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Date : 20071204

Dossier : IMM-1456-07

Référence : 2007 CF 1270

Ottawa (Ontario), le  4 décembre 2007

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

JUAN PABLO II

CARRASCO BALDOMINO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]                Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le Tribunal) rendue le 27 février 2007 statuant que le demandeur n’a pas la qualité de « réfugié » au sens de la Convention, ni celle de « personne à protéger » en vertu des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, S.C. (2001) chapitre 27, (la LIPR).

 

II. Contexte factuel

[2]                Le demandeur est né le 14 décembre 1978 dans la ville d’Apizaco, État de Tlaxcala, au Mexique. Il détient la citoyenneté de ce pays et est célibataire.

 

[3]                En décembre 2004, le demandeur était employé en tant qu’ouvrier dans une compagnie qui fabriquait des tissus. Six mois après son arrivée, le demandeur remarqua la présence de petits paquets cachés lors des chargements de rouleaux de tissus dans le camion de la compagnie. Le 30 juin 2005, il informa son supérieur, monsieur Hugo Sanchez (Sanchez), qu’il soupçonnait qu’il y avait « quelque chose de louche » qui se passait. Il fut réprimandé par Sanchez qui avisa le demandeur de s’occuper de son travail et de ne pas poser de questions.

 

[4]                Le 2 août 2005, Sanchez approcha le demandeur et lui a offert le poste de chauffeur de camion. Dans ses nouvelles fonctions, il aurait été « chargé de conduire un camion et de surveiller constamment ses petits paquets. » Après quelques jours de réflexion, le demandeur refusa l’offre de Sanchez. Convaincu qu’il s’agissait de trafic de stupéfiants, le demandeur songea avertir la police mais se désista sachant que le commandant de la police municipal, monsieur César Montiel, était un bon ami de Sanchez.

 

[5]                Le 16 décembre 2005, Sanchez ordonna le demandeur de l’accompagner dans le camion de la compagnie afin de livrer un chargement de tissus à Chiahutempan. Vers 12 h 20, Sanchez emprunta un chemin pour se rendre à un village que le demandeur ne connaissait pas. Sanchez a alors livré des petits paquets qui étaient cachés sous les rouleaux de tissus. Les paquets furent amenés à l’intérieur d’un entrepôt et quelques minutes plus tard, les deux on quittés les lieux.  

 

[6]                Lors du parcours, Sanchez menaça le demandeur en lui disant qu’il « ne devait pas raconter à personne sur ce [qu’il] venait de voir sinon [il] allait le regretter. » Ayant peur de représailles, le demandeur décida de maintenir le silence. En janvier 2006, des policiers sont venus à la compagnie afin d’interroger plusieurs employés. Selon les rumeurs, la police avait été informée par quelqu’un que la compagnie était impliquée dans des « affaires louches. »

 

[7]                Le 20 janvier 2006, vers 20 h, le demandeur fut intercepté par Sanchez et un individu inconnu. Sanchez s’est mis à insulter et menacer le demandeur en disant qu’il « allait payer très chère ce [qu’il] avait fait. » Malgré ses explications qu’il n’avait rien dit, il fut frappé par l’individu inconnu et Sanchez l’avisa qu’il « allait [le] surveiller de près et que si la police revenait à la compagnie, il allait chercher [le demandeur] pour [le] tuer. » Le demandeur, ayant subi des hématomes et égratignures, est rentré chez lui.

 

[8]                Craignant pour sa sécurité, le demandeur a décidé de ne pas retourner au travail et a quitté sa maison familiale le 21 janvier 2006. Cinq jours plus tard, soit le 26 janvier 2006, le demandeur remarqua la voiture de Sanchez en train de rôder près de l’appartement qu’il avait loué pour se cacher.

 

[9]                Le 2 février 2006, vers 19 h, une voiture s’est arrêtée près du demandeur et deux individus sont descendus; soit Sanchez et un individu inconnu. Sanchez insulta et menaça le demandeur de mort. Ce dernier remarqua que l’inconnu avait un pistolet sous sa veste. Le demandeur s’est alors sauvé et n’a pas été suivi. Suite à l’incident, il s’est caché chez madame Veronica Gomez, une amie.

 

[10]            Le demandeur décida de quitter le pays par crainte pour sa vie. Il quitta le Mexique le 25 mars 2006 et est arrivé au Canada le même jour. Il demande la protection du Canada le 13 juin, 2006.

 

III. Décision contestée

[11]            Par sa décision du 27 février 2007, le Tribunal a statué que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve et en conséquence n’avait pas la qualité de ‘réfugié au sens de la Convention’ ni celle de ‘personne à protéger’.

 

Persécution – Article 96 LIPR

[12]            Le Tribunal affirme qu’elle juge que le demandeur fut victime de criminalité et non de persécution. Elle se fonde sur l’arrêt Karpounin c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 371  (QL) pour conclure que « les victimes de criminalité ne font pas partie d’un groupe social particulier. Le Tribunal n’a donc adressé la demande qu’en vertu de l’article 97(1) de la LIPR.

 

Protection de son pays

[13]            Le Tribunal explique que c’est un principe bien établi selon lequel un demandeur d’asile se doit d’avoir demandé l’aide de son pays avant de s’adresser à la protection internationale. Or, la seule preuve produite à cet effet est une lettre d’un avocat mexicain dont les services ont été retenus alors que le demandeur était déjà au Canada. La lettre relate les faits tels que décrits par le demandeur et explique que, selon son auteur, le demandeur devait quitter le Mexique puisque le changement d’adresse était insuffisant parce que « M. Hugo Sanchez Palafox a du pouvoir et de l’influence au niveau national et dans une partie de l’Amérique centrale. »

 

[14]            L’explication offerte par le demandeur à l’effet qu’il n’a jamais porté plainte auprès des autorités policières car « il ne voulait pas avoir de problèmes et que le dénommé Sanchez est un personnage très influent financièrement et ami avec le chef de la police municipale » n’a pas été retenue par le Tribunal.  

 

[15]            Ainsi, selon le Tribunal, « le demandeur n’ayant pas cherché la protection auprès des autorités de son pays n’est pas parvenu à s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer au moyen d’une preuve ‘claire et convaincante’ que l’État ne pouvait ou ne voulait pas le protéger. »

 

Possibilité de refuge interne (« PRI »)

[16]            Le Tribunal explique que le Mexique est un vaste territoire avec une population dépassant 110 millions d’habitants et que le demandeur aurait l’option de trouver refuge dans une autre ville. L’explication du demandeur à l’effet que Sanchez pourrait le retracer en raison de son réseau de distribution commercial n’a pas été retenue.

 

[17]            Toujours selon le Tribunal, le demandeur n’a pas démontré que la PRI est déraisonnable et inaccessible et que dans les autres villes, il aurait été personnellement soumis à une menace à sa vie ou à un risque de traitements cruels et inusités. Elle a donc conclue que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur raisonnable dans une autre ville mexicaine.

 

Retard à demander l’asile

[18]            Finalement, le Tribunal affirme que le retard de près de deux mois du demandeur à déposer sa demande d’asile « mine l’élément de crainte subjective et la crédibilité de la demande. » Elle rejette l’explication que le demandeur avait peur d’être renvoyé dans son pays et qu’il n’était pas au courant qu’il y avait une communauté hispanique à Montréal.

 

IV. Questions en litige

[19]            Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le demandeur n’a pas démontré à l’aide d’une preuve claire et convaincante qu’il ne pouvait se prévaloir de la protection  de L’État mexicain et qu’il avait  la possibilité d’un refuge à l’intérieur du Mexique? Je suis d’avis que cette dernière question est déterminante en l’espèce pour les motifs qui suivent.

 

V. Norme de contrôle

[20]            La norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il existe une possibilité de refuge interne est celle de la décision manifestement déraisonnable. (Zia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 131; Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1365 aux paras. 34 et 35; Ako c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 647 au para. 20; Nakhuda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 698 au para. 8; Camargo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 472 au para. 7; Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999.)

 

VI. Analyse

Possibilité de refuge interne

[21]            Le demandeur affirme qu’il n’avait pas la possibilité de refuge interne, ne se sentait pas en sécurité au Mexique et ne pouvait trouver un autre endroit où s’établir dans son pays vu les contacts de Sanchez. Il affirme que Sanchez pourrait le retrouver partout à travers le pays.  Il souligne qu’il avait entrepris des démarches raisonnables pour protéger sa vie et santé en cherchant à déménager à un autre endroit au Mexique mais que les difficultés objectives reliées à une telle perspective l’ont empêché de pousser plus loin ses tentatives.

 

[22]            Le défendeur affirme que le demandeur a été incapable de se décharger de son fardeau quant l’inexistence d’un refuge intérieur. De plus, il souligne que le demandeur n’a pas démontré en quoi la possibilité de refuge intérieur était déraisonnable dans sa situation.

 

[23]            Il y a lieu de noter que le refugié au sens de la Convention doit être un réfugié d’un pays, et non d’une certaine partie ou région d’un pays. Alors, s’il existe une possibilité de refuge interne dans une autre partie du même pays, le demandeur ne peut être un réfugié.

 

[24]            Puisque l’existence ou non d’une PRI fait partie inhérente de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention, le fardeau de preuve pour démontrer qu’il existe partout au pays un risque sérieux d’être persécuté, appartient au demandeur. 

 

[25]            La Cour d’appel fédérale a développé un test à deux volets pour déterminer si quelqu’un qui réclame le statut de réfugié a un PRI ailleurs dans son pays. Premièrement la Commission doit être  convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté à l’endroit proposé comme PRI, et deuxièmement, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles propres au demandeur, la situation à l’endroit proposé est telle qu’il n’est pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge. (Dillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 381, [2005] A.C.F. no 463, au paragraphe 11).

 

[26]            Le Tribunal a considéré la preuve documentaire qui démontre que le Mexique compte plus de 110 millions d’habitants étendues sur un vaste territoire et qu’on y retrouve plusieurs grandes villes avec plus d’un million d’individus. De plus le Tribunal a considéré les circonstances propres aux demandeurs : son âge, son éducation ainsi que les circonstances particulières de son présumé persécuteur. Elle ne croit pas que Sanchez et ses associés étendraient leur ramification à la grandeur du Mexique et ce, à la recherche du demandeur pour le tuer alors qu’ils n’ont rien à lui reproché. Cette détermination n’est pas manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve.

 

[27]            De plus, la lettre préparée par l’avocat mexicain n’a reçu qu’un poids probant limité par le Tribunal au motif qu’elle fut rédigée cinq mois après l’arrivée du demandeur au Canada et trois mois après avoir déposé sa demande d’asile. Outre la lettre de l’avocat, le demandeur n’a soumis aucune preuve démontrant que Sanchez avait une influence suffisamment étendue au Mexique pour l’empêcher de trouver refuge dans d’autres villes mexicaines de plus d’un millions d’habitants dont Guadalajara, Baya, California, Merida ou Monterry. Le Tribunal n’était pas convaincu, selon la balance des probabilités, que le demandeur risquerait d’être persécuté dans ces villes. C’est à mon avis une conclusion qui était raisonnablement ouverte au Tribunal vue l’ensemble de la preuve.

 

[28]            Il a lieu de noter que l’existence d’une possibilité de refuge intérieur suffit en soi pour disposer de la demande d’asile. Dans Shimokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445 au paragraphe 12, Madame la juge Tremblay-Lamer explique que « l’existence d’une PRI valide tranche la demande d’asile et conséquemment, que les autres questions soulevées par le demandeur dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire n’ont pas à être examinées » (voir aussi Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 1256 (QL)).

 

[29]            En l’espèce, je suis d'avis que le Tribunal n’a commis aucune erreur en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge interne qui justifierait l'intervention de cette Cour.

 

VII.      Conclusion

[30]            Pour ces motifs la demande sera rejetée.

 

[31]            Les parties n’ont pas proposé la certification d’une question grave de portée générale telle qu’envisagée à l’alinéa 74d) de la LIPR. Je suis satisfait qu’une telle question ne soit soulevée en l’espèce. Aucune question ne sera donc certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET DÉCLARE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1456-07

 

INTITULÉ :                                       JUAN PABLO II CARRASCO BALDOMINO c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 23 octobre 2007

 

MOTIFS :                                          le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS DE

JUGEMENT ET JUGEMENT :      4 décembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Joffe

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Patricia Nobl

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Alain Joffe

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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