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Date : 20071214

Dossier : T-916-06

Référence : 2007 CF 1322

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGUES

 

 

ENTRE :

LA SUCCESSION D’HORACE YALE KRASNICK et

RONALD MARK KRASNICK

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision, en date du 5 mai 2006, par laquelle le directeur général, Direction générale des opérations nationales du ministère des Anciens Combattants, a refusé à Horace Yale Krasnick le droit de bénéficier d’un remboursement de prestations pour soins prolongés pour la période allant du 17 juin 2000 au 8 octobre 2004. Par la présente demande, les demandeurs cherchent à faire infirmer cette décision et les décisions qu’elle confirme; subsidiairement, ils sollicitent également une déclaration quant à certains montants, majorés des intérêts, et certaines déclarations relativement à la Charte. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la demande dans la mesure où le ministre devra réexaminer l’affaire en tenant compte des présents motifs, qui indiquent que des versements mensuels pour la période de 18 mois précédant octobre 2004 sont admissibles et doivent être versés avec intérêts, le tout étant expliqué plus en détail dans les présents motifs. Les dépens sont adjugés aux demandeurs et doivent être taxés au milieu de la fourchette prévue à la colonne III.

 

[2]               La présente demande a été introduite au nom d’Horace Yale Krasnick (appelé HYK par les parties, mais que j’appellerai Horace) et de son fils Ronald Mark Krasnick (appelé RMK par les parties, mais que j’appellerai Ronald), qui avait une procuration pour s’occuper des affaires d’Horace.

 

[3]               En bref, Horace était membre des Forces armées canadiennes durant la Seconde Guerre mondiale. Il s’est blessé à cette époque au genou droit, ce qui lui a valu une petite pension du ministère des Anciens Combattants (le MAC). En juin 2006, soit environ deux semaines après l’introduction de la demande, Horace est décédé à l’âge de 91 ans. La demande a été poursuivie au nom de la succession d’Horace, et Ronald est devenu l’exécuteur testamentaire d’Horace. Ronald est le seul héritier d’Horace.

 

[4]               De 1955 à 1999, Horace a habité chez lui. Il a ensuite emménagé dans un établissement à Côte‑Saint‑Luc, dans la région de Montréal. En 2000, à la demande de son fils, Horace a été examiné par des médecins spécialistes à Montréal, qui ont recommandé qu’il soit placé dans un établissement de soins de longue durée. Ronald était médecin orthopédiste, mais il résidait aux États‑Unis et y exerçait sa profession. Il estimait qu’il était peu pratique d’y amener son père. Il semble qu’il manquait d’établissements de soins de santé adéquats dans le secteur public et, après consultation des spécialistes qui avaient recommandé son placement dans un établissement de soins de longue durée, Horace a été placé, le 17 juin 2000, dans un établissement connu sous le nom de centre d’hébergement Château Westmount (désigné parfois comme CW par les parties). Il y est resté jusqu’à la fin de ses jours. Les frais mensuels d’hébergement d’Horace dans cet établissement s’élevaient à 4 850 $. Les actifs d’Horace ont permis de les défrayer au début, mais c’est Ronald qui les a supportés après leur épuisement.

 

[5]               Vers octobre 2004, Ronald a appris de façon fortuite qu’Horace était peut‑être admissible à des prestations du MAC qui aideraient à payer les dépenses pour ses soins au Château Westmount. Le 8 octobre 2004, Ronald a, au nom de son père, présenté au MAC une demande de prestations pour les soins dispensés à Horace. Le MAC a informé Ronald que son père serait admissible à des prestations mensuelles de 4 063,44 $ et a accordé des prestations à compter d’octobre 2004. La demande de remboursement visant les dépenses engagées à partir de l’admission d’Horace à l’établissement de soins, le 17 juin 2000, a toutefois été refusée. Les demandeurs cherchent maintenant à obtenir le remboursement de la totalité ou d’une partie des sommes payées pour l’hébergement d’Horace dans un établissement de soins de santé entre le 17 juin 2000 et octobre 2004 ou, à tout le moins, des déclarations quant à leur admissibilité à ces prestations et à d’autres réparations.

 

QUESTIONS

[6]               Les demandeurs ont formulé un grand nombre de « questions » et ont plaidé, à l’audience, à des degrés divers un certain nombre d’entre elles. Quelques nouvelles questions ont été soulevées à l’audience, dont certaines ne l’ont été que dans la réponse aux arguments. Au bout du compte, on peut les résumer en deux questions :

1.         Avis approprié : Le MAC était‑il tenu de fournir un avis précis à Ronald pour l’informer des prestations dont pouvait bénéficier Horace et, le cas échéant, à quel moment aurait‑il dû le faire? Même si un avis précis n’était pas requis, le MAC était‑il tenu de fournir un avis général et, le cas échéant, les mesures prises par le MAC étaient‑elles suffisantes?

 

Si un tel avis était requis, mais n’a pas été donné, la décision du 5 mai 2006 limitant le recouvrement à compter d’octobre 2004 devrait‑elle être annulée?

 

2.         Limitation du recouvrement : Était‑il en définitive approprié que la décision du 5 mai 2006 limite le recouvrement aux dépenses engagées à partir d’octobre 2004? Dans la négative, la décision devrait‑elle être annulée?

 

DÉCISION EN CAUSE

[7]               La décision visée par la demande de contrôle judiciaire est la décision du directeur général (Hebert), datée du 5 mai 2006. Il s’agissait d’une « décision définitive » aux termes de l’article 36 du Règlement sur les soins de santé pour anciens combattants (le Règlement), DORS/90‑594, qui prévoit la prise d’une première décision ainsi que la possibilité d’une décision de révision, sur demande, et d’une « décision définitive » (paragraphe (2), également sur demande.

 

[8]               La première décision, prise par un agent du service à la clientèle du MAC (Dunoso), est exposée dans une lettre datée du 14 février 2005, qui indique essentiellement ce qui suit :

[traduction] La présente vise à vous informer de l’arrangement pris en matière de soins en établissement relativement à l’admission de M. Krasnick Horace [sic] au centre d’hébergement Château Westmount en octobre 2004.

 

Voici les montants applicables du 8 octobre 2004 au 30 septembre 2005 :

 

·        Frais d’hébergement au Château Westmount :                4 850,00 $ par mois

·        Frais assumés  par l’ancien combattant :                                        786,56 $ par mois

·        Frais assumés par Anciens Combattants Canada :       4 063,44 $ par mois

 

 

[9]               Une révision a été demandée. Ronald et les avocats qui représentaient Horace ont présenté des observations écrites. La décision en révision, rendue par un directeur général régional (Bastien) dans une lettre en date du 15 novembre 2005, a confirmé la décision initiale. Elle indiquait essentiellement ce qui suit :

[traduction] Nous avons soigneusement révisé votre dossier et nous avons pris en considération tous les facteurs liés à votre cas. Malheureusement, la décision rendue doit être maintenue étant donné qu’elle est conforme à notre règlement. Un client est admissible à des soins pour une période indéterminée ou des soins prolongés dans un établissement ministériel, un lit réservé par contrat ou un autre établissement lorsque les besoins de santé du client sont confirmés par l’évaluation d’une infirmière ou d’un conseiller de secteur, et une telle évaluation a été effectuée en octobre 2004.

 

 

[10]           Une « décision définitive » a été demandée. Les avocats des demandeurs ont présenté des observations. La décision rendue, soit la décision de Hebert du 5 mai 2006, que je ne reproduirai pas dans son intégralité, comportait 14 pages. On y concluait ce qui suit :

[traduction] La décision du ministère rendue le 15 novembre 2005 est confirmée en vertu du paragraphe 34.1(4) du Règlement sur les soins de santé pour anciens combattants. La date à partir de laquelle vous êtes admissible à un remboursement des coûts des soins prolongés dispensés au centre Château Westmount est octobre 2004.

 

 

[11]           Les parties ont convenu que les décisions antérieures, soit celles de Dunoso et de Bastien, peuvent être considérées comme englobées dans la décision de Hebert du 5 mai 2006 et qu’il n’était pas nécessaire d’obtenir leur contrôle judiciaire, celui de la décision de Hebert étant suffisant.

 

CONCESSIONS FAITES PAR LES PARTIES

[12]           En raison de la multiplicité des questions, sous‑questions et points soulevés dans l’argumentation des parties, aussi bien dans leurs mémoires qu’à l’audience, il est important de prendre note des concessions faites par les avocats à l’audience :

 

1.         Demandeurs

·        Les demandeurs se fondent exclusivement sur l’article 22.1 du Règlement pour demander une réparation. Plus particulièrement, ils ne cherchent pas à obtenir une réparation aux termes des articles 21 ou 22 du Règlement.

·        La Cour n’a pas à se préoccuper des dispositions relatives à la question du revenu insuffisant que l’on trouve aux paragraphes 22.1(2) ou (3). Le défendeur en convient.

·        La demande de prestations de pension de 6 829,32 $ pour la période allant de février 2000 à février 2001 a été réglée et n’est pas en litige dans la présente instance. Le défendeur en convient.

·        Le calcul du montant mensuel approprié à rembourser, qui a été fixé à 4 063,44 $, n’est contesté ni par les demandeurs ni par le défendeur.

 

2.         Défendeur

·        Au moment des faits, Horace était un « ancien combattant pensionné » au sens de l’alinéa 22.1(1)a) du Règlement.

·        Au moment des faits, le Château Westmount (CW) était un « établissement communautaire » au sens de l’article 22.1 du Règlement.

 

CONTEXTE FACTUEL

[13]           Les parties s’entendent pour dire que la majorité des faits ne sont pas en litige. En voici une brève chronologie :

·        Seconde Guerre mondiale : Horace travaillait au Canada comme militaire pour les forces armées canadiennes. Il n’a pas été envoyé dans une zone de combat. Durant son service, il a subi une blessure au genou droit pour laquelle il a reçu, dans les années qui ont suivi, une pension mensuelle de plus de 500 $.

 

·        1er avril 1999 : Ronald a été nommé mandataire d’Horace pour s’occuper des affaires de son père.

 

·        Mi‑1999 à 2005 : Ronald s’inquiète de l’état de santé d’Horace. Horace est examiné par des médecins spécialistes, qui diagnostiquent qu’il souffre de démence et recommandent la prise de médicaments (lettre du Dr Kirk en date du 26 août 1999).

 

·        Octobre 1999 : Le MAC écrit à Horace pour lui demander de remplir et de retourner un formulaire afin qu’il puisse continuer à toucher sa pension pour sa blessure au genou. Horace ne répond pas à cette lettre. Il se peut que la lettre ait été envoyée à une mauvaise adresse.

 

·        Février 2000 : Le MAC arrête de verser une pension à Horace pour son genou.

 

·        17 juin 2000 : Horace est placé au Château Westmount pour y recevoir des soins de longue durée.

 

·        Juin 2000 : Ronald déclare qu’il a parlé avec « quelqu’un » au MAC et qu’il l’a informé du placement de son père dans un établissement de soins de longue durée et du fait qu’il est son mandataire. Ronald affirme également qu’il a rempli un formulaire au sujet d’Horace et de sa démence et qu’il a joint une note à ce sujet. Il a ensuite envoyé les documents au MAC. Aucune preuve documentaire ne confirme ces allégations. Le dossier contient un formulaire reçu à une date ultérieure (vers janvier 2001), mais aucune note n’y est jointe.

 

·        Novembre-décembre 2000 : Un certain M. Jodoin, du MAC, affirme s’être rendu à l’ancienne adresse d’Horace et avoir téléphoné au numéro existant d’Horace, mais avoir été incapable de trouver Horace ou de savoir où il se trouvait. Il n’existe aucune preuve directe à ce sujet.

 

·        Décembre 2000 : Ronald a une conversation téléphonique avec quelqu’un du MAC. Une personne identifiée comme étant R.R. Baker du MAC a pris des notes sur la conversation qui a eu lieu le 13 décembre 2000 :

Le 13 décembre 2000, le Dr Rod Krasnick (chirurgien orthopédiste), fils de notre pensionné, a communiqué avec nous.  Nous l’informons que la pension d’invalidité de son père est suspendue depuis le 1er février 2000 (allées et venues inconnues).  Le Dr Krasnick détient une procuration pour son père et sa mère.  Mme Krasnick (mère) réside présentement au Jewish Nursing Home, 5750 Lavoie.  Le Dr Krasnick demande que le conseiller de son père lui fasse parvenir la documentation nécessaire afin de rétablir les paiements de la pension d’invalidité de son père.  Il expédiera une copie de sa procuration sur demande.  Ses coordonnées ont été inscrites dans le RPSC, sauf son numéro de fa[x] qui est le suivant : 609 871-9301.  Une activité est expédiée à M. Jodoin ce jour pour information et toute action jugée nécessaire.

 

 

·        Les échanges qui ont eu lieu entre le MAC, Horace et Ronald de 1999 à 2001 sont décrits au paragraphe 27 d’un affidavit souscrit pour le défendeur par Orlanda Drebit, directrice, Direction des services aux clients et de la gestion de la qualité, Politique en matière de service, Services aux anciens combattants du MAC :

 

[traduction]

 

a.         À partir d’octobre 1999, le MAC a écrit une série de lettres à HYK pour l’informer que sa déclaration de prestations n’avait pas encore été remplie et qu’il s’exposait à une éventuelle suspension de sa pension d’invalidité. Dans la lettre, on invitait HYK à envoyer l’information et à communiquer avec le bureau de district s’il avait besoin de renseignements supplémentaires. Le 10 février 2000, la décision de suspendre la pension de HYK à compter du 1er février 2000 a été prise.

 

b.         Le formulaire de déclaration de prestations a finalement été rempli en décembre 2000 par une personne du nom de RMK ayant une procuration et a été reçu le 21 janvier 2001. Dans la décision du MAC du 24 janvier 2001 rétablissant la pension de HYK, on indiquait qu’on avait établi un contact avec HYK. En février 2001, HYK a subi un examen médical aux fins d’évaluation de son affection ouvrant droit à pension. La suspension a été annulée, les paiements mensuels ont recommencé à compter du 1er février 2000 et des arriérés s’élevant à 6 676,75 $ ont été versés à HYK.

 

c.         Une lettre a été envoyée à HYK le 24 novembre 2000 à son ancienne adresse pour l’inviter à passer un examen médical aux fins d’évaluation de son affection ouvrant droit à pension. Le 10 janvier 2001, le MAC a envoyé une autre lettre à HYK à sa nouvelle adresse au Château Westmount, de nouveau pour l’inviter à passer un examen médical aux fins d’évaluation de son affection donnant droit à pension. HYK a subi l’examen le 13 février 2001. L’examen médical a entraîné une augmentation de 30 % de l’évaluation relative à son affection ouvrant droit à pension. Le 2 octobre 2001, une lettre a été envoyée à l’adresse de son fils RMK dans l’État du New Jersey. La lettre informait HYK d’une augmentation de sa pension de 30 % pour l’état de son genou. On l’invitait à communiquer avec le bureau de district s’il avait besoin de renseignements supplémentaires.

 

 

·        Deux pages du formulaire de déclaration de prestations (appelé parfois le formulaire DP) rempli par Ronald pour le compte de son père Horace sont reproduites au dossier et font partie de la pièce I jointe à l’affidavit de Mme Drebit. Elles ont apparemment été reçues par le MAC au début de 2001. Le formulaire indique comme adresse d’Horace l’adresse de Ronald aux États‑Unis, et l’étiquette d’adresse comportant l’adresse américaine de Ronald y est jointe. Le document ne porte pas de date. La partie imprimée du formulaire précise, entre autres :

[traduction] Si vous remplissez ce formulaire pour le compte d’un membre / ancien membre des Forces canadiennes, veuillez joindre une courte explication.

 

La pièce ne semble contenir aucune explication en ce sens.

 

 

·        Février 2001 : Horace est examiné par une personne du MAC (vraisemblablement par un médecin praticien), qui évalue l’état de son genou, mais pas sa santé mentale ni aucun autre problème de santé. Sa pension est rétablie.

 

·        Octobre 2004 : Ayant appris par hasard qu’il est peut‑être possible de toucher des prestations pour couvrir les dépenses relatives aux soins de longue durée dispensés à Horace, Ronald présente une demande de prestations pour le compte de son père. Cette demande ne figure pas au dossier. Dans leur lettre datée du 11 janvier 2006, les avocats des demandeurs indiquent, à la page 5, qu’octobre 2004 était le mois de l’avis donné par le MAC du droit d’Horace de présenter une demande et également le mois où la demande a été présentée.

 

[14]           Il y a eu de la correspondance entre les parties et, comme nous l’avons vu, trois décisions ont été rendues, soit une décision initiale, une décision de révision et une décision définitive.

 

NORME DE CONTRÔLE

[15]           Les deux parties conviennent que la norme de contrôle à l’égard des points de droit, y compris les questions d’interprétation d’une loi ou d’un règlement, est celle de la décision correcte. Dans le cas des conclusions de fait, le défendeur fait valoir que la norme applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable, alors que les demandeurs soutiennent que c’est celle de la décision raisonnable. Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur cette divergence de positions puisque les parties s’entendent sur les faits pertinents et qu’on peut trancher la question sur la base de ce que les parties ont fait et affirmé dans les observations faites avant la décision visée par la demande de contrôle judiciaire et en rapport avec cette décision, dans le cas des demandeurs, et des conclusions formulées dans la décision du MAC, dans le cas du défendeur.

 

QUESTION 1 – AVIS APPROPRIÉ : Le MAC était-il tenu de fournir un avis précis à Ronald pour l’informer des prestations dont pouvait bénéficier Horace et, le cas échéant, à quel moment aurait‑il dû le faire? Même si un avis précis n’était pas requis, le MAC était-il tenu de fournir un avis général et, le cas échéant, les mesures prises par le MAC étaient-elles suffisantes?

 

[16]           La première question nous amène à nous demander si le MAC avait le devoir d’informer Horace ou son mandataire Ronald des prestations auxquelles il pourrait avoir droit relativement aux dépenses de soins de longue durée et, dans l’affirmative, quand et comment cette obligation devait être remplie.

 

[17]           Ronald affirme que le MAC aurait dû savoir ou disposait de suffisamment de renseignements pour déduire qu’Horace souffrait de démence ou d’une condition similaire qui empêchait la communication directe avec lui et nécessitait son placement dans un établissement de soins de longue durée. Selon lui, le ministère aurait pu parvenir à ces conclusions puisque le MAC savait depuis au plus tard janvier 2001, ou vers cette date, qu’Horace était au Château Westmount et que Ronald avait une procuration.

 

[18]           Le dossier montre clairement que Ronald n’a, à aucun moment avant octobre 2004, pris des mesures précises pour informer le MAC de l’état de santé de son père ou de la raison de son placement dans un établissement de soins de longue durée. Ronald a fait examiner son père par des médecins spécialistes en 2000. Aux termes de ces examens, il a décidé qu’il serait prudent de placer Horace dans un établissement de soins de longue durée. Ronald n’a pas communiqué à ce moment‑là avec le MAC de manière à permettre au ministère de faire sa propre évaluation de la situation et de soit approuver la décision de Ronald, soit proposer des solutions de rechange. La procuration désigne Ronald comme mandataire d’Horace; il avait une importante obligation de diligence. En cas d’incapacité d’Horace de s’occuper de lui‑même ou d’administrer ses affaires à cause d’une maladie, incompétence ou inaptitude, Ronald était notamment tenu, en tant que mandataire :

[traduction] 2.    de faire tout ce qui [était] nécessaire et opportun pour assurer la protection personnelle du mandant et son bien‑être, à la fois sur le plan moral et matériel, et sans limiter le caractère général de ce qui précède, le mandataire d[evait] :

 

a)         accomplir toutes les choses qui [étaient] nécessaires et opportunes pour subvenir aux besoins de base du mandant;

 

b)         protéger le mandant, s’occuper de lui et assurer sa subsistance si ce dernier montr[ait] qu’il est incapable de s’occuper de lui‑même;

 

c)         consentir à tous les besoins du mandant qui [étaient] nécessaires à cause de son état de santé, quelle qu’en soit la nature (médicale ou autre) à condition que ces besoins sembl[aient] bénéfiques, nonobstant leurs effets, et qu’ils [étaient] opportuns dans les circonstances et que les risques présentés n[‘étaient] pas disproportionnés par rapport aux avantages anticipés;

 

 

[19]           La preuve indique clairement que, pendant la période en cause, lorsque Horace a été placé dans un établissement de soins de longue durée en 2000, le MAC avait un important programme à l’intention du public et des anciens combattants concernant les services et prestations qu’il offrait à ces derniers. Le public avait accès à un site Web renfermant une abondance de renseignements. Des brochures étaient disponibles aux bureaux régionaux, foires et expositions et pouvaient être obtenues par quiconque cherchait à obtenir de l’information. Les chèques envoyés aux anciens combattants incluaient des talons et des feuillets d’information. Ronald ou quiconque d’autre n’aurait eu qu’à faire très peu d’effort pour présenter une demande d’information et pour recevoir  des renseignements au sujet des services et des prestations disponibles. La preuve montre que Ronald a fait des efforts et a communiqué avec le MAC pour rétablir la pension que recevait son père pour sa blessure au genou, mais il n’a pris aucune mesure pour faire part au MAC de l’évaluation médicale faite en 2000 quant à l’état de santé mentale de son père ou pour l’informer de la raison de son placement, à la demande de Ronald, au Château Westmount. Ronald avait demandé au MAC de communiquer avec Horace à l’adresse de Ronald aux États‑Unis et c’est ce qui s’est produit. En fait, Horace n’a jamais habité à l’adresse aux États‑Unis.

 

[20]           En octobre 2004, Ronald a pris des mesures pour informer le MAC de l’état de santé mentale de son père. Le MAC a procédé à sa propre évaluation de l’état de santé d’Horace et lui a accordé des prestations pour des soins de longue durée à compter d’octobre 2004. C’est à ce moment que le MAC a, pour la première fois, été véritablement informé de l’état de santé d’Horace.

 

[21]           Ronald fait valoir qu’il s’est retrouvé dans une impasse. Il soutient qu’étant donné qu’il ne savait pas que le MAC offrait des prestations de soins de longue durée, on ne pouvait s’attendre à ce qu’il en fasse la demande. Il affirme que le MAC disposait de suffisamment d’information pour savoir que son père recevait des soins de longue durée et aurait dû prendre des mesures positives pour informer Ronald de la disponibilité de prestations éventuelles.

 

[22]           Le MAC affirme qu’il n’était pas au courant de l’état de santé d’Horace avant de l’apprendre de Ronald en octobre 2004, auquel moment Horace a été évalué et des mesures ont été prises pour lui fournir des prestations à partir de ce moment-là. Selon le MAC, comme Ronald ne l’a pas informé de l’état de santé d’Horace plus tôt, il n’a pas eu l’occasion de procéder à son propre examen et d’effectuer sa propre évaluation quant aux mesures appropriées devant être prises. Compte tenu des centaines de milliers de personnes dont il doit s’occuper, le MAC affirme qu’il est impossible pour lui d’accorder une attention personnelle et détaillée à n’importe quel particulier, même s’il existe des raisons de croire ou d’inférer qu’une chose importante s’est produite, et qu’il serait peu approprié de l’y obliger.

 

[23]           Ni la Loi sur le ministère des Anciens Combattants ni le Règlement sur les soins de santé pour anciens combattants ne mentionne un quelconque devoir du MAC de prendre des mesures précises pour informer les « clients » des prestations disponibles, qu’il s’agisse de l’ensemble des clients en général ou d’un client précis dans une situation précise.

 

[24]           Les demandeurs soutiennent qu’il existe une obligation de fiduciaire entre le MAC et ses clients comme Horace. La nature de l’« obligation de fiduciaire » pouvant être imposée ou non à la Couronne ou au ministère a été examinée à fond par la Cour suprême dans le contexte du droit des Autochtones. Il y a des limites aux obligations et concepts de fiduciaire. Comme l’a expliqué le juge Binnie, qui s’exprimait au nom de la Cour dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, plus particulièrement aux paragraphes 81 à 83, l’obligation de fiduciaire imposée à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers; les obligations n’ont pas toutes un caractère fiduciaire : il est nécessaire d’examiner l’obligation ou le droit particulier.

 

[25]           En l’espèce, le MAC est obligé de prendre des arrangements pour s’occuper des anciens combattants, en fonction de leurs besoins et des circonstances. Ce ne sont pas tous les anciens combattants, dans toutes les circonstances, qui auront droit à toutes les prestations. Le Règlement prévoit l’attribution de certaines prestations d’après « l’admissibilité », terme qui sera examiné plus loin dans les présents motifs. Il n’y a rien dans la Loi ou dans le Règlement ni dans d’autres lois ou règlements qui oblige le MAC à informer tout le monde ou certaines personnes de l’existence de certaines prestations ou à être clairvoyant et à établir, à partir de signes, de signaux ou d’inférences, que certaines personnes peuvent avoir besoin de prestations et, si c’est le cas, de quelles prestations elles peuvent bénéficier et à quel moment.

 

[26]           Dans les circonstances particulières de l’espèce, le MAC a fait des efforts suffisants pour fournir de l’information générale au public et semble assez disposé à communiquer, sur demande, des renseignements précis à des personnes qui se font connaître comme des clients. Quand Ronald a soumis une demande précise de prestations de soins de longue durée pour le compte d’Horace, le MAC a agi promptement pour accéder à la requête.

 

[27]           À mon avis, le MAC n’a manqué à aucune obligation imposée par une loi ou un règlement applicable et il n’existait aucune obligation de fiduciaire spéciale imposée au MAC en ce qui concerne la situation examinée en l’espèce.

 

[28]           Les demandeurs s’appuient sur Authorson c. Canada (Procureur général) (2000), 53 O.R. (3d) 221 et la conclusion du juge Brockenshire, à la page 234, dans un recours collectif ayant trait à certains fonds qui avaient été confiés au MAC pour qu’il les investisse et les débourse pour le compte des anciens combattants, selon laquelle le MAC avait une obligation de fiduciaire à cet égard. L’affaire a été portée devant la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour suprême du Canada, [2003] 2 R.C.S. 40, où la Couronne a arrêté de nier qu’elle avait une obligation de fiduciaire. Je trouve que les circonstances de cette affaire ne s’appliquent pas en l’espèce. Dans l’affaire Authorson, un fonds spécial avait été créé dans un but particulier. Dans la présente affaire, il s’agit simplement d’un devoir prévu par un règlement de fournir et d’administrer des prestations dans les circonstances énoncées dans le Règlement. Il n’y a aucune obligation supérieure ou obligation de fiduciaire.

 

[29]           Les demandeurs font également valoir que le paragraphe 15(1) de la Charte s’applique et qu’Horace, en tant qu’ancien combattant n’étant plus mentalement capable de gérer ses affaires, a été privé d’avantages égaux. Dans Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour suprême du Canada a examiné ce qu’un demandeur doit établir en premier en vertu de l’article 15 de la Charte. Le juge Binnie a, au nom de la Cour, résumé trois facteurs au paragraphe 23 :

1) si la loi impose une différence de traitement entre le demandeur et d’autres personnes; 2) si un motif de discrimination énuméré ou analogue constitue le fondement de la différence de traitement, et 3) si la loi en question a un but ou des effets « discriminatoires ».

 

[30]           L’avocat des demandeurs soutient qu’on a omis de prévoir, dans le Règlement, les soins ou l’accès aux soins pour les personnes qui ne sont pas mentalement capables de s’en prévaloir. Il ne s’agit pas d’une disposition « discriminatoire » du Règlement, mais, au mieux, d’une omission de prévoir une disposition spéciale pour un groupe particulier de personnes. Il n’y a pas de « discrimination » dans le Règlement : toutes les personnes sont traitées de façon identique, aucun groupe ne fait l’objet de discrimination directe ou indirecte et l’application du Règlement n’a aucun effet discriminatoire. Les demandeurs ne parviennent simplement pas à franchir le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Law.

[31]           Les demandeurs ne réussissent pas non plus à prouver le troisième volet du critère. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, au paragraphe 58, il peut y avoir une privation financière, mais il faut pouvoir démontrer que la législation favorise l’opinion que la personne est moins capable ou moins digne d’être reconnue ou valorisée en tant qu’être humain ou en tant que membre de la société canadienne :

58     La question n’est donc pas seulement de savoir si l’appelant a été privé d’un avantage financier, ce qui est le cas, mais plutôt de savoir si cette privation favorise l’opinion que les individus souffrant d’une déficience temporaire sont « moins capables ou [. . .] moins [dignes] d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne qui méritent le même intérêt, le même respect et la même considération » (je souligne).  Dans l’arrêt Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, le juge McLachlin a souligné, au par. 132, que « des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou des motifs analogues peuvent, à l’examen, se révéler non discriminatoires ».

 

[32]           On n’a pas démontré que le Règlement réduit de quelque façon que ce soit le sentiment de capacité, de dignité ou de valeur des anciens combattants frappés d’incapacité mentale. Le Règlement met en place un régime en vertu duquel les prestations peuvent être octroyées, et rien dans ce régime ne crée une impression défavorable d’une personne d’aucune des façons envisagées dans Granovsky.

[33]           Par conséquent, je conclus que la Charte n’aide pas les demandeurs. Par conséquent, je n’ai pas à examiner la question de savoir si le recours fondé sur la Charte peut survivre au décès d’Horace.

QUESTION 2 – LIMITATION DU RECOUVREMENT  – Était‑il en définitive approprié que la décision du 5 mai 2006 limite le recouvrement aux dépenses engagées à partir d’octobre 2004? Dans la négative, la décision devrait-elle être annulée?

 

[34]           Cette question pose celle de savoir quand et comment prend naissance le droit à des prestations et jusqu’à quand on peut remonter pour le recouvrement des dépenses.

 

[35]           Malgré de fréquentes modifications, la rédaction du Règlement n’est pas heureuse. Un grand nombre des termes qui doivent être examinés en l’espèce n’y sont pas clairement définis.

 

[36]           Le paragraphe 22.1a) du Règlement est la seule disposition sur laquelle se fondent les demandeurs. Il est formulé comme suit :

22.1(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3) et des articles 23 et 33.1, les clients ci‑après sont admissibles à des soins prolongés dans un établissement communautaire, s’ils n’occupent pas de lit réservé, dans la mesure où ils ne peuvent obtenir ces soins au titre de services assurés dans le cadre du régime d’assurance-maladie d’une province :

 

a) l’ancien combattant pensionné;

 

 

[37]           Les concessions faites par les parties nous permettent de savoir ce qui suit :

·        Horace était un « ancien combattant pensionné » pendant toute la période considérée.

·        Le Château Westmount était un « établissement communautaire » pendant la période considérée.

·        Il n’est pas nécessaire de se préoccuper des paragraphes 22.1(2) et (3), qui portent sur la question du revenu insuffisant.

·        Il n’est pas nécessaire de se préoccuper des articles 23 et 33.1, qui portent sur les taux devant être établis et les déductions. Le montant fixé de 4 063,44 $ est acceptable pour les deux parties.

 

[38]           Ainsi, l’alinéa 22.1(1)a) peut être formulé comme suit en l’espèce :

22.1(1)a)         Horace est admissible à des soins prolongés au Château Westmount pour un montant de 4 063,44 $ par mois.

 

[39]           Horace a résidé au centre d’hébergement Château Westmount à partir de juin 2000 et il y est resté jusqu’à son décès en juin 2006. Toutefois, la décision initiale et toutes les décisions subséquentes prises par le MAC limitaient le remboursement à la période allant d’octobre 2004 à juin 2006. Dans la première décision datée du 14 février 2005, on ne précise pas pourquoi cette période a été retenue. La décision rendue le 15 novembre 2005 à l’issue de la révision, reproduite plus haut, précisait qu’octobre 2004 était le mois où [traduction] « ... les besoins de santé [d’Horace] [ont été] confirmés par l’évaluation d’une infirmière ou d’un conseiller de secteur ».

 

[40]           La décision « définitive » de Hebert, datée du 5 mai 2006, prévoit quelque chose de différent, particulièrement à la page 11. Elle indique d’abord qu’une décision quant à l’« admissibilité » doit être faite et que l’« admissibilité » n’est pas établie tant que le MAC n’a pas pris une « décision ». L’analyse se termine par la conclusion qu’aucun montant ne peut être versé avant la date de la demande.

 

[41]           En ce qui concerne l’« admissibilité », le Règlement ne précise pas que le MAC doit décider de l’admissibilité et ne prévoit pas non plus un quelconque processus qui permettrait au MAC ou à quiconque d’autre de le faire. L’alinéa 22.1(1)a) indique simplement que certaines personnes « sont admissibles ». Même si le MAC devait s’assurer que cette condition est remplie, et il serait tout à fait raisonnable qu’il le fasse, rien dans le Règlement n’indique qu’une personne peut seulement bénéficier des prestations à partir de la date où une telle décision est prise. Il n’y a simplement aucun fondement à l’affirmation de la page 11 de la décision de Hebert selon laquelle :

[traduction] L’admissibilité n’est pas établie tant qu’une décision à ce sujet n’a pas été rendue par [le MAC]

 

 

[42]           Il faut donc se pencher sur la conclusion de Hebert :

[traduction] En conclusion, ni les dispositions actuelles du paragraphe 34.1(4) [du Règlement] ni les antérieures ne permettraient l’attribution rétroactive à partir d’une date antérieure à la date de la demande relative aux soins.

 

 

[43]           Le paragraphe 34.1(4) n’est pas explicite à cet égard. Ce paragraphe a été modifié le 15 février 2006 (un jour après la première décision, soit celle de Dunoso). Avant le 15 février 2006, le paragraphe était formulé comme suit :

La demande de remboursement ou de paiement aux termes du présent article doit être présentée par la personne ou en son nom dans les dix‑huit mois suivant :

 

a) soit la date à laquelle elle a engagé les frais;

 

b) soit, si elle est postérieure, la date de réception, par elle‑même ou pour son compte, d’un avis l’informant qu’elle est admissible à des avantages, services ou soins aux termes du présent règlement à l’égard des besoins de santé pour lesquels elle a engagé les frais.

 

 

[44]           Après le 15 février 2006, le paragraphe 34.1(4) était libellé comme suit :

(4) La demande de remboursement ou de paiement doit être présentée par la personne ou en son nom dans les dix‑huit mois suivant la date à laquelle elle a engagé les frais.

 

 

[45]           On s’est fortement concentré pendant l’argumentation sur la date à laquelle la demande a été présentée et la date de l’avis. La preuve n’est pas claire quant à ce qui s’est produit exactement en octobre 2004 et, par conséquent, je dois accepter comme admissions liant les parties les déclarations qu’ont faites les demandeurs, par l’intermédiaire de leur avocat, dans leurs observations présentées au ministre et, en ce qui concerne le ministre, les déclarations et conclusions que contenait la décision du 5 mai 2006 de Hebert.

 

[46]           Dans les observations communiquées au MEC dans une lettre datée du 11 janvier 2006, observations qui ont mené à la décision du 5 mai 2006 visée par la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocat des demandeurs a affirmé ceci, à la page 5, après avoir reproduit les dispositions de l’« ancien » paragraphe 34.1(4) puis du paragraphe en vigueur :

[traduction] 7.    Par conséquent, une personne est admissible à un remboursement de ses dépenses relatives à des soins de longue durée si elle présente une demande dans les 18 mois qui suivent la date de réception d’un avis l’informant qu’elle est admissible à des avantages en vertu du Règlement. L’avis dont il est question dans cette disposition doit être l’avis communiqué par le MAC. Ni HYK ni RMK n’ont reçu un avis du MAC avant octobre 2004 indiquant que HYK avait droit à des prestations de soins de longue durée (même si HYK avait été avisé d’une quelconque manière avant cela de la possibilité de toucher de telles prestations, il est manifeste qu’il aurait été incapable de transmettre cette information à cause de son incapacité mentale et, par conséquent, l’envoi d’un tel avis uniquement à HYK n’aurait servi à rien). Après avoir reçu l’avis, RMK a présenté une demande au MAC dans le délai de 18 mois prévu. Ainsi, la demande des Krasnick a été présentée à temps et ils devraient être remboursés dans les plus brefs délais pour les soins de longue durée de HYK.

 

[47]           Ainsi, les demandeurs, par l’entremise de leur avocat, ont affirmé et doivent accepter qu’octobre 2004 est à la fois la date de l’« avis » et la date de présentation de la demande.

 

[48]           Donc, conformément à la position adoptée par les demandeurs en sollicitant la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, peu importe que l’ancien ou le nouveau paragraphe 34.1(4) s’applique, la période de 18 mois devait s’étendre rétroactivement à partir d’octobre 2004.

 

[49]           Lorsqu’il a rendu la décision du 5 mai 2006 visée par la présente demande de contrôle judiciaire, le fonctionnaire du ministre est parti du principe que la version du Règlement en vigueur après le 15 février 2005 était la version à appliquer, du moins en ce qui concernait le paragraphe 34.1(4), et donc que la période de 18 mois serait comptée à partir de la date de la demande, soit octobre 2004. Mais même si la version antérieure du paragraphe 34.1(4) devait s’appliquer, le ministre a adopté la position qu’une date subséquente, qu’il a décrite comme la « date de l’avis de la décision », s’appliquerait (vraisemblablement le 14 février 2005). Compte tenu de cette position, le ministre a conclu de façon erronée qu’aucune prestation ne pouvait être accordée avant la date de la demande. Je reproduis les extraits suivants tirés de la page 11 de la décision du 5 mai 2006 :

[traduction]

 

La demande de révision de la décision initiale du 14 février 2005 prise par le ministère a été présentée dans une lettre, en date du 15 mars 2005, envoyée par RK au MAC. Par conséquent, aux fins du présent appel, on peut tenir compte des dispositions de l’article 34.1 susmentionné, modifié le 15 février 2005.

 

[...]

 

Une période considérable peut s’écouler entre la date à laquelle un demandeur présente une demande de prestations, services ou soins en vertu du RSSAC et la date à laquelle il est statué sur l’admissibilité du demandeur. Cela dit, s’il était établi que la version antérieure du paragraphe 34.1(4) s’appliquait aux fins de la décision définitive, la position du MAC est que la version antérieure était peut‑être plus généreuse, mais cela ne conduit pas davantage à une conclusion appuyant la demande de remboursement. La période de 18 mois fixée pour la présentation d’une demande de paiement ou de remboursement des dépenses aurait commencé à la date de l’avis de la décision confirmant l’admissibilité plutôt qu’à partir de la date antérieure de la demande.

 

En conclusion, ni les dispositions actuelles ni les dispositions antérieures du paragraphe 34.1(4) ne permettraient l’octroi rétroactif des prestations à partir d’une date antérieure à la date de la demande relative aux soins de santé.

 

 

[50]           Étant donné que les demandeurs ont affirmé qu’octobre 2004 était le mois de la date effective à la fois de la présentation de la demande et de l’avis et que le ministre est parti du principe que les « nouvelles » dispositions du Règlement étaient les dispositions qui s’appliquaient, auquel cas la date qui s’appliquait serait également octobre 2004, il est opportun de considérer que la période à partir de laquelle chacune des versions du paragraphe 34.1(4) s’appliquerait est octobre 2004. Donc, compte tenu des circonstances uniques de la présente affaire, la disposition aurait pour effet de limiter l’application rétroactive de la demande des dépenses à 18 mois à partir d’octobre 2004.

 

[51]           Les demandeurs soutiennent dans la présente demande que les dépenses étaient engagées mensuellement, mais que la demande portait sur l’ensemble des dépenses à partir de juin 2000 et que le montant de la demande ne pouvait être limité, seul le moment de la présentation de la demande pouvait l’être. En l’espèce, la demande de paiement de l’ensemble des dépenses à partir de juin 2000 a été présentée en temps utile en octobre 2004.

 

[52]           Cette position n’est pas correcte. Premièrement, les dépenses ont été engagées mensuellement et non pas sous la forme d’un versement forfaitaire. Dans la lettre susmentionnée du 11 janvier 2006 de l’avocat des demandeurs, il est écrit ce qui suit à la page 4 :

[traduction] En vertu du Règlement, [Horace] est admissible à des prestations de soins de longue durée s’élevant à 4 063,44 $ par mois, pour ses frais d’hébergement à CW à partir du 28 août 2001. [Non souligné dans l’original.]

 

[53]           Ces dépenses mensuelles, bien qu’elles aient commencé en juin 2000, sont limitées par les dispositions du paragraphe 34.1(4) du Règlement, interprété au regard des circonstances de la présente affaire, aux dépenses engagées au cours des 18 mois précédant octobre 2004.

 

[54]           Les demandeurs s’appuient sur la décision Trotter c. Canada, [2005] 4 R.C.F. 193, rendue par le juge Strayer de la Cour pour faire valoir que toute limitation imposée par le paragraphe 34.1(4) ne devrait pas être interprétée comme limitant le montant de la demande, pour autant que la demande même soit déposée en temps utile. Ils se fondent en particulier sur les passages suivants, aux paragraphes 18 et 20 de cette décision :

18     Je tiens à souligner que le libellé du paragraphe 39(1) n’a pas été adopté tel quel à l’égard de l’indemnisation des prisonniers de guerre et des évadés. On constatera que le paragraphe 39(1), qui restreint de fait les paiements à la date de la demande, s’applique par l’effet de ses termes mêmes à une « pension accordée pour invalidité ». Selon moi, l’indemnité accordée aux prisonniers de guerre n’était pas « une pension accordée pour invalidité ». Même dans les dispositions adoptées en 1987 par voie de modifications à la Loi sur les pensions qui s’appliquaient expressément à ces personnes, le nouveau paragraphe 71.2(1) prévoit que « tout prisonnier de guerre, sur demande, a droit à l’égard des périodes ». Tel était le libellé de la Loi de 1976 selon laquelle [à l’article 3] « [l]es prisonniers de guerre [. . .] ont droit de recevoir, sur demande faite à la Commission, l’indemnité ». Comme je l’ai indiqué, les circonstances de l’adoption de la Loi de 1976 et les dispositions prévoyant une prise d’effet rétroactive indiquent que le législateur entendait faire en sorte que l’indemnité prenne effet à compter du 1er avril 1976. L’indemnité était payable « sur demande », comme le prévoit le paragraphe 71.2(1) de la Loi sur les pensions. Dans le contexte de la Loi de 1976, cette expression « sur demande » faisait d’une demande authentifiée une condition préalable du versement d’une indemnité, mais la date de la demande ne définissait pas le montant de l’indemnité. Non seulement s’agissait‑il, à mon point de vue, de l’intention du législateur, mais c’est ainsi que la Loi a été appliquée tout au long de son existence. Il est vrai que le paragraphe 71.2(1) qui prévoit le droit à une indemnité débute par les mots « Sous réserve du paragraphe (4) ». Le paragraphe (4), cité précédemment, rend l’article 39 applicable de manière générale à l’indemnisation d’anciens prisonniers de guerre. Toutefois, il s’applique « avec les adaptations nécessaires ». Selon moi, les circonstances exigent une approche différente quant au droit à l’indemnisation d’anciens prisonniers de guerre et d’évadés.

 

20     Je crois qu’en raison du renvoi croisé dans le paragraphe 71.2(4) de la Loi sur les pensions à la plupart des dispositions de la partie III de cette Loi, ce qui les rend applicables à l’indemnité, on ne peut considérer que le législateur a pris une décision particulière de diminuer l’indemnité payable à d’anciens prisonniers de guerre ou évadés qui n’ont pas présenté de demande auparavant parce qu’ils ne savaient pas qu’ils avaient droit à une indemnité. Il aurait été facile du point de vue juridique, mais peut-être pas du point de vue politique, de prévoir de telles dispositions dans les modifications si telle était l’intention. Dans les circonstances, le paragraphe 39(1) doit être considéré comme peu approprié par rapport à l’indemnité des prisonniers de guerre et la réserve énoncée dans le paragraphe 71.2(4) quant à l’applicabilité de la partie III « avec les adaptations nécessaires » à l’indemnité des prisonniers doit signifier que le paragraphe 39(1) n’est pas applicable.

 

[55]           Cependant, en invoquant ces paragraphes, les demandeurs ne tiennent pas compte des circonstances très particulières de cette affaire où une loi antérieure avait prévu l’indemnisation des prisonniers de guerre, mais avait oublié les évadés derrière les lignes ennemies. Une loi subséquente a modifié les dispositions législatives de manière à y inclure les évadés mais, si elle était interprétée d’une certaine manière, de nombreuses demandes auraient été faites hors délai en raison des délais de prescription. Le juge Strayer a statué qu’il ne s’agissait pas de l’intention de la loi modificatrice. Certains de ses propos figurent au paragraphe 18 ci‑dessus. Il a également affirmé ce qui suit au paragraphe 19 :

19     Le paragraphe 39(1) mentionne « une pension accordée pour invalidité ». De toute évidence, une pension accordée pour invalidité et une indemnité pour avoir été prisonnier de guerre ou évadé pendant la Seconde Guerre mondiale sont deux choses distinctes. L’invalidité, bien qu’elle doive tirer son origine de la guerre, peut avoir été évidente et diagnostiquée pendant la guerre ou à la fin de celle-ci et peut avoir été continue. Cependant, il arrive que les effets du service militaire en temps de guerre ne soient ressentis ou diagnostiqués que des années après celle-ci. Les invalidités comportent divers degrés et peuvent évoluer au fil du temps. Toutes ces questions doivent être évaluées au moyen de demandes et, dans certains cas, l’invalidité peut ne pas être apparente ou prouvée pendant des années après la guerre ou peut varier en gravité sur une certaine période. Par ailleurs, le paiement à d’anciens prisonniers de guerre ou évadés a été décrit comme une « indemnité » et les critères sont uniquement fonction de certains faits historiques survenus pendant la guerre qui peuvent être prouvés. Le versement d’une indemnité mensuelle a peut-être été tenu pour un moyen d’assurer des avantages plus durables aux personnes ayant droit à l’indemnité. Si celle‑ci avait été payable en une somme forfaitaire, il aurait été effectivement étonnant que le droit à l’indemnité soit fonction de la date de demande de l’indemnité, quoique cette somme forfaitaire ne serait pas payable avant la présentation de la demande.

 

[56]           La décision Trotter ne s’applique pas en l’espèce.

 

[57]           L’avocat du ministre fait valoir qu’il était approprié de limiter le recouvrement à octobre 2004, étant donné que ce n’est qu’à partir de moment‑là que le MAC a pu procéder à sa propre évaluation de la santé d’Horace et de la disponibilité d’établissements de soins de longue durée, que ce soit au Château Westmount ou ailleurs.

 

[58]           La position du ministre ne tient pas compte de la position adoptée et des conclusions tirées par le MAC dans la décision de Hebert, sur lesquelles le ministre ne peut revenir. En ce qui concerne la santé mentale d’Horace, la décision de Hebert indiquait ce qui suit, à la page 5 :

[traduction] À la lecture du document fourni à l’onglet D des observations de l’appelant, signé par le Dr P. Lysy, qui a examiné M. Krasnick avant son admission au centre d’hébergement Château Westmount, il est clair que HYK a été admis à l’établissement en juin 2000 à cause d’une détérioration de son état mental et physique. À l’époque, l’évaluation indiquait que HYK était incapable de gérer ses affaires et qu’il avait besoin de soins de longue durée. La recommandation médicale était que HYK soit transféré au Château Westmount. RK, son fils et mandataire, a consenti à un tel transfert le 17 juin 2000.

 

 

[59]           Il est tout simplement inacceptable que le ministre adopte maintenant la position qu’il ne disposait d’aucune information qui lui aurait permis de déterminer l’état d’Horace avant octobre 2004. La décision de Hebert indique clairement que le MAC accepte que, depuis juin 2000, l’état d’Horace était tel que son placement dans un établissement de soins de longue durée était approprié.

 

[60]           Pour ce qui est du caractère approprié du Château Westmount en tant qu’établissement répondant à ce critère, de nouveau, la décision de Hebert renferme des conclusions. À la page 8, il est écrit ceci :

[traduction] En juin 2000, le Château Westmount était un établissement communautaire. Le seul établissement du ministère se trouve dans la province de Québec, à Sainte‑Anne‑de‑Bellevue. Il y a des « lits à contrat » réservés au Centre Hospitalier de l’université de lavel [sic] (CHUL) et à la Résidence Paul-Triquet.

 

 

[61]           Ensuite, la décision renvoie à l’article 21 du Règlement, qui porte sur les établissements du ministère et les lits réservés. Les parties conviennent que l’article 21 n’est pas pertinent. Donc, la discussion à cet égard n’était pas appropriée. À la page 9 de la décision, Hebert écrit ce qui suit :

[traduction] Étant donné que HYK avait résidé au Château Westmount les quatre années précédentes et en raison de son état de confusion, le bureau de district a procédé à l’évaluation, a vérifié les besoins de santé de HYK et a ainsi approuvé son admissibilité en ce qui concernait les soins prolongés et les services reçus au Château Westmount, un établissement privé, sans bousculer sa routine et  exiger sa réinstallation.

 

[62]           Ayant conclu qu’il était approprié de placer Horace au Château Westmount, considéré comme un établissement, le ministre ne peut pas maintenant faire valoir qu’on aurait dû lui fournir la possibilité de prendre cette décision plus tôt.

 

CONCLUSION

[63]           Le Règlement n’est pas bien rédigé et n’est pas facile à interpréter. Les parties ne semblaient pas disposées à faire des compromis raisonnables. La position des demandeurs était qu’ils voulaient tout obtenir, alors que celle du ministre était qu’il ne voulait rien accorder de plus. La présente décision constitue une tentative de solution équitable pour les deux parties, tout en assurant le respect du Règlement. Le ministre devrait réviser l’affaire en se fondant sur le principe que les demandeurs, soit la succession d’Horace et Ronald, devraient obtenir un remboursement des dépenses mensuelles engagées au cours des 18 mois précédant octobre 2004. Le montant de 4 064,44 $ par mois est considéré par toutes les parties comme approprié. Le versement d’intérêts est approprié. Le taux demandé, à savoir le taux préférentiel en vigueur majoré de 1 %, l’est également.

 

[64]           En ce qui concerne l’adjudication de dépens, le ministre a proposé qu’aucuns dépens ne soient adjugés et les demandeurs ont demandé une adjudication des dépens avocat‑client. Or, les dépens avocat‑client sont généralement adjugés uniquement lorsque la conduite de la partie perdante pendant l’instance était discutable. Ce n’était pas le cas en l’espèce. L’avocat des demandeurs a fait valoir qu’il s’agissait d’une « cause type ». Je ne partage pas son avis. Les faits en l’espèce sont uniques et le Règlement a, de toute façon, été modifié. L’avocat des demandeurs a soutenu qu’une adjudication des dépens devrait inclure les dépenses engagées dans le cadre des échanges avec le ministre qui ont mené à la décision du 5 mai 2006. La Cour n’a pas le pouvoir d’adjuger de tels dépens.

 

[65]           Il s’agit d’un cas habituel et non extraordinaire où les demandeurs ont obtenu une partie de ce qu’ils souhaitaient, mais insistaient pour avoir gain de cause à tous les égards. Des affidavits ont été déposés, et il y a eu quelques contre‑interrogatoires; chacune des parties était accompagnée de deux avocats à l’audience, qui a duré une journée et demie. Les dépens, qui doivent être taxés au milieu de la fourchette prévue à la colonne III, sont adjugés aux demandeurs conformément aux présents motifs.

 

 

 


JUGEMENT

Pour ces motifs  :

LA COUR STATUE QUE :

1.         La demande est accueillie, la décision du 5 mai 2006 est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

 

2.         La nouvelle décision doit être rendue promptement.

 

3.         Les dépens doivent être adjugés aux demandeurs conformément aux présents motifs et taxés au milieu de la fourchette prévue à la colonne III.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-916-06

 

INTITULÉ :                                       LA SUCCESSION D’HORACE YALE KRASNICK ET AL

                                                                                                                                    demandeurs

                                                            et

                                                   

                                                            LE MINISTRE DES ANCIENS COMBATTANTS CANADA

                                                                                                                                    défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               les 10 et 11 décembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge HUGHES

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 14 décembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. ANDREW J. ROMAN

Mme MAANIT T. ZEMEL

POUR LES DEMANDEURS

M. MICHAEL H. MORRIS

Mme NATALIE HENEIN

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. ANDREW J. ROMAN

Mme MAANIT T. ZEMEL

MILLER THOMPSON LLP

Avicats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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