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Date : 20080107

Dossier : T-1740-06

Référence : 2007 CF 1277

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FRENETTE

 

 

ENTRE :

ALLAN MacDONALD

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Allan MacDonald, sollicite, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985 ch. F-7, le contrôle judiciaire d’une décision du Service correctionnel du Canada (le SCC) de le transférer dans un établissement beaucoup plus éloigné de sa famille et de sa collectivité que l’établissement où il a tout d’abord été affecté.

 


FAITS

[2]               Le demandeur est âgé de 59 ans. Depuis 2000, il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour le meurtre au premier degré d’un policier qui n’était pas en service dans la collectivité de Penetanguishene, en Ontario.  Il sera admissible à une liberté conditionnelle pour la première fois en 2022.

 

[3]               Avant son arrestation, le demandeur était un membre bien connu de sa collectivité, étant à la fois pompier et président de la Commission des services policiers de Penetanguishene. Il souffrait d’alcoolisme et de dépression. Jusqu’à ce crime, il avait été uniquement reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies quelques mois auparavant.

 

[4]               Le demandeur a été initialement évalué par le SCC à l’Unité d’évaluation de l’établissement Millhaven. Une partie de cette évaluation portait sur sa désignation à titre de criminel notoire, un statut fondé sur l’intérêt des médias et de la collectivité à l’égard de son cas.  À la suite de cette évaluation, il a été décidé qu’il devrait être placé à l’établissement Fenbrook à Gravenhurst, en Ontario, situé à environ 60 milles de Penetanguishene.  Cet établissement se trouvait à proximité de sa famille et de ses amis et offrait les programmes jugés nécessaires au plan correctionnel de M. MacDonald.

 

[5]                Peu après cette évaluation initiale, le niveau de sécurité du demandeur a été modifié de telle manière qu’il ne répondait plus aux critères pour demeurer dans l’établissement Fenbrook. Il a été transféré à l’établissement Joyceville (situé à environ 250 milles de Penetanguishene), où il est demeuré de janvier 2001 à janvier 2005. Son niveau de sécurité a alors été évalué à nouveau et il a été renvoyé à l’établissement Fenbrook.

 

[6]                Le 12 janvier 2006, le demandeur a reçu un avis de transfèrement non sollicité, ce qui signifiait qu’il devait retourner à l’établissement Joyceville. Au cours des 12 mois passés à l’établissement Fenbrook, aucune modification n’avait été apportée à son niveau de sécurité ou à son plan correctionnel, c’est-à-dire qu’il continuait de répondre aux critères pour y demeurer. Le demandeur a présenté une opposition à cet avis, comme il était autorisé à le faire. Il a été néanmoins transféré à l’établissement Joyceville.

 

[7]               Le motif énoncé pour le transfert était la réaction de la collectivité de Penetanguishene à la proximité de M. MacDonald. Le directeur de l’établissement a apparemment reçu des appels de la veuve du policier tué et de l’Association canadienne de la police s’opposant à la présence de M. MacDonald dans l’établissement Fenbrook. Le directeur a aussi apparemment reçu des lettres d’amis et de membres de la famille de M. MacDonald, demandant de le garder à proximité afin de pouvoir lui rendre visite.

 

[8]               Dans sa décision, le directeur de l’établissement a indiqué que la décision initiale de transférer M. MacDonald à l’établissement Fenbrook avait mis l’accent sur [traduction] «  la réalisation des programmes et une plus grande proximité de l’établissement Fenbrook pour les membres de la famille de M. MacDonald ». Le directeur de l’établissement a alors tenu compte des considérations supplémentaires suivantes :

[traduction]

L’infraction à l’origine de la peine a eu lieu à une très grande proximité de la collectivité où se trouve l’établissement Fenbrook. J’ai tenu compte de la sensibilité de cette affaire du point de vue des répercussions pour la victime. De plus, j’ai tenu compte de la sensibilité de cette affaire pour ce qui est des répercussions sur la collectivité où le crime a été commis. J’ai évalué avec grand soin, sous l’angle de la sécurité publique, la proximité de l’établissement par rapport à l’endroit où le crime a eu lieu. Comme il est indiqué plus haut, il faut souligner que l’établissement Fenbrook est beaucoup plus près de l’endroit où le crime a eu lieu que l’établissement Joyceville.

 

Dispositions législatives et directives  pertinentes

[9]                Les dispositions pertinentes sont énoncées ci-après :

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. 1992, ch. 20 :

 

Incarcération : facteurs à prendre en compte

28.    Le Service doit s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

            a)         le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s’y trouvent et du détenu;

 

            b) la facilité d’accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

 

            c) l’existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d’y participer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Transfèrements

29.       Le commissaire peut autoriser le transfèrement d’une personne condamnée ou transférée au pénitencier, soit à un autre pénitencier, conformément aux règlements pris en vertu de l’alinéa 96d), mais sous réserve de l’article 28, soit à un établissement correctionnel provincial ou un hôpital dans le cadre d’un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables.

 

 

 

 

 

 

Directive du Commissionaire 710-2: Transfèrement de délinquants :

 

Objectifs de la politique :

1.         Transférer les délinquants de manière à répondre à leurs besoins individuels en matière de sécurité et de programmes tout en assurant la sécurité du public et en sauvegardant les droits des délinquants.

 

2.         Assurer la sécurité du public en transférant les délinquants dans le milieu qui répond le mieux à leurs besoins et est le mieux adapté au risque qu'ils présentent.

 

[…]

 

7. Transfèrement non sollicité : transfèrement effectué sur l'initiative du SCC pour des motifs prévus à l'article 28 de la LSCMLC.

 

Corrections and Conditional Release Act R.S.C 1992, c. 20:

 

 

 

 

28.       Where a person is, or is to be, confined in a penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to ensure that the penitentiary in which the person is confined is one that provides the least restrictive environment for that person, taking into account

            (a) the degree and kind of custody and control necessary for

                  (i) the safety of the public,

 

(ii)                the safety of that person and other persons in the penitentiary, and

 

                  (iii) the security of the penitentiary;

 

            (b) accessibility to

 

                  (i) the person’s home community and family,

 

                  (ii) a compatible cultural environment, and

 

                  (iii) a compatible linguistic environment; and

 

            (c) the availability of appropriate programs and services and the person’s willingness to participate in those programs.

           

29.       The Commissioner may authorize the transfer of a person who is sentenced, transferred, or committed to a penitentiary to:

            (a) another penitentiary in accordance with the regulations made under paragraph 96(d), subject to section 28; or

 

            (b) a provincial correctional facility or hospital in accordance with an agreement entered into under paragraph 16(1)(a) and any applicable legislation

 

 

Commissioner’s Directive 710-2: Transfer of Offenders (Issued under the authority of the Commissioner of the Correctional Service of Canada) April 10, 2006:

 

            Policy Objectives:

1.         To transfer offenders to meet their individual security requirements and program needs while ensuring public safety and the protection of offender rights.

 

2.         To ensure public safety by transferring offenders to an environment most suitable to addressing their risks and needs.

 

[…]

 

7. Involuntary transfers are transfers initiated by SCC for reasons stated in section 28 of the CCRA.

 

 


Questions en litige

[10]           a)         Quelle est la norme de contrôle à appliquer en l’espèce?

 

i.          Quelle est la norme de contrôle applicable?

[11]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable en l’espèce devrait être la norme de la décision correcte parce qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, voir Coscia c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 132, [2005] A.C.F. no 607. L’arrêt Coscia se rapportait à une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui confirmait le refus d’une libération conditionnelle au motif de danger pour la sécurité publique (entre autres motifs). La Cour d’appel a appliqué la norme de contrôle de la décision correcte parce que la question en litige était de savoir s’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale.

 

[12]           À mon avis, les faits étaient différents de ceux de l’espèce et l’interprétation portait sur un autre texte de loi. Le demandeur s’est également appuyé sur la décision Demaria c. Regional Classification Board, [1987] 1 C.F. 74, [1986] A.C.F. no 493. La décision concernait la possibilité du transfèrement non sollicité d’un détenu purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre. L’ordonnance de transfèrement a été annulée parce que l’allégation selon laquelle du cyanure a été apporté dans l’établissement n’avait pas été prouvée. Toutefois, la norme de contrôle n’a pas été abordée.

 

[13]           L’intimé propose l’application de la norme de la décision manifestement déraisonnable et renvoie à la décision Bachynski c. William Head Institution, [1995] B.C.J. no 1715.

 

[14]           Dans cette affaire, une demande d’ordonnance d’habeas corpus a été rejetée. Il s’agissait d’une demande visant à faire annuler un transfèrement à un autre établissement, c.-à-d. d’un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale.

 

[15]           Invoquant la norme de la décision manifestement déraisonnable, la cour a rejeté la demande parce que l’administration avait traité le demandeur avec équité et de manière raisonnable.

 

[16]            Dans la décision Collin c. Lussier, [1983] A.C.F. no 35, [1983] 1 C.F. 218, la Cour a jugé que l’ordonnance de transfèrement d’une personne reconnue coupable de meurtre, d’un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale, prétendument sans raison valable, constituait une punition et une diminution de la liberté. Le juge Decary n’a pas exposé la norme de contrôle en détail. Il a fondé sa décision sur la violation des droits du demandeur tels qu’ils sont garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[17]           Dans la récente décision Russell c. Canada (Procureur général), [2007] CF 1162, [2007] A.C.F. no 1514, la juge Tremblay-Lamer a appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter à une décision de troisième niveau d’un comité de règlement des griefs du SCC.

 

[18]           Dans la décision Dearnley c. Canada (Procureur général), 2007 CF 219, [2007] A.C.F. no 308, la juge Anne Mactavish a indiqué qu’il fallait assurément manifester une certaine retenue à l’égard de l’interprétation des directives du commissaire.

 

[19]           En l’espèce, je constate l’absence de clause privative ou de droit d’appel prévu par la loi, bien qu’il soit clairement prévu que le détenu peut exercer « un recours judiciaire » (Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, article 81) (le Règlement). Cela indique une moins grande retenue. Toutefois, le directeur de l’établissement possède l’expertise pour apprécier et interpréter les directives du commissaire et l’intérêt des détenus, alors que l’expertise de la Cour dans ce domaine est restreinte. L’objet énoncé de la loi est d’assurer l’exécution des peines et d’aider à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale (article 3), tout en protégeant la sécurité du public. La nature de la question en l’espèce est une question de fait et de pouvoir discrétionnaire. Ces trois derniers facteurs incitent à une retenue accrue envers l’auteur d’une décision.

 

[20]            Par conséquent, j’estime que la norme de contrôle en l’espèce devrait être la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

ii.         Le directeur de l’établissement a-t-il commis une erreur en transférant M. MacDonald?

[21]           Un transfèrement non sollicité est un transfèrement à l’initiative du SCC qui a pour objet de mieux respecter les dispositions de l’article 28 de la LSCMLC, reproduites ci-dessus. Cet article exige la prise en compte de la sécurité du public, du détenu, de la sécurité du pénitencier, de la facilité d’accès à la collectivité à laquelle le détenu appartient, à sa famille, à son milieu culturel et linguistique; de la réadaptation et de l’existence de programmes et de services utiles au détenu. Le Règlement et les Directives du Commissaire décrivent les étapes de la procédure à suivre, telles que la nécessité d’un avis au détenu pour l’exécution d’un transfèrement non sollicité.

 

[22]           Le demandeur soutient que la décision était uniquement fondée sur les plaintes de la veuve de la victime et les représentations faites par l’Association canadienne de la police. Il fait valoir que ces représentations unilatérales n’auraient pas dû être prises en compte ou n’auraient pas dû être déterminantes parce qu’elles ne sont pas prévues à l’article 28 de la LSCMLC.

 

[23]           De plus, les membres de la famille et les amis du demandeur se sont opposés au transfèrement en envoyant des lettres au SCC, qui n’en a pas tenu compte.

 

[24]           Le défendeur fait valoir que [traduction] «  [l]e tollé de la collectivité est un facteur valable à prendre en compte dans le placement d’un détenu et il doit être soupesé avec les autres facteurs […] » Il soutient que, parmi les facteurs énumérés à l’article 28, il s’appuie précisément sur le facteur de la « sécurité du public ».

 

[25]           Pour lui, la «  sécurité du public » comprend les aspects à la fois physiques et psychologiques du préjudice au public. Le demandeur conteste ce point de vue en soutenant que, si le législateur avait désiré inclure le « tollé du public » comme facteur, il l’aurait ajouté à l’article 28. Il ajoute de plus que la « sécurité du public » n’est pas touchée par le transfèrement d’un détenu d’un établissement carcéral à un autre puisqu’il demeure incarcéré. Je dois être d’accord avec cette affirmation.

 

[26]           Nulle part dans la LSCMLC, dans le Règlement ni dans la Directive du Commissaire sur le transfèrement de délinquants fait-on allusion au « tollé du public ». Au contraire, les trois documents indiquent expressément que la facilité de l’accès des détenus à leur famille et à la réadaptation est d’une importance fondamentale.

 

[27]           Le défendeur n’explique pas non plus de quelle manière la présence du demandeur dans l’établissement Fenbrook peut constituer un risque pour la sécurité du public, qui est le seul facteur d’intérêt public décrit dans l’article 28 et mentionné dans la décision. Aucun jugement publié au Canada n’appuie l’inférence du directeur de l’établissement selon laquelle le simple fait que le détenu est un criminel notoire pourrait constituer un risque pour le public.

 

[28]            Même la prétention mise de l’avant (et rejetée) dans la décision Musitano c. Canada (Procureur général), [2006] O.J. no 1152, selon laquelle une grande attention des médias dans le cas d’un transfèrement dans la collectivité pourrait compromettre la sécurité de l’établissement, ne peut être invoquée en l’espèce, car M. MacDonald était déjà dans l’établissement Fenbrook et apparemment en toute sécurité, malgré l’intérêt constant des médias et de la collectivité de Penetanguishene. De toute façon, le défendeur n’a pas soulevé la question de la sécurité du pénitencier.

 

[29]           Le défendeur n’a établi aucun fondement à partir duquel le directeur de l’établissement aurait pu tirer la conclusion selon laquelle M. MacDonald devait être transféré. Le seul facteur qu’il mentionne dans l’avis de transfèrement non sollicité semble dépourvu de fondement en droit ou en vertu des politiques.

 

[30]           En conclusion, la décision du SCC ne peut être maintenue et l’ordonnance de transfèrement non sollicité du demandeur à l’établissement Joyceville doit être annulée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision du SCC de procéder au transfèrement non sollicité du demandeur à l’établissement Joyceville est annulée, avec dépens contre le défendeur.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.


 

 

 

Cour fédérale

 

Avocats inscrit au dossier

 

 

 

DOSSIER :                                                T-1740-06

 

Intitulé :                                              Allan MacDonald

                                                                   c.

                                                                   le procureur général du Canada

 

 

 

 

Lieu de l’audience :                        Toronto (Ontario)

 

DATE de l’audience :                      le 20 novembre 2007

 

Motifs du jugement
et jugement 
:                                     LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE des motifs :                             LE 7 janvier 2008

 

 

 

Comparutions :

 

John Hill

 

Pour le demandeur

Derek Edwards

 

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

 

John L. Hill

Avocat

993, rue Ontario

Cobourg (Ontario)  K9A 3C8

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada 

 

Pour le défendeur

 

 

 

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