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Date : 20071130

Dossier : T-1921-06

Référence : 2007 CF 1255

ENTRE :

3651541 CANADA INC.

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de second niveau en matière d’équité rendue par Guy Daigneault, directeur adjoint intérimaire du Bureau des services fiscaux de Montréal, Section des recouvrements, à l’Agence du revenu du Canada (le représentant du ministre), qui a refusé de renoncer aux pénalités et intérêts dus par la demanderesse et les sociétés qui l’ont précédée. Selon la demanderesse, le représentant du ministre a négligé de tenir compte des ennuis de santé de M. Friedmann, la personne chargée de produire les déclarations de revenus de la demanderesse. La demanderesse fait valoir qu’il est bien possible que les ennuis de santé en question n’aient pas causé l’inobservation par M. Friedmann de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), mais que le représentant du ministre a totalement négligé la preuve d’une maladie postérieure à décembre 2001, et en particulier l’argument de la demanderesse selon lequel M. et Mme Friedmann « étaient sous l’effet d’une batterie de puissants médicaments qui affectaient grandement leurs capacités ».

 

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[2]               Eva et Joseph Friedmann sont les seuls actionnaires, administrateurs et dirigeants de la demanderesse et des sociétés qui l’ont précédée, à savoir 3531856 Canada Inc. et 3531864 Canada Inc. (les sociétés antérieures). Les trois sociétés doivent des intérêts et des pénalités pour le dépôt tardif de leurs déclarations de revenus des années 2001 à 2003.

 

[3]               À l’automne de 2000, M. Friedmann a été déclaré atteint du cancer et il a subi une chimiothérapie jusqu’en décembre 2001. Il a produit des affidavits de ses médecins attestant que son état de santé est resté mauvais jusqu’à la fin de 2002. M. Friedmann affirme aussi qu’il a été soigné aux antidépresseurs et autres médicaments durant 2002 et 2003.

 

[4]               Durant cette période, Mme Friedmann était atteinte elle aussi d’une diversité d’affections. La demanderesse relève aussi que Mme Friedmann n’a aucune connaissance des affaires ni de la situation financière de l’entreprise.

 

[5]               En juillet 2002, le comptable de la demanderesse a sollicité des prorogations du délai de production des déclarations de revenus de la demanderesse et de ses sociétés antérieures.

 

[6]               En avril 2004, la demanderesse a communiqué avec l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) pour la prier de renoncer aux pénalités et intérêts qui s’étaient accumulés.

 

[7]               Le 23 juillet 2004, les déclarations de revenus de la demanderesse et de ses sociétés antérieures ont été produites.

 

[8]               En septembre 2004, l’ARC a informé l’avocat de la demanderesse que la demande présentée en vertu du Programme des divulgations volontaires était refusée au motif que la divulgation n’était pas en réalité volontaire. Cependant, compte tenu des ennuis de santé des Friedmann, le dossier fut soumis à examen en vertu des dispositions de la Loi relatives à l’équité.

 

[9]               Le 31 mars 2006, l’ARC a informé la demanderesse que sa demande était refusée. Elle écrivait que, [traduction] « après examen du dossier, nous sommes d’avis qu’aucune circonstance indépendante de votre volonté n’a réduit la capacité de l’entreprise de produire dans les délais sa déclaration de revenus ».

 

[10]           La demanderesse a sollicité le contrôle de cette décision. Le 12 octobre 2006, sa demande de renonciation aux pénalités et intérêts fut encore une fois refusée.

 

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[11]           Le représentant du ministre se fonde sur la circulaire d’information 92-2 et la décision Young c. R. (1997), 138 F.T.R. 37, 98 D.T.C. 6028, pour dire que la question soulevée dans cette demande était « de savoir si les maladies ont empêché les Friedmann de produire les déclarations de leurs sociétés à temps ».

 

[12]           Le représentant du ministre relève que M. Friedmann avait terminé sa chimiothérapie à la fin de 2001, et qu’il avait donc entre six mois et trois ans après la fin de son traitement pour produire les déclarations en cause. Le représentant du ministre relève aussi que M. Friedmann n’a demandé à son comptable de mettre ses affaires en ordre qu’à l’automne de 2003, soit vingt mois après la fin de son traitement médical. Par ailleurs, les sociétés en cause ont toujours déposé en retard leurs déclarations de revenus.

 

[13]           Finalement, le représentant du ministre met en contraste les déclarations de revenus des sociétés et les déclarations personnelles de revenus de M. et Mme Friedmann. Selon lui, le comptable des Friedmann aurait dû avoir accès à tous les renseignements nécessaires pour remplir les déclarations de revenus des sociétés en cause. Par ailleurs, les Friedmann ont pu s’engager dans une planification fiscale complexe et des opérations complexes, mais n’ont, semble-t-il, pas eu le temps de préparer les déclarations de revenus de leurs sociétés, alors que ces déclarations étaient moins complexes que leurs déclarations personnelles de revenus.

 

[14]           Le représentant du ministre a également refusé la demande de la demanderesse visant l’annulation des intérêts et pénalités accumulés au cours de la période visée par la cotisation.

 

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[15]           Les dispositions applicables de la Loi sont les suivantes :

  220. (2.01) Le ministre peut autoriser un fonctionnaire ou une catégorie de fonctionnaires à exercer les pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés en vertu de la présente loi.

 

  […]

 

  220. (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

  220. (2.01) The Minister may authorize an officer or a class of officers to exercise powers or perform duties of the Minister under this Act.

 

 

  […]

 

  220. (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

 

 

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[16]           Selon la demanderesse, le représentant du ministre a commis une erreur en prenant en compte des facteurs hors de propos et négligé les facteurs pertinents. Plus précisément, la demanderesse dit que le représentant du ministre a conclu, à tort, que la maladie de M. Friedmann n’avait ralenti ses activités que jusqu’en décembre 2001. En outre, la demanderesse conteste l’importance accordée par le représentant du ministre au fait que les Friedmann avaient produit à temps leurs déclarations personnelles de revenus et avaient fait appel à un comptable professionnel pour s’occuper de leurs finances.

 

[17]           S’agissant de la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le ministre aux termes des dispositions de la Loi relatives à l’équité, la Cour d'appel fédérale a jugé que la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu) 2005 CAF 153, 2005 D.T.C. 5245, et Comeau c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 271, 361 N.R. 141). Cette norme devrait être modulée pour tenir compte des faits et des points litigieux de chaque cas particulier, mais je ne vois aucune raison, et les parties n’en ont évoqué aucune, de m’écarter ici de la norme de la décision raisonnable (Gandy c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2006 CF 862, 2006 D.T.C. 6510).

 

[18]           Quand elle examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne pourra modifier la décision que si « elle n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé » (Cartier-Smith c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1175, 2006 D.T.C. 6707, au paragraphe 19). Ce sera le cas par exemple si le ministre a pris en considération des facteurs hors de propos ou a négligé de tenir compte de facteurs pertinents.

 

[19]           La circulaire d’information n° 92-2, intitulée « Lignes directrices concernant l’annulation des intérêts et des pénalités » (les Lignes directrices), décrit la manière dont le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer à la totalité ou à une partie des intérêts ou pénalités payables. Essentiellement, les pénalités et intérêts seront annulés lorsque le contribuable ne s’est pas conformé à la Loi en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Puis les Lignes directrices donnent quelques exemples de cas où il pourra en être ainsi, notamment si le contribuable a été gravement malade ou a subi un grave accident, ou encore s’il a subi des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave. Cependant, les Lignes directrices n’ont pas force de loi et ne sauraient limiter le pouvoir discrétionnaire du ministre (voir par exemple la décision Ross c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2006 CF 294, 289 F.T.R. 160).

 

[20]           C’est à la partie qui demande l’annulation des intérêts et des pénalités qu’il appartient de présenter au ministre la preuve qui lui permettra de dire si l’inobservation de la Loi avait pour cause des circonstances indépendantes de la volonté de cette partie, en l’occurrence les maladies dont souffraient M. Friedmann et son épouse (décision Young, précitée). La preuve qui n’a pas été soumise au décideur original ne sera pas prise en compte dans la procédure de contrôle judiciaire (décision Ross, précitée).

 

[21]           Après avoir appliqué ces principes à la présente espèce, je suis d’avis, sur la foi de l’information soumise au ministre, que la demanderesse n’a pas prouvé que la décision du ministre de refuser l’annulation des pénalités et intérêts accumulés par la demanderesse et ses sociétés antérieures était déraisonnable. Selon la demanderesse, le représentant du ministre a négligé de prendre en compte les troubles mentaux et émotifs sérieux dont souffraient les Friedmann au cours de la période considérée. Cependant, cet aspect n’a jamais été explicitement soulevé devant le représentant du ministre, puisque c’est leurs maladies et leurs médicaments que les Friedmann avaient invoqués à l’appui de la demande d’annulation.

 

[22]           La demanderesse dénonce aussi la comparaison faite par le représentant du ministre entre les déclarations de revenus des sociétés en cause et les déclarations personnelles de revenus de M. et Mme Friedmann, outre le fait que les Friedmann ont un comptable qui aurait pu remplir les déclarations. Elle invoque la décision Isaac c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 410, 218 F.T.R. 314. Dans cette affaire, la Cour a annulé la décision du ministre de ne pas renoncer aux intérêts et pénalités parce que le ministre s’était fondé sur une demande antérieure d’annulation présentée par la société dont le demandeur avait été l’unique administrateur. Selon la juge Heneghan :

[25]     À mon avis, la représentante du ministre a erré en droit lorsqu’elle a tenu compte de ces faits [liés à la demande de la société] qui ne sont pas pertinents à la présente demande. La demande du demandeur est une affaire différente de celle de la société…

 

 

 

[23]           Je ne pense pas que ce raisonnement soit applicable en l’espèce. L’aptitude de M. Friedmann à s’occuper d’autres affaires, y compris son aptitude à produire d’autres déclarations de revenus, ainsi que la possibilité pour quelqu’un d’autre de remplir les déclarations en cause, sont des facteurs pertinents à la question de savoir si c’est la maladie de M. Friedmann qui l’a empêché de produire lesdites déclarations. Je n’estime donc pas qu’il était déraisonnable pour le représentant du ministre de dire que ce n’étaient pas les ennuis de santé de M. Friedmann qui avaient empêché celui-ci de se conformer à la Loi, même s’il a été établi que les Friedmann devaient prendre plusieurs médicaments après décembre 2001. Le décideur n’avait d’ailleurs devant lui aucune opinion médicale selon laquelle M. Friedmann n’était pas en mesure, à cause de ses maladies et de ses médicaments, de remplir les déclarations de revenus de la demanderesse et de ses sociétés antérieures.

 

[24]           Il ne s’agit pas ici de savoir si j’aurais interprété les faits différemment, mais plutôt de savoir si la décision du représentant du ministre était raisonnable.

 

[25]           Finalement, la demanderesse demandait l’annulation des intérêts et pénalités qui s’étaient accumulés durant la période visée par la cotisation, et elle dit que le représentant du ministre s’est fondé sur l’alinéa 6a) des Lignes directrices pour rejeter cette demande, entravant de ce fait son pouvoir discrétionnaire. Cependant, après lecture de la décision du représentant du ministre, on constate que c’est en réalité la demanderesse qui s’était fondée sur l’alinéa 6a) pour obtenir l’annulation des intérêts et pénalités. L’alinéa 6a) prévoit qu’il peut être tenu compte « des retards de traitement, ce qui a eu pour effet que le contribuable n’a pas été informé, dans un délai raisonnable, de l’existence d’une somme en souffrance ». Le représentant du ministre a estimé que, puisque la demanderesse savait depuis juillet 2004 qu’une somme était due, cet alinéa ne s’appliquait pas. La demanderesse n’a pas invoqué un autre argument pour l’annulation des intérêts et pénalités qui s’étaient accumulés durant la période visée par la cotisation. Selon moi, il n’était pas déraisonnable pour le représentant du ministre de ne pas considérer ce que la demanderesse n’avait pas soulevé.

 

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[26]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

« Yvon Pinard »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 30 novembre 2007

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1921-06

 

INTITULÉ :                                       3651541 CANADA INC.

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 NOVEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Charles C. Gagnon                               POUR LA DEMANDERESSE

 

Jean Lavigne                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stikeman Elliott LLP                             POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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