ordonnance de la Cour. Cette interprétation fut également communiquée à M. Pearce, par un courriel de Mme Jackman daté du 3 août. Elle écrivait que le dispositif pouvait être rendu opérationnel à tout moment où l’ASFC voulait qu’il le soit, mais que l’emplacement du dispositif demeurait contesté et que des indications devraient être obtenues de la Cour, au besoin.

 

[78]           Par une lettre datée du 14 août 2007, l’avocat des défendeurs a écrit à Mme Jackman au sujet de cette question, affirmant qu’une condition implicite de l’ordonnance de la Cour était que le dispositif devait être opérationnel en tout temps et que la clause de l’ordonnance se rapportant au dispositif ne dépendait nullement du consentement du demandeur quant au lieu de son installation.

 

[79]           Aucune des parties n’a attiré l’attention de la Cour sur le sujet jusqu’au dépôt de leurs dossiers concernant la présente demande. La question n’a pas été évoquée par les avocats de l’une ou l’autre des parties au cours de la téléconférence d’établissement du calendrier tenue en septembre avec la Cour. Le terminal vidéo n’a pas été reconnecté depuis qu’il a été déménagé dans le sous-sol. Selon les défendeurs, il s’agit là d’une violation continue et flagrante des ordonnances de la Cour. Au premier abord, c’est ainsi que je voyais la question moi aussi.

 

[80]           Je reconnais avec les défendeurs que l’ordonnance du 11 avril prévoyait implicitement que le dispositif devait rester opérationnel une fois qu’il avait été installé. Il était fautif pour Mme Jackman d’informer ses clients qu’ils pouvaient débrancher le dispositif et le mettre au sous-sol. Les termes des ordonnances de la Cour ne sont pas négociables entre les parties. Leurs points de vue sont des facteurs à prendre en compte, mais c’est à la Cour, et non aux avocats, qu’il appartient de dire quelles conditions seront maintenues. La ligne de conduite qui s’imposait aurait consisté à informer la Cour qu’il y avait un différend au sujet de l’emplacement du dispositif et à obtenir des directives quant à l’endroit où il pouvait être installé. Les avocats des défendeurs auraient également pu attirer l’attention de la Cour sur la question après avoir appris que l’endroit où le dispositif était installé suscitait une difficulté.

 

[81]           La Cour n’est guère encline à passer outre à l’insoumission d’un demandeur, dans la mesure où il s’agit à première vue d’un acte manifeste de défi envers une condition implicite de l’ordonnance de la Cour. C’est au demandeur, non à son avocate, qu’il incombe de se conformer aux conditions de sa mise en liberté. Mais il ressort clairement de la preuve qu’il a agi sur le conseil de son avocate, pour qui l’enlèvement du dispositif ne transgresserait pas les conditions. Si cela n’avait pas été le cas, j’aurais envisagé de révoquer la mise en liberté du demandeur et de le renvoyer en détention.

 

[82]           Vu les circonstances particulières dans lesquelles cette condition de l’ordonnance a été imposée, puisqu’un avis avait été signifié précisant que l’installation du dispositif et son emplacement à l’intérieur de l’habitation étaient des aspects à soumettre à la Cour, et puisque le demandeur a agi sur le conseil de son avocate, je ne crois pas qu’il serait juste d’imputer cet incident au demandeur et de considérer la chose comme une transgression des conditions.

 

[83]           Je suis maintenant invité à dire si l’installation du dispositif est nécessaire et, dans l’affirmative, d’indiquer l’endroit où il devrait être placé. Le demandeur continue de s’opposer à ce qu’il soit installé au rez-de-chaussée de son habitation. S’il doit être installé quelque part dans l’habitation, alors il veut qu’il le soit au sous-sol et soit connecté à la ligne d’abonné numérique à l’aide d’un câble traversant le plancher. Mais la question centrale est de savoir si le dispositif est requis pour surveiller le demandeur ou ses visiteurs.

 

[84]           La principale objection du demandeur est que la mise en place du dispositif constitue, en l’absence de raisons convaincantes justifiant son installation, une intrusion injustifiée de l’État dans l’intimité de la famille. Il dit que sa présence à la maison est déjà surveillée à l’aide du bracelet électronique et que, lorsqu’il quitte son domicile, il est soumis au dispositif de repérage GPS et à une surveillance physique. Une communication active avec l’ASFC est maintenue par téléphone, et les agents de l’ASFC peuvent se présenter chez lui n’importe quand pour s’assurer qu’il s’y trouve et qu’il n’y a sur les lieux aucun visiteur non autorisé.

 

[85]           Dans ces conditions, le demandeur voudrait savoir quel avantage additionnel résulterait de l’utilisation du visiophone. Les défendeurs disent que ce dispositif permettra de surveiller les visites d’autres personnes, dont les gens de métier, mais cela ne fonctionnera pas, de l’avis du demandeur. Comment le demandeur pourrait-il y veiller si, par exemple, le réparateur de câble se présente à la porte? La Cour n’a pas la preuve d’une transgression des conditions par suite de la visite d’une personne non autorisée, ni la preuve que les mesures existantes se sont révélées insuffisantes. Si une personne non autorisée souhaite visiter le demandeur, il est improbable qu’elle se soumettrait à une conversation par visiophone avec des agents de l’ASFC ou que l’ASFC aurait connaissance de la visite, à moins que l’habitation ne soit sous surveillance à ce moment précis.

 

[86]           Un autre facteur qui, selon le demandeur, devrait être pris en considération est le fait que Mme El Fouli porte le hidjab en public, mais non à la maison, ce qui pourrait poser un problème si le dispositif était installé dans la principale surface de séjour et qu’elle devait répondre au téléphone.

 

[87]           Les défendeurs ont produit une preuve considérable à propos de l’endroit de la maison où le visiophone devrait être installé, mais l’on ne saurait en dire autant quant à la raison d’être d’un tel dispositif. Les défendeurs se sont fondés surtout sur le fait que la Cour avait pensé qu’il s’agissait là d’un ajout légitime aux conditions lorsque cet ajout avait été proposé à l’origine. Aucune preuve n’a été produite montrant les raisons pour lesquelles le dispositif serait nécessaire comme moyen additionnel de surveiller le demandeur, si ce n’est pour confirmer sa présence chez lui, ce qui peut être confirmé par les autres moyens électroniques qui sont employés, ainsi que par une surveillance physique impromptue. Le dispositif permettrait de s’assurer que les visiteurs au domicile du demandeur sont bien ceux qu’ils sont censés être, si l’ASFC a en sa possession leurs pièces d’identité avec photos, mais s’il n’est pas établi qu’il s’agit là d’un réel sujet d’inquiétude, cette fonction suffit-elle à justifier le maintien de la condition?

 

[88]           Je dois garder à l’esprit l’avertissement de la Cour suprême, au paragraphe 116 de l’arrêt Charkaoui, où l’on peut lire que les conditions d’une mise en liberté ne doivent pas être hors de proportion avec la nature du danger. Je ne suis pas sûr que la présence du visiophone constituerait une intrusion dans l’intimité de la famille autant que celle-ci l’imagine, de toute évidence. Néanmoins, je suis arrivé à la conclusion qu’au vu de la preuve, l’intrusion représentée par ce dispositif, si minime soit-elle, est disproportionnée compte tenu des autres mesures disponibles et que cette condition peut être supprimée sans risque. Cela n’empêche pas les ministres défendeurs de revenir plus tard devant la Cour, avec des preuves nouvelles ou additionnelles montrant que le visiophone est nécessaire pour neutraliser le risque que le demandeur constitue pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d’autrui.

 

                        L’assouplissement de l’obligation d’avis préalable d’une visite

 

[89]           Bien qu’il ne s’agisse pas d’une condition explicite de l’ordonnance du 11 avril 2007, l’ASFC croit que la condition selon laquelle les visites au domicile du demandeur doivent lui être notifiées au moins 48 heures à l’avance s’applique également aux visiteurs déjà agréés. Le demandeur et sa famille ont jusqu’à maintenant accepté de communiquer à l’ASFC ce genre de renseignements. Il y a eu de toute façon très peu de visites. Le demandeur voudrait que la manière dont l’ASFC interprète l’ordonnance soit clarifiée et que l’exigence soit assouplie, car elle lui cause des difficultés pratiques. Puisque cet aspect intéresse aussi des requêtes présentées par les défendeurs, je l’examinerai dans la section suivante.

 

            Requêtes des défendeurs en vue de modifications

 

                        Visiteurs

 

[90]           L’entrée du domicile des Mahjoub est strictement limitée aux personnes et visiteurs préalablement autorisés par l’ASFC. Les noms, adresses et dates de naissance de tels visiteurs doivent être communiqués avant qu’ils puissent être autorisés, et l’autorisation peut être retirée n’importe quand. Les conditions de mise en liberté ne requièrent pas l’autorisation préalable des visites ultérieures de personnes déjà autorisées, mais il semble que les représentants de l’ASFC ont imposé cette condition, dans la pratique. Le demandeur s’en est accommodé jusqu’à maintenant, mais il met en doute aujourd’hui sa nécessité. Les défendeurs voudraient que l’obligation d’avis préalable d’une visite fasse partie des conditions.

 

[91]           Selon le témoignage de M. Pearce, l’ASFC n’a pas refusé les visites de visiteurs autorisés, même si elles étaient notifiées moins de 48 heures à l’avance. L’ASFC a besoin d’un délai pour pouvoir identifier les visiteurs autorisés et pour prendre les dispositions requises. En contre-interrogatoire, M. Pearce a dit qu’il s’agissait d’une question opérationnelle, pour que l’ASFC puisse s’assurer que ne survienne aucune transgression des conditions, notamment par l’introduction de téléphones cellulaires dans l’habitation. Il a précisé aussi que l’ASFC faisait une mise à jour de la vérification de sécurité, pour s’assurer que les visiteurs autorisés n’aient rien fait de douteux entre-temps, depuis leur autorisation initiale. Au vu de cette preuve, la Cour admettra qu’une modification est nécessaire pour imposer la notification des visites à l’ASFC, y compris de celles de personnes déjà autorisées. Cependant, l’ASFC devra continuer de montrer du discernement lorsqu’elle n’a aucune raison de s’inquiéter, par exemple s’il s’agit de la visite d’une personne que l’ASFC connaît bien et qui est proche de la famille Mahjoub.

 

[92]           Les défendeurs voudraient aussi des conditions autorisant l’ASFC à exiger la communication de renseignements additionnels à propos des visiteurs pour qui une autorisation est demandée, notamment leurs signatures, deux pièces d’identité avec photo et tout autre renseignement personnel que les fonctionnaires de l’ASFC jugent nécessaires pour procéder aux vérifications de sécurité. De plus, les défendeurs voudraient que soit conservé chez le demandeur un registre que les visiteurs seraient tenus de signer.

 

[93]           Dans les cas où les représentants de l’ASFC auraient du mal à effectuer les vérifications de sécurité de visiteurs potentiels, ils pourraient devoir refuser ou retirer leur autorisation s’ils ne sont pas convaincus de l’identité de l’intéressé ou s’ils doivent faire d’autres investigations. Au vu de la preuve, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’obliger toute personne pouvant être proposée comme visiteur potentiel à produire deux pièces d’identité avec photo, sa signature et d’autres renseignements. À mon avis, une réponse adéquate consisterait à permettre à l’ASFC de dire dans chaque cas, selon son appréciation, s’il lui faut de tels renseignements supplémentaires pour procéder à une vérification de sécurité. Elle pourrait par exemple exiger la photocopie du permis de conduire ou d’un autre document officiel.

 

[94]           La proposition selon laquelle les visiteurs autorisés devraient être priés de signer un registre indiquant la date et l’heure de leur arrivée et de leur départ à chaque occasion semble une réponse raisonnable à la nécessité pour l’ASFC de surveiller les entrées et les sorties au domicile du demandeur, et une réponse qui n’est pas intrusive à l’excès. Les avocats du demandeur se sont interrogés sur la manière dont le demandeur pourrait se plier à cette exigence si un visiteur refuse de signer le registre. Par cette objection, ils oublient le pouvoir que détient l’ASFC de refuser son autorisation pour toute visite ultérieure. L’ordonnance révisée obligera le demandeur à tenir un registre des visiteurs, que lui remettra l’ASFC, et à le présenter sur demande pour inspection.

 

                        Notification préalable des sorties

 

[95]           Les défendeurs voudraient que plusieurs modifications soient apportées aux obligations de notification dans les conditions de mise en liberté. D’abord, ils voudraient que soit rendue une ordonnance autorisant l’ASFC à exiger un avis de 72 heures ouvrables lorsque le demandeur sollicite une sortie. Selon les termes de l’ordonnance du 11 avril, modifiée le 27 septembre 2007, le demandeur est tenu d’obtenir chaque semaine les autorisations de sorties prolongées de la semaine suivante, moyennant un avis d’au moins 72 heures. Si je comprends bien la présente requête, les défendeurs voudraient que soit clarifiée cette condition de telle sorte que les représentants de l’ASFC puissent avoir un avis de trois jours ouvrables des sorties prévues par le demandeur pour la semaine suivante. Le demandeur ne s’oppose pas à cette modification. Comme l’ont expliqué ses avocats au cours de l’audience, il est logique pour la famille de grouper ses demandes de sortie et de les présenter en une seule fois. En conséquence, cette modification sera apportée aux conditions.

 

[96]           Le demandeur n’est pas autorisé à changer son lieu de résidence sans l’approbation préalable de la Cour. Les défendeurs voudraient une modification mineure pour s’assurer que cela ne se produise pas sans un avis de 60 jours et sans une évaluation préalable du risque par l’ASFC. Le demandeur ne s’oppose pas à cette modification, et la Cour reconnaît qu’elle est raisonnable.

 

                        Autres modifications proposées

 

[97]           Les défendeurs voudraient que l’ordonnance soit modifiée pour interdire au demandeur de pénétrer dans toute zone où l’ASFC juge que la surveillance électronique est inefficace. Selon le demandeur, une telle condition serait impraticable parce que le signal GPS disparaît lorsqu’il pénètre dans des lieux fermés tels que les galeries marchandes, les restaurants, les cabinets d’avocats et de médecins, sans compter le palais de justice. Il n’est pas difficile d’envisager des cas où les représentants de l’ASFC pourraient invoquer cette condition pour empêcher le demandeur de pénétrer dans des endroits où il a de bonnes raisons de se trouver.

 

[98]           Comme je le disais plus haut, la preuve montre que le système de repérage GPS fonctionne assez bien et que le demandeur communique avec les représentants de l’ASFC pour s’assurer qu’ils sachent l’endroit où il se trouve lorsque le signal a disparu. La combinaison du repérage électronique et de la surveillance physique, selon ce que jugent nécessaire les représentants de l’ASFC, devrait suffire à assurer une surveillance efficace des déplacements du demandeur sans lui imposer cette limite supplémentaire. Je n’accéderai donc pas pour l’instant à cette requête. Les défendeurs pourront soulever la question à nouveau si l’expérience future donne à penser que la Cour devrait revoir la question.

 

[99]           Les défendeurs voudraient que la Cour interdise au demandeur de posséder un caméscope ou d’enregistrer en tout temps les agents de l’ASFC sur bande magnétique ou magnétoscopique. Cette requête découle d’un incident qui est survenu au cours d’une visite impromptue d’agents de l’ASFC chez le demandeur. Les agents ont, semble-t-il, eu l’impression que le demandeur les filmait ou avait l’intention de les filmer avec un caméscope. Le demandeur a témoigné qu’il avait un autre objectif à l’esprit, celui de prouver matériellement que Haney était le seul à détenir son téléphone cellulaire, comme cela était censé être.

 

[100]       Le caméscope appartient à la famille. Selon les défendeurs, si le demandeur l’a en sa possession, il pourrait en résulter une transgression de la condition qui lui interdit d’avoir en sa possession tout « dispositif de communication ». L’appareil pourrait techniquement entrer dans la définition de cette expression, mais à mon avis cette interprétation va au-delà de l’esprit de la disposition. Il n’a pas été établi devant moi que le demandeur a utilisé le caméscope à cette fin ou que la famille l’a en sa possession à cette fin. Dans la mesure où le caméscope sert à enregistrer des événements familiaux ou des occasions spéciales, je ne vois aucune raison d’interdire la possession de cet appareil.

 

[101]       Cependant, je reconnais avec les défendeurs que les agents chargés de faire appliquer les ordonnances de la Cour ne devraient pas être exposés à la possibilité de voir leur image divulguée au public, car cela leur ferait courir des risques et compromettrait leur aptitude à s’acquitter de leurs obligations. Ils sont tenus de s’identifier lorsqu’ils se présentent au domicile du demandeur, mais la manifestation de leur présence ne devrait pas aller plus loin. Le demandeur, ou quiconque est présent à son domicile, doit s’abstenir d’enregistrer les agents sur bande magnétique ou magnétoscopique lorsqu’ils accomplissent leurs fonctions.

 

[102]       Dans une lettre adressée à la Cour après l’audience, les avocats des défendeurs écrivaient que le téléphone cellulaire utilisé par Mona El Fouli est maintenant enregistré au nom de son fils Haney et que les factures du compte sont incomplètes. Ils voudraient que l’ordonnance soit modifiée pour ce qui concerne l’utilisation du téléphone cellulaire par Mme El Fouli. L’ASFC voudrait que Haney obtienne des documents détaillés ou qu’il change de fournisseur de services. Les avocats du demandeur ont répondu qu’ils ne s’opposent pas à la modification sollicitée par les ministres. Ce changement sera également reflété dans l’ordonnance modificatrice.

 

DISPOSITIF

 

[103]       Eu égard aux preuves et conclusions entendues, ou reçues par correspondance, la Cour est d’avis que les conditions auxquelles est subordonnée la mise en liberté du demandeur devraient être modifiées comme il est indiqué dans l’ordonnance ci-après.

 

[104]       Comme je l’ai dit plus haut, les avocats du demandeur pourront présenter par écrit d’autres conclusions concernant l’utilisation de services téléphoniques par Internet, ou solliciter, par requête adressée à la Cour, la possibilité de présenter des arguments oraux sur la question.

 

[105]       L’ordonnance ci-après est rendue en tant que version révisée de l’ordonnance du 11 avril 2007, dans sa forme modifiée, mais les avocats des parties sont priés de collaborer à la rédaction d’une ébauche des conditions qui pourraient être formulées en tant que nouvelle ordonnance récapitulative prenant en compte les modifications qui sont survenues depuis la mise en liberté du demandeur.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’ordonnance révisée du 11 avril 2007, modifiée par l’ordonnance du 14 juin 2007 et par l’ordonnance du 27 septembre 2007, soit à nouveau modifiée, comme il suit :

 

1.      le paragraphe 3, qui prévoit l’installation d’un dispositif bidirectionnel de vidéosurveillance permettant un contact visuel durant les communications entre M. Mahjoub et l’ASFC, est supprimé;

 

2.      les paragraphes 6, 7 et 8 sont modifiés de manière à inclure le nom de M. Matthew Behrens dans la liste des noms des personnes indiquées comme cautions qui sont aptes à exercer une surveillance et sont tenues de signer un engagement, et dont l’une doit demeurer en tout temps auprès de M. Mahjoub;

 

3.      le paragraphe 7 est modifié par ajout des mots « ou demeurer dans leur champ de vision », dans la deuxième phrase, après le nom de « El Sayed Amed », afin de permettre au demandeur l’accès à l’arrière-cour tant qu’il peut être vu depuis l’intérieur de l’habitation par une caution apte à exercer une surveillance;

 

4.      l’alinéa 8i) de l’ordonnance, révisée le 27 septembre 2007, est modifié de manière à imposer un préavis de 72 heures ouvrables pour l’autorisation de brèves sorties hebdomadaires d’une durée inférieure à quatre heures.

 

5.      L’alinéa suivant remplacera l’alinéa 8ii) pour permettre à M. Mahjoub et au surveillant qui l’accompagne de rester à l’extérieur de la maison durant une heure afin qu’ils puissent faire de l’exercice lorsqu’ils emmènent les enfants à l’école et qu’ils vont les y chercher :

ii) quitter le domicile les jours d’école entre 8 heures et 9 h 30 et entre 15 heures et 16 h 30 en compagnie de Mona El Fouli ou d’Haney El Fouli pour conduire ses fils Ibrahim et Yusuf à l’école le matin et aller les y chercher l’après-midi. M. Mahjoub devra se rendre directement aux écoles publiques primaires et en revenir directement, sous réserve d’une période d’une heure chaque jour pour lui permettre de faire de l’exercice. Il devra communiquer à l’ASFC un avis préalable de son itinéraire projeté et de l’endroit où il se trouvera. Il lui sera interdit de parler à quiconque sur son chemin, tant à l’aller qu’au retour. Il communiquera à l’ASFC, pour chaque école, le nom et l’adresse de l’école ainsi que le calendrier scolaire annuel. Si les enfants doivent quitter l’école pour une raison inattendue et légitime à d’autres moments de la journée, M. Mahjoub sera autorisé à aller les y chercher avec Mona El Fouli ou Haney El Fouli, à condition que l’ASFC soit informée de la situation, avant qu’il quitte son domicile, et soit informée de son retour à son domicile.

 

 

6.      Le paragraphe 12 est supprimé et remplacé par le suivant :

Sous réserve de ce qui est prévu aux présentes, M. Mahjoub ne devra pas, directement ou indirectement, posséder, avoir à sa disposition ou utiliser un poste de radio ou un dispositif radio ayant une capacité de transmission, un équipement de communication ou un matériel permettant la connexion à Internet, ou une composante d’un tel équipement, notamment un téléphone cellulaire, un ordinateur muni d’un modem ou permettant l’accès à Internet, ou une composante d’un tel ordinateur, un téléavertisseur, un télécopieur, un téléphone public, un téléphone à l’extérieur de l’habitation, une installation Internet ou un appareil portatif, tel un Blackberry.

i)                    La connexion Internet des ordinateurs utilisés par le beau-fils et les deux fils de M. Mahjoub devra être gardée dans une pièce verrouillée de l’habitation à laquelle M. Mahjoub n’aura pas accès et dont seuls Mona El Fouli et Haney El Fouli auront les clés. Chaque ordinateur de l’habitation devra être muni d’un mot de passe permettant d’y accéder, et les mots de passe seront détenus par Mona El Fouli et Haney El Fouli et ne pourront pas être divulgués à M. Mahjoub ou à ses fils, Ibrahim et Yusuf. La connexion Internet à l’ordinateur de la chambre d’Ibrahim et de Yusuf se fera au moyen d’une connexion activée manuellement se trouvant dans la chambre d’Haney, connexion qui ne pourra être activée que lorsque Mona El Fouli ou Haney El Fouli seront présents. L’ASFC est autorisée à obtenir du fournisseur de services Internet les renseignements relatifs à la connexion Internet, notamment les adresses des sites Web visités et les adresses électroniques auxquelles des messages sont envoyés ou à partir desquelles des messages sont reçus à l’aide de la connexion. Jusqu’à nouvelle ordonnance, aucun logiciel de service téléphonique par Internet ni aucun microphone du genre ne pourront être installés sur les ordinateurs de l’habitation qui sont ou qui pourraient être connectés à l’Internet et, si de tels logiciels ou microphones sont présentement installés, ils doivent être enlevés ou désactivés.

ii)                   Un télécopieur branché à la ligne téléphonique terrestre de l’habitation est autorisé. Il ne pourra être utilisé que par Mona El Fouli ou Haney El Fouli et il devra être conservé dans la pièce verrouillée ainsi qu’il est prévu à l’alinéa i). L’ASFC est autorisée à intercepter les envois qui seront faits ou reçus par ce télécopieur. Une liste des personnes et bureaux auxquels des télécopies seront envoyées depuis l’habitation, avec indication de leurs numéros de télécopieurs, sera remise à l’ASFC par Mona El Fouli et actualisée au besoin.

iii)                 Les téléphones cellulaires appartenant à Mona El Fouli et à Haney El Fouli, enregistrés en leurs noms ou utilisés par eux, devront rester en leur possession en tout temps, et Mona El Fouli et Haney El Fouli devront s’assurer que M. Mahjoub n’y ait pas accès. Les numéros de ces téléphones cellulaires devront être communiqués à l’ASFC, et leur utilisation à l’intérieur de l’habitation devra se limiter à la pièce où se trouve l’ordinateur ayant l’accès Internet. Mona El Fouli devra donner son consentement écrit à l’interception, par l’ASFC ou au nom de l’ASFC, de toutes les communications faites au moyen des téléphones cellulaires qu’elle utilise. Haney El Fouli consentira à remettre à l’ASFC les factures mensuelles rendant compte des appels entrants et sortants de son téléphone cellulaire. M. Mahjoub pourra utiliser une ligne téléphonique terrestre conventionnelle, située dans l’habitation (une ligne téléphonique), autre que la ligne téléphonique terrestre spécialisée distincte qui est mentionnée au paragraphe 2 ci-dessus, à la condition suivante. Avant sa mise en liberté, M. Mahjoub et l’abonné de cette ligne téléphonique consentiront tous deux par écrit à l’interception, par l’ASFC ou au nom de l’ASFC, de toutes les communications échangées sur cette ligne. L’ASFC sera notamment autorisée à intercepter le contenu des communications orales et aussi à obtenir les registres de télécommunications afférents à ladite ligne téléphonique. Le formulaire de consentement sera rédigé par les avocats des ministres. Pour le cas où surviendrait une urgence médicale en dehors de son domicile sans que personne ne soit en mesure de faire l’appel en son nom, M. Mahjoub est également autorisé à téléphoner à l’ASFC pour l’informer de la situation et de l’endroit où il se trouve, en utilisant une ligne téléphonique terrestre extérieure à son domicile. Subsidiairement, M. Mahjoub pourra aussi composer le 911.

 

7. L’alinéa 9e) est modifié comme il suit :

e) toute personne autorisée à l’avance par l’ASFC. Pour obtenir une telle autorisation, les nom, adresse et date de naissance de cette personne, ainsi que tout renseignement complémentaire pouvant être jugé nécessaire par l’ASFC, devront être communiqués à l’ASFC au moins 48 heures avant la première visite. L’ASFC devra recevoir un préavis de 48 heures des visites ultérieures faites par une personne déjà autorisée, mais elle pourra renoncer à cette exigence, selon l’appréciation de ses représentants. L’ASFC pourra en tout temps retirer son autorisation portant sur des visiteurs déjà autorisés.

 

8. La phrase suivante est ajoutée au paragraphe 9 :

            M. Mahjoub devra conserver à son domicile un registre des visiteurs, selon la forme qu’indiquera l’ASFC, et mettre sur demande ce registre à la disposition de l’ASFC pour inspection.

 

9. Le paragraphe 22 est remplacé par le suivant :

            M. Mahjoub ne pourra pas changer de domicile sans l’autorisation préalable de la Cour. Un préavis de 60 jours devra être signifié à l’ASFC, pour que l’ASFC puisse procéder à un examen préalable des risques. Aucun membre de la famille ne pourra occuper le nouveau domicile avant d’y être autorisé par l’ASFC.

 

10. Le paragraphe suivant est ajouté :

            Ni M. Mahjoub ni aucune personne vivant à son domicile ne pourra enregistrer les agents de l’ASFC, sur bande magnétique ou magnétoscopique, pendant que les agents s’affairent à vérifier l’observation des conditions de la présente ordonnance.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maurice Audet, réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        DES-1-00

 

INTITULÉ :                                       MOHAMED ZEKI MAHJOUB

                                                            ET

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Les 5, 6, 7 et 8 novembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 décembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

John Norris

 

POUR LE DEMANDEUR

Donald MacIntosh

Angela Marinos

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman

Jackman et Associés

Toronto (Ontario)

 

John Norris

Ruby & Edwardh

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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