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Date : 20071214

Dossier : T-271-07

Référence : 2007 CF 1308

ENTRE :

KHAJA VICARUDDIN

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le comité d’appel de la Commission de la fonction publique du Canada (le comité) a rejeté l’appel interjeté par le demandeur contre la nomination d’Alan Capstick au poste de directeur régional, Biens immobiliers, Gestion des locaux et du portefeuille dans le bureau régional d’Edmonton de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (le poste).

 

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[2]               Le poste a été annoncé à l’automne 2005, la date limite d’inscription étant le 16 décembre 2005. Le profil de sélection, un document interne, mentionnait que l’exigence linguistique était bilingue non impératif (CBC/CBC), mais l’annonce du poste indiquait anglais essentiel. Treize personnes ont présenté leur candidature, dont six ont passé une entrevue en février 2006. Sur les six personnes ayant passé l’entrevue, une seule, M. Capstick, a réussi la partie relative aux connaissances. Les résultats des entrevues ont été annoncés le 19 mai 2006 et une lettre d’offre conditionnelle a été envoyée à M. Capstick.

 

[3]               Le demandeur a interjeté appel devant le comité le 22 juin 2006 et a formulé plusieurs allégations concernant le processus de sélection. Deux de ces allégations intéressent la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur soutenait que le candidat retenu avait été nommé sans que soit évaluée sa capacité linguistique en français, contrairement au profil de sélection. De plus, le demandeur soutenait que M. Capstick avait bénéficié d’un avantage indu parce qu’il avait obtenu un certain nombre d’affectations temporaires avant d’être nommé au poste.

 

[4]               Dans sa réponse à l’allégation relative au profil linguistique, le défendeur a demandé à déposer une note au dossier qui avait été préparée après la fin du processus de sélection, le 3 mai 2006 et qui mentionnait qu’il y avait une erreur dans le profil de sélection au sujet du profil linguistique et que cette erreur avait été rectifiée. Le demandeur s’est opposé à l’admissibilité de ce document parce qu’il n’avait pas été divulgué avant l’audience et parce que personne ne pouvait être contre-interrogé à ce sujet. Le défendeur a également présenté le témoignage de Heather Peden, la directrice générale régionale de la région de l’Ouest, qui a déclaré que le poste, qui relevait d’elle, avait toujours été désigné anglais essentiel.

[5]               Le comité a tenu son audience le 26 octobre 2006 et a fait connaître sa décision le 2 janvier 2007. Le demandeur a déposé sa demande de contrôle judiciaire le 9 février 2007.

 

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[6]               Le comité a rejeté intégralement l’appel du demandeur. Pour ce qui est du profil linguistique du poste, le comité a formulé les commentaires suivants :

[…] la gestionnaire responsable du poste, Mme Peden, était présente et elle a été interrogée et contre-interrogée longuement au sujet du profil linguistique anglais essentiel du poste. C’est ce qui était indiqué aussi bien sur l’énoncé de qualités que sur l’avis de concours. Mme Peden a témoigné de façon crédible et catégorique que le poste était désigné anglais essentiel. Elle n’était pas responsable de la rédaction du document interne de la Commission de la fonction publique qui a depuis été corrigé. Le document semble officieux et ne comporte ni date ni signature. Quoi qu’il en soit, le document interne n’a pas été communiqué aux candidats et n’a pu avoir d’influence sur aucun d’eux. Je conclus par conséquent que l’évaluation des candidats n’a pas été entachée en ce qui concerne les exigences linguistiques. Le poste a été évalué avec le bon profil linguistique. L’erreur s’est produite dans les documents administratifs de la Commission de la fonction publique. Je prends note de l’objection de Mme Preto selon lequel [sic] personne n’était disponible au moment de l’audience pour être interrogé sur la note au dossier. Cependant, compte tenu de l’explication de Mme Chartrand relative à l’origine de la note au dossier, j’accepte qu’il s’agisse d’une pièce commerciale rédigée par une personne qui était tenue de la faire et qui l’a faite de façon opportune. Ce tribunal reçoit et accepte habituellement la preuve par ouï-dire et dans la mesure où elle est nécessaire, j’accepte ce document comme une exception supplémentaire à la règle du ouï-dire.

 

 

 

[7]               Sur la question de l’avantage indu, le comité a déclaré ce qui suit :

[…] M. Capstick a sans doute apporté à ce processus de sélection tout avantage attribuable « à la chance ou au hasard » qu’il a obtenu grâce à ses affectations temporaires antérieures. Rien dans la preuve qui m’a été présentée ne me convainc que les outils de sélection étaient conçus expressément en fonction de l’expérience de M. Capstick et l’appelant ne m’a pas convaincue que la connaissance et l’expérience acquises n’auraient pas pu être surmontées avec une préparation rigoureuse pour ce processus de sélection. Personne n’a suggéré qu’il n’y avait pas de matériel à étudier disponible pour se préparer ou qu’il était insuffisant. L’allégation d’avantage indu de l’appelant est fondée sur ce qui a été appelé un « accès important et exclusif » de M. Capstick et sa participation au « cercle intime de cadres de la région » en l’absence de documentation des processus de sélection officiels. J’estime que ce raisonnement n’est pas convaincant. Il n’a pas été démontré que la structure de l’évaluation n’était pas appropriée au poste ou qu’elle avait été conçue en fonction de M. Capstick et de l’expérience qu’il a acquise dans ses affectations antérieures. Les affaires Doré [c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503, page 511], Pearce [88-21-CFP-2; confirmée dans demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale Procureur général du Canada c. Pearce, [1989] 3 C.F. 272], et Stelmaschuk [1989 DCAB[10-1], pages 65 à 68] reconnaissent toutes que les affectations temporaires sont un moyen de dotation viable dans la fonction publique. La simple acceptation d’une affectation temporaire et l’exercice des fonctions du poste ne peuvent pas priver une personne du droit de postuler ultérieurement pour ce poste ou un poste semblable. Je suis d’avis qu’il faut beaucoup plus que le fait d’obtenir ces affectations pour justifier l’allégation d’avantage indu.

 

 

 

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[8]                L’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33, autorise les appels relatifs aux nominations et est rédigé comme suit :

 

  21. (1) Dans le cas d’une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l’appelant et l’administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

  21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

 

 

[9]               Ces appels sont régis par le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (2000), DORS/2000-80, dont voici les dispositions qui intéressent le présent appel :

 

  25. (3) Sous réserve des paragraphes (8) et (9), la divulgation complète doit être réalisée dans les quarante-cinq jours suivant la date de l’accusé de réception du document écrit visé au paragraphe 21(1).

 

 

[…]

 

  26. (1) L’appelant a accès sur demande à l’information, notamment tout document le concernant ou concernant le candidat reçu et qui est susceptible d’être communiqué au comité d’appel.

  25. (3) Subject to subsection (8) and (9), full disclosure shall be completed within 45 days after the date of the letter, referred to in paragraph 23(b), that acknowledges the receipt of the written document bringing the appeal.

 

[…]

 

  26. (1) An appellant shall be provided access, on request, to any information, or any document that contains information, that pertains to the appellant or to the successful candidate and that may be presented before the appeal board.

 

 

 

 

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[10]            La présente affaire soulève les questions suivantes :

(1)               Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du comité?

 

(2)               Le comité a-t-il respecté son obligation d’agir équitablement lorsqu’il a accepté que soit déposée en preuve la note au dossier?

 

(3)               Le conseil a-t-il commis une erreur susceptible de révision lorsqu’il a conclu que M. Capstick n’avait pas bénéficié d’un avantage indu dans le processus de sélection?

 

 

 

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La norme de contrôle appropriée

 

[11]           Les parties admettent que, conformément à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Davies c. Canada (Procureur général) et al. (2005), 330 N.R. 283, les normes de contrôle applicables au comité, une fois effectuée l’analyse pragmatique et fonctionnelle de la décision du comité, sont les suivantes : (1) la décision correcte pour les questions de droit; (2) la décision raisonnable sur les questions concernant le processus de sélection et les autres questions mixtes de fait et de droit; (3) la décision manifestement déraisonnable pour les questions de fait.

 

[12]           En l’espèce, les parties admettent par conséquent que sur la question de la prétendue violation de l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte et que sur la question de « l’avantage indu », celle de la décision manifestement déraisonnable, étant donné que cette décision repose sur une conclusion de fait tirée par le comité.

 

La violation de l’équité procédurale

[13]           Le demandeur soutient que la note au dossier qui visait à corriger le document administratif interne qui concernait les exigences linguistiques du poste n’était pas admissible et n’aurait donc pas dû être déposée en preuve. Il allègue également qu’une fois la note admise en preuve, le comité n’a pas respecté l’équité procédurale parce qu’il a refusé de l’autoriser à contre-interroger l’auteur de la note.

 

[14]           Pour ce qui est de l’admissibilité de la note au dossier, la décision d’autoriser le dépôt en preuve de la note est une décision discrétionnaire à l’égard de laquelle il y a lieu de faire preuve de retenue (voir, par exemple, Chou c. Canada (Procureur général), 2006 CF 184, [2006] A.C.F. n229 (1re inst.) (QL)). Il ressort des motifs du comité que celui‑ci n’a accordé qu’une importance minime à la note, voire aucune importance. Plus précisément, le comité a retenu le témoignage de Heather Peden, la gestionnaire responsable du poste, selon lequel la note au dossier était un document administratif de la Commission de la fonction publique et qu’elle n’avait aucunement participé à sa rédaction. Mme Peden a déclaré que la note n’avait pas été communiquée aux candidats de sorte qu’aucun d’eux n’a pu être influencé par le document. Le comité a fait observer que Mme Peden avait été interrogée et contre-interrogée de façon approfondie sur la question du profil linguistique anglais essentiel du poste. Étant donné que Mme Peden était la représentante du ministère qui avait la responsabilité exclusive d’établir les qualités exigées pour le poste, c’était bien à elle de témoigner au sujet des exigences linguistiques du poste. Le comité a estimé que Mme Peden avait témoigné de façon crédible et sincère au sujet du fait que le poste avait toujours été désigné anglais essentiel. Cette exigence a été communiquée aux candidats dans l’énoncé de qualités comme dans l’avis de concours. Enfin, le fait que le document administratif interne concernant les exigences linguistiques du poste ait été corrigé par la suite par la Commission de la fonction publique n’est aucunement pertinent quant au concours. Dans ce contexte, je ne vois pas qu’il y ait eu une violation de l’équité qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

L’« avantage indu »

[15]           Le demandeur soutient que le fait que M. Capstick ait obtenu un certain nombre d’affectations temporaires, y compris dans des postes de direction au sein du groupe pour lequel était affiché le poste, lui a attribué un avantage indu pour le processus de sélection. Le défendeur soutient que le comité n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a décidé que M. Capstick n’avait pas bénéficié d’un avantage indu.

 

[16]           En fait, le but du processus de sélection consiste à faire en sorte que les nominations s’effectuent sur la base du principe du mérite, qui exige non seulement que le candidat retenu possède les qualités requises pour le poste, mais qu’il soit également le candidat le plus qualifié (McAuliffe c. Canada (Procureur général) (1997), 128 F.T.R. 39). Ce principe peut être violé lorsque le candidat retenu bénéficie d’un avantage indu dans le processus de sélection. Par exemple, le fait de nommer un candidat qui a déjà occupé le poste pendant un certain temps constitue un « grave danger pour le respect du principe du mérite » (Berger c. Canada (Procureur général) (2004), 249 F.T.R. 93, paragraphe 39). Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Pearce, précité, le juge Mahoney, parlant au nom de la Cour d’appel fédérale, a écrit à la page 280 que le principe du mérite n’était pas seulement violé dans le cas où une affectation était d’une durée telle qu’elle la transformait en nomination. Il a ajouté : « Il me semble que d’autres circonstances, jointes à une affectation, peuvent également violer le principe de la sélection au mérite ». De la même façon, « [l]a connaissance de première main des attributions du poste pourrait assurer aux candidats déjà en place un avantage indu, et de ce fait, le processus risque de ne pas se traduire par une sélection au mérite » (décision McAuliffe, précitée, page 44).

 

[17]           Dans la présente affaire, le demandeur conteste le volet entrevue du processus de sélection, faisant valoir que la façon dont les questions de connaissances ont été formulées donnait à M. Capstick [traduction] « un avantage marqué découlant de son expérience ». Le comité a estimé que ce n’était pas le cas, puisqu’il n’avait pas été démontré qu’une préparation diligente n’aurait pu permettre d’obtenir les connaissances et l’expérience qu’avait acquises M. Capstick, ni que « la structure de l’évaluation n’était pas appropriée au poste ou qu’elle avait été conçue en fonction de M. Capstick et de l’expérience qu’il a acquise dans ses affectations antérieures ». D’après la preuve, j’estime non seulement que le demandeur n’a pas démontré que la décision du comité sur ce point était manifestement déraisonnable, mais encore que la conclusion du comité était parfaitement raisonnable.

 

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[18]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 14 décembre 2007

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-271-07

 

INTITULÉ :                                       KHAJA VICARUDDIN

                                                            c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 14 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Rootham                            POUR LE DEMANDEUR

 

Lynn Marchildon                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.                 POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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