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Date : 20071212

Dossier : T-1531-07

 

Référence : 2007 CF 1301

 

Toronto (Ontario), le 12 décembre 2007

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

 

 

SOCIEDAD AGRICOLA SANTA TERESA LTDA. et

VINCENTE IZQUIERDO MENÉNDEZ

 

demandeurs

et

 

VINA LEYDA LIMITADA

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               L’on ne peut juger un livre par sa couverture, mais l’on devrait pouvoir en apprendre sur le contenu d’une bouteille de vin par son étiquette; plus on y retrouve de renseignements, mieux c’est. La défenderesse, une entreprise vinicole de la vallée de Leyda au Chili, s’est adressée au registraire des marques de commerce pour enregistrer « Leyda » comme marque de commerce pour un emploi en liaison avec du vin. La demande a été accueillie en dépit de l’opposition de la Sociedad Agricola Santa Teresa Ltda. et de Vincente Izquiero Menéndez, deux autres producteurs vinicoles de la même vallée. Ils ont interjeté appel de cette décision devant la Cour.

 

[2]               L’appel soulève une question de droit. La norme de contrôle est celle de la décision correcte. L’affaire porte sur le sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, dont voici le texte :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

[…]

 

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

[…]

[Non souligné dans l’original.]


12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

 

[…]

 

 

 

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

[…]

 

 

 

 

 

[Emphasis added]

[3]               Sur le fondement de la preuve dont il disposait, le registraire a tiré la conclusion de fait que Leyda, ou la vallée de Leyda, est une région du Chili où l’on produit du vin. Il n’était cependant pas convaincu que cette région avait été désignée appellation d’origine par le gouvernement chilien.

 

[4]               À son avis, les termes « description claire » modifient le sens de l’expression « lieu d’origine ». Ainsi, non seulement le vin doit être produit dans la vallée de Leyda, mais encore le consommateur canadien moyen doit avoir, comme première impression, que la marque de commerce proposée est le lieu d’origine du vin. Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve dans le dossier pour permettre au registraire de tirer cette conclusion. Il s’est fondé sur la décision Drackett Co. of Canada c. American Home Products Corp., [1968] 2 Ex.C.R. 89, 55 C.P.R. 29, rendue par le juge Cattanach.

 

Analyse

[5]               L’appel est interjeté sous le régime de l’article 56 de la Loi, qui permet à l’appelant de produire des éléments de preuve qui n’ont pas été fournis devant le registraire. Les nouveaux éléments de preuve dont je dispose établissent, sur le plan factuel, que la « Valle de Leyda » (en espagnol) est une appellation d’origine et qu’elle l’est devenue à la suite d’une demande présentée par un groupe de producteurs vinicoles au ministère de l’Agriculture du Chili en décembre 2001, laquelle demande a été accueillie le 12 février 2002 au moyen du décret 17 publié le 10 mai 2002. La demande d’enregistrement de la marque de commerce a précédé toutes ces dates. Je m’empresse d’ajouter qu’à mon avis, les questions de savoir si un nom désigne une région géographique et si cette région produit du vin ne sont pas subordonnées à la délivrance d’un décret gouvernemental. Bien qu’il puisse exister de telles lois agricoles en France, en Italie et au Chili, il peut n’en exister aucune dans d’autres endroits comme le Canada, les États‑Unis et l’Australie. Le fait est qu’il ne fait aucun doute que Leyda est un endroit du Chili où l’on produisait du vin à l’époque où la demande d’enregistrement a été présentée en 2001. Aucune autre date n’étant plus favorable à la défenderesse, il n’est pas nécessaire de déterminer s’il y avait lieu d’utiliser une date ultérieure comme point de référence.

 

[6]               À mon avis, le registraire a commis une erreur de droit au motif qu’il a mal appliqué la décision Drackett, précitée. Il est tout à fait vrai, ainsi qu’il l’a indiqué, que le juge Cattanach a dit ceci :

[traduction] Le mot « claire » utilisé à l’alinéa 12(1)b) de la Loi, qui interdit l’enregistrement d’une marque de commerce qui donne une « description claire ... de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l’égard desquels on projette de l’employer... », n’est pas synonyme d’« exacte »; il a plutôt le sens de « facile à comprendre, évidente ou simple ».

 

 

[7]               Toutefois, le juge Cattanach renvoyait à la « nature » ou à la « qualité » des marchandises, et non à leur « lieu d’origine ». La généralité du libellé doit être restreinte par le contexte. Dans cette affaire, il était saisi d’un appel interjeté à l’encontre de la décision du registraire de rejeter une opposition à la demande d’enregistrement de la marque « Once-a-Week » pour emploi en liaison avec un « nettoyant pour plancher ». Le lieu d’origine des marchandises n’était pas en cause. En outre, le juge renvoyait à une première impression positive et non à l’absence d’une impression chez la personne qui peut être désavantagée sur le plan géographique ou de la culture vinicole. Il a dit ceci également :

[traduction] J’ai eu comme première impression, et celle‑ci subsiste, que les mots ONCE-A-WEEK signifieraient pour un acheteur potentiel que le nettoyant pour plancher avec lequel ils sont associés doit être utilisé une fois seulement par semaine, et que le produit ainsi appliqué résisterait pendant cette période.

 

 

[8]               Après avoir tiré la conclusion de fait que Leyda est une région vinicole du Chili, le registraire était tenu en droit de conclure, sur le fondement du dossier dont il disposait, que l’opposition était bien fondée.

 

[9]               Ces « endroits éloignés aux noms étranges » peuvent être plus évocateurs pour certains que pour d’autres, mais l’alinéa 12(1)b), à tout le moins pour ce qui est du « lieu d’origine », n’est pas tributaire des connaissances ou du manque de connaissances du consommateur canadien moyen. Le registraire a souligné à juste titre qu’il ne disposait d’aucune preuve véritable de l’état d’esprit d’une telle personne. Pourrait‑il s’agir de la personne qui lit les revues vinicoles à laquelle renvoient les auteurs de l’opposition à la demande, ou de la personne dont les connaissances se limitent au rouge, au blanc, ou rosé ou au mousseux? Au cours des dernières années, de très nombreux vins ont fait leur apparition sur le marché en provenance des pays « du nouveau monde » comme le Chili, l’Argentine, l’Australie et la Nouvelle‑Zélande. D’autres pays pourraient s’ajouter. Bien qu’elle ait été rendue dans un contexte différent, la décision de la Cour suprême Home Juice Co. c. Orange Maison Ltée, [1970] R.C.S. 942, 16 D.L.R. (3d) 740, peut être invoquée pour faire valoir qu’un négociant habile ne devrait pouvoir monopoliser au Canada le nom d’un district vinicole étranger en l’enregistrant comme marque de commerce.

 

[10]           Si cet enregistrement était maintenu, cela signifierait que les demandeurs, des producteurs vinicoles de la vallée de Leyda, ne pourraient inclure cette mention sur leurs étiquettes ou dans leur matériel promotionnel. Ils pourraient devoir se limiter à dire de leur vin qu’il est un rouge ou un blanc chilien. La Vina Leyda Limitada en tirerait un avantage injuste. La situation géographique est l’un des facteurs importants qu’une personne prend en considération pour déterminer si elle essayera un nouveau vin. Les producteurs d’une région donnée souhaitent faire la promotion de leur région, convaincus que leur vin est supérieur à celui de leur pays en général. Le consommateur pourrait bien penser qu’un vin provenant d’une région précise est supérieur à un « vin ordinaire ». S’il était interdit aux demandeurs d’utiliser le terme « Leyda » pour commercialiser leur vin au Canada, celui‑ci risquerait d’être considéré comme étant un vin ordinaire (« plonk ») et d’être laissé de côté. (Il existe différentes légendes sur l’origine du terme « plonk ». Je préfère la version selon laquelle un certain Monsieur Plonque aurait fourni du vin bon marché aux soldats britanniques pendant la Première Guerre mondiale.)

 

[11]           Cette décision est compatible avec le point de vue adopté par le juge Denault dans Jordan & Ste-Michelle Cellars Ltd. c. Gillespies & Co. Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 377. La marque « Toscano », enregistrée pour un emploi en liaison avec du vin, a subséquemment été radiée sur le fondement d’une preuve selon laquelle Toscano était en fait le nom du vin provenant de la Toscane, en Italie, de sorte qu’il n’était pas enregistrable.

 

 

[12]           Bien que ce ne soit pas pertinent comme tel, le registraire tient une liste d’indications géographiques qui désignent la région de laquelle provient un vin ou un spiritueux. L’article 11.14 de la Loi interdit à quiconque d’adopter une indication géographique protégée comme marque de commerce. Aux fins de l’établissement de cette liste, on ne semble pas prendre en considération les connaissances du consommateur canadien moyen. Ainsi, le « Costers del Segre », qui est protégé, n’est peut‑être pas un nom très connu au Canada. Il s’agit d’une appellation espagnole qui a été créée en 1986.

 

[13]           La défenderesse n’a pas comparu pour contester le présent appel. Néanmoins, la décision du registraire est maintenue jusqu’à ce qu’elle soit infirmée, et la Cour ne rend pas jugement sur le fondement des actes de procédure. En effet, l’article 184 des Règles prescrit que les allégations de fait contenues dans un acte de procédure qui ne sont pas admises sont réputées être niées. L’avocat des demandeurs a à juste titre porté à l’attention de la Cour la décision Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2001] 2 C.F. 536, 11 C.P.R. (4th) 48, rendue par le juge McKeown et confirmée sans motifs additionnels dans 2002 CAF 169. Toutefois, cette affaire se distingue de la présente affaire du fait qu’il y avait eu emploi antérieur. À la date à laquelle on a demandé la radiation de la marque de commerce « Parma », celle‑ci avait été utilisée au Canada pendant 39 ans, dont 26 à titre de marque de commerce déposée. Donc, le paragraphe 12(2) et l’alinéa 18(1)b) étaient en cause. La marque de commerce qui ne peut par ailleurs être enregistrée parce qu’elle donne une description du lieu d’origine des marchandises est néanmoins enregistrable si elle était devenue distinctive à la date du dépôt de la demande. En outre, l’enregistrement n’est pas invalide s’il était distinctif à la date à laquelle l’instance qui met en cause sa validité a été instituée.

 

[14]           Les faits dans la présente affaire sont très différents. Suivant la preuve, « Leyda » n’avait pas été utilisée au Canada en liaison avec du vin à la date à laquelle la demande d’enregistrement de la marque de commerce a été présentée et elle n’était pas devenue distinctive.

 

[15]           L’appel doit être accueilli. Toutefois, puisqu’il n’a pas été contesté, il n’y aura aucune adjudication de dépens.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

a.       l’appel est accueilli;

b.      la décision par laquelle le registraire des marques de commerce a, le 2 avril 2007, rejeté l’opposition des demandeurs à l’encontre de l’enregistrement de la marque de commerce proposée de la défenderesse est infirmée;

c.       l’opposition par les demandeurs à l’encontre de la marque de commerce LEYDA (demande no 1,098,023) est accueillie, et la demande d’enregistrement de la marque de commerce LEYDA en liaison avec des vins est rejetée;

d.      le tout sans dépens.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1531-07

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        SOCIEDAD AGRICOLA SANTA TERESA LTD. ET AUTRE. c.

VINA LEYDA LIMITADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le 7 décembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   le juge HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 12 décembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS

 

Me Barry Gamache

 

POUR LES DEMANDEURS

aucune comparution

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Leger Robic Richard

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

 

aucune comparution

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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