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Date : 20071218

Dossier : T-1093-06

Référence : 2007 CF 1229

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

BROUILLETTE KOSIE PRINCE

demanderesse

et

 

ORANGE COVE-SANGER

CITRUS ASSOCIATION

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse interjette appel de la décision du registraire des marques de commerce (le registraire) portant sur une procédure de preuve d’emploi visée par l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), qui prévoit :

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

 

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

 

 (2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle-ci.

 

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade-mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

 

 

 (3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

 

 (3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly.

 (4) Lorsque le registraire décide ou non de radier ou de modifier l’enregistrement de la marque de commerce, il notifie sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l’avis visé au paragraphe (1) a été donné.

 (4) When the Registrar reaches a decision whether or not the registration of a trade-mark ought to be expunged or amended, he shall give notice of his decision with the reasons therefor to the registered owner of the trade-mark and to the person at whose request the notice referred to in subsection (1) was given.

 

 (5) Le registraire agit en conformité avec sa décision si aucun appel n’en est interjeté dans le délai prévu par la présente loi ou, si un appel est interjeté, il agit en conformité avec le jugement définitif rendu dans cet appel.

 (5) The Registrar shall act in accordance with his decision if no appeal therefrom is taken within the time limited by this Act or, if an appeal is taken, shall act in accordance with the final judgment given in the appeal.

 

[2]               La défenderesse, Orange Cove-Sanger Citrus Association (Orange Cove), une productrice et une entreprise de conditionnement d’agrumes, est la propriétaire du numéro d’enregistrement de la marque de commerce UCA36,133 au Canada pour POM-POM (la marque en cause), laquelle a été enregistrée le 28 mars 1950 en vue d’être employée en liaison avec les marchandises suivantes : [traduction] « agrumes frais » (fruits POM‑POM).

 

[3]               Le 25 juin 2003, à la demande de la demanderesse Brouillettte Kosie Prince, le registraire a envoyé à la défenderesse un avis, aux termes de l’article 45 de la Loi, pour que celle‑ci démontre que la marque en cause a été employée au Canada au cours de la période pertinente de trois ans, en particulier entre le 25 juin 2000 et le 25 juin 2003 (la période pertinente), en liaison avec les agrumes frais.

 

[4]               En réponse à l’avis, la défenderesse a fourni l’affidavit de Lee C. Bailey (le premier affidavit de Bailey), président de la propriétaire inscrite, accompagné de pièces. Chacune des parties a déposé des arguments écrits et était représentée lors d’une audience tenue le 16 février 2006 devant D. Savard (l’agente d’audience), agissant au nom du registraire.

 

[5]               Le 4 mai 2006, l’agente d’audience a conclu que la preuve démontrait l’emploi de la marque en cause par la propriétaire inscrite en liaison avec les marchandises visées par l’enregistrement de la manière requise par la Loi. L’enregistrement de POM-POM a été maintenu.

 

[6]               Un appel de la décision du registraire peut être interjeté à la Cour fédérale en vertu de l’article 56 de la Loi, lequel prévoit ce qui suit :

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

 

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

 (2) L’appel est interjeté au moyen d’un avis d’appel produit au bureau du registraire et à la Cour fédérale.

 (2) An appeal under subsection (1) shall be made by way of notice of appeal filed with the Registrar and in the Federal Court.

 

 (3) L’appelant envoie, dans le délai établi ou accordé par le paragraphe (1), par courrier recommandé, une copie de l’avis au propriétaire inscrit de toute marque de commerce que le registraire a mentionnée dans la décision sur laquelle porte la plainte et à toute autre personne qui avait droit à un avis de cette décision.

 

 (3) The appellant shall, within the time limited or allowed by subsection (1), send a copy of the notice by registered mail to the registered owner of any trade-mark that has been referred to by the Registrar in the decision complained of and to every other person who was entitled to notice of the decision.

 (4) Le tribunal peut ordonner qu’un avis public de l’audition de l’appel et des matières en litige dans cet appel soit donné de la manière qu’il juge opportune.

 (4) The Federal Court may direct that public notice of the hearing of an appeal under subsection (1) and of the matters at issue therein be given in such manner as it deems proper.

 

 

 

 

 

 

 

 (5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

 (5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 

Conformément à l’alinéa 300d) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 et modifications, les appels relatifs à l’article 56 sont introduits au moyen d’un avis de demande.

 

[7]               L’article 45 de la Loi est censé être une procédure simple, sommaire et expéditive destinée à éliminer du registre le « bois mort », ou les marques de commerce déposées tombées en désuétude ou dépassées : Saks & Co. c. Canada (Registraire des marques de commerce) et al. (1989), 24 C.P.R. (3d) 49 (C.F. 1re inst.), et Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. et al. (no 2) (1987), 17 C.P.R. (3d) 237, [1987] A.C.F. no 848 (C.A.F.) (QL). Comme l’a précisé mon collègue, le juge Hughes, dans la décision Levi Strauss & Co. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 654, [2006] A.C.F. no 840 (QL), une procédure de cette nature ne se prête pas à l’exercice décrit comme un « genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation ». Dans une procédure relative à l’article 45, le fardeau de la preuve incombe au propriétaire inscrit de la marque de commerce qui doit démontrer l’« emploi » afin de maintenir une marque sur le registre. Il ressort clairement de la jurisprudence que ce fardeau n’est pas rigoureux. Le propriétaire ne doit établir qu’une preuve prima facie d’emploi au sens de l’article 4 de la Loi.

 

[8]               L’article 2 de la Loi précise que « emploi » ou « usage » (« use ») signifie « tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services ». Le paragraphe 4(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

 

[9]               Il n’est pas contesté que lorsque, lors d’un appel, on n’a déposé aucune nouvelle preuve qui aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter, que la question en litige soit une question de fait ou une question mixte de droit et de fait (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (2000), 5 C.P.R. (4th) 180, [2000] A.C.F. no 159 (C.A.F.) (QL); Footlocker Group Canada Inc. c. Steinberg, 2005 CAF 99, [2005] A.C.F. no 485 (C.A.F.) (QL); Fairweather Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1248, [2006] A.C.F. no 1573 (C.F.) (QL)). Toutefois, lorsque la Cour est saisie d’une preuve additionnelle qui aurait pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit trancher la question de novo après avoir pris en considération l’ensemble de la preuve dont elle dispose. Ainsi, la Cour substituera sa propre opinion à celle du registraire sans qu’il lui soit nécessaire de trouver une erreur dans le raisonnement de ce dernier. Afin de déterminer si la nouvelle preuve suffit à justifier une décision de novo, la Cour doit examiner la mesure dans laquelle la preuve additionnelle a une force probante plus grande que celle des éléments dont disposait le registraire. Si les nouveaux éléments ont peu de poids et ne consistent qu'en une simple répétition de la preuve déjà présentée, sans accroître la force probante de celle-ci, la question sera de savoir si la décision du registraire peut survivre à un examen assez poussé.

 

[10]           En l’espèce, le premier affidavit de Bailey mentionnait que la pratique normale et la nature première des activités de la société étaient celles d’une productrice et d’une entreprise de conditionnement d’agrumes. M. Bailey a expliqué que la société est une productrice membre de Sunkist Growers Inc. (Sunkist), une coopérative agricole formée de producteurs et d’établissements de conditionnement affiliés, et que le service des ventes de Sunkist collabore à la distribution des produits de ses producteurs membres, y compris la facturation de ces produits aux acheteurs au nom de ses membres. M. Bailey a déclaré que la marque de commerce (POM-POM) de sa société est employée au Canada en liaison avec les fruits POM‑POM au moyen de l’application de la marque en cause sur l’emballage des marchandises. À titre de pièce A, il a fourni une boîte type en carton démontrant la manière dont la marque de commerce était employée par sa société en liaison avec les agrumes frais dans le marché canadien. Il a également fourni, à titre de pièce B, trois factures de la période pertinente confirmant la vente de fruits POM-POM. Selon M. Bailey, la promotion et la publicité des fruits POM-POM au Canada se font par l’entremise d’appels directs de représentants à des acheteurs canadiens éventuels.

 

[11]           En appel, la défenderesse a produit les affidavits de Richard Gregory French (l’affidavit de French) et de Fay O’Brien, ainsi qu’un affidavit supplémentaire de M. Bailey (le deuxième affidavit de Bailey). Le 3 avril 2007, j’ai conclu que l’affidavit de Mme O’Brien n’avait aucune pertinence et j’ai ordonné qu’il soit radié du dossier de la Cour.

 

[12]           L’affidavit de French mentionne que ce dernier est le vice‑président et directeur financier de Sunkist depuis juin 2006, après avoir occupé le poste de président aux finances et trésorier pour cette société pendant cinq ans. Au total, M. French est à l’emploi de Sunkist depuis vingt‑huit ans. M. French explique que Sunkist est une coopérative agricole dont les milliers de membres sont des producteurs, des établissements de conditionnement et des coopératives de commercialisation régionales situés en Californie et en Arizona. Sunkist collabore à la distribution des produits de ses membres. M. French affirme qu’Orange Cove est membre de Sunkist et qu’on lui a demandé de fournir un échantillon représentatif de factures confirmant la vente d’agrumes frais au Canada, en liaison avec la marque en cause, au cours de la période pertinente. De nombreuses factures sont jointes en tant que pièce A à l’affidavit de M. French, lesquelles démontrent que des fruits POM‑POM ont été expédiés à différents acheteurs canadiens au cours de la période pertinente. Certaines de ces factures sont les mêmes que celles produites par M. Bailey dans son premier affidavit. M. French affirme également que l’aide apportée par Sunkist à ses membres consiste notamment à s’occuper du placement des commandes pour les produits de ses membres, dont les fruits POM‑POM, par l’entremise de ses agences canadiennes. Ces transactions sont traitées par le truchement du système de commercialisation des fruits frais (le système CFF) de Sunkist, qui est un système informatisé pour la commande, la localisation et la facturation des fruits frais. Par conséquent, bien que les fruits POM‑POM soient expédiés directement des établissements de conditionnement d’Orange Cove à l’acheteur canadien concerné, Sunkist facture l’acheteur en se servant du système CFF. Comme les factures contiennent souvent des renseignements confidentiels concernant les ventes d’autres membres de Sunkist, Orange Cove ne reçoit qu’un compte rendu de la vente de ses propres produits, plutôt qu’une copie des factures.

 

[13]           On peut résumer le deuxième affidavit de Bailey comme suit :

 

  • Orange Cove vend des fruits POM-POM au Canada depuis des décennies, y compris pendant toute la période pertinente.
  • La nature première d’Orange Cove est celle de productrice et d’entreprise de conditionnement d’agrumes frais.
  • Orange Cove est une productrice affiliée à Sunkist.
  • Orange Cove possède et exploite deux établissements de conditionnement.
  • Les acheteurs canadiens placent des commandes pour les fruits POM-POM auprès des agences canadiennes de Sunkist, lesquelles, à leur tour, inscrivent la demande dans le système CFF. Les fruits POM-POM sont expédiés directement des établissements de conditionnement d’Orange Cove vers la destination canadienne concernée. L’établissement de conditionnement envoie un avis de l’expédition aux intermédiaires régionaux de Sunkist, à son agence canadienne et à l’acheteur. Deux jours plus tard, Sunkist facture l’acheteur. Orange Cove reçoit de la part de Sunkist un compte rendu de la vente de ses propres produits.
  • La marque POM-POM est bien en vue sur l’emballage dans lequel les fruits POM-POM sont distribués aux acheteurs canadiens.
  • Lorsque les fruits POM-POM sont expédiés de chez Orange Cove, les factures portent dès lors la marque « ORANGE COVE CITR » dans le coin inférieur gauche.
  • Les ventes d’agrumes frais réalisées par Orange Cove ont dépassé les 13 000 000 $US depuis 2000, la vaste majorité représentant la vente de fruits POM-POM.
  • La pièce A est une photocopie d’un côté d’une boîte type en carton démontrant la manière dont la marque en cause est employée par Orange Cove en liaison avec les agrumes frais dans le marché canadien.
  • La pièce B est constituée de factures confirmant la vente d’agrumes frais au Canada, en liaison avec la marque en cause, au cours de la période pertinente.

 

[14]           Après avoir examiné avec soin la nouvelle preuve présentée par la défenderesse et avoir pris en considération les observations des avocats, je conclus que ces éléments n’auraient pas pu avoir un effet sur l’exercice du pouvoir du registraire dans la présente procédure relative à l’article 45. La nouvelle preuve confirme tout simplement le rôle de Sunkist en tant que coopérative agricole qui collabore avec ses producteurs membres concernant le processus de vente et de facturation. Cela explique la pratique normale de l’entreprise et clarifie la façon dont les factures sont établies par Sunkist au nom des producteurs membres comme Orange Cove. Cela confirme également que les fruits POM-POM sont expédiés directement des établissements de conditionnement de la défenderesse aux acheteurs canadiens concernés. De plus, cela effleure en passant la question de l’emploi. Cela comprend en outre un échantillon représentatif de factures confirmant la vente d’agrumes frais en liaison avec l’enregistrement de la marque POM-POM au Canada au cours de la période pertinente. Par conséquent, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[15]           La demanderesse conteste la qualité de la preuve présentée par la défenderesse, tant devant le registraire que devant la Cour. La demanderesse soulève essentiellement les mêmes arguments dans le présent appel que lors de l’audience relative à la preuve d’emploi. La demanderesse soutient que la preuve dont le registraire a été saisi ne démontre pas l’emploi de la marque en cause par Orange Cove au cours de la période pertinente. La demanderesse affirme que le côté d’une boîte type en carton ou une photocopie de celui‑ci, en annexe au premier et au deuxième affidavits de Bailey en tant que pièce A, ne démontre pas la manière dont la marque en cause est utilisée au Canada. À cet égard, la demanderesse fait valoir que la défenderesse aurait dû fournir une photographie d’une boîte complète ou de plusieurs boîtes pour prouver que la marque en cause est employée dans la pratique normale de l’entreprise. En outre, l’avocat de la demanderesse souligne que les inscriptions apparaissant sur la boîte type en carton créent de la confusion et n’établissent pas de façon concluante que la marque en cause est employée par la défenderesse. La demanderesse soutient qu’aucune des factures en annexe au premier et au deuxième affidavits de Bailey en tant que pièce B ne permet au registraire de conclure qu’il existe un lien entre la marque en cause et la défenderesse. Selon la demanderesse, la preuve donne plutôt à penser que la marque POM-POM est employée en liaison avec agrumes frais par Sunkist, et non par Orange Cove. En outre, il y a une contradiction flagrante entre ce qui était mentionné dans le deuxième affidavit de Bailey (selon lequel la note ORANGE COVE CITR fait référence à l’emplacement de conditionnement des marchandises) et ce qui a été précisé par la défenderesse dans les observations qu’elle a soumises au registraire (selon quoi la référence ORANGE COVE CITR représente la défenderesse). Enfin, on allègue que le registraire a commis une erreur en s’appuyant exclusivement sur la décision Desjardins Ducharme Stein Monast c. Baird-Neece Packing Corp. (2005), 50 C.P.R. (4th) 45, [2005] T.M.O.B. no 155 (QL) (Desjardins), au lieu d’apprécier les faits propres à la présente affaire.

 

[16]           Malgré les arguments soulevés par l’avocat de talent de la demanderesse, je conclus que la décision du registraire est raisonnable à tous les égards et qu’elle est capable de résister à un examen assez poussé. Dans l’ensemble, je conclus que la preuve dont disposait le registraire ainsi que la preuve additionnelle présentée à la Cour appuient toutes les deux les conclusions de fait tirées par l’agente d’audience, y compris celle selon laquelle la marque en cause a été employée au Canada au cours de la période pertinente en liaison avec des agrumes frais.

 

[17]           Bien qu’il ait été possible que la défenderesse prouve le lien entre l’emploi de la marque en cause au Canada à l’aide d’autres documents pertinents, il n’y a aucune raison en l’espèce de ne pas croire la véracité des déclarations contenues dans le premier affidavit de Bailey (lesquelles ont aussi été confirmées par le deuxième affidavit de Bailey ainsi que par l’affidavit de French). En fait, il était raisonnable pour le registraire de conclure que la défenderesse avait employé la marque en cause dans la pratique normale de l’entreprise. Des photographies d’une boîte complète ou de plusieurs boîtes auraient été utiles, mais leur absence n’est pas déterminante, puisque je conclus que la production d’une boîte type en carton et de factures pertinentes constitue une preuve concluante. Dans la même veine, je conviens avec la défenderesse qu’il n’y a aucune contradiction directe en ce qui a trait à la signification de la note ORANGE COVE CITR. Le premier affidavit de Bailey manquait de spécificité et le deuxième affidavit de Bailey ne faisait que clarifier exactement la façon dont la note référait à la défenderesse.

 

[18]           En fait, l’agente d’audience était convaincue que, interprétée avec impartialité et dans son ensemble, la preuve démontrait l’emploi par Orange Cove de la marque POM-POM en liaison avec des [traduction] « agrumes frais » au cours de la période pertinente, de manière à se conformer aux exigences de l’article 4 de la Loi. Les arguments soulevés par la demanderesse concernant l’ambiguïté de la preuve n’ont pas convaincu l’agente d’audience. Bien que la demanderesse ait fait valoir que M. Bailey aurait dû produire des documents confirmant le statut de propriétaire inscrite en tant que membre de Sunkist Growers, de même qu’une copie du contrat conclu entre Sunkist et Orange Cove, l’agente d’audience était d’avis que de tels documents, bien qu’utiles, n’étaient pas nécessaires dans la présente instance. L’agente d’audience a fait remarquer que M. Bailey avait déclaré sous serment qu’Orange Cove était une productrice membre de Sunkist et que Sunkist collaborait à la distribution des produits des producteurs membres, y compris la facturation aux acheteurs au nom des membres. Ne voyant pas de raison de ne pas croire l’affidavit de M. Bailey, l’agente d’audience a reconnu que, dans les faits, Sunkist n’utilisait pas la marque, mais agissait seulement à titre de mandataire ou de distributrice de la titulaire concernant les marchandises visées par l’enregistrement. Je ne puis trouver aucune erreur susceptible de révision qu’aurait commise l’agente d’audience à cet égard.

[19]           L’agente d’audience a également fait remarquer que les factures annexées au premier affidavit de Bailey confirmaient la vente d’agrumes frais POM-POM de la titulaire au Canada. Concernant la façon dont la marque en cause était liée aux marchandises au moment de leur transfert dans la pratique normale du commerce, l’agente d’audience a fait valoir que M. Bailey avait déclaré sous serment dans son affidavit que la marque de commerce était employée au Canada avec des agrumes frais par l’application de la marque en cause sur l’emballage des marchandises de la manière indiquée par la pièce A. En outre, comme la pièce A porte clairement la marque en cause et réfère à des oranges, lesquelles sont des agrumes frais, l’agente d’audience a raisonnablement conclu que, au moment du transfert des marchandises aux acheteurs canadiens d’Orange Cove (tels qu’ils sont énumérés dans l’affidavit et sur les factures), la marque était liée aux marchandises de manière à répondre aux exigences du paragraphe 4(1) de la Loi au cours de la période pertinente. Je désire également souligner que, à mon avis, la preuve présentée par la défenderesse excède largement la simple allégation générale d’emploi de la marque en cause. Je fais en outre remarquer que la défenderesse a fourni des factures qui confirment clairement la vente d’agrumes frais de marque POM-POM au cours de la période pertinente. Puisque les marchandises emballées portant la marque de commerce sont vendues aux acheteurs canadiens de la titulaire (généralement à des épiceries), un tel emploi fait partie de la pratique normale du commerce et est conforme aux exigences de la Loi. L’agente d’audience a tracé un parallèle avec la décision Desjardins, mais je ne vois rien dans la décision contestée qui donnerait à penser que l’agente d’audience s’est sentie obligée de s’en remettre à la décision Desjardins, sans égard aux faits particuliers soulevés en l’espèce. La comparaison avec cette décision ne fait que démontrer comment un manque de preuve, selon quoi la marque de commerce a figuré en liaison avec les marchandises lorsque ces dernières ont atteint les utilisateurs finaux, n’est pas déterminant. Enfin, le fait que l’emballage fait référence à Sunkist ne change rien au fait que la marque POM-POM est employée par la propriétaire inscrite en liaison avec des agrumes frais.

 

[20]           Dans l’ensemble, je conclus que l’agente d’audience a lu attentivement et examiné en profondeur le premier affidavit de Bailey et les pièces, de même que les arguments écrits et verbaux des parties. La conclusion finale tirée en l’espèce, selon laquelle « la preuve démontre un emploi de la marque en liaison avec les marchandises par la propriétaire inscrite et qui est conforme à la Loi sur les marques de commerce », est clairement une question de fait et de droit relevant de l’expertise spécialisée du registraire. Je ne puis donc trouver aucune erreur justifiant une intervention de la Cour. Par conséquent, la décision du registraire ne devrait pas être modifiée ni annulée.

 

[21]           En conclusion, le présent appel doit être rejeté. À la lumière du résultat et des autres facteurs pertinents, les dépens seront adjugés à la défenderesse.

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1093-06

 

INTITULÉ :                                       BROUILLETTE KOSIE PRINCE C. ORANGE COVE-SANGER CITRUS ASSOCIATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 novembre 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 décembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Benoit Huard

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Benoit Huart

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Me Robert A. MacDonald

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Me Monique Coutu

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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