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Date : 20071205

Dossier : T-1832-05

Référence : 2007 CF 1275

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FRENETTE

 

 

ENTRE :

SIAMAK A. RAUFI

demandeur

et

 

FEDERAL EXPRESS CANADA LIMITED

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), le 21 septembre 2005, dans laquelle la Commission a refusé de renvoyer la plainte du demandeur devant un tribunal pour examen au fond. La Commission a rendu cette décision en conformité avec l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (LCDP), après avoir déterminé que la plainte était fondée sur des faits survenus plus d’un an avant son dépôt.

 


FAITS

[2]               Le demandeur travaille comme spécialiste des douanes chez Federal Express Canada Limited (FedEx) depuis 1986. En 1998, son poste a été aboli en raison d’une restructuration et il a été affecté à un nouveau poste. Le demandeur affirme qu’il a été promu au poste de représentant du soutien aux opérations. La défenderesse affirme qu’en réalité le demandeur a été affecté au poste de courtier en douanes senior, mais qu’il a obtenu le titre de représentant du soutien aux opérations car ce poste avait un taux de rémunération égal ou plus élevé en comparaison de son ancien poste. Le taux de rémunération d’un courtier en douanes senior était apparemment inférieur à l’ancien taux de rémunération du demandeur. Autrement dit, la défenderesse soutient que le demandeur n’a pas été promu, qu’il a seulement été réaffecté à un taux de rémunération équivalent.

 

[3]               Le poste du demandeur nécessitait l’utilisation du téléphone pendant plusieurs heures par jour. Entre 1999 et 2000, le demandeur s’est plaint de problèmes avec ses cordes vocales et il a été temporairement affecté à d’autres fonctions. Le 12 août 2002, après avoir signalé plusieurs problèmes avec sa voix, il a présenté une note de son médecin selon laquelle il souffrait d’une paralysie partielle des cordes vocales et qu’il devrait éviter définitivement d’utiliser sa voix outre mesure. Il avait déjà présenté plusieurs notes, dont une qui indiquait que [traduction] « M. Raufi souffre d’une paralysie de la corde vocale gauche et ne peut pas travailler au téléphone ».

 

[4]               Puisque l’affection avait été diagnostiquée comme étant permanente et semblait constituer une [traduction] « restriction permanente l’empêchant d’accomplir les fonctions essentielles de son emploi régulier », on a dirigé le demandeur vers le comité interne d’examen des déficiences (CED) afin de lui trouver plus facilement un nouveau poste qu’il pourrait occuper sans surmener sa voix. Le CED lui a offert trois postes, dont l’un était un poste de nuit de courtier en douanes senior. Le demandeur prétend qu’il a été obligé d’accepter l’un de ces trois postes, car sinon il perdrait son emploi, et qu’il s’agissait d’un acte discriminatoire. La défenderesse affirme qu’il a accepté volontairement ce poste et qu’il a commencé le 7 octobre 2002. À ce moment-là, le taux de rémunération d’un courtier en douanes senior avait apparemment rejoint celui d’un représentant du soutien aux opérations. Par conséquent, le titre de son poste a été modifié pour refléter son poste réel de courtier en douanes senior.

 

[5]               Le 30 novembre 2002, le demandeur a soumis une autre note du Dr S. Vojvodich, en date du 21 novembre 2002, selon laquelle la paralysie de sa corde vocale avait disparu d’elle-même (l’examen avait révélé des cordes vocales normales et mobiles), et qu’il pouvait retourner à son ancien poste (de jour).

 

[6]               FedEx a offert au demandeur un poste de jour de courtier en douanes senior, en décembre 2002, mais à un endroit différent quoique à proximité. Le demandeur n’a pas accepté cette offre et a choisi de conserver son poste de nuit. Dans un courriel, en date du 9 janvier 2003, le demandeur a écrit qu’il avait pris [traduction] « une décision éclairée » et il a ajouté : [traduction] « J’aimerais vous remercier pour vous être montré un représentant du personnel attentionné dans l’application des politiques et des pratiques de la compagnie. Je suis fier de vous aussi. »

 

[7]               Un an plus tard, le demandeur a voulu recourir à une procédure interne de règlement des griefs, appelée la procédure de traitement équitable garanti (TEG), relativement à son affectation à un poste de nuit en tant que courtier en douanes senior. La demande du demandeur a été rejetée parce que les décisions du CED ne sont pas assujetties à la procédure de TEG. Le demandeur a été informé qu’une autre procédure formelle, dite de la porte ouverte, s’appliquait à sa situation, mais il n’y a pas donné suite.

 

[8]               Dans une note interne adressée au demandeur, en date du 29 avril 2004, P. Starnito, vice-président, a déclaré qu’il était troublé par l’aveu du demandeur selon lequel il n’avait pas de problème avec sa gorge. Le demandeur nie avoir fait cet aveu.

 

[9]               Le 17 octobre 2004, le demandeur a obtenu un poste de jour de courtier en douanes senior, un poste pour lequel il avait postulé.

 

[10]           Le demandeur a communiqué avec la Commission pour la première fois le 13 mai 2004. Le 10 novembre 2004, il a déposé officiellement sa plainte alléguant la discrimination fondée sur la déficience. Il a également déposé d’autres plaintes qui outrepassaient les limites de la LCDP. Il a déclaré dans sa plainte qu’il n’avait jamais eu de déficience et que [traduction] « le fait d’avoir la voix enrouée à l’occasion ne causait pas de difficulté ou d’effet négatif sur son rendement au travail ». Il a déclaré que, après avoir obtenu le « feu vert » de son médecin, FedEx a refusé de le réintégrer dans ses anciennes fonctions et lui a plutôt offert un poste « de plus bas niveau ». Il soutient que le poste qu’il a accepté en octobre 2004 est également un poste de plus bas niveau qui implique de faire de nombreux appels téléphoniques.

 

[11]           La défenderesse nie cette affirmation et dit que le demandeur a volontairement choisi le même poste qu’il occupait auparavant avec un taux de rémunération plus élevé qu’avant.

 

I. Rapport d’enquête – le 10 novembre 2004

[12]           L’enquêteur a résumé la plainte du demandeur et il souligne en particulier que, le 21 décembre 2002, le poste de courtier senior occupé par le demandeur avait été reclassé à la hausse et que ce dernier faisait alors le même travail qu’avant, et cela, au même salaire qu’un représentant du soutien aux opérations.

 

[13]           Le 19 octobre 2004, le demandeur a réussi à obtenir un poste de jour de courtier senior qu’il continue d’occuper.

 

[14]           Le demandeur n’a fourni aucune preuve expliquant pourquoi il avait tant tardé à déposer sa plainte auprès de la Commission, mis à part ce qu’il avait « écrit » dans une lettre : [traduction] « personne ne peut s’attendre de moi, un simple subalterne, d’être au courant des lois et de leurs délais respectifs ». L’enquêteur a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le motif de distinction illicite et les faits survenus en avril et en octobre 2004, puisque le demandeur a admis qu’il n’avait aucune déficience à ce moment-là. Il a recommandé que la plainte ne soit pas examinée parce qu’elle avait été déposée après l’expiration du délai de un an prescrit par la loi.

 

II. Le délai écoulé

[15]           Le médecin qui a examiné le demandeur a écrit dans son opinion, en date du 30 novembre 2002, que la [traduction] « déficience » avait disparu. La plainte du demandeur a été déposée auprès de la Commission le 15 novembre 2004 (soit dans un délai de vingt-trois mois et demi).

 

[16]           L’alinéa 41(1)e) de la Loi prévoit le dépôt d’une plainte dans un délai de un an, à moins qu’un délai supérieur soit indiqué dans les circonstances.

 

[17]           La Commission, s’appuyant sur le rapport d’enquête, a refusé d’examiner la plainte au fond. L’enquêteur a conclu que le demandeur s’était vu offrir une mutation mais l’avait refusée en décembre 2002. Il a indiqué que les seuls incidents allégués qui pourraient être liés à un motif de distinction illicite au sens de la LCDP se sont produits avant le 7 octobre 2002. Comme cela datait de près de deux ans et que le délai prévu par la LCDP est de 12 mois (bien que la Commission ait le pouvoir discrétionnaire d’examiner des événements datant de plus de 12 mois), l’enquêteur a recommandé que la Commission rejette la plainte en application des articles 41 et 44 de la LCDP, ci-après cités. La Commission a exercé son pouvoir tel que recommandé.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[18]           Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 :

Motifs de distinction illicite

 

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

 

[...]

 

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

          a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

 

          b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

[...]

 

«déficience »

 

«déficience » Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.

 

[...]

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

[...]

 

            e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

[...]

 

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

[...]

 

      (3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

[...]

 

            b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

                i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

Prohibited grounds of discrimination

 

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

 

[...]

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

          (a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

 

          (b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.

 

[...]

 

"disability"

 

"disability" means any previous or existing mental or physical disability and includes disfigurement and previous or existing dependence on alcohol or a drug;

 

[...]

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

[...]

 

          (e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

[...]

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

[...]

 

      (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

[...]

 

            (b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

                  (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

                  (ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[19]           Le demandeur soulève un certain nombre de questions qui peuvent être examinées sous les rubriques suivantes :

a)         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de rejeter une plainte en vertu de l’article 44 de la LCDP?

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a jugé que la plainte avait été déposée après l’expiration du délai de 12 mois?

c)         Sinon, la Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire d’examiner la plainte même si elle a été déposée après l’expiration du délai?

d)                 La Commission a-t-elle contrevenu à certains principes de justice fondamentale?

 

 

a)         La norme de contrôle judiciaire

[20]           La norme de contrôle applicable à l’article 44 de la LCDP a été examinée en détail par la Cour d’appel fédérale dans Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, et plus récemment par la Cour fédérale dans Clark c. Canada (Procureur général), 2007 CF 9, [2007] A.C.F. n20. Dans ces deux décisions, la Cour et la Cour d’appel fédérale ont procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle complète et ont déterminé que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte.

 

[21]           Cependant, à mon avis, il y a lieu de faire une distinction entre ces décisions et l’espèce. La présente affaire porte sur une question de fait : savoir si le délai de 12 mois avait expiré ou non. Cela relève clairement de l’expertise de la Commission, tout comme son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai. En revanche, l’arrêt Sketchley, précité, et les décisions qui l’ont suivi portent sur des questions de droit, notamment celle de savoir si l’existence de discrimination à première vue a été établie. À mon avis, Price c. Concord Transportation Inc., 2003 CF 1202, [2003] A.C.F. n1202 et, plus récemment, Thompson c. Canada (La Gendarmerie royale du Canada), 2007 CF 119, [2007] A.C.F. no 161, sont des précédents plus pertinents, puisqu’ils traitent tous deux expressément des délais de l’alinéa 41(1)c). Dans ces deux décisions, la Cour adopte la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Il s’agit également de la position prise par la défenderesse. Quoi qu’il en soit, je crois que le résultat serait le même avec une norme de contrôle plus rigoureuse.

 

[22]           Par conséquent, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable. Bien entendu, la troisième question en litige en l’espèce est une question d’équité procédurale pour laquelle aucune analyse pragmatique et fonctionnelle n’est nécessaire : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195. En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, la Cour doit seulement déterminer si les règles et l’obligation d’équité procédurale ont été respectées (voir Ha, précité, au paragraphe 44).

 

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la plainte avait été déposée après l’expiration du délai de 12 mois?

 

[23]           Le demandeur prétend que la discrimination n’a pas cessé lorsqu’il a remis sa dernière note médicale, et qu’en fait cela continue depuis ce temps. Dans une lettre adressée à la Commission, il semble laisser entendre qu’il a été obligé de travailler de nuit jusqu’en octobre 2004 et que sa rétrogradation apparente à un poste de jour de courtier en douanes senior démontre que la discrimination se poursuit. Le demandeur prétend que, si la Commission avait pris le temps d’interroger ses témoins et de procéder à un examen complet, elle aurait compris pourquoi ce poste était une rétrogradation et donc qu’il avait continuellement fait l’objet de discrimination.

 

[24]           Le demandeur a également plaidé son ignorance des délais dans sa lettre à la Commission :

[traduction] [...] mais à un tel degré que j’ai été défavorisé malgré les lois canadiennes existantes, personne ne peut s’attendre de moi, un simple subalterne, d’être au courant des lois et de leurs délais respectifs et donc d’avoir été capable de me protéger.

 

[25]           La défenderesse prétend que ni la décision initiale ni aucun acte par la suite ne pourraient être considérés comme de la discrimination. Elle fait remarquer qu’une offre avait été faite au demandeur en décembre 2004 de lui donner un poste de jour et elle allègue que c’est donc le demandeur qui a choisi de continuer à travailler de nuit. Elle conteste aussi l’allégation selon laquelle le poste de courtier en douanes senior constituerait une rétrogradation.

 

[26]           Contrairement à ses allégations, le demandeur n’a pas été obligé de travailler de nuit pendant deux ans. La défenderesse lui a proposé un poste de jour avec les mêmes titre, rémunération et avantages sociaux peu après qu’il l’ait demandé, mais il a décliné cette offre. Le demandeur n’a pas fourni d’argument de fond pour expliquer pourquoi le poste offert aurait constitué une rétrogradation, tel qu’il le prétendait. L’enquêteur a examiné tous les faits qui lui ont été soumis et il a conclu que le fait pour le demandeur de continuer d’occuper un poste de nuit ne pouvait pas être interprété comme un acte de discrimination. L’enquêteur n’a commis aucune erreur dans cette évaluation.

 

[27]           L’enquêteur a également examiné deux autres incidents, soit une réunion ayant eu lieu en avril 2004, et l’octroi du poste de jour en octobre 2004, et il a déterminé qu’aucun d’eux n’était de nature discriminatoire. Le demandeur n’avait pas allégué dans sa plainte auprès de la CCDP que la réunion d’avril était discriminatoire; il s’était simplement plaint que l’issue lui avait été défavorable et que son employeur s’était montré grossier. Il appert que la teneur de cette réunion soit contestée dans une large mesure mais, malgré cela, la conclusion de l’enquêteur selon laquelle aucune discrimination n’a eu lieu ne semble clairement pas erronée.

 

[28]           Dans ses observations présentées à la Commission, le demandeur a déclaré que le poste qu’il a obtenu en octobre 2004 [traduction] « n’était pas un compromis adéquat parce que c’est une rétrogradation et il nécessite de nombreux appels téléphoniques ». Cependant, le demandeur a remis à FedEx en novembre 2002 la note médicale selon laquelle il n’avait pas de déficience, et il a avisé la Commission que son état n’avait jamais nui à son rendement au travail. Comme il ne souffrait manifestement pas d’une déficience en 2004, l’accommodement n’est pas un facteur pertinent. Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a pas invoqué d’argument valable pour expliquer pourquoi ce poste constituait une rétrogradation. Il n’a pas non plus suggéré que la déficience perçue puisse avoir posé problème. L’enquêteur n’a commis aucune erreur en concluant que ce poste, pour lequel le demandeur avait postulé lui-même, était de nature discriminatoire.

 

[29]           En résumé, le demandeur n’a pas démontré de façon crédible qu’il avait subi de la discrimination après le 7 octobre 2002. Par conséquent, il n’était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure que le délai de 12 mois avait commencé à courir au plus tard le 7 octobre 2002 et avait donc expiré depuis longtemps (vingt-trois mois et demi, sans explication) avant que la plainte ne soit déposée en novembre 2004.

 

c)         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de un an?

[30]           La défenderesse prétend qu’il n’était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de décider de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner le fond de la plainte. Je suis d’accord avec cet argument. La décision d’examiner une plainte déposée après l’expiration du délai prévu par la LCDP relève de la plus grande discrétion. Il n’existe pas de directives ou de dispositions pour orienter son application. Devant un si grand pouvoir discrétionnaire de la part de la Commission, rien ne justifie de conclure que sa décision de ne pas examiner le fond de la plainte était manifestement déraisonnable.

 

d)         La Commission a-t-elle contrevenu à certains principes d’équité procédurale?

[31]           Le demandeur allègue que la Commission a contrevenu aux principes de justice fondamentale en omettant d’interroger toute personne qui était liée d’une façon cruciale et toute personne sur la liste de témoins fournie par le demandeur. Le demandeur prétend que cela pouvait donner à penser que l’enquêteur avait préjugé de l’affaire. Il allègue en outre que la Commission a rendu une décision sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[32]           La défenderesse allègue qu’il n’y a eu aucun manquement de ce genre. Elle se fonde sur l’extrait suivant de l’arrêt Tse c. Federal Express Canada Ltd., [2005] A.C.F. n741 :

19   En ce qui concerne la compétence de la Commission de décider si un examen est justifié, la Cour d’appel fédérale a estimé que l’équité procédurale n’exige pas que les membres de la Commission examinent le dossier d’enquête au complet. Ils peuvent s’en remettre au rapport de l’enquêteur. À cela s’ajoutent au moins trois exigences.

 

20   Premièrement, l’enquêteur qui prépare le rapport doit être impartial et rigoureux. L'intervention judiciaire est justifiée lorsqu’un enquêteur omet, selon les termes du juge Nadon dans Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), aux paragraphes 41 à 60; confirmé par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.), d’examiner une « preuve manifestement importante ». Voir aussi  Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), (2005) C.A.F. 113; [2005] A.C.F. no 543, aux paragraphes 8 et suivants.

 

21   Deuxièmement, la Commission doit informer les parties de la nature des preuves obtenues par l’enquêteur et soumises à la Commission. Cette exigence est remplie par la divulgation du rapport de l’enquêteur aux parties. Voir Canadian Broadcasting Corp. c. Paul (2001), 198 D.L.R. (4e) 633 (C.A.F.), aux paragraphes 39 à 44.

 

22                Troisièmement, la Commission doit offrir aux parties la possibilité de faire toutes les observations pertinentes en réponse au rapport de l’enquêteur et elle doit tenir compte de ces observations lorsqu’elle rend sa décision.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[33]           La défenderesse affirme que la Commission a rempli tous ces critères.

 

[34]           Encore une fois, je crois que la position adoptée par la défenderesse est essentiellement correcte. L’extrait de Tse, précité, s’applique. La Commission s’est fondée sur le rapport de l’enquêteur qui a démontré l’examen des multiples arguments fournis par le demandeur, y compris sa réponse après que la question du délai ait été expressément portée à son attention. Le rapport a été remis aux deux parties. Le demandeur a envoyé d’autres commentaires après avoir reçu un exemplaire du rapport de l’enquêteur. Il n’a pas été allégué que la Commission aurait omis d’examiner ces réponses.

 

[35]           Le demandeur affirme que l’enquêteur n’a pas tenu compte d’un certain nombre de facteurs. Mon analyse traite de chacun d’eux :

 

a)         Le temps écoulé entre l’acte et la date à laquelle la plainte a été déposée

[36]           L’enquêteur en a tenu compte, tel que déjà mentionné dans la présente décision.

 

b)         Le temps écoulé entre l’acte et la date à laquelle la défenderesse a été informée de la plainte du demandeur

[37]            Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi cette période (du 7 octobre 2002 au 20 décembre 2004) serait pertinente et il n’y a aucune raison apparente de considérer qu’il s’agit d’un facteur.

 

c)         Les raisons du retard

[38]           La seule explication donnée par le demandeur pour les vingt-trois mois et demi est son ignorance des délais. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont statué à plusieurs reprises que le fait de ne pas connaître le droit n’excuse pas un retard : voir par exemple Kibale c. Canada (ministère des Transports), [1988] 103 N.R. 387 (C.A.F.); Mutti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 97, au paragraphe 4.

 

 d)        Jurisprudence

[39]            L’avocat du demandeur invoque la décision Katchen c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2005 CF 162, [2005] A.C.F. n203. Dans cette affaire, le Dr Katchum avait déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en juillet 2003, se disant victime de harcèlement et de discrimination de la part de ses collègues de travail, suite à des incidents survenus en mai 2002 et qui se sont poursuivis.

 

[40]           La juge MacTavish a statué que la Commission n’aurait pas dû rejeter la plainte en mai 2003, car les incidents s’étaient poursuivis.

 

[41]           Dans Good c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1276, [2005] A.C.F. no 1556, le juge Blanchard a rejeté la plainte parce qu’elle avait été déposée deux ans après que l’événement allégué se serait produit et que les raisons fournies pour expliquer le retard étaient insuffisantes pour justifier une dérogation.

 

[42]           Dans Johnston c. Société canadienne d’hypothèques et de logement, 2004 CF 918, [2004] A.C.F. n1121, la demande a été rejetée parce qu’un délai de trois ans s’était écoulé entre l’incident allégué et la date de la plainte.

 

[43]           Récemment, le juge Blais a accueilli la demande de contrôle judiciaire alors que la Commission canadienne des droits de la personne avait rejeté une plainte relative à des actes et à des omissions qui auraient eu lieu moins d’un an avant que la plainte ne soit déposée, voir Thompson c. Canada (La Gendarmerie royale du Canada), 2007 CF 119, [2007] A.C.F. no 161.

 

[44]           Il peut s’avérer utile de rappeler ici les propos tenus par lord Denning dans Kiriri Cotton Co. c. Dewani, [1960] A.C. 192, à la page 204 :

[traduction] Il est incorrect de dire que nul n’est censé ignorer la loi. Le véritable principe est que nul ne peut être dispensé d’accomplir son devoir en disant qu’il ne connaissait pas le droit applicable en la matière. Ignorantia juris neminem excusat.

 

e)         La défenderesse n’a subi aucun préjudice

[45]           L’enquêteur a expressément formulé cette conclusion dans son rapport. Cela ne signifie pas qu’elle avait dû être déterminante dans la décision. Le demandeur ne fournit aucune preuve que ce facteur n’a pas été examiné, mis à part le résultat final de la décision qui lui était défavorable.

 

f)          Le demandeur tentait d’épuiser d'abord les recours internes et les procédures d'appel et de règlement des griefs qui lui étaient ouverts chez FedEx

[46]           Le demandeur n’a soumis à la Commission aucune preuve de cela. Il a apporté la preuve qu’il voulait (en novembre 2003) suivre la procédure de TEG concernant son acceptation du poste de nuit, mais il a été informé qu’elle ne s’appliquait pas à sa situation. Il n’a pas tenté d’entreprendre la procédure de la porte ouverte. Il est difficile de savoir quelles autres procédures il aurait pu essayer d’entreprendre.

 

[47]           Enfin, le demandeur semble alléguer que l’enquêteur s’est montré partial. Le critère de la crainte raisonnable de partialité est défini dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, dans lequel le juge De Grandpré déclare à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?"

 

[48]           Il n’y a tout simplement aucune preuve dans le rapport de l’enquêteur, ni nulle part ailleurs, qui donnerait à penser à une personne sensée et raisonnable que l’enquêteur n’a pas rendu une décision juste. Par conséquent, ni l’enquête ni le rapport ne donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité.

 

CONCLUSION

[49]           Le demandeur a soutenu devant la Commission qu’il n’a jamais eu de déficience mais qu’il a subi de la discrimination (par une rétrogradation) en raison d’une déficience perçue. Cependant, le demandeur n’a pas démontré, même prima facie, qu’il y avait eu rétrogradation et, en fait, la Commission a conclu que le dernier acte discriminatoire possible se serait produit en octobre 2002. Cette conclusion n’était pas manifestement déraisonnable et, en fait, je la maintiendrais même sur la base de la norme de la décision correcte. La Commission a choisi de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de passer outre au délai prescrit, une décision qui est tout à fait raisonnable. Il n’a pas été prouvé qu’il y aurait eu violation de l’équité procédurale. La preuve a démontré que la défenderesse a pris des mesures raisonnables pour tenter de répondre aux préoccupations du demandeur.

 

[50]           En conclusion, je suis incapable de déceler la moindre erreur susceptible de révision dans la décision de la Commission. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

DÉPENS

[51]           La défenderesse a retiré sa demande de dépens pour le cas où la demande serait rejetée. Par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

 

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Edith Malo, LL.B.

 

 


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1832-05

 

INTITULÉ :                                       SIAMAK A. RAUFI

                                                            c.

                                                            FEDERAL EXPRESS CANADA LIMITED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 5 DÉCEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dharamjit Singh

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Elberg

 

Deanna Webb

POUR LA DÉFENDERESSE

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dharamjit Singh

Battiston & Associates

Avocats

1013, avenue Wilson, bureau 202

Toronto (Ontario), M3K 1G1

 

POUR LE DEMANDEUR

L. Frances Fitzgeral

Avocat de la société

5985, promenade Explorer

Mississauga (Ontario), L4W 5K6

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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