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Date : 20071115

Dossier : IMM-1693-07

Référence : 2007 CF 1192

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2007

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

Lesli Karina CASTRO GUTIERREZ

Haly Madeline CASTRO GUTIERREZ

Gardiner Beigad CASTRO
Astrid Arleth CASTRO

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs, tous citoyens du Guatemala, contestent la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le tribunal), rendue le 22 janvier 2007, concluant que ceux-ci n’ont pas la qualité de « réfugiés » au sens de la Convention, ni celle de « personnes à protéger » en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27.

[2]               La demanderesse principale fonde sa revendication sur son appartenance à un groupe particulier, celui des femmes violentées, et les autres demandeurs, celui de la famille. La demanderesse allègue que son premier mari, qui est le père de ses deux premiers enfants, disparait sans laisser de trace en 1995. Elle a alors une relation amoureuse avec un certain Osorio et de cette union naît en 2001 une fille dont ce dernier a maintenant la garde. En décembre 2003, la demanderesse et un certain Rivero, un homme qui avait des responsabilités à la mairie de sa municipalité, se lient d’amitié. Toutefois, lors d’une sortie en janvier 2004, la demanderesse est droguée et violée par Rivero. Suite à ce viol, elle donne naissance en septembre 2004 à sa fille cadette. Rivero continue d’avoir une relation avec la demanderesse sous la menace et la prévient qu’il la tuera si elle informe son entourage qu’il est le père de son dernier enfant. La demanderesse quitte le Mexique pour le Canada en février 2006 en compagnie de ses trois enfants mineurs.

 

[3]               Considérant que le comportement général de la demanderesse rend non vraisemblable son histoire, compte tenu des contradictions relevées dans son témoignage et concluant que la demanderesse a tenté d’étayer ses allégations à l’aide d’un faux certificat de plainte, le tribunal rejette la demande d’asile des demandeurs.

 

[4]               Essentiellement, la demanderesse reproche aujourd’hui au tribunal de ne pas avoir tenu compte des Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives) et d’avoir écarté arbitrairement ses explications, ce qui rend la décision du tribunal manifestement déraisonnable (Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no. 1142 (QL) aux para. 3, 17 et 18; Keleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56 aux para. 13 à 15; Myle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 871 aux para. 26 et 31; Villarreal Zempoalte c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 263, aux para. 9 à 15). De son côté, le défendeur soumet que l’affidavit soumis au soutien de la présente demande vise à induire cette Cour en erreur et que les reproches formulés par la demanderesse à l’endroit de la décision négative du tribunal sont non fondés.

 

[5]               Avant d’aller plus loin, faut-il le rappeler, les Directives servent à s'assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec sensibilité par le tribunal. À cet égard, les Directives invitent le tribunal, à la note 31, à s'inspirer de l'arrêt R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852 :

Une discussion sur le syndrome de la femme battue figure dans R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852. Dans Lavallée, le juge Wilson traite du mythe concernant la violence familiale : « Elle était certainement moins gravement battue qu'elle le prétend, sinon elle aurait quitté cet homme depuis longtemps. Ou, si elle était si sévèrement battue, elle devait rester par plaisir masochiste ». La Cour ajoute qu'une autre manifestation de cette forme d'oppression est « apparemment la réticence de la victime à révéler l'existence ou la gravité des mauvais traitements ». Dans Lavallée, la Cour a indiqué que la preuve d'expert peut aider en détruisant ces mythes et servir à expliquer pourquoi une femme reste dans sa situation de femme battue.

 

 

[6]               Le fait que les Directives ne soient pas mentionnées dans les motifs de la décision ne signifie pas qu'elles n'ont pas été considérées par le tribunal (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35; [1998] A.C.F. no 1425 (QL) au para. 17; Keleta, précité au para. 14; Villarreal Zempoalte, precité, au para. 11) et, dans le cas présent, le défaut allégué de suivre les Directives, loin d’être démontré à la satisfaction de la Cour, ne justifie pas l’annulation de la présente décision. Celle-ci n’est pas manifestement déraisonnable dans les circonstances et repose sur l’ensemble de la preuve au dossier. En l’espèce, la crédibilité de la demanderesse était au cœur de la demande d’asile. Or, la crédibilité de la demanderesse a été sérieusement compromise du fait qu’elle a tenté d’étayer ses allégations à l’aide d’un faux certificat de plainte. Ce dernier document daté du 8 août 2005 (l’attestation), émane du bureau du ministère Public de la ville de Villanueva et fait état des graves menaces proférées par Rivero contre la demanderesse et ses enfants. Or, selon la réponse obtenue des autorités du Guatemala, l’attestation n’est nullement conforme au document de plainte utilisé par le Bureau du procureur de la ville de Villanueva. De plus, le sceau qui y apparaît ne correspond pas à l’étampe officielle. Finalement, le signataire de l’attestation n’a jamais travaillé au Bureau du procureur de Villanueva.

 

[7]               Le fait de produire un faux document pour étayer les allégations d’une demande d’asile ne doit pas être banalisé par la Cour et permet légitimement au tribunal de douter de la crédibilité d’un revendicateur (Rahaman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1008, aux para. 15 à 17). Précisons ici que les faux documents d’identité que le revendicateur a pu obtenir du passeur n’entrent pas dans cette dernière catégorie. Comme je l'ai écrit dans R.K.L c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 FCT 116,  [2003] A.C.F. no 162 (QL), au paragraphe 11 :

Ce ne sont cependant pas tous les types d'incohérence ou d'invraisemblance contenue dans la preuve présentée par le demandeur qui justifieront raisonnablement que la Commission tire des conclusions défavorables sur la crédibilité en général. Il ne conviendrait pas que la Commission tire ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur : voir Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168, au paragr. 9 (C.A.F.) (Attakora); Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (QL) (C.A.) (Owusu-Ansah). La Cour a statué en particulier que le fait qu'un revendicateur voyage avec de faux documents, détruit ses documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée sur les instructions d'un agent est accessoire et a une valeur très limitée aux fins de l'évaluation de la crédibilité en général : voir Attakora, précitée; Takhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 240, au paragr. 14 (QL) (1re inst.).

 

                                                            [Non souligné dans l’original].

 

 

[8]               En l’espèce, le tribunal pouvait certainement rejeter les explications, très sommaires et peu convaincantes à mon avis, fournies par la demanderesse au sujet de l’attestation et conclure que celle-ci a tenté d’étayer ses allégations à l’aide d’un faux document. Contrairement à ce que prétend aujourd’hui la procureure de la demanderesse dans le cas particulier sous étude, il s’agissait d’un aspect déterminant.

 

[9]               D’autre part, une simple lecture de la transcription révèle que l’histoire de la demanderesse est truffée d’invraisemblances. Il est clair que le tribunal entretenait des doutes sérieux non seulement sur l’authenticité de l’attestation fournie par la demanderesse pour appuyer son récit mais également sur d’autres aspects fondamentaux de sa revendication. Ainsi, le tribunal a noté que la demanderesse avait déclaré à son arrivée au Canada de n’avoir jamais porté plainte contre Rivero. Cette déclaration contredisait son récit et confirmait le fait que l’attestation était probablement fausse.

 

[10]           Au paragraphe 32 de son affidavit au soutien de cette demande de contrôle, la demanderesse nie catégoriquement avoir déclaré à l’agent d’immigration qu’elle n’avait pas porté plainte contre son ancien ami. Ce paragraphe se lit comme suit :

Je n’ai jamais déclaré que je n’avais jamais fait de plainte contre ce monsieur par peur. J’ai déclaré que je n’avais pas la plainte avec moi parce que la question était : Avez-vous la plainte avec vous? J’ai répondu que : NON. 

 

 

[11]           La demanderesse affirme avec conviction qu’elle entretenait une relation avec un homme qui la menaçait, un point central de sa revendication. Or, tel qu’il appert des notes au point d’entrée de l’agent d’immigration, la demanderesse a bel et bien déclaré qu’elle avait peur de porter plainte contre son ancien ami. Cette déclaration se lit comme suit :

Question : Qu’avez-vous fait par la suite?

 

Réponse : J’ai pleuré et je lui ai demandé ce qui m’était [sic] arrivé. Lorsque j’ai réalisé ce qui s’était passé, j’étais enragé contre lui et lui ai dit que j’allais le dénoncer à la police.

 

Question : Et l’avez-vous fait?

 

Réponse : Non, parce qu’il fait parti [sic] du Rios Mont F.R.G. qui a déjà tué beaucoup de monde.

 

 

[12]           Sans conclure qu’il y a ici parjure, je suis d’avis que cette nouvelle déclaration de la demanderesse, celle-là encore une fois contradictoire sur un point fondamental de la demande d’asile, renforce la conviction de la Cour que la conclusion générale du tribunal n’est pas manifestement déraisonnable.

 

[13]           En terminant, je note que les motifs du commissaire Lapommeray ont été prononcés de vive voix à l’audition. Ceci comporte bien entendu le risque d’un débat éventuel devant cette Cour sur le sens exact à donner à certaines formulations qui peuvent être quelque peu boiteuses dans les motifs oraux. D’ailleurs, la procureure de la demanderesse en a rajouté à l’audition devant cette Cour et s’est référée à certaines questions du commissaire pour étayer les allégations de la demanderesse à l’effet que le tribunal a fait preuve d’insensibilité à son égard. Ayant dû considérer l’ensemble de la transcription à la suite d’allégations qui sont sérieuses à prime abord, je suis aujourd’hui satisfait que le tribunal n’a pas dépassé les limites acceptables en l’espèce. À mon avis, une personne raisonnable ne décèlerait pas dans les questions du tribunal une crainte raisonnable de partialité, ni une violation quelconque des Directives. Il est manifeste ici que le tribunal était en tout temps guidé par la recherche de la vérité et qu’il a tenu compte de la situation particulière de la demanderesse. Toutefois, je presse le tribunal de se montrer plus circonspect à l’avenir dans la formulation des questions adressées aux victimes présumées de violence conjugale ou familiale.

 

[14]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été soulevée et ne se soulève en l’espèce.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1693-07

 

 

INTITULÉ :                                       Lesli Karina CASTRO GUTIERREZ

                                                            Haly Madeline CASTRO GUTIERREZ

                                                            Gardiner Beigad CASTRO

                                                            Astrid Arleth CASTRO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 novembre 2007

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 novembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Angelica Pantiru

 

POUR LES DEMANDEURS

Alexandre Tavadian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Angelica Pantiru

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John Sims, c.r  

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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