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Date : 20071204

Dossier : T-703-07

Référence : 2007 CF 1290

ENTRE :

DAN DURRER

demandeur

 

et

 

LA BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Dan Durrer, était un employé de la défenderesse, la Banque Canadienne Impériale de Commerce. Le 19 octobre 1999, après 28 ans à la Banque, il a été informé que son poste n’existerait plus et qu’il était mis fin à son emploi. Durant deux ans et demi par la suite, il est demeuré à l’emploi de la Banque, occupant trois postes temporaires successifs, jusqu’à ce que cesse définitivement son emploi à la Banque le 12 avril 2002. Le demandeur était alors âgé de 51 ans.

 

[2]               Le 23 juillet 2002, le demandeur a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il disait que la Banque avait exercé contre lui une discrimination fondée sur l’âge. Il se fondait sur l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la LCDP). La Commission a examiné la plainte et a recommandé qu’elle soit rejetée. Néanmoins, le Tribunal canadien des droits de la personne a instruit la plainte. Une audience s’est déroulée durant plusieurs jours devant le Tribunal au cours de novembre 2006. La Commission n’a pas participé à cette audience. Le 30 mars 2007, le Tribunal a rendu sa décision, appuyée sur des motifs écrits, par laquelle il rejetait la plainte du demandeur. Celui-ci sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée, avec dépens en faveur de la Banque, selon la somme de 10 000 $.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[4]               La norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal canadien des droits de la personne a été exposée dans des jugements de la Cour, International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400 c. Oster, 2001 CFPI 1115, paragraphe 22, et Goodwin c. Birkett, 2007 CF 428, paragraphe 15. Pour les questions de droit, la norme est celle de la décision correcte, pour les questions mixtes de droit et de fait, c’est la norme de la décision raisonnable simpliciter, et pour les questions de fait, c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable. Les avocats des parties admettent que ce sont bien les normes à appliquer.

 

LES FAITS

[5]               Les faits principaux ne sont pas contestés. Le 19 octobre 1999, le demandeur a reçu une lettre qui l’informait de la cessation de son emploi auprès de la Banque. À l’époque, il était âgé de 48 ans et il avait travaillé à la Banque durant 28 ans, c’est-à-dire durant toute sa vie adulte. Il était entré au service de la Banque après avoir terminé ses études secondaires et avait gravi les échelons pour finalement occuper, en octobre 1999, un poste de niveau supérieur au siège social, poste qui, d’après le système de classement de la Banque, avait la cote 10, classement le plus élevé de sa catégorie.

 

[6]               À l’époque du licenciement du demandeur, la Banque appliquait une politique appelée politique sur le maintien de l’emploi, selon laquelle les employés licenciés bénéficieraient d’une priorité lorsqu’il s’agirait de pourvoir des postes à la Banque à mesure qu’ils seraient créés. En avril 2001, cette politique fut remplacée par une politique appelée Programme de soutien à la transition (PST), qui prévoyait notamment que, à égalité de compétences, de connaissances et d’aptitudes, les employés dont le poste a été éliminé se verraient attribuer de meilleures chances de recrutement.

 

[7]               Lorsque le demandeur fut licencié en octobre 1999, il s’est d’abord prévalu de la politique sur le maintien de l’emploi, puis du PST, et il a alors été nommé à trois postes temporaires consécutifs auprès de la Banque, jusqu’au 17 avril 2002. Du 1er mai 2002 au 21 février 2003, le demandeur a travaillé pour la Banque sur la base d’un contrat qui prévoyait un salaire, mais pas d’avantages sociaux, et notamment pas d’avantages au chapitre de la retraite.

 

[8]               À la fin du dernier des trois postes temporaires du demandeur, il était âgé de 51 ans et avait travaillé pour la Banque durant plus de 30 ans. Il avait accumulé certains droits à pension. S’il avait atteint l’âge de 55 ans et avait encore été un employé de la Banque dans un poste conférant des droits à pension, il aurait reçu une meilleure pension. D’ailleurs, la Banque appliquait une politique en vertu de laquelle, si un employé tel que le demandeur atteignait l’âge de 53 ans dans de telles circonstances, il bénéficierait d’une « passerelle », c’est-à-dire qu’il serait traité comme s’il était âgé de 55 ans, et il bénéficierait de la plupart des avantages conférés à une personne de cet âge. Le demandeur calcule que, par son licenciement à l’âge de 51 ans, et à supposer qu’il eût travaillé pour la Banque jusqu’à l’âge de 53 ans, il aura perdu en prestations, au cours de sa durée de vie escomptée, plus d’un million de dollars. Je ne tire aucune conclusion sur un quelconque chiffre, me contentant de faire observer que des preuves en ce sens ont été produites devant le Tribunal.

 

[9]               Le demandeur a déposé sa plainte à la Commission des droits de la personne après son licenciement définitif et durant la période où il travaillait sur une base contractuelle. Depuis la fin du contrat, le demandeur travaille comme salarié occasionnel dans un emploi peu rémunéré.

 

LES POINTS SOUMIS AU TRIBUNAL

[10]           Les points litigieux que le demandeur, en tant que plaignant, avait soumis au Tribunal ont été examinés par le Tribunal aux paragraphes 3 à 7 de ses motifs. Il semble que les points litigieux, tels qu’ils étaient présentés dans le formulaire de plainte, n’étaient pas tout à fait clairs. Ils ont été précisés quelque peu dans un exposé de détails. À l’audience, ils ont été affinés davantage lorsque l’avocat du demandeur a souligné qu’aucun argument ne serait avancé au regard de l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais uniquement au regard de l’article 7. On peut lire ce qui suit, à la fin du paragraphe 5 et à la fin du paragraphe 6 des motifs du Tribunal :

[…] je conclus que, à la fin de l’audience, la CIBC s’attendait raisonnablement à ce que je n’examine la preuve et les arguments que sous l’angle d’une violation de l’article 7. L’examen par moi, à cette étape-ci, d’une question de violation de l’article 10 constituerait un déni d’équité et de justice naturelle. Par conséquent, j’examinerai la preuve et les arguments dans la mesure où ils ont trait à une violation des alinéas 7a) et 7b) de la LCDP.

 

 

Dans ses conclusions finales, l’avocat du plaignant a déclaré brièvement que, en l’espèce, la violation de l’article 7 comportait deux volets : premièrement, l’âge de M. Durrer fut pris en compte par M. Young lorsque celui-ci a décidé de mettre fin à l’emploi de M. Durrer; deuxièmement, en mars et avril 2002, les Ressources humaines ont fait échec à la tentative d’obtention par M. Durrer d’un quatrième emploi temporaire et l’emploi de ce dernier a donc pris fin.

 

[11]           En conséquence, le Tribunal a exposé comme suit les points litigieux, au paragraphe 7 de ses motifs :

III.       Les questions en litige

 

[7]        Je traiterai des questions suivantes :

 

(1)        La CIBC a-t-elle éliminé le poste de M. Durrer en octobre 1999 en raison de l’âge de ce dernier;

 

(2)        La CIBC a-t-elle décidé de ne pas réaffecter M. Durrer à un autre poste au sein du même service (Conformité) en raison de son âge;

 

(3)        La CIBC a-t-elle fait obstacle aux tentatives de réaffectation de M. Durrer au sein de la CIBC en raison de son âge.

 

 

[12]           S’agissant du premier point, le Tribunal a estimé, aux paragraphes 62 à 64 de ses motifs, que, si la Banque avait éliminé le poste du demandeur en octobre 1999, ce n’était pas en raison de son âge. L’avocat du demandeur n’a pas contesté cette conclusion devant la Cour.

 

[13]           S’agissant du deuxième point, le Tribunal a conclu, aux paragraphes 65 à 67 de ses motifs, que la décision de la Banque de ne pas offrir au demandeur un poste au sein du Service de la conformité n’avait pas été prise, en totalité ou en partie, à cause de l’âge du demandeur. Au paragraphe 67, le Tribunal écrivait ce qui suit :

[67]      Conclure autrement et juger que la CIBC aurait dû garder M. Durrer à son emploi au sein du nouveau service de la Conformité parce que celui-ci était âgé de 48 ans, et ce, malgré qu’il ne possédât pas les qualifications recherchées, aurait des conséquences inquiétantes. Cela signifierait que l’« âge » d’un employé (peu importe la fourchette d’âge) est plus important que son expérience, son instruction, sa « valeur ajoutée », etc. Essentiellement, c’est l’« âge » de l’employé qui est le facteur décisif ou le facteur « crucial » et non pas ses qualifications.

 

 

[14]           Le troisième point a été qualifié par le Tribunal de « point crucial » de la cause du demandeur. Au paragraphe 68 de ses motifs, le Tribunal s’exprimait ainsi :

[68]      Il s’agit du point crucial de la cause de M. Durrer : en ne lui accordant pas une quatrième affectation temporaire et en fixant de façon définitive sa date de cessation d’emploi, la CIBC a empêché M. Durrer d’atteindre l’âge de 53 ans, d’où il pouvait faire le pont vers la retraite anticipée. Cela l’a empêché d’atteindre son objectif, c’est-à-dire obtenir une pension immédiate, non réduite. Tout au long du témoignage de M. Durrer ainsi que dans les lettres qu’il a envoyées avant son renvoi à la Commission, cette question a constitué le point central de la préoccupation de M. Durrer quant à la manière selon laquelle la CIBC l’avait traité. Dans son témoignage, M. Durrer a affirmé ce qui suit : [traduction] « Pourquoi ne pouvaient-ils pas faire une exception pour moi? Il y avait beaucoup de travail ». Il a également tenu des propos semblables dans d’autres parties de son témoignage. Il a même affirmé dans son témoignage que la Banque avait fait faire le pont à d’autres personnes qui ne répondaient pas aux critères de la PME, du PSR et du PST quant à la retraite anticipée (c’est-à-dire que le poste de l’employé était aboli et celui-ci n’avait pas 55 ans, ni entre 53 et 55 ans et ne bénéficiait pas d’une indemnité de départ suffisante pour qu’on lui fasse faire le pont jusqu’à l’âge de 55 ans). À l’audience, la CIBC a nié avoir fait cela. M. Durrer n’a présenté aucune preuve probante selon laquelle la CIBC aurait fait faire le pont à d’autres personnes qui ne rencontraient pas les critères d’admissibilité.

 

 

[15]           Le Tribunal est arrivé à la conclusion qu’aucune des décisions de la Banque n’avait pour motivation l’âge du demandeur. Au paragraphe 72 de ses motifs, le Tribunal écrivait :

[72]      M. Durrer a utilisé le mot « conspiration » dans son témoignage ainsi que dans une lettre qu’il a envoyée à la Commission afin de décrire les actes de la CIBC visant à l’empêcher de trouver un autre emploi dans le but de lui permettre d’atteindre l’âge d’où il pouvait faire le pont vers la retraite anticipée. Son avocat a fait preuve de plus de retenue. Il a affirmé que les actes de la CIBC n’avaient pas constitué une conspiration et qu’ils n’avaient pas été posés [traduction] « délibérément ou intentionnellement, mais [avaient reflété] une indifférence délibérée, une négligence absolue et [étaient] honteux ». Selon moi, les actes de la CIBC ne peuvent être qualifiés de la sorte et n’avaient rien à voir avec l’âge de M. Durrer.

 

 

[16]           Le Tribunal a rejeté la plainte du demandeur, en concluant ainsi, au paragraphe 78 de ses motifs :

VII.     CONCLUSION

 

[78]      Il ne fait aucun doute que ce fut une période triste et pénible pour M. Dan Durrer. Il a passé toute sa vie professionnelle à la CIBC. Au dire de tous, il était un employé qui travaillait très fort et qui avait du succès. Toutefois, pour les motifs qui précèdent, son âge n’a rien eu à voir avec la cessation de son emploi à la CIBC. Par conséquent, la plainte est rejetée.

 

 

LES POINTS SOUMIS À LA COUR

 

[17]           L’avocat du demandeur a exposé les points litigieux simplement, aux paragraphes 71, 72 et 73 de son mémoire :

[traduction]

71.       Le TCDP a-t-il commis une erreur de droit en disant que, si M. Durrer a perdu son emploi à la CIBC, ce n’est nullement en raison de son âge?

 

72.       Le TCDP a-t-il commis une erreur de droit en disant que, si M. Durrer n’a pu obtenir le maintien de son emploi à la CIBC, ce ne fut pas à cause de son âge?

 

73.       Le TCDP a-t-il commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération l’ensemble des preuves produites par M. Durrer, qui confirmaient raisonnablement sa plainte, négligeant ainsi d’observer un principe fondamental de justice naturelle?

 

[18]           Le point, tel qu’il fut plaidé devant la Cour, était cependant un peu différent. Il trouve sa source dans le paragraphe 83 du mémoire de l’avocat du demandeur.


[traduction]

83.       La raison principale pour laquelle la décision du TCDP ne fait pas mention du récit de M. Durrer est que le TCDP n’a pas tenu compte du genre de discrimination appelée discrimination indirecte, ou discrimination par suite d’un effet préjudiciable. En cela, il a commis une erreur de droit. Il n’a pris en compte que la discrimination directe et a trouvé qu’elle n’était pas établie.

 

 

[19]           Les motivations et convictions du demandeur quant à la conduite de la Banque sont résumées dans une déclaration reprise au paragraphe 29 du mémoire de son avocat :

[traduction]

29.       M. Durrer a réfléchi attentivement aux raisons pour lesquelles on l’a laissé partir ainsi. Il s’est dit :

 

Il y avait du travail, cela ne fait aucun doute. J’étais disponible, cela ne fait aucun doute. Mon rendement était excellent, cela ne fait aucun doute. Alors je me demande pourquoi la CIBC ne m’a pas gardé, et il m’est impossible de croire que ce puisse être pour une autre raison que la réduction des coûts. Je coûte cher. Et, si je coûte cher, c’est parce que je suis d’un certain âge et que j’ai de l’ancienneté, et je ne puis imaginer que la CIBC m’aurait laissé partir pour une quelconque raison, si ce n’est mon âge et ce qui l’accompagne, en l’occurrence le salaire, les avantages sociaux et le régime de retraite.

 

 

[20]           La preuve relative à l’attitude de la Banque, sur laquelle s’est fondé l’avocat du demandeur, est à l’image de celle qui est reprise au paragraphe 22 de son mémoire :

[traduction]

22.        Eric Young et Cindy Size (née Nicholls) ont dit durant leurs témoignages qu’ils ont tenu compte de l’âge de M. Durrer, mais aussi qu’ils n’en ont pas tenu compte. Mme  Nicholls a été priée de dire si elle avait tenu compte de son âge, et sa réponse a été la suivante :

 

M. Morin:         Avez-vous jamais pensé aux conséquences que cela allait avoir sur la pension, les avantages sociaux et la famille de M. Durrer après trente ans de service?

 

Mme  Size:         Oui.

 

M. Morin:         Vous y avez pensé.

 

Mme  Size:         Oui, j’y ai pensé.

 

M. Morin:         Et avez-vous pensé à son âge et à sa capacité de trouver un emploi ailleurs s’il perdait cette occasion de trouver un emploi à la Banque?

 

Mme  Size:         Je n’ai pas explicitement pensé à l’âge de Dan. J’ai pensé que Dan avait travaillé à la Banque durant une longue période, qu’il était un employé à long terme.

 

 

[21]           L’argument du demandeur, exposé par son avocat lors de l’audience tenue devant la Cour, est que le Tribunal ne s’est pas interrogé sur l’application de l’alinéa 7b) de la LCDP. Selon son avocat, l’alinéa 7b) dispose que, avant de licencier un employé, il faut prendre en considération son âge ainsi que d’autres facteurs, tels les avantages accumulés et la perte d’une possibilité d’en obtenir d’autres. Ne pas tenir compte de ces aspects, fait-on valoir, constitue une « discrimination par suite d’un effet préjudiciable », au sens de l’alinéa 7b) de la LCDP. Selon l’avocat du demandeur, la preuve montre que la Banque n’a tenu « aucunement compte » de l’âge du demandeur, ni même au regard d’autres circonstances telles que le droit à pension. L’avocat du demandeur ajoute que le Tribunal a laissé de côté cet argument dans ses motifs.

 

[22]           En conséquence, fait valoir l’avocat du demandeur, l’affaire devrait être renvoyée à la même formation du Tribunal, pour examen, d’après le dossier qui existe déjà, de l’argument fondé sur l’alinéa 7b), tel que cet argument a été exposé devant la Cour par l’avocat du demandeur.

 

[23]           L’avocat de la Banque fait valoir que le point soulevé par l’avocat du demandeur est nouveau et diffère de ceux qui ont été soulevés devant le Tribunal, et même de ceux qui sont clairement exposés dans le mémoire de l’avocat du demandeur déposé auprès de la Cour. En tout état de cause, l’avocat de la Banque fait valoir que c’est un point qui n’a aucun fondement.

 

ANALYSE

[24]           Je reconnais avec l’avocat de la Banque que le point soulevé par l’avocat du demandeur dans les arguments qu’il a exposés devant moi ne semble pas avoir été soumis à l’examen du Tribunal. Il n’est pas non plus clairement évoqué dans le mémoire du demandeur déposé auprès de la Cour, si ce n’est par déduction ou par association d’éléments disparates de l’argumentation présentée dans le mémoire. Pour ce seul motif, je suis d’avis de rejeter la demande. Une partie n’est pas à même d’avancer de nouveaux arguments sur un aspect qui n’a pas été soumis au Tribunal, sauf peut-être dans des circonstances exceptionnelles. Il n’y a pas de circonstances semblables ici.

 

[25]           En tout état de cause, je suis d’avis que le point soulevé aujourd’hui est dépourvu de fondement.

 

[26]           Les alinéas 7a) et b) et l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont ainsi rédigés :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

 

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

 

 

[27]           Comme on peut le voir, l’alinéa 7a) traite du cas où une personne se voit refuser un emploi ou perd son emploi. L’alinéa 7b) traite d’une discrimination préjudiciable « en cours d’emploi ». L’article 10 traite des lignes de conduite discriminatoire établies ou consenties par un employeur.

 

[28]           L’avocat du demandeur a dit, au cours de l’audience tenue devant le Tribunal, et à nouveau devant la Cour, qu’il n’invoquait pas l’article 10.

 

[29]           L’avocat du demandeur n’invoque pas l’alinéa 7a) et souscrit à la conclusion du Tribunal selon laquelle l’âge (un motif de distinction illicite) n’était pas à l’origine du refus de la Banque de continuer d’employer le demandeur.

 

[30]           L’alinéa 7b) traite de la discrimination préjudiciable en cours d’emploi et non de celle qui résulte de la décision de licenciement (qui relève de l’alinéa 7a)) ou de la période qui suit telle décision.

 

[31]           L’avocat du demandeur fait valoir que, avant de décider de licencier un employé, donc « en cours d’emploi », l’employeur doit, pour chaque employé sur le point d’être licencié, soupeser plusieurs facteurs, y compris ceux qui sont « illicites », par exemple l’âge, afin de prévenir des conséquences « préjudiciables » pour un employé donné et, si de telles conséquences se manifestent, alors des mesures doivent être prises pour les neutraliser. Ainsi, fait-on valoir, le demandeur, âgé de 51 ans, dont 28 d’ancienneté, approchant de l’âge de 53 ans où il pourrait bénéficier de prestations revalorisées, pourrait être traité différemment d’un employé âgé de 25 ans qui travaille depuis deux ans.

 

[32]           L’argument de l’avocat du demandeur s’appuie principalement sur une lecture de la décision rendue par la juge McLachlin (alors juge puînée) au nom de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt « Meiorin » : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employers’ Union, [1999] 3 R.C.S. 3, dans lequel, soutient l’avocat du demandeur, la Cour suprême a jugé que l’analyse conventionnelle de lois telles que celle dont il s’agit ici doit être abandonnée et que les employeurs ont l’obligation, avant de licencier des employés, de voir à leurs besoins individuels au regard des facteurs illicites.

 

[33]           Je n’estime pas que la Cour suprême du Canada soit arrivée à une telle conclusion dans l’arrêt Meiorin.

 

[34]           La question posée dans cet arrêt était de savoir si une politique à laquelle avait souscrite un employeur, une politique apparemment neutre dans ses dispositions, pouvait néanmoins constituer une discrimination indirecte lorsqu’elle était appliquée à une personne ou à une catégorie de personnes. Si une preuve prima facie de discrimination, ou de discrimination indirecte, est établie, alors la Cour examine ce qu’un employeur doit prouver pour justifier la politique.

 

[35]           Aux paragraphes 39 et 40, la juge McLachlin commençait ainsi son analyse :

39     On a également prétendu que la distinction que l’analyse conventionnelle établit entre la discrimination directe et la discrimination par suite d’un effet préjudiciable peut, en pratique, contribuer à légitimer la discrimination systémique ou « la discrimination qui résulte simplement de l’application des méthodes établies de recrutement, d’embauche et de promotion, dont ni l’une ni l’autre n’a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination » : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114 (ci-après « Action Travail »), à la p. 1139, le juge en chef Dickson. Voir, de manière générale, I. B. McKenna, « Legal Rights for Persons with Disabilities in Canada : Can the Impasse Be Resolved? » (1997-98), 29 R.D. Ottawa 153, et P. Phillips et E. Phillips, Women and Work: Inequality in the Canadian Labour Market (éd. rév. 1993), aux pp. 45 à 95.

 

40     Selon l’analyse conventionnelle, si une norme est qualifiée de « neutre » à l’étape préliminaire de l’examen, sa légitimité n’est jamais mise en doute. Il s’agit alors de savoir si on peut composer avec le demandeur, et la norme formelle elle-même demeure toujours intacte. L’analyse conventionnelle porte donc non plus sur les principes qui sous-tendent la norme, mais sur la façon dont des personnes « différentes » peuvent cadrer dans le « courant dominant » que représente la norme.

 

[36]           Elle a critiqué au paragraphe 41 ce qu’elle qualifiait d’« analyse conventionnelle », qui pour elle empêchait les cours de justice de faire une évaluation adéquate :

41     Même si l’analyse conventionnelle peut permettre concrètement de composer les demandeurs et d’atténuer l’effet discriminatoire particulier qu’ils subissent, on ne saurait passer sous silence la portée plus générale de l’analyse. Elle empêche les cours de justice et les tribunaux administratifs d’évaluer la légitimité de la norme elle-même. Au sujet de la distinction que l’analyse conventionnelle établit entre la norme neutre acceptée et l’obligation de composer avec ceux que cette norme lèse, Day et Brodsky, loc. cit., écrivent, à la p. 462 :

 

[traduction] La difficulté que pose ce paradigme est qu’il ne met en question ni l’inégalité du rapport de force ni les discours de domination, comme le racisme, la prétention de la supériorité des personnes non handicapées, le sexisme, qui font qu’une société est bien conçue pour certains mais pas pour d’autres. Il permet à ceux qui se considèrent « normaux » de continuer à établir des institutions et des rapports à leur image, pourvu qu’ils « composent » avec ceux qui en contestent l’établissement.

 

Sous cet angle, l’accommodement paraît ancré dans le modèle de l’égalité formelle. En tant que formule, le traitement différent réservé à des personnes « différentes » ne constitue que l’inverse du traitement semblable réservé aux personnes semblables. L’accommodement ne touche pas le cœur de la question de l’égalité, le but de la transformation ni l’examen de la façon dont les institutions et les rapports doivent être modifiés pour les rendre disponibles, accessibles, significatifs et gratifiants pour la multitude de groupes qui composent notre société. L’accommodement semble signifier que nous ne modifions ni les procédures ni les services; nous nous contentons de « composer » avec ceux qui ne cadrent pas tout à fait. Nous faisons certaines concessions à ceux qui sont « différents », plutôt que d’abandonner l’idée de la « normalité » et d’œuvrer à la véritable inclusion.

 

De cette manière, l’accommodement semble permettre à l’égalité formelle d’être le paradigme dominant, pourvu que certaines adaptations puissent parfois être faites pour remédier à des effets inégaux. Sous cet angle, l’accommodement ne met pas en doute les croyances profondes relatives à la supériorité intrinsèque de caractéristiques comme la mobilité et la vue. Bref, l’accommodement favorise l’assimilation. Son objectif est de tenter de faire cadrer les personnes « différentes » dans les systèmes existants.

 

Je suis d’accord avec l’essentiel de ces observations. Interpréter les lois sur les droits de la personne principalement en fonction de l’égalité formelle mine la promesse d’égalité réelle qu’elles comportent et empêche l’examen des effets de la discrimination systémique, comme notre Cour l’a reconnu dans Action Travail, précité.

 

[37]           Elle a donc proposé, aux paragraphes 54 et 55, un critère en trois volets permettant de dire si une norme était justifiée une fois qu’a été établi son caractère à première vue discriminatoire :

54     Après avoir examiné les diverses possibilités qui s’offrent, je propose d’adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ. L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

(1)  qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

(2)  qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

(3)  que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

55     Cette méthode est fondée sur la nécessité d’établir des normes qui composent avec l’apport potentiel de tous les employés dans la mesure où cela peut être fait sans que l’employeur subisse une contrainte excessive. Il est évident que des normes peuvent léser les membres d’un groupe particulier. Mais, comme le juge Wilson l’a fait remarquer dans Central Alberta Dairy Pool, précité, à la p. 518, « [s]’il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d’imposer une règle donnée aux membres d’un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme [une EPJ] ». Il s’ensuit que la règle ou la norme jugée raisonnablement nécessaire doit composer avec les différences individuelles dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive. À moins qu’aucun accommodement ne soit possible sans imposer une contrainte excessive, la norme telle qu’elle existe n’est pas une EPJ, et la preuve prima facie de l’existence de discrimination n’est pas réfutée.

 

[38]           La juge McLachlin concluait ainsi, au paragraphe 68 :

68     Les employeurs qui conçoivent des normes pour le milieu de travail doivent être conscients des différences entre les personnes et des différences qui caractérisent des groupes de personnes. Ils doivent intégrer des notions d’égalité dans les normes du milieu de travail. En adoptant des lois sur les droits de la personne et en prévoyant leur application au milieu de travail, les législatures ont décidé que les normes régissant l’exécution du travail devraient tenir compte de tous les membres de la société, dans la mesure où il est raisonnablement possible de le faire. Les cours de justice et les tribunaux administratifs doivent avoir cela à l’esprit lorsqu’ils sont saisis d’une demande dans laquelle l’existence de discrimination liée à l’emploi est alléguée. La norme qui fait inutilement abstraction des différences entre les personnes va à l’encontre des interdictions contenues dans les diverses lois sur les droits de la personne et doit être remplacée. La norme elle-même doit permettre de tenir compte de la situation de chacun, lorsqu’il est raisonnablement possible de le faire. Il se peut que la norme qui permet un tel accommodement ne soit que légèrement différente de la norme existante, mais il reste qu’elle constitue une norme différente.

 

[39]           Les paragraphes reproduits ci-dessus des motifs de l’arrêt Meiorin, ni d’ailleurs les autres, ne donnent pas à entendre que l’employeur est astreint, de par des dispositions telles que l’alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à l’obligation, préalablement au licenciement d’un employé ou d’une catégorie d’employés, d’évaluer la situation de chacun et de se demander si les conséquences du licenciement sur l’un d’eux seront différentes de ses conséquences sur d’autres. L’arrêt Meiorin traite de normes ou de lignes de conduite adoptées par un employeur en cours d’emploi : un aspect traité par l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et un aspect qui, l’avocat du demandeur l’a dit clairement, n’a pas été évoqué devant la Cour ni devant le Tribunal.

 

[40]           Les autres précédents invoqués par l’avocat du demandeur dans son mémoire, mais mentionnés d’une manière incidente seulement au cours de sa plaidoirie, à savoir les arrêts Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O’Malley c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536), Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624 et Re Canadian Odeon Theatres Ltd. c. Saskatchewan Human Rights Commission and Huck (1985), 18 D.L.R. (4th) 93 (C.A. Sask.), ne permettent pas de trancher la question soumise aujourd’hui à la Cour par l’avocat du demandeur.

 

[41]           D’après moi donc, non seulement le point soulevé aujourd’hui ne l’a-t-il pas été devant le Tribunal (et la demande est irrecevable pour ce seul motif), mais encore il n’a aucun bien-fondé. La demande sera rejetée.

 

[42]           Quant aux dépens, chacun des avocats a proposé une somme forfaitaire. L’avocat du demandeur a proposé la somme de 10 000 $ au motif que c’était la somme fixée dans une procédure judiciaire antérieure introduite par la Banque devant la Cour. L’avocat de la Banque a proposé la somme de 20 000 $, en invoquant la complexité accrue de la présente instance. Je suis d’avis que la somme de 10 000 $ est juste et c’est la somme que j’accorderai à la Banque à titre de dépens.

 

JUGEMENT

Pour les motifs susmentionnés :

LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande est rejetée;

            2.         Des dépens fixés à 10 000 $ sont adjugés à la défenderesse (la Banque).

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T—703-07

 

INTITULÉ :                                                   DAN DURRER

                                                                        c.

                                                            LA BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 DÉCEMBRE 2007

 

COMPARUTIONS :

 

David A. Morin

 

POUR LE DEMANDEUR,

DAN DURRER

 

M. Norman Grosman & R. Mark Fletcher

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Will Barristers LLP

Morin & Miller

Avocats

Huntsville (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Grosman, Grosman & Gale LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

 

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