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Date : 20071119

Dossier : T-1548-06

Référence : 2007 CF 1210

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 novembre2007

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

LES LABORATOIRES SERVIER,

ADIR, ORIL INDUSTRIES,

SERVIER CANADA INC.,

SERVIER LABORATORIES (AUSTRALIA) PTY LTD

et SERVIER LABORATORIES LIMITED

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles )

 

et

 

 

APOTEX INC. et

APOTEX PHARMACHEM INC.

défenderesses

(demanderesses  reconventionnelles)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Dans la première des deux requêtes dont la Cour est saisie, Sanofi-Aventis Deutschland GmbH (Sanofi Allemagne) demande à être constituée comme défenderesse reconventionnelle dans le dossier de la Cour T-1548-06 (l’action Perindopril), en vertu de l’alinéa 104(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Schering Corporation (Schering) fait la même demande dans une requête connexe. Pour les motifs énoncés ci-dessous, j’en viens à la conclusion que ni Sanofi Allemagne ni Schering ne peuvent être constituées comme parties à l’instance dans l’action Perindopril.

 

II. Historique

[2]               Dans l’action Perindopril, Les Laboratoires Servier, ADIR, Oril Industries, Servier Canada Inc., Servier Laboratories (Australia) Pty Ltd, et Servier Laboratories Limited (collectivement désignées sous le nom de Servier) sont demanderesses dans une action contre Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc. (collectivement désignées sous le nom d’Apotex). Servier allègue qu’Apotex a violé les droits qu’elle détient aux termes du brevet canadien no 1,341,196 (le brevet 196).

 

[3]               Dans sa défense et demande reconventionnelle à l’action de Servier, Apotex allègue que le brevet 196 est invalide pour plusieurs motifs. De plus, et ce qui revêt une importance particulière aux fins de la présente requête, Apotex soutient que Servier et les autres, y compris Schering et le prédécesseur de Sanofi Allemagne [traduction] « ont comploté ou conclu un accord ou un arrangement, en contravention de l’article 45 de la Loi sur la concurrence. » Le présumé complot découle d’une entente portant sur la répartition, entre les présumés complices, de certaines revendications de brevet qui faisaient l’objet d’une procédure de conflit devant le Bureau des brevets. La procédure de conflit visait à déterminer qui était l’inventeur dans certaines demandes de brevets canadiens qui sont simultanément en instance, y compris le brevet 196, la demande de brevet canadien 1,341,296 (le brevet 296) et le brevet canadien no 1,341,206 (le brevet 206).

 

[4]               Apotex n’a désigné ni Sanofi Allemagne ni Schering comme défenderesses reconventionnelles. Dans les requêtes dont je suis saisie, Apotex et Servier s’objectent vigoureusement à ce que Sanofi Allemagne soit constituée comme partie à l’action Perindopril.

 

[5]               L’action Perindopril sera instruite à compter du 25 février 2008, soit dans un peu plus de trois mois.  

 

[6]               Les faits se rapportant au présumé complot sont également en cause dans les dossiers de la Cour no T 161-07 (l’action Ramipril) et no T-1161-07 (l’action Novopharm Ramipril ).

 

[7]               Dans l’action Ramipril, par déclaration datée du 26 janvier 2007, Schering et Sanofi-Aventis Canada Inc. (Sanofi Canada) ont intenté une action contre Apotex Inc. alléguant contrefaçon du brevet 206. Apotex Inc. conteste la demande dans une défense et demande reconventionnelle signifiée le 12 mars 2007 et produite le 10 avril 2007. La demande reconventionnelle dans l’action Ramipril allègue deux complots, l’un desquels est exactement le même complot allégué dans l’action Perindopril. Dans cette action, Apotex a ajouté Sanofi Allemagne et Ratiopharm Inc. à titre de défenderesses reconventionnelles. Toutefois, bien qu’Apotex mentionne ADIR, l’une des demanderesses dans l’action Perindopril, à titre de complice, elle n’a pas ajouté ADIR comme partie à l’action.

 

[8]               Dans l’action Novopharm Ramipril, par déclaration datée du 22 juin 2007, Sanofi Canada et Schering ont intenté une action contre Novopharm Limited (Novopharm) dans le dossier de la Cour no T-1161-07 alléguant contrefaçon du brevet 206. Novopharm a contesté la demande par voie de défense et demande reconventionnelle et a ajouté Sanofi Allemagne comme défenderesse reconventionnelle. Dans sa demande reconventionnelle, Novopharm allègue que Sanofi, ADIR et Schering se sont livrées à une pratique qui contrevient à l’article 45 de la Loi sur la concurrence. ADIR n’a pas été ajoutée à l’action.

 

[9]               Les procès dans les actions Ramipril et Novapharm Ramipril doivent commencer au début de 2009.

 

III. Analyse

A. Principes généraux

[10]           En common law, les demandeurs ont le droit de choisir les défendeurs contre lesquels ils souhaitent intenter une action. Tel que je l’ai fait observer, dans l’action Perindopril, Apotex a choisi de ne pas ajouter Sanofi Allemagne ou Schering et s’oppose en l’espèce à leur ajout. Par conséquent, la seule façon dont Sanofi Allemagne ou Schering peuvent être constituées défenderesses reconventionnelles est par l’application de l’alinéa 104(1)b) des Règles des Cours fédérales. Cet alinéa permet l’ajout d’une partie dans des circonstances particulières. Plus particulièrement, la Cour ne peut constituer une personne comme partie à l’instance en vertu de l’alinéa104(1)b) que si l’un des deux critères suivants est satisfait :

a)         La personne aurait dû être constituée comme partie;

b)         La présence de la personne devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance.  

 

[11]           Lorsque, comme en l’espèce, le demandeur s’oppose à l’ajout d’un défendeur :

…un critère strict … exige la présence de circonstances spéciales ou exceptionnelles pour permettre une dérogation à la règle générale selon laquelle il appartient au demandeur de choisir les défendeurs, lesquels ne peuvent s'imposer à lui (Ferguson c Arctic Transportation Ltd., [1996] 1 C.F. 771, à la page 781 (protonotaire)).

 

 

[12]           Le premier critère a été examiné dans l’affaire Ferguson, précitée. Afin de déterminer si une partie « aurait dû être constituée partie à l’instance », le protonotaire Hargrave a analysé la jurisprudence et fait observer qu’on doit limiter la constitution comme partie aux « personnes qui auraient dû être constituées parties, au sens juridique stricte, par exemple à des coentrepreneurs ou aux cocontractants… » ou de ne permettre la constitution d’une partie « que lorsque la question en litige ne peut être tranchée sans la constitution de cette nouvelle partie. » (Ferguson, précitée, aux pages 780-782).

 

[13]           Le deuxième critère a également été examiné dans Ferguson, précitée. Le protonotaire Hargrave fait observer que, généralement, la nécessité de constituer une personne comme partie varie en fonction des circonstances (Ferguson, précitée, aux pages 783-784). Le protonotaire Hargrave a rejeté la requête du défendeur visant à constituer un tiers comme défendeur après avoir fait observer que le tiers ne se verrait priver d’aucun droit s’il n’était pas constitué comme défendeur et que même en son absence, toutes les questions en litige soulevées par le demandeur pouvaient être valablement et complètement jugées (Ferguson, précitée, aux pages 784-785).

 

[14]           La question de la constitution d’une personne comme partie à l’instance a été examinée dans plusieurs autres affaires.

 

[15]           Dans Société canadienne de la Croix-Rouge c Simpsons Ltd. (1983), 70 C.P.R. (2d) 19, à la page 22 (C.F. 1ère inst.), le juge Mahoney a tranché une demande présentée par Twentieth Century-Fox Film Corporation pour être constituée défenderesse à une action visant à interdire à la défenderesse de vendre des serviettes arborant le symbole de la Croix-Rouge. Après avoir pris en considération la cause de Re Starr and Township of Puslinch et al. (1976), 12 O.R. (2d) 40 (C. div.), le juge Mahoney a conclu  [TRADUCTION] « qu’il n’est pas nécessaire que le demandeur ait un intérêt dans la question à trancher dans l’immédiat; il suffit que le jugement qui sera rendu sur cette question touche directement ses droits ou ses intérêts. » [Non souligné dans l’original]. Toutefois, ce critère, plutôt étroit et, selon moi, propre à cette cause, énoncé par le juge Mahoney a été précisé de façon importante dans la jurisprudence récente.

 

[16]           La question de la constitution d’une personne comme partie à l’instance a été examinée davantage par la Cour d’appel dans Bande indienne de Shubenacadie c Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (2002), 299 N.R. 24, 1 au paragraphe 8 (C.A.F.). Bien que Shubenacadie portait sur un appel d’une décision d’un juge des requêtes rejetant une requête demandant qu’une des parties ne soient plus défenderesse, la Cour a cité avec approbation le passage suivant de Amon c Raphael Tuck & Sons, [1956] 1 B.R. 357, sur ce qui fait qu’une personne est une partie

« nécessaire » : 

Ce n’est pas, bien sûr, uniquement. Ce n’est pas uniquement le fait qu’elle a un intérêt à ce que soit trouvée une solution adéquate à quelque question en litige, qu’elle a préparé des arguments pertinents et qu’elle craint que les parties actuelles ne les présentent pas adéquatement... La seule raison qui puisse rendre nécessaire la constitution d’une personne comme partie à une action est la volonté que cette personne soit liée par l’issue de l’instance; la question à trancher doit donc être une question en litige qui ne peut être tranchée adéquatement et complètement sans que cette personne ne soit une partie. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           Les principes suivants s’appliquent également lorsqu’il faut déterminer si une personne est un défendeur nécessaire : 

         Le fait qu’elle soit en mesure de présenter des éléments de preuve pertinents à la déclaration du demandeur ne suffit pas en faire une défenderesse nécessaire (Shubenacadie, précité, au paragraphe 7).

 

         Le fait qu’une personne puisse être lésée par l’issue du litige ne suffit pas à en faire une défenderesse nécessaire (Shubenacadie, précité, au paragraphe 7).

 

         Un simple intérêt commercial au lieu d’un intérêt juridique ne suffit pas à faire d’une personne une partie nécessaire (Ferguson, précitée, aux pages 784-785; Apotex Inc. c Canada (Procureur général) (1986), 9 C.P.R. (3d) 193, à la page 201 (C.F.1ère inst.)).

 

         En l’absence d’une disposition législative spécifique (tel que, par exemple, dans Nissho-Iwai Canada Ltd. c Ministre du Revenu National Douanes et Accise, [1981] 2 C.F. 721 (1re inst.)), lorsque la déclaration du demandeur ne sollicite pas de mesures réparatrices contre une personne et ne fait aucune allégation à son encontre, cette personne ne sera pas considérée comme une partie nécessaire. (Shubenacadie, précité, au paragraphe 6; Hall c La Bande indienne Dakota Tipi, [2000] A.C.F. no 207, aux paragraphes 5 et 8 (1re inst.) (QL); Stevens c Canada (Commissaire, Commission d’enquête), [1998] 4 C.F. 125, au paragraphe 21 (C.A)).

 

 

B.  Application aux faits de l’espèce

[18]           Lorsque j’évalue les faits à la lumière de ces principes, il n’y a pas de différence entre la position de Sanofi Allemagne et celle de Schering. Étant donné que Sanofi Allemagne a présenté la première requête pour être ajoutée, je traiterai principalement de ses prétentions. Toutefois, si j’en venais à la conclusion que la requête de Sanofi Allemagne doit être accueillie, je ne vois aucune raison valable pour exclure Schering. Outre la postériorité du dépôt de sa requête, les intérêts de Schering sont identiques à ceux de Sanofi Allemagne.

 

Sanofi Allemagne et Schering auraient-elles dû être constituées comme parties à l’instance?

 

[19]           Sanofi Allemagne n’aurait pas due être « constituée comme partie à l’instance »au sens juridique strict de l’alinéa 104(1)b). Donc, pour cette raison, la constitution de Sanofi Allemagne devrait uniquement être ordonné si la deuxième partie de l’alinéa 104(1)b) est présente, c’est-à-dire que Sanofi Allemagne devrait être constituée uniquement si je suis convaincue que sa présence est« nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance ».

 

Les droits ou les intérêts financiers de Sanofi Allemagne seront-ils touchés?

 

[20]           Les droits ou les intérêts financiers de Sanofi Allemagne ou Schering seront-ils touchés par une décision de la Cour dans l’action Perindopril? Pour répondre à cette question, il est utile de mettre côte à côte les principales prétentions d’Apotex dans l’action Perindopril et ses principales prétentions dans l’action Ramipril.

 

 

Action Perindopril

Action Ramipril

Réparation sollicitée par Apotex dans sa défense et demande reconventionnelle

relativement à la Loi sur la concurrence.

79. Les défenderesses, demanderesses reconventionnelles, réclament donc : 

 

(a). Une déclaration suivant laquelle  [le brevet 196] et les revendications 1,2,3 et 5 sont invalides, nuls, et sans effet.

(b) …

(c) Dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence…   

 

125. La défenderesse, demanderesse reconventionnelle, réclame donc :

 

(a) Une déclaration suivant laquelle [le brevet 206] et chacune des revendications 1, 2, 3, 6 et 12 inclusivement sont invalides, nuls, et sans effet.  

(b) Dommages-intérêts pour complot en vue d’enfreindre la Loi sur les brevets  

(c) Dommages-intérêts pour complot en vue de léser Apotex

(d) Dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence   

 

Principale allégation à l’égard de la Loi  sur la concurrence.

76.  En raison de ce qui précède, ADIR et ses codemanderesses, Schering et Hoecht et Aventis, et chacune d’elles a :  

 

(a)     limité indûment les facilités de transport, de production, de fabrication, de fourniture, d’emmagasinage ou de négoce des inhibiteurs ACE, y compris des composés visés par les revendications du brevet 196; 

(b)     a restreint indûment l’échange ou le commerce à l’égard des inhibiteurs ACE visés par les revendications du brevet 196 ;

(c)     a empêché, limité ou réduit indûment la fabrication, l’achat, l’échange, la vente, le transport ou la fourniture des inhibiteurs ACE, y compris des composés visés par les revendications du brevet 196. 

70.  En raison de ce qui précède, Schering et Hoecht/Sanofi et ADIR, et chacune d’elles a :

 

(a)     limité indûment les facilités de transport, de production, de fabrication, de fourniture, d’emmagasinage ou de négoce des inhibiteurs ACE, y compris des composés visés par les revendications du brevet 206;

 

(b)     a restreint indûment l’échange ou le commerce à l’égard des inhibiteurs ACE visés par les revendications du brevet 206, et

 

(c)      a empêché, limité ou réduit indûment la fabrication, l’achat, l’échange, la vente, le transport ou la fourniture des inhibiteurs ACE, y compris des composés visés par les revendications du brevet 206. 

 

 

[21]           Les faits qui suivent deviennent clairs à l’examen du tableau figurant ci-dessus et des versions complètes des parties pertinentes des demandes reconventionnelles dans chaque instance.    

 

                     Somme toute, les allégations de complot sont les mêmes; toutefois Apotex met, dans chaque ensemble d’allégations,  l’accent sur les brevets 196 et 206. 

                     Apotex ne réclame des dommages qu’à l’égard de Servier dans l’action Perindopril. De même, Apotex ne réclame des dommages qu’à l’égard des défenderesses (défenderesses reconventionnelles) dans l’action Ramipril.

                     Apotex ne sollicite aucune déclaration générale dans l’une ou l’autre action énonçant que les défenderesses (défenderesses reconventionnelles) ont enfreint la Loi sur la concurrence.

                     Apotex ne sollicite dans l’action Perindopril aucune déclaration énonçant que le brevet 206 est invalide. De même, Apotex ne sollicite dans l’action Ramipril aucune déclaration énonçant que le brevet 196 est invalide. 

En d’autres mots, les droits et les intérêts financiers de Sanofi Allemagne et de Schering dans l’action Ramipril ne sont pas touchés par l’action Perindopril. 

 

Sanofi Allemagne et Schering sont-elles « nécessaires »?

 

[22]           Sanofi Allemagne soutient qu’à titre de présumée complice, elle est une partie nécessaire dans l’action Perindopril. Au soutien de sa position, Sanofi Allemagne cite la décision de la Cour supérieure de l’Ontario dans Vitapharm Canada Ltd. c F. Hoffmann-La Roche Ltd., [2002] O.J. no 298 (C. S. Ont.) (QL). Dans Vitapharm, la Cour était saisie d’une requête présentée par cinq défenderesses désignées qui remettaient en question la compétence de la Cour supérieure de l’Ontario pour entendre cinq recours collectifs qui portaient sur des pertes survenues au Canada en raison d’un complot en vue de fixer les prix des vitamines à l’échelle mondiale. La requête fût rejetée. Dans son analyse, le juge Cumming fit observer au paragraphegraphe 78 :

[TRADUCTION] Selon moi, et c’est ce que je conclus, la prépondérance des inconvénients penche vers la tenue d’une seule instance pour toutes les défenderesses dans chaque action. Les réclamations contre toutes les défenderesses dans chacune des actions découlent de la même allégation de complot. Les mêmes questions de droit et de faits seront soulevées. Il est logique que les réclamations à l’égard de toutes les présumées participantes à un même complot visant à fixer les prix fassent l’objet d’un même procès. Chacune des présumées complices est une partie nécessaire dûment constituée.

 

 

[23]           Selon moi, cette affaire se distingue facilement de l’affaire dont je suis saisie. Premièrement, les demanderesses dans Vitapharm ne prétendaient pas uniquement que certaines des défenderesses désignées avaient conspiré pour fixer les prix en contravention de l’article 45 de la Loi sur la concurrence, mais soutenaient également que les défenderesses étaient responsables en common law de délit de complot civil. Il est probable que des dommages-intérêts étaient réclamés contre toutes les défenderesses. Cependant, dans sa demande reconventionnelle dans l’action Perindopril, Apotex n’allègue pas le délit de complot civil et ne réclame pas non plus de dommages-intérêts  à Sanofi Allemagne ou Schering. De plus, étant donné que les défenderesses désignées dans Vitapharm cherchaient à éviter d’être parties à l’instance plutôt qu’à y être ajoutées, la Cour n’avait pas à se prononcer sur la règle de common law suivant laquelle un demandeur peut choisir ses défendeurs. Bref, le principe général selon lequel toutes les parties à un présumé complot devraient être constituées défenderesses à une action ne s’applique pas en l’espèce.   

 

Sanofi Allemagne et Schering devraient-elles être liées par les résultats de l’action Perindopril?

 

[24]           Peut-on dire que Sanofi Allemagne et Schering devraient être liées par le résultat de l’action Perindopril ? Je ne le crois pas.

 

[25]           Dans l’action Perindopril, Apotex devra prouver les éléments du complot aux termes de la Loi sur la concurrence, y compris l’actus reus et la mens rea (voir l’arrêt clé R. c Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606). Contrairement à une condamnation antérieure dans une affaire criminelle (voir paragraphe 36(2) de la Loi sur la concurrence), il n’y a rien dans la jurisprudence ou dans la Loi sur la concurrence qui indique que le fait de prouver ces éléments à l’égard d’un défendeur dans une poursuite civile alléguant un complot libère de quelque façon le demandeur du fardeau qui lui incombe dans une poursuite subséquente contre un autre participant au même complot. Par conséquent, Apotex devrait prouver à nouveau tous les éléments de la mens rea et de l’actus reus dans l’action Ramipril.

 

[26]           Il incombera à Apotex de prouver que l’entente a vraisemblablement empêché ou diminué la concurrence (Nova Scotia Pharmaceutical, précité, au paragraphe 72). À cette fin, Apotex doit démontrer que Servier occupait une « position dominante » sur le marché d’où l’obligation d’identifier le marché pertinent. Dans l’action Perindopril, il appert qu’Apotex apportera une preuve d’expert visant à démontrer que le marché pertinent se limite à celui du perindopril plutôt qu’à celui du marché plus vaste des inhibiteurs ACE (qui comprend le ramipril). Bien que le marché pertinent soit un fait qui doit être prouvé par Apotex dans chaque action et que les défenderesses reconventionnelles peuvent le contester, le fait qu’Apotex ait déclaré qu’elle avait l’intention de prouver qu’il existe différents marchés pertinents dans chaque action n’a aucune signification particulière.   

 

[27]           Sanofi Allemagne est préoccupée par le fait que si, dans l’action Perindopril, la Cour en arrivait à une conclusion de fait selon laquelle il y a eu complot, cette même conclusion lierait les juges dans les actions Ramipril et Novapharm Ramipril. Selon elle, la courtoisie judiciaire limiterait la liberté d’un autre juge de conclure à l’encontre d’Apotex dans les causes ultérieures. 

 

[28]           Je ne peux souscrire à l’idée que les principes de la courtoisie judiciaire poseraient nécessairement le problème envisagé par Sanofi Allemagne. Toute conclusion de complot que pourrait tirer le juge du procès dans l’action Perindopril serait fondée sur la preuve soumise à la Cour. En présence de nouvelles parties et d’une preuve additionnelle ou différente, le juge dans les actions ultérieures devra rendre sa décision en se fondant sur la preuve soumise à la Cour dans le cadre de ces actions. Le résultat peut être différent.

 

La question du présumé complot en est-elle une « qui ne peut être complètement instruite et réglée » sans que Sanofi Allemagne et Schering ne soient constituées parties à l’instance?

 

[29]           Sanofi Allemagne soumet également qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice qu’une même demande reconventionnelle soit instruite deux fois. Dans cet argument, elle semble faire valoir que la constitution de toutes les parties au complot allégué dans la demande reconventionnelle de l’action Perindopril aura pour effet d’instruire et de régler [traduction] « efficacement et complètement » la question du présumé complot et constituer ainsi une utilisation plus rationnelle des ressources judiciaires. Une conclusion déterminante dans l’action Perindopril, en présence de toutes les parties, fait-on valoir, éviterait le besoin de rendre des jugements séparés dans chacune des actions Ramipril et Novopharm Ramipril.

 

[30]           Je reconnais qu’un tel résultat pourrait être obtenu (bien que cela ne soit pas évident). Toutefois, il ne s’agit pas d’une raison suffisante pour justifier la constitution de Sanofi Allemagne ou de Schering comme défenderesses. Dans Ferguson, récité, le protonotaire Hargrave fait remarquer  que l’économie d’une multiplicité d’instances est l’un des avantages que présente l’alinéa104(1)b) des Règles plutôt que son objectif premier (Ferguson, précité, à la page 779). De même, le juge Devlin fait observer dans l’affaire Amon, précitée, que la réunion d’instances n’était pas [TRADUCTION] « ne visait pas à offrir une alternative légèrement moins coûteuse à la constitution de parties à l’instance » (Amon, précitée, à la page 381).

 

En résulterait-il un préjudice pour les parties?

 

[31]           Finalement, je passe à la question du préjudice. Il convient de rappeler que l’alinéa 104(1)b) confère un pouvoir discrétionnaire.

 

[32]           Au vu de l’analyse qui précède, je ne suis pas convaincue que Sanofi Allemagne ou Schering seront privées de la possibilité de faire valoir une défense pleine et entière à l’égard des demandes reconventionnelles dans les autres actions. Il ne m’apparaît pas que les demanderesses subiront un préjudice sérieux si je rejette la présente requête.

 

[33]           Toutefois, il y a des facteurs qui militent contre la constitution de Sanofi Allemagne et de Schering comme parties à l’action Prindopril. Je souligne tout d’abord qu’il s’est écoulé beaucoup de temps avant le dépôt de la présente requête. Bien que la demande reconventionnelle d’Apotex dans l’instance Perindopril ait été présentée au début de 2007, Sanofi Allemagne n’a pas tenté de présenter la présente requête avant août 2007. Schering a déposé sa requête trois jours seulement avant la date fixée pour entendre la présente requête. 

 

[34]           Sanofi Allemagne a soumis un échéancier qui, soutient-elle, permettrait la tenue du procès dans l’action  Perindopril à la date prévue en février 2008. Aussi utile que cet échéancier ait pu être à la Cour, il repose sur plusieurs hypothèses. Étant donné les nombreux problèmes qui pourraient surgir au sujet des interrogatoires préalables, des admissions et des documents, je conclus qu’il est très probable que la constitution tardive de deux autres parties à l’action Perindopril occasionnera des retards. Servier et Apotex ont travaillé ensemble très fort afin d’obtenir que l’audition de l’action Perindopril ait lieu le plus tôt possible. Leur intérêt commun à ce que les questions en litige soient réglées de façon juste et rapide pourrait souffrir de l’ajout de Sanofi Allemagne.

 

IV. Conclusion

[35]           En conclusion, je ne suis pas convaincue que Sanofi Allemagne et Schering répondent aux critères de l’alinéa 104(1)b). Elles ne m’ont pas convaincue :

         qu’elles devraient être constituées comme défenderesses reconventionnelles;

         qu’elles sont nécessaires dans le sens où elles devraient être liées par l’issue de l’action Perindopril ou que la question relative au complot soulevée par Servier ne peut être valablement et complètement réglée sans qu’elles ne soient constituées parties.

 

[36]           Par conséquent, elles ne seront pas constituées comme défenderesses reconventionnelles dans la demande reconventionnelle d’Apotex. La requête est rejetée avec dépens.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que les requêtes de Sanofi Allemagne et Schering sont rejetées avec dépens.

 

 

                                                                                                            « Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1548-06                  

 

INTITULÉ :                                      LES LABORATOIRES SERVIER, ADIR, ORIL INDUSTRIES, SERVIER CANADA INC., SERVIER LABORATORIES (AUSTRALIA) PTY LTD et SERVIER LABORATORIES LIMITED

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

                                                            et

 

                                                            APOTEX INC. et

                                                            APOTEX PHARMACHEM INC.

défenderesses

(demanderesses reconventionnelles)

                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 16 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 19 NOVEMBRE 2007    

 

 

COMPARUTIONS :

 

Judith Robinson

Richard Wagner

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

Nando De Luca

 

POUR LE DÉFENDERESSES

 

A. David Morrow

Gunars A. Gaikis

 

POUR SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

 

M. Marc Richard

POUR SCHERING CORPORATION

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OGILVY RENAULT s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DÉFENDERESSES

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

 

 

POUR SCHERING CORPORATION

 

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